La logistique englobe tous les aspects, ou presque, des activités militaires, si ce n’est le combat.
La mobilité militaire est une composante essentielle de la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN et elle est désormais l’un des axes principaux de la coopération avec l’Union européenne. Le déplacement rapide de forces alliées depuis l’extérieur et à l’intérieur de l’Europe et leur maintien en puissance constituent un défi de taille sur le plan logistique. Ils nécessitent l’intervention de nombreux acteurs aux niveaux national et international. Les capacités en la matière seront mises à l’épreuve au cours de l’exercice Trident Juncture 2018, qui aura lieu aux mois d’octobre et de novembre.

Les véhicules qui seront déployés en Norvège pour l’exercice Trident Juncture (octobre-novembre 2018) représenteront une longueur totale de 92 000 mètres. Le premier navire roulier est arrivé à Fredrikstad le 7 septembre. © Torgeir Haugaard/Forces armées norvégiennes
Pendant la Guerre froide, l’attention de l’OTAN était tournée vers l’Europe centrale, avec une présence massive de forces conventionnelles déployées au plus près de la frontière intérieure allemande pour faire face à la menace soviétique. Les commandants sur le terrain étaient investis de fonctions spécifiques à l’échelle régionale et ils avaient tous une idée bien claire des positions des forces et des formations de flanc-garde, des zones de combat et de communication plausibles et des accords passés avec les pays hôtes. Les forces nationales s’étendaient sur le territoire des Alliés jusqu’aux ports de la Manche et elles avaient établi des zones arrière sécurisées, qui étaient bien définies et dotées de ressources, constituant ainsi des voies de ravitaillement à travers le continent. Cette posture était la base du renforcement rapide de l’Amérique du Nord vers l’Europe via l’Atlantique Nord. Tout ce qui était nécessaire était en place : dispositifs, infrastructures, stocks de guerre, moyens de transport et plans très détaillés. Et la capacité de travailler ensemble en toute efficacité était assurée grâce à un entraînement et des exercices réguliers à tous les niveaux.
À la chute du mur de Berlin en 1989, il a été considéré que la menace qui émanait de l’est avait disparu. Ainsi, les Alliés ont réduit les effectifs de leurs forces armées, et les exercices de grande envergure se sont faits plus rares. L’OTAN s’est concentrée sur les opérations hors zone, conduites par les Alliés. C’était au Conseil de l’Atlantique Nord, principal organe de décision politique de l’OTAN, de décider comment, où et quand les opérations seraient lancées. Une telle décision enclenchait un processus de planification militaire, et non plus l’exécution d’un plan de défense préétabli avec déploiement immédiat de troupes, comme c’était le cas à l’époque de la Guerre froide.
La crise ukrainienne de 2014 a avivé les inquiétudes des Alliés face à la résurgence d’une puissance russe déterminée. Elle a rappelé qu’il était nécessaire de pouvoir renforcer de manière rapide et sûre un Allié qui serait menacé à la périphérie du territoire de l’Alliance, désamorcer toute menace et, en cas d’échec de la dissuasion, défendre l’Allié contre une attaque. En outre, le conflit en Syrie et la recrudescence des actes de terrorisme, des cyberattaques et d’autres formes de guerre hybride dirigées contre les Alliés ont montré qu’un conflit peut survenir sur tous les terrains, à l’échelle nationale et internationale, et qu’il est nécessaire d’accroître la coordination pour garantir la disponibilité opérationnelle et la résilience. Par ailleurs, il est clair aujourd’hui que l’Alliance doit « pouvoir tout faire » : assurer la défense collective, gérer les crises, projeter la stabilité au-delà de ses frontières et contribuer à la lutte contre le terrorisme. On le voit, les temps ont changé, et les risques et les difficultés ont pris de l’ampleur.
Améliorer la disponibilité opérationnelle
Depuis les décisions historiques prises aux sommets du pays de Galles (2014) et de Varsovie (2016) en rapport avec la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN, l’Alliance a gagné en force, en rapidité et, avec l’accession du Monténégro, en étendue. Cette posture lui offre toute une palette d’options pour répondre à la grande variété des menaces qui touchent le territoire de ses pays membres, dont le nombre a presque doublé depuis la fin de la Guerre froide, multipliant ainsi de manière notable les distances à parcourir en cas de déploiement de forces.
