Discours du secrétaire général, Jens Stoltenberg, à la cérémonie marquant le 5e anniversaire des attentats terroristes du 22 juillet 2011 en Norvège
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Mesdames et Messieurs
qui avez perdu un être cher,
vous tous ici présents,
Il y a 5 ans jour pour jour, l'ancienne première ministre, Gro Harlem Brundtland, était en visite sur l'île d'Utøya. Comme le sol était humide, elle avait emprunté des bottes de caoutchouc vertes à une jeune fille appelée Bano Rashid, membre de la Ligue des jeunes du Parti travailliste, un geste simple et amical, dans l'esprit qui régnait sur Utøya.
Pendant ce temps, dans le quartier du gouvernement, des hommes et des femmes, connus pour leur expertise et leur compétence, s'acquittaient des fonctions importantes qui étaient les leurs.
Utøya était encore l'endroit le plus paisible sur Terre.
Là-bas, des jeunes militants parlaient politique,
d'autres faisaient soigner leurs petites blessures après des activités sportives,
tandis que des couples se baladaient sur le « chemin des amoureux ».
***
Puis soudain, tout a basculé. Nous avons été attaqués.
D'abord le quartier du gouvernement, où huit personnes ont perdu la vie.
Ensuite Utøya, dont les premières nouvelles nous sont parvenues alors que nous étions encore en plein état de choc.
La Ligue des jeunes travaillistes, le Parti travailliste et la Norvège ont perdu ce jour-là 69 personnes au total,
toutes froidement abattues.
Ces personnes disparues avaient toute la vie devant elles :
elles avaient encore des anniversaires à fêter, devaient se marier et avoir des enfants.
Elles allaient mener des combats pour leurs convictions, connaître des victoires et des défaites.
Elles devaient encore découvrir les heurs et les malheurs de la vie.
Mais la vie leur a été arrachée.
Des familles ont perdu un être cher.
Nombre d'entre nous ont perdu des amis.
La Norvège a perdu 77 citoyens irremplaçables.
Les actes de violence de cette journée ont néanmoins amené notre pays à donner le meilleur de lui‑même.
Je songe aux personnes qui se trouvaient sur place et qui ont pris tous les risques pour en sauver d'autres,
aux services de santé, qui ont sauvé un grand nombre de gens,
aux services de police et de secours, qui ont été confrontés à la pire des épreuves,
à l'appareil judiciaire, qui a crû fermement en la primauté du droit au cours des mois difficiles qui ont suivi,
au groupe de soutien aux personnes endeuillées, qui a aidé ceux qui ont perdu un être cher à surmonter leur chagrin et leur colère, avec dignité et bienveillance,
à la marche blanche en hommage aux victimes, où la communion de tous les Norvégiens dans le chagrin et la solidarité les a rendus d'autant plus forts.
Le 22 juillet a fait ressortir ce que nous voulons être, à titre individuel et ensemble.
La Norvège, « notre petit pays », a triomphé de l'épreuve.
Je vous en remercie tous.
***
Mais l'histoire est jalonnée de leçons amères, durement apprises.
Ce qu'il nous a été rapporté de nos failles était franc et honnête.
Nous nous devons d'en tenir compte.
***
Le chagrin ne s'atténue qu'avec le temps.
Pourtant, les blessures infligées par la terreur ne guérissent jamais.
Les cicatrices laissent à jamais des traces.
Nous ne pourrons jamais oublier la douleur causée par la perte d'êtres qui nous sont chers.
Mais comme l'a formulé notre écrivain Lars Saabye Christensen :
« À mes yeux, le chagrin est dur comme le fer.
Nous en sommes les forgerons, nous le battons,
nous le tordons, nous le courbons, et nous le façonnons.
Jusqu'à réaliser qu'il ne changera en rien le passé. »
***
La terreur a frappé des innocents.
Au hasard, mais pas aveuglément.
Elle s'en est prise au cœur de notre démocratie.
Le quartier du gouvernement, qui en est le symbole même.
De jeunes politiciens rassemblés pour un camp d'été. Y a-t-il meilleur exemple d'engagement et de responsabilité sociale ?
Ils étaient la prochaine génération de dirigeants politiques.
Cette attaque visait une société bâtie sur la confiance et la transparence.
***
Le 22 juillet a marqué notre histoire à tout jamais.
Mais de nombreuses autres dates viennent nous rappeler la cruelle réalité :
le 22 mars à Bruxelles,
le 12 juin à Orlando,
le 14 juillet à Nice,
le 7 janvier et le 13 novembre à Paris,
le 17 février, le 13 mars et le 10 octobre à Ankara,
et pratiquement toutes les semaines à Kaboul et à Bagdad.
Il faut combattre la terreur.
En faisant appel aux services de renseignement, à la police et aux forces armées.
Et aussi en nous servant de nos valeurs.
Il faudra du temps,
mais nous vaincrons,
car nos valeurs sont au-dessus de tout.
La liberté vaut mieux que la soumission.
La tolérance vaut mieux que le sectarisme.
Le respect de la vie vaut mieux que le mépris de la vie.
***
Après le 22 juillet, nous avons défendu notre société ouverte et démocratique.
Qui nous a préservés de la violence.
Qui est devenue notre bouclier.
Les valeurs qui ont été mises à mal étaient celles-là même que nous voulions protéger.
Elles sont devenues notre moyen de défense.
***
Avant de quitter l'île, Mme Brundtland a rendu à Bano ses bottes de caoutchouc.
Bano est morte à Utøya mais, avec les autres, elle continue de vivre en nous, parmi nous.
C'est en faisant preuve, plus que jamais, d'ouverture et de sens démocratique que nous pouvons au mieux honorer leur mémoire.