L'économie des sociétés en transition: les travaux du CPEA en session du Comité économique
Michael Kaser,<br />Institut d'études allemandes, Université de Birmingham, Royaume-Uni
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Le dixième anniversaire que nous célébrons aujourd'hui coïncide avec un cinquantième anniversaire qui n'est pas sans importance. Le 22 juin 1951, des représentants du Canada, du Danemark, de la Grèce, des Pays-Bas, de la Norvège, du Portugal, du Royaume-Uni et des Etats-Unis se réunissaient au siège de l'OTAN, qui se trouvait alors à Londres, en tant que premier Groupe de travail de l'OTAN sur l'économie soviétique. Le contexte dans lequel j'y ai présenté un document est resté le même depuis les années 50 jusqu'à la fin des années 80. Pour les responsables de l'OTAN et de ses Etats membres, la Guerre froide impliquait une analyse économique des ressources nécessaires au Pacte de Varsovie pour maintenir ou renforcer les contributions au dispositif militaire. A partir du milieu des années 60, les économistes du monde universitaire ont été appelés à y ajouter leurs propres analyses dans le cadre d'au moins trois programmes annuels. Au Royaume-Uni, à partir de 1966, le MDN a parrainé des conférences annuelles tenues d'abord au Ministère des affaires étrangères, puis à la London School of Economics, et enfin, en 1990, mon propre St Antony's Collège de l'Université d'Oxford, avec, symboliquement, un financement de l'OTAN et la participation de l'Union soviétique. Aux Etats-Unis, la Commission économique conjointe du Congrès a demandé chaque année à partir de 1965 des études à des universitaires et des responsables de pays de l'OTAN sur les économies d'Europe de l'Est, de l'URSS et de la Chine, généralement selon un cycle triennal. Et à partir de 1971, la Direction économique de l'OTAN a organisé chaque année (sauf en 1972) sont grand colloque économique, dont les travaux ont toujours été publiés avec une rapidité remarquable. Celui de 1990 était le premier à faire intervenir des orateurs de l'URSS, de la Hongrie et de la Pologne.
L'année suivante, le Conseil de coopération nord-atlantique a tenu sa première réunion, et a inclus dans son programme de travail les colloques économiques, qui avaient été repris dans le Plan d'action du Conseil de partenariat euro-atlantique lors du colloque de 1998. Cette réunion était également une "première" en ce sens qu'elle ne se tenait pas, comme les précédentes, au siège de l'OTAN, mais dans un pays partenaire, la Slovénie. Le Concept stratégique de l'OTAN, adopté au Sommet de Washington d'avril 1999, marquait l'attachement de l'Alliance - je cite -"à une approche globale de la sécurité, qui reconnaît l'importance des facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux en plus de l'indispensable dimension de défense". Avec l'adhésion de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne, et l'unification de l'Allemagne, la ligne de séparation datant de l'époque de l'après-guerre avait été supprimée.
Mais, s'il n'y avait plus de division politico-militaire de l'hémisphère nord - la zone du CPEA commence et se termine au détroit de Béring - les économies postcommunistes étaient encore bien différentes des économies de marché. Elles avaient connu, au début de la transition économique, l'urgence d'une double transformation - le passage du régime de planification centrale à un système de marché et la recherche de la stabilité macro-économique. Après l'éclatement de la Tchécoslovaquie, de l'Union soviétique et de la Yougoslavie, 22 des 27 pays en transition devaient entreprendre ces transformations parallèlement à la mise en place de nouvelles structures nationales.
En 2000, la plupart des changements institutionnels avaient été menés à leur terme, bien qu'à des degrés variables selon le pays et la branche de l'économie. Partout, le secteur privé domine dans l'agriculture et les services, mais s'agissant de l'exploitation minière et des industries manufacturières, l'Etat occupe toujours une place importante, et dans le secteur privé en général, on constate des lacunes au niveau de la réglementation publique et du respect de la loi et des contrats. Dans certains pays représentant un cas extrême, la moitié environ de l'activité économique est générée en dehors du PIB mesuré, alors qu'à l'autre extrême, l'économie officieuse atteint le niveau des 10% habituellement enregistré dans les économies de marché occidentales. Le PIB mesuré et - ce qui est important - de ce fait imposable reste faible, calculé par habitant, par rapport aux pays occidentaux, allant de $ 990 au Tadjikistan à $ 14.800 en Slovénie. Presque partout, le pourcentage de population vivant au dessous du seuil de pauvreté a augmenté. La pauvreté est source de conflits et les conflits engendrent la pauvreté, comme certains Etats en transition ont pu le constater. Cette relation à double sens a été récemment démontrée par une étude de la Banque mondiale portant sur les deux quinquennats de la période 1960-1999, qui a été marquée par des guerres civiles dans 73 pays. L'éclatement d'un conflit civil a été statistiquement associé non seulement à des questions ethniques, aux pressions démographiques et à la dépendance vis-à-vis des exportations de produits primaires, mais surtout à la faiblesse, voire à la baisse, du PIB par habitant. Il est donc encourageant de constater que l'an 2000 a été la première année, depuis l'effondrement du communisme, où chaque pays en transition a connu une augmentation du PIB. Cependant, même si ces pays enregistrent pendant cette décennie une croissance deux fois supérieure à celle de l'UE, seule la Slovénie arrivera au niveau de cette dernière en ce qui concerne le PIB moyen par habitant.
Le deuxième grand impératif pour les gouvernements des pays en transition a consisté à assurer la stabilité macro-économique et à garantir son maintien pour les investisseurs constitués en société comme pour les petits épargnants. Là encore, le bilan de l'année dernière est positif. L'inflation a été nulle dans deux Etats (Albanie et Arménie), elle a été à un chiffre dans douze pays, elle a atteint entre 10 et 30% dans huit pays, elle a dépassé 30% dans six seulement, et seul le Bélarus a connu une inflation à trois chiffres. La faiblesse de l'inflation prévue et la transparence de la gestion au niveau des sociétés et de l'Etat favorisent les investissements étrangers directs (IED), ce qui facilite le rattrapage quantitatif et qualitatif. L'an dernier, les IED par habitant ont atteint $ 256 dans les cinq Etats d'Europe centrale et orientale, $ 123 dans les trois pays baltes, $ 68 dans les sept pays d'Europe du Sud-Est, mais seulement $ 12 dans les douze Etats de la CEI. L'attentat terroriste du 11 septembre et la crainte d'une récession économique dans les pays occidentaux accentueront un déclin déjà évident des IED à l'échelle mondiale. Les adversaires de la mondialisation dans le domaine économique jugeront peut-être une telle tendance encourageante, mais la diffusion des technologies de pointe et l'efficacité de la gestion pourraient en souffrir.
C'est dans ce contexte économique que doivent être définies les activités à mener au sein du CPEA. La rentabilité des dépenses publiques doit être une préoccupation prioritaire à cet égard. L'efficacité de la gestion des ressources au niveau des ministères de la défense suppose non seulement que les fonds soient dépensés conformément aux appréciations du gouvernement quant aux capacités de sécurité requises, mais aussi qu'une part forcément importante des dépenses publiques soit affectée de façon compétitive et efficiente. L'an dernier, les gouvernements de tous les pays en transition sauf quatre ont connu un déficit budgétaire - les finances de l'Ukraine étaient en équilibre, la Bulgarie, le Kazakhstan et la Fédération de Russie (si les budgets régionaux et locaux sont regroupés avec le budget fédéral) ont enregistré des excédents. Les avis donnés par l'OTAN et par ses pays membres aux gouvernements des pays partenaires au sujet de la gestion des ressources affectées aux programmes de défense contribuent ainsi à la réalisation du grand objectif politique que constitue la stabilisation macro-économique. Pour parvenir à des décisions faisant l'objet d'un suivi démocratique sur l'affectation de ces ressources, le Comité directeur politico-militaire du Partenariat pour la paix a organisé des séminaires fournissant des orientations aux autorités pour les aider à assurer une plus grande transparence de la planification et de la budgétisation de la défense.
Les dépenses budgétaires ne représentent qu'une partie des ressources utilisées pour la défense, notamment par les industries de défense, qu'elles soient privées ou qu'elles dépendent de l'Etat. L'industrie de défense a été rendue plus efficace par une restructuration tenant compte de l'évolution des besoins ainsi que de la concurrence étrangère. Une conversion à la production civile a dû être opérée là où la fin de la Guerre froide s'est traduite par une réduction des acquisitions pour la défense. Les deux tendances ont été constatées aussi bien au sein de l'OTAN que dans les pays partenaires, mais dans les pays à l'économie en transition, l'analyse de l'expérience pratique au sein du CPEA en session du Comité économique a occupé une place particulière, pour deux raisons. Premièrement, les industries de défense étaient non seulement gérées par l'Etat mais isolées du reste du secteur étatisé. Leur adaptation à l'abolition du système de planification centrale en était d'autant plus problématique. Deuxièmement, de nombreuses usines du complexe militaro-industriel étaient situées dans des villes qui dépendaient d'une seule industrie. Bien que la réduction des acquisitions pour la défense ait durement touché certaines villes d'Europe de l'Est (notamment en Slovaquie), les "villes fermées" de la CEI ont connu un grave chômage, une érosion de l'infrastructure et la perte de services sociaux. Cette dimension régionale a pris une place importante dans les activités confiées au Comité, de même que les effets géographiques analogues, mais plus limités, de la fermeture de bases militaires - les installations navales étaient particulièrement vulnérables - pour lesquelles de nouvelles utilisations productives doivent être trouvées. Les problèmes environnementaux qui ont été rencontrés lorsqu'il s'est agi de réutiliser des zones précédemment affectées à la défense ne sont pas la moindre des préoccupations des spécialistes qui étudient les questions économiques liées à la sécurité dans le cadre général du CPEA et de la COU. Leur tâche n'est certainement pas achevée.