Comment faire en sorte que l'Alliance garde une longueur d’avance sur ses concurrents dans un environnement de sécurité mondial de plus en plus fluctuant, complexe et interconnecté ? Le concept-cadre de l'OTAN sur la capacité à combattre trace la voie de la convergence, de la synchronisation et de la cohérence entre Alliés.

La nature profonde de la guerre est immuable : c'est un affrontement de volontés empreint de violence, un espace de frictions, de dissimulation, de manœuvres et de faux-semblants. La conflictualité, elle, évolue et tend à devenir omniprésente, car les activités de nos concurrents dépassent le cadre « traditionnel » de la dynamique paix-crise-guerre. En matière de combat, les évolutions majeures sont souvent associées à des innovations technologiques : l'arc et la flèche, la poudre noire, le char de combat, l'arme nucléaire, et aujourd'hui les systèmes des domaines cyber et spatial. Cependant, une multitude d'autres facteurs – politiques, économiques, sociaux, culturels, scientifiques et industriels –, sous-jacents, influencent également la manière dont les pays et les alliances pensent, préparent et font la guerre.

En matière de combat, les évolutions majeures sont souvent associées à des innovations technologiques. Les systèmes d'armes létaux autonomes (SALA) sont capables, sans intervention humaine, d'identifier et de cibler un objectif, puis de déclencher un tir. Ils pourraient remettre en cause des principes éthiques et juridiques bien établis. Photo : exemple de SALA © Future of Life Institute.
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En matière de combat, les évolutions majeures sont souvent associées à des innovations technologiques. Les systèmes d'armes létaux autonomes (SALA) sont capables, sans intervention humaine, d'identifier et de cibler un objectif, puis de déclencher un tir. Ils pourraient remettre en cause des principes éthiques et juridiques bien établis. Photo : exemple de SALA © Future of Life Institute.

L'environnement fluctuant, mondialisé et complexe au sein duquel évolue l'OTAN va devenir de plus en plus incertain. Les frontières entre la paix et le conflit, le politique et le militaire, le stratégique et le tactique, le cinétique et le non cinétique s'estompent. L'Alliance n'a plus vraiment de sanctuaires, de « zones arrière » imperméables aux menaces, aux attaques et aux activités malveillantes.

L'OTAN est confrontée à des acteurs étatiques et non étatiques fondamentalement opposés à l'ordre international fondé sur des règles et au système de valeurs qu'elle a pour mission de protéger, et qu'eux-mêmes cherchent à altérer, voire à détruire. Des compétiteurs stratégiques potentiels s'efforcent d'empêcher l'Alliance d'atteindre ses objectifs politiques et militaires généraux en mettant en œuvre, souvent par une action coordonnée dans les sphères politique, militaire, économique et informationnelle, des stratégies de plus en plus sophistiquées.

Les technologies et les capacités nouvelles commencent à transformer la science-fiction en réalité : les capteurs quantiques pourraient permettre de « voir » au fond des océans, et les capacités de déchiffrement de pointe pourraient rendre caduque la notion de communications sécurisées. La perte du contrôle de satellites ou du spectre électromagnétique pourrait affaiblir les capacités de l'Alliance, et les systèmes d'armes létaux autonomes vont probablement remettre en question des principes éthiques et juridiques bien établis. Il est de plus en plus vraisemblable que ces développements vont devenir des réalités du combat. Il faut donc les prendre en compte dans l'élaboration de la future stratégie de l'OTAN.

Depuis la fin de la Guerre froide, notre Alliance est parvenue à s'adapter à l'évolution de l'environnement stratégique. Nous avons, à juste raison, adopté une approche clairement défensive. Nous n'allons pas en changer, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devons rester passifs. Face à des défis simultanés, persistants et couvrant des champs de plus en plus vastes, l'Alliance doit faire preuve de plus d'anticipation et de proactivité. Pour ne pas risquer de perdre notre liberté de décision et d'action, il nous faut devancer l'évolution d'une menace toujours plus complexe.

À cette fin, nous devons commencer à penser, à nous organiser et à agir différemment, de manière à pouvoir formuler des avis militaires plus pertinents et à accroître le champ d’action et la marge décisionnelle des autorités politiques.

Nous sommes déjà engagés sur cette voie : en 2019, les chefs d'état-major de la défense des pays de l'Alliance ont approuvé une stratégie militaire pour l'OTAN. En 2020, le général Tod Wolters a présenté aux Alliés le concept de dissuasion et de défense pour la zone euro-atlantique (DDA). Et début 2021, les hauts responsables de l'OTAN ont adopté le concept-cadre de l'OTAN sur la capacité à combattre (NWCC), étoile polaire du développement des capacités militaires de l’OTAN et fruit des réflexions de l'ACT. Cet ensemble de documents, quintessence de la pensée stratégique militaire prospective, constitue une approche progressive à destination de la prochaine génération.

Nouveaux modes de réflexion, d'organisation et d'action

Cette nouvelle pensée couvre les aspects temporel, spatial, fonctionnel et structurel de l'approche adoptée par l'Alliance pour le développement des capacités de combat et pour le combat lui-même.

L'OTAN commence à mieux appréhender la nature dynamique et durable de ces conflits simultanés aux origines multiples, comme en attestent le processus de réflexion engagé dans le cadre de l'initiative [OTAN 2030] (https://www.nato.int/nato2030/) et l'horizon temporel de 20 ans du NWCC. Après plusieurs décennies d'opérations à caractère discrétionnaire et de crises « du moment », l