Aujourd’hui, d’un point de vue militaire conventionnel, l’OTAN assure une présence avancée très limitée à sa périphérie orientale tout en étant apte à fournir rapidement des renforts, si nécessaire. Dans ce contexte, la présence avancée rehaussée de l’OTAN comprend quatre groupements tactiques multinationaux, stationnés en Pologne et dans les États baltes, qui rassemblent en tout plus de 4 500 personnels venus de toute l’Alliance prêts à opérer conjointement avec les forces nationales de défense du territoire. À ce dispositif vient s’ajouter une présence des États-Unis décidée en vertu d’accords bilatéraux dans le cadre de l’initiative de dissuasion pour l’Europe. Plusieurs mesures prises dans la région de la mer Noire ont, en outre, accru la présence de l’OTAN sur terre, en mer et dans les airs.

L’USS Mount Whitney sera au cœur de l’exercice Trident Juncture 2018, en tant que navire de commandement. Il peut communiquer avec n’importe quel point du monde alors qu’il se trouve éloigné de toute côte, permettant ainsi de maintenir le contact avec toutes les unités et capacités ainsi que de solliciter orientations et directives auprès des hauts responsables.
© US Navy
Au sommet de Bruxelles (2018), les Alliés ont également adopté une initiative pour la disponibilité opérationnelle de l’OTAN. Grâce à cette initiative, des forces nationales de haute qualité, aptes au combat et à niveau de préparation élevé pourront être mises à la disposition de l'OTAN. En puisant dans le pool global de forces, les Alliés fourniront 30 grands bâtiments de combat, 30 bataillons de manœuvre et 30 escadrons de chasse, assortis de forces facilitatrices, dans un délai de 30 jours ou moins. L’initiative accroîtra encore la capacité de réaction rapide de l'OTAN, que ce soit pour un renforcement des Alliés ou pour une intervention militaire rapide en cas de crise.
Il est toutefois important de noter que la vitesse à laquelle un renforcement est apporté aux éléments déployés à l’avant est liée à de multiples facteurs. Le niveau de préparation des forces n’est pas seul concerné. L’aptitude à fournir des renforts dans les temps dépend aussi de facteurs tels qu’une prise de décision rapide étayée par des renseignements adéquats et fondée sur des indices et indicateurs d'alerte qui peuvent refléter les différents aspects d’une campagne hybride, une planification préétablie et des préparatifs, ainsi que la capacité à projeter et à soutenir physiquement les nombreuses forces à la disposition de l’OTAN, y compris depuis l’autre côté de l’océan Atlantique. Depuis 2014, l’OTAN a apporté des améliorations dans tous ces domaines pour appuyer la posture de l’Alliance et la rendre plus performante, plus crédible et plus pertinente.
L’art pratique de mouvoir les armées
La guerre n’est pas une science exacte et, d’après le baron de Jomini, célèbre précurseur de la pensée militaire moderne, « la logistique englobe tous les aspects, ou presque, des activités militaires, si ce n’est le combat » (1838). À son époque, Antoine Henri de Jomini considérait la logistique comme « l’art pratique de mouvoir les armées », qui correspondait, selon lui, à l’éventail complet des fonctions nécessaires au déplacement et au maintien en puissance des forces armées : planification, administration, ravitaillement, cantonnement et campement, construction de ponts et de routes, et même reconnaissance et renseignement si ces activités étaient liées à des manœuvres hors du champ de bataille.
Dans cet esprit, l’OTAN s’emploie à supprimer les obstacles entravant les mouvements des forces armées vers et dans l’espace que constituent l’Europe et l’Atlantique Nord, et à maintenir en puissance ses forces déployées sur un théâtre d’opérations. Les travaux qu’elle mène à cet effet se distribuent sur quatre axes : les autorités responsables et la législation, qui faciliteront le franchissement des frontières ; le commandement et le contrôle, qui permettront de diriger les mouvements logistiques ; les moyens de transport, qu’il faudra prévoir en suffisance pour le déplacement des troupes et de leur équipement ; et l’infrastructure, qui devra résister au transport de quantités importantes de matériel militaire lourd. À l’OTAN, ce vaste chantier est connu sous le nom de « facilitation de la zone de responsabilité du commandant suprême des forces alliées en Europe »1. Plus court et plus commode, le terme de « mobilité militaire » couvre des éléments spécifiques de ce chantier.
Une façon de favoriser un déploiement rapide, en particulier en temps de paix, serait de faire évoluer les formalités relatives au franchissement des frontières – autorités responsables et législation – aux niveaux des pays et de l’Union européenne. Les pays, l’UE et l’OTAN travaillent à harmoniser les plans, les processus et les procédures, y compris les autorisations diplomatiques et autres autorisations nécessaires à la mobilité, pour que les troupes et le matériel puissent traverser les frontières européennes sans être inutilement retardés et sans qu’il y ait d’incidence sur la vie des civils.
En outre, les structures de commandement et de contrôle de l’Alliance doivent agir en coopération et en coordination avec les acteurs civils nationaux concernés afin de faciliter les mouvements massifs de forces armées vers, à travers et depuis l’Europe. À cet égard, au sommet de Bruxelles, les dirigeants des pays de l’Alliance ont décidé de mettre en place une structure de commandement de l’OTAN plus robuste qui inclurait des éléments de logistique à tous les niveaux, notamment un commandement à Norfolk (États-Unis) pour contribuer à un renforcement rapide et sûr vers l’Europe depuis l’autre rive de l’Atlantique, et un commandement interarmées du soutien et de la facilitation à Ulm (Allemagne) pour garantir la liberté d’action, de sorte que les troupes pourraient se mouvoir avec leur équipement, à l’échelle requise, à l’arrière des forces de manœuvre.

Dans toute l’Europe, les infrastructures doivent être adaptées au transport de troupes et de matériel lourd.
Photo : Convoi de véhicules du 2e régiment de cavalerie blindée des États-Unis au cours de l’exercice américain Dragoon Ride menée en mars 2015 dans le cadre d’une vaste opération qui visait à rassurer les pays membres de l’OTAN situés à la périphérie occidentale de la Russie. © Michael Abrams/Stars and Stripes
L’OTAN encourage aussi les Alliés à améliorer et à accroître leurs moyens de transport en développant les capacités militaires et en négociant des contrats à l’avance avec le secteur privé dans toute l’Europe. Des travaux sont également en cours qui permettront d’améliorer l’accès multinational et collectif aux moyens de transport. Dans la pratique, l’OTAN contribue à ce processus en offrant aux Alliés la possibilité de mutualiser leurs ressources et de fournir des capacités conjointement, ce qui permet de gagner en efficacité et de simplifier les procédures. Autre élément positif : l’UE s’oriente elle aussi dans cette direction, notamment en prévoyant d’investir davantage dans la défense.
Une étroite collaboration avec l’Union européenne
L’OTAN coopère avec l’UE et d’autres acteurs pour veiller à ce que les infrastructures de transport civiles, telles que ports, routes et ponts, soient conformes aux normes requises, lesquelles serviront de point de référence pour les investissements des pays et peut-être bien de l’UE.
Il serait impensable de s’atteler à cette tâche sans la pleine coopération de l’UE. Dans un effort commun, les deux organisations s’emploient à lever les obstacles aux mouvements militaires sur le continent. L’UE a un rôle important à jouer sur deux points : elle doit faciliter le franchissement des frontières européennes pour les forces armées et leur équipement, et faire en sorte que les infrastructures de transport à travers l’Europe soient adaptées au transport de troupes et de matériel lourd.
L’OTAN et l’UE ont fait de la mobilité militaire l’une des priorités de leur coopération. La déclaration conjointe signée en juillet 2018 par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, respectivement Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, a réaffirmé l’interdépendance des intérêts de sécurité des Alliés et des pays membres de l’UE, ainsi que l’importance de la coopération comme fondement des initiatives de défense des deux organisations.
Toutes les considérations qui précèdent supposent une approche intégrée à trois niveaux. Premièrement, à l’OTAN, qui a entrepris d’examiner les capacités de combat et les facilitateurs logistiques, bien consciente que la logistique peut avoir un caractère militaire, civil ou commercial. De plus, tous les éléments contributeurs doivent s’entraîner et s’exercer ensemble « comme au combat », c’est-à-dire en simulant les conditions du temps de guerre.
Deuxièmement, au niveau des pays, où il est recommandé d’adopter une approche pangouvernementale pour faire face à tout l’éventail des menaces hybrides, et notamment pour coordonner les ressources logistiques destinées à appuyer les autorités civiles et les ressources requises pour les renforts militaires. Une coordination interministérielle est également nécessaire si l’on veut accroître la résilience des Alliés dans la perspective d‘une période de crise ou de conflit. Les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Alliance se sont engagés lors du sommet de Varsovie à améliorer la résilience au travers de la préparation du secteur civil.
Enfin, à un niveau multilatéral : l’OTAN et l’UE s’emploient à mettre les choses en place pour pouvoir travailler ensemble de façon parfaitement intégrée et, ainsi, mettre l’Alliance en mesure de défendre la région euro-atlantique contre les adversaires potentiels et projeter la sécurité et la stabilité comme il convient.
Un travail de longue haleine
Même si la mission essentielle de l’OTAN est restée la même depuis la création de l’Organisation il y a 70 ans, beaucoup de choses ont changé depuis la fin de la Guerre froide. Caractérisée par une présence très modeste à la périphérie de l’Alliance et l’aptitude à fournir rapidement des renforts à des Alliés menacés, la posture adoptée est bien loin des centaines de milliers de soldats postés en permanence à portée de tir d’un adversaire. Et, nous n’avons plus seulement à faire face à un pays qui cherche à s’imposer sur notre flanc est ; les défis sont aujourd’hui bien plus nombreux : insécurité et instabilité au sud, cybermenaces et autres menaces hybrides émergentes, piraterie en haute mer, pour n’en citer que quelques uns.

Dans la déclaration conjointe signée en juillet 2018 par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, et les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, respectivement Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, l’OTAN et l’Union européenne font de la mobilité militaire l’une des priorités de leur coopération. © OTAN
Les dirigeants politiques des pays de l’OTAN ont reconnu que la dissuasion et la défense en Europe pouvaient être assurées au travers d’une telle posture, mais que la mise sur pied et le maintien en puissance des forces dépendaient, entre autres, de l’aptitude à assurer rapidement l’arrivée et les mouvements des troupes et de leur équipement en Europe. Pour gagner encore en efficacité à cet égard, l’Alliance a entrepris un travail de longue haleine. Nous sommes sur la bonne voie, mais il reste encore beaucoup à faire.
Alors que plus de 30 pays, membres et partenaires de l’Alliance, se préparent à amener leurs forces en Norvège pour participer à l’exercice Trident Juncture, qui aura lieu en octobre et novembre 2018, les hommes et femmes de terrain, militaires et civils, mettent tout en place pour pouvoir relever le défi de taille qui les attend en matière de logistique. Sur les plans politique et pratique, le défi est complexe et nécessite une coopération avec les parties prenantes aux niveaux national et multinational, de sorte que toutes les forces soient à la disposition du commandant interarmées au bon endroit et au bon moment, quel que soit leur point de départ.
Une situation réelle ne donnera peut-être pas le temps de se préparer. Rétablir la « culture » de la disponibilité opérationnelle aux niveaux requis ne se fera pas du jour au lendemain et nécessitera une volonté politique et des investissements financiers. C’est pourquoi il était tellement important que les dirigeants des pays de l’Alliance réaffirment encore une fois, lors du sommet de l’OTAN en juillet, leur intention de concrétiser l’engagement en matière d'investissements de défense, en se rapprochant d’ici 2024 des 2 % du PIB pour les dépenses de défense. Cette augmentation des dépenses, associée aux travaux des pays visant à accroître la résilience et à faciliter la mobilité militaire, que viennent renforcer les travaux parallèles et coordonnés au niveau de l’UE, permettra à l’OTAN de continuer à faire aujourd’hui et demain ce qu’elle a fait hier avec succès : garantir la sécurité de l’ensemble des Alliés.
1 La zone de responsabilité du commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) se définit comme le territoire des Alliés en Europe ainsi que l’océan Atlantique du pôle Nord au tropique du Cancer et jusqu’à la côte est de l’Amérique du Nord.