Discours

du Secrétaire général de l'OTAN, Manfred Worner,<br />au Forum du Futur

  • 26 Apr. 1993
  • |
  • Mis à jour le: 05 Nov. 2008 00:19

C'est un plaisir pour moi de me trouver Paris sous l'gide du Forum du Futur que je remercie sincrement. Sans doute n'y suis-je pas venu assez souvent, mais je vous remercie, Monsieur le Prsident, de m'avoir invite a ce colloque et particulirement de pouvoir y entendre Monsieur le Ministre des Affaires trangres.

Vous-mme, Monsieur Baumel, par vos articles dans le Figaro et dans Le Monde, qui rvlent votre comprhension de la situation nouvelle, avez facilite ma tche. Je partage maintes de vos ides concernant le rle de la France dans l'Alliance et d'entre de jeu, je tiens a vous dire que le regret que j'ai exprime ne consiste pas seulement a dplorer des visites manques de vos superbes monuments, mais surtout de plus frquentes conversations concernant le rle d'un pays qui fut essentiel dans la fondation de cette Alliance et qui le reste tant en raison de sa gographie que de son prestige et de sa puissance.

Mais je ne suis pas venu plaider ici une cause, je tiens exposer des faits. Monsieur Baumel en a dcrit l'essentiel. Je vais m'efforcer aujourd'hui, en remontant le moins possible dans le temps, de porter un jugement sur la situation nouvelle de l'Europe, de dcrire les dangers et dfis auxquels nous sommes confrontes, d'voquer la transformation de l'Alliance, sa complmentarit avec d'autres organisations, en bref son nouveau rle Je terminerai par la place de la France dans le cadre de l'Alliance. Nous le savons tous, la fin de la guerre froide n'a pas rendu la scurit moins importante. Bien au contraire, elle nous a apporte toute une gamme de nouveaux dfis de scurit

Il y a d'abord des problmes immdiats. L'un d'eux tient au fait que la Russie se trouve confronte a une profonde crise alors qu'elle dtient toujours une formidable puissance militaire et notamment des milliers d'armes nuclaires. Les conflits ethniques dans les Balkans et en Asie centrale en sont un autre. Vers le sud mergent des menaces de nature diffrente, sous la forme de fanatisme religieux, d'aspirations l'hgmonie rgionale et de ressentiment a l'gard de l'Occident aux plans politique et conomique. Ces facteurs peuvent tre amplifies par un surarmement vident. La prolifration des armes nuclaires, chimiques et balistiques, conjugue au cynisme politique et la pousse dmographique, risque de nous placer devant des dangers aussi graves, mais beaucoup plus marques par l'irrationnel, que ceux que posait en son temps l'Union sovitique.

A ces dangers immdiats s'ajoutent des tendances plus long terme qui doivent nous conduire revoir en profondeur notre approche traditionnelle de la politique de scurit

Ainsi, nous voyons se dvelopper l'interaction entre les problmes intrieurs et les proccupations de scurit internationale. Pour les personnes, les informations, les technologies et les ressources, le passage des frontires est aujourd'hui de plus en plus facile. C'est pourquoi les problmes de scurit ne peuvent plus tre classes, suivant un cloisonnement rigide, en questions nationales, rgionales et internationales. L'afflux de rfugies provoque par le conflit yougoslave constitue peut-tre l'illustration la plus frappante de la manire dont les vnements qui surviennent dans un pays peuvent soumettre a de svres pressions des pays distants de plusieurs centaines de kilomtres. On en trouve un autre exemple dans la faon dont des ventes d'armes, destines soulager ici des difficults conomiques, peuvent, ailleurs, altrer fortement l'quilibre de la puissance militaire.

Un deuxime dfi nouvel est constitue par le retour du nationalisme, que Giuseppe Mazzini un jour qualifie de "maldiction de l'Europe". La fin de la guerre froide et l'effondrement des rgimes communistes ont fait apparatre une mosaque complexe de peuples divers, aux cultures varies, nourrissant de longue date des griefs l encontre de leurs voisins. Dans bien des cas, ces griefs sont d'autant plus graves qu'ils ont t artificiellement touffes pendant plus de quarante ans. Ces conflits ethniques placent les responsables politiques de tous nos pays occidentaux devant des choix difficiles, voire contradictoires : Faut-il intervenir ou non? Dans l'affirmative, ou, quand et comment? Et a quel prix? Comment concilier la rticence a intervenir dans les affaires intrieures d'Etats trangers et la ncessite de mettre fin a une campagne d'agression caractrise?

Un troisime lment nouveau est la gographie politique tout a fait diffrente de l'Europe d'aujourd'hui. L'ancienne ligne de faille Est-ouest qui traversait l'Europe centrale a disparu. De nombreux Etats nouveaux ont vu le jour. Les pays participant a la CSCE, qui taient trente-cinq a l'origine, sont maintenant cinquante-trois. Ces nouveaux Etats doivent trouver leur place dans le systme des nations europennes et se voir accorder la reconnaissance et le rle qu'ils mritent. Deux d'entre eux, l'Ukraine et le Kazakhstan, sont devenus des puissances rgionales, et mme - ne ft-ce que temporairement - des puissances nuclaires Il nous faut considrer des rgions entires de la zone euro atlantique sous un jour nouveau et nous accommoder d'Etats dont les perspectives stratgiques et les politiques trangres sont totalement diffrentes de celles auxquelles nous tions habitues du temps de la guerre froide.

Mais, des changements rsultant de la fin de la Guerre froide, le plus spectaculaire est peut-tre celui de l'interprtation donne a la notion de souverainet. Aujourd'hui, les droits des peuples se voient accorder un poids nouveau par rapport a ceux des Etats. Ainsi, dans l'opration "Provide Comfort", en Irak, les proccupations humanitaires l'ont emporte sur la tolrance d'un droit qui permet a un rgime de maltraiter impunment ses propres sujets. Il est peut-tre trop tt pour dire si la communaut internationale s'achemine vers l'adoption d'un nouveau principe consacrant le droit, sinon le devoir, d'ingrence humanitaire. Mais le sentiment existe a coup sr que lorsqu'est perptre un gnocide, ou quand les structures dirigeantes de l'Etat se sont croules, laissant place au chaos, comme ce fut le cas rcemment en Somalie, alors une intervention extrieure est a la fois ncessaire et justifie.

Comment pouvons-nous rduire les dangers d'un monde en transition? Comment pouvons-nous contribuer a stabiliser l'instabilite a l'Est et au Sud? Et comment pouvons-nous entre-temps nous proteger contre ses consequences?

Le plus important, c'est de preserver et de renforcer les quelques elements de stabilite dont nous disposons. Et, sur notre continent, ceux-ci sont essentiellement la Communaute europeenne et l'Alliance atlantique.

L'OTAN a perdu un ennemi, mais elle n'a pas perdu sa raison d'etre. La dissuasion a l'egard d'une Union sovietique expansive a cede la place a la stabilite en tant que tche fondamentale de l'Alliance atlantique. Qui aujourd'hui pourrait pretendre remplacer l'Alliance dans son role de garant de la stabilite en Europe? Ce n'est pas un hasard si les Etats d'Europe centrale et de l'Est recherchent de plus en plus un rapprochement avec l'Alliance atlantique.

Celle-ci garantit la securite de ses Etats membres contre d'eventuels risques militaires. C'est dans l'histoire un phenomene sans precedent. Qui aujourd'hui pourrait pretendre se substituer a l'OTAN dans son role de garant de l'equilibre strategique, nucleaire inclus, du continent euro- asiatique? Personne.

Aujourd'hui encore, l'Europe n'est pas en mesure d'assurer sa propre securite et sa propre defense. Pour nous Europeens, c'est certes une amere realite, neanmoins incontournable. Il s'ecoulera encore beaucoup de temps avant que les Europeens puissent se passer de la presence politique et militaire des Etats Unis, garante de la securite europeenne et de l'equilibre des forces sur le vieux continent. Qui d'autre que l'OTAN peut tenir ce role? Il n'y a pas d'autre choix aujourd'hui pour les Allies que la communaute de destin qui lie, dans l'OTAN, l'Europe occidentale et l'Amerique du nord.

La communaute transatlantique demeure l'element fondamental sans lequel on ne peut imaginer de construire une nouvelle architecture de la securite europeenne ou un ordre international acceptable. L'Europe a besoin de l'Amerique, mais aussi l'Amerique de l'Europe. Ce n'est qu'ensemble qu'elles pourront dominer les defis du monde actuel.

En un mot : l'Alliance atlantique reste le seul forum ou les grandes nations du monde occidental puissent coordonner leur politique de defense et de securite. Il n'y a pas d'autre choix.

Je voudrais encore ajouter que, face a des menaces multiformes dans le contexte geostrategique europeen actuel, il faut des moyens politiques et militaires adequats. Aucun pays europeen aujourd'hui ne possede a lui seul les moyens de mener a bien des operations militaires de grande envergure dans la zone de l'OTAN ou a l'exterieur.

Soyons serieux : meme tous ensemble, les Europeens n'ont pas les moyens de gerer efficacement des crises majeures, que ce soit dans le domaine de la reconnaissance, des transports, des communications et de la macro-logistique. D'autant plus qu'avec des budgets en decroissance, l'on ne voit pas d'ou viendrait le financement de ces moyens dans les annees a venir. Et nous savons, depuis les crises du Golfe, de la Yougoslavie, ou comme l'a montre l'intervention en Somalie, que les Europeens sont encore loin d'avoir atteint le seuil de cohesion politique ou de credibilite militaire necessaires.

Les Americains eux-memes doivent admettre que leurs moyens tant financiers que militaires sont insuffisants face aux engagements auxquels ils doivent faire face. La guerre du Golfe a montre que les Etats Unis n'etaient plus en mesure, sans des soutiens exterieurs, d'assumer les contraintes budgetaires resultant de leur engagement dans la region. Leur budget militaire a beau depasser encore largement celui de l'ensemble des pays de la Communaute europeenne, les Etats Unis, c'est un fait, sont de moins en moins disposes et capables d'assumer seuls le poids politique, moral, militaire et financier d'operations militaires majeures. Nous sommes obliges d'admettre qu'a l'heure actuelle, aucune autre organisation n'est en mesure de se substituer a la communaute d'action et de destin que constitue l'Organisation du Traite de l'Atlantique Nord, qui dispose seule de moyens etendus et varies: reseau d'infrastructure, moyens de reconnaissance par satellite, radars volants AWACS, pour ne citer que ceux-la.

Par consequent, l'OTAN aura sa place dans une nouvelle architecture europeenne a cote des autres organisations. La CSCE peut conferer un mandat au nom de l'Europe tout entiere, mais elle n'est pas en mesure de faire appliquer ses decisions. A l'avenir, l'UEO se verra dotee de certains moyens militaires limites, mais qui ne seront pas suffisants pour lui permettre de faire face a une crise majeure. L'OTAN dispose de mecanismes politiques et militaires fiables pour la gestion des crises, mais elle doit recevoir un mandat specifique des Nations Unies ou de la CSCE pour les mettre en jeu. Il est donc essentiel que ces institutions collaborent. C'est seulement de cette facon que nous pourrons nous prevaloir d'une gamme d'options politiques et militaires suffisamment large qui nous permettra, dans n'importe quelle situation de crise, de reunir l'ensemble des mesures necessaires: surveillance, sanctions, negociations politiques, forces de maintien de la paix.

Affirmer qu'une Alliance transatlantique demeure necessaire ne signifie toutefois pas que seule la forme traditionnelle de l'Alliance peut repondre a ce besoin. La capacite de changer est devenue, du point de vue de la securite, tout aussi importante que la capacite d'agir de maniere coherente. Certes, la restructuration peut comporter des risques, mais ne pas nous adapter entranerait, a long terme, des risques beaucoup plus grands.

Au cours des trois dernieres annees, l'OTAN a connu une profonde transformation, dont l'ampleur n'est pas toujours reconnue dans nos pays membres, meme dans les fractions bien informees de l'opinion publique. Ce processus a deja porte ses fruits. Il concerne essentiellement trois domaines:

  • strategie et structure de nos forces
  • reequilibrage par le renforcement du pilier europeen
  • cooperation avec les pays de l'Europe du Centre et de l'Est.

Depuis le sommet de Rome, en novembre 1991, nous avons une nouvelle strategie, une nouvelle structure de commandement et une nouvelle structure de forces. La France, je le souligne, a participe a ce processus, sauf pour ce qui concerne le volet nucleaire, et contribue de maniere significative a son succes. Cette nouvelle strategie met l'accent sur la mobilite, la souplesse et les unites multinationales. Elle repose sur trois piliers : les forces de reaction - aussi bien la reaction immediate que la reaction rapide - les forces de defense principales, et les forces d'appoint. Il est certain que les Allies europeens ont deja acquis un poids accru dans la nouvelle structure de forces, et qu'une plus grande interaction des forces des pays europeens en sera l'un des resultats. Je pourrais citer comme exemples l'Eurocorps que la France a decide de creer avec l'Allemagne et le nouveau corps mixte germano/neerlandais. De plus, il y aura a l'avenir deux corps mixtes germano/americains.

Donner a l'Europe un poids et une influence accrus au sein de l'Alliance est l'un des objectifs principaux de notre transformation, et meme une condition prealable de la vitalite a long terme de l'OTAN. Il est bien loin le temps ou les Etats-Unis avaient les moyens et la volonte de jouer un role predominant, et ou l'Europe ne voulait ni ne pouvait etre autre chose qu'un partenaire de second rang. L'attitude des Etats-Unis vis-a-vis de l'identite europeenne de securite et de defense, et de l'Union de l'Europe occidentale, a evolue comme l'a clairement exprime le Secretaire d'Etat americain, M. Warren Christopher, dans son discours devant le Conseil de l'Atlantique Nord, en fevrier dernier. Il a lui-meme declare, a diverses reprises, que "toutes les crises ne doivent pas forcement se resumer a un choix entre l'inaction et l'intervention unilaterale americaine". Dans un monde ou l'on voit sans cesse augmenter la demande d'interventions et d'operations de maintien de la paix, il est necessaire de partager de maniere plus equitable, entre les Etats-Unis et l'Europe, les responsabilites et les charges. Hier, l'Europe hesitait a agir sans les Etats-Unis. Aujourd'hui, comme nous le voyons dans l'ex-Yougoslavie, les Etats-Unis hesitent a agir sans l'Europe.

Nous avons, il faut l'admettre, perdu un temps precieux dans un debat sterile entre "Atlantistes" et "Europeens", les premiers voyant dans tout renforcement de la cooperation europeenne en matiere de defense une menace pour l'OTAN, les seconds semblant sous-entendre que cette politique de securite et de defense europeenne devait, pour avoir quelque fond et quelque credibilite, se jouer contre l'Alliance atlantique et l'influence americaine. Les deux ont tort. La securite de l'Europe et la cohesion du monde occidental exigent toutes deux une Alliance forte et une Europe davantage integree sur le plan politique et davantage capable d'agir. Les deux processus - cooperation transatlantique et integration europeenne - ont ete et demeureront interdependants.

La transformation de l'Alliance ouvre des perspectives nouvelles dans la repartition des responsabilites, des roles et des structures de commandement entre Americains et Europeens. Mais faut-il rappeler que, comme dans toute organisation, dans notre Alliance aussi ce sont trois facteurs qui determinent l'influence des Europeens: leur unite, leur poids et leur contribution. A cet egard, la crise du Golfe hier et la Yougoslavie aujourd'hui ont montre que les ambitions de l'Europe dans le domaine d'une politique commune de securite et de defense sont bien en avance sur la realite. Cependant, une participation pleine et active de la France dans toutes les institutions de l'Alliance y accrotrait l'influence europeenne.

Dans le reequilibrage interne de l'Alliance, l'UEO a un role essentiel a jouer. Compte tenu de son elargissement recent et du fait qu'elle a accorde a d'autres allies europeens le statut de membres associes ou d'observateurs, elle represente l'identite europeenne de securite, mais elle est aussi en mesure de developper son role complementaire de pilier europeen de l'Alliance. L'OTAN ne s'est pas contente d'encourager politiquement le developpement de l'UEO; nous l'avons aussi facilite de maniere concrete, en offrant par exemple de mettre nos moyens a sa disposition pour lui permettre d'agir, apres consultations. Nous avons pris des mesures pour assurer le developpement harmonieux de la cooperation et des relations entre l'OTAN et l'UEO. Au cours des derniers mois, c'est un veritable "modus operandi" qui s'est instaure entre les deux organisations. Nous avons harmonise nos methodes de travail, et nous procedons regulierement a des echanges d'information. J'ai ete invite a assister a la reunion de l'UEO en session ministerielle, a Rome en novembre dernier, et le Secretaire general de l'UEO, M. Willem van Eekelen, assiste aux reunions ministerielles de l'OTAN.

Notre but est d'etablir une relation fondee sur la transparence et la complementarite. Aucune des deux organisations ne peut etre efficace si elle considere l'autre comme une rivale, ou si nous gaspillons du temps et des efforts a debattre sur les prerogatives institutionnelles, ou a prendre, l'une et l'autre, des mesures qui font double emploi. Le travail ne manque ni pour l'OTAN ni pour l'UEO. L'avenir implique une repartition des tches grce a laquelle nos ressources politiques et militaires conjuguees pourront etre utilisees dans les meilleures conditions de cot et d'efficacite. Ce partage des tches devra etre fonde sur le pragmatisme et etre decide cas par cas.

A cet egard, il serait contre-productif, a mon sens, que l'UEO cherche a se doter d'une structure militaire complete, autonome et distincte de celle de l'OTAN. D'ailleurs, a une epoque de compression des budgets de la defense, l'on ne dispose pas des ressources necessaires a une telle entreprise. Ce qu'il faut, c'est faire en sorte que nos forces ou une partie d'entre elles puissent operer, apres les decisions prises au sein des deux organisations et apres consultation, sous l'autorite de l'UEO. La decision de mettre l'Eurocorps a la disposition soit de l'UEO soit de l'OTAN donne un bon exemple de cette forme de coordination.

Le troisieme volet de notre transformation reside dans une cooperation etroite avec nos adversaires d'hier au sein de notre conseil de cooperation. Les progres accomplis a ce jour sont assez substantiels pour que l'Alliance puisse assumer efficacement deux nouveaux roles majeurs, susceptibles de promouvoir la stabilite au-dela de ses frontieres.

Il y a d'abord le role de projection de stabilite de l'Alliance vers les pays d'Europe centrale et orientale et vers les republiques nouvellement independantes issues de l'ex-Union sovietique.

Soucieux d'un rapprochement avec les pays d'Europe centrale et orientale, nous avons cree le Conseil de cooperation nord-atlantique. Ainsi l'on a pu voir se reunir periodiquement les Ministres des affaires trangres, les Ministres de la defense - la France faisant exception en ce qui concerne ces derniers -, de meme que les Chefs d'etat- major de la defense et de nombreux groupes d'experts de haut niveau. Nos partenaires de la cooperation sont a present au nombre de vingt-deux. La pratique de consultations periodiques, au niveau technique, s'est egalement renforcee avec l'invitation faite aux partenaires de la cooperation de participer aux reunions de certains comites de l'OTAN et avec toute une serie de visites et d'echanges bilateraux. Doctrines de defense, budgets militaires, coordination de la circulation aerienne ou democratisation des structures militaires - il y a beaucoup de domaines ou l'Alliance peut offrir soutien et cooperation aux pays d'Europe centrale et orientale.

Nous nous employons actuellement a faire passer cette cooperation du niveau general ou elle se situait d'abord a des projets concrets, propres a repondre aux defis particuliers que pose la restructuration militaire a chacun de nos nouveaux partenaires. Nous menons aussi actuellement avec ces pays des discussions sur la participation eventuelle au maintien de la paix. Elles ont deja debouche sur la mise au point d'un plan specifique prevoyant non seulement le partage des experiences mais une cooperation pratique dans les domaines de la formation, des exercices et de la planification.

L'autre role nouveau de l'OTAN concerne la gestion des crises et l'appui aux operations internationales de maintien de la paix. Nous avons decide que l'OTAN, avec son experience averee en matiere de gestion des crises et ses structures militaires, pouvait apporter son soutien a la fois aux Nations Unies et a la CSCE; en fait, elle contribue deja activement a des missions de maintien de la paix sous l'egide des Nations Unies. Cela ne signifie pas que l'OTAN doive jouer un role a l'echelle mondiale, pas plus que cela ne nous conduira a negliger la tche principale de l'Alliance qui est la defense collective de ses membres. Cela correspond plutot a une realite : etant donne les instabilites en Europe, il serait imprudent de ne pas utiliser les capacites politiques et militaires de l'OTAN. L'Alliance possede cette capacite parce qu'elle dispose d'une infrastructure, de moyens de communication et de forces bien entranees qui peuvent operer ensemble et qu'elle est en mesure de deployer collectivement dans le cadre de dispositions efficaces de commandement et de controle, meme dans des conditions difficiles.

Actuellement, nous apportons notre appui aux initiatives des Nations Unies dans l'Ex-Yougoslavie. Et cela se fait hors zone sans que personne ne le mette en question. Des navires de l'OTAN et de l'UEO veillent au respect des sanctions dans l'Adriatique. Des avions de l'OTAN surveillent deja depuis plusieurs mois la zone d'exclusion aerienne au- dessus de la Bosnie et, en ce moment meme, ils font respecter cette zone conformement a la derniere resolution du Conseil de securite des Nations Unies. Des elements de commandement de l'OTAN pretent leur concours a la force de protection des Nations Unies. Depuis quelques semaines, l'OTAN et les Nations Unies examinent ensemble la maniere de mettre en oeuvre un plan de paix dans l'ex-Yougoslavie. Je ne doute pas que s'il est fait appel a l'aide de l'Alliance, celle-ci repondra positivement.

Dans ces operations, l'Alliance fait preuve de flexibilite et de pragmatisme en ce qui concerne le mode d'action, la participation des Etats membres et leur maniere de contribuer. On se dirige ainsi vers un modele d'integration de plus en plus modulaire, adapte aux nouvelles missions de l'Alliance.

Ces operations de maintien de la paix se font deja avec la participation pleine et active de la France, jusqu'au sein du Comite Militaire. L'Alliance et la France en profitent mutuellement.

Alors que se dessine une transformation profonde de l'Alliance, caracterisee par un reequilibrage entre Europeens et Americains, et alors que l'Alliance prend en charge de plus en plus de nouvelles missions, le moment n'est-il pas venu pour la France de reexaminer sa position traditionnelle face a l'Alliance?

Est-ce que les raisons qui ont conduit la France a prendre une position particuliere au sein de l'OTAN, si justifiees qu'elles aient pu etre a l'epoque, sont toujours valables? On peut en douter.

Du temps de la guerre froide, en depit de l'absence de la France de la structure militaire integree, nul n'a jamais doute qu'en cas de conflit, elle se joindrait aux autres allies, ainsi que l'a rappele recemment Monsieur Baumel.

La situation est devenue beaucoup plus fluide et difficile a apprehender, la menace est desormais diffuse et multiple. En meme temps se fait jour, au sein ou en marge de l'Alliance, une plus large possibilite de combinaisons, y compris au plan militaire: Corps de Reaction Rapide, Corps franco-allemand, etc...: c'est le developpement "modulaire" dont je parlais il y a un instant.

Dans cette oeuvre de recomposition imposee par les circonstances, apparait la necessite d'une mise en commun des competences et des experiences de chacun, afin d'accorder le plus justement possible la reaction a la menace. La competence et l'experience de la France en Europe, mais aussi en Afrique, au Maghreb, au Moyen-Orient, aussi bien que sa participation aux operations des Nations-Unies, peuvent constituer d'importantes contributions: l'Alliance y gagnera, mais la France beneficiera, elle aussi, de l'experience des autres, dans le cadre d'un moule plus souple, faconnable au coup par coup.

La variete des menaces, le cot des armements ne permettent plus les politiques purement individuelles de defense. Il est certes legitime que la France s'attache a la promotion d'une defense europeenne. Sa contribution n'en est pas moins indispensable au cadre transatlantique, particulirement quand, vers celui-ci, se tournent tous les pays d'Europe, de l'Est, du Centre et de l'Ouest.

Il ne s'agit pas d'une reinsertion des forces francaises dans la structure militaire integree de l'OTAN, si la France ne le souhaite pas. L'exemple de l'Espagne montre clairement qu'une pleine participation ne signifie pas integration. Il s'agit de la participation active de la France au Comite Militaire, au Comite des Plans de Defense et meme au Comite de Planification Nucleaire. Le Ministre francais de la Defense prendrait part, comme son collegue des Affaires Etrangeres, aux reunions, que nous tenons periodiquement avec nos Partenaires de la Cooperation.

La conclusion me semble evidente. La France a tout a gagner et rien a perdre a se rapprocher davantage de l'OTAN. Elle aurait interet en affirmant une presence plus active, a donner a l'organisation de cette Alliance une nouvelle structure plus egalitaire.

Quatre ans apres l'effondrement du communisme en Europe centrale et orientale, l'on ne distingue que de vagues contours de ce que sera l'architecture de l'Europe. En revanche, les nouveaux defis auxquels l'Alliance devra faire face en matiere de securite - si elle veut realiser sa vision ultime d'un ordre pacifique juste et durable en Europe - se sont imposes avec une clarte presque brutale. Avec l'Alliance atlantique renovee et le processus d'union politique de l'Europe, nous disposons des deux instruments fondamentaux de la stabilite. Il est de notre devoir politique de rapprocher ces deux instruments afin qu'ils puissent se renforcer l'un l'autre et, conjointement, nous aider a faconner l'avenir dans le respect de nos valeurs democratiques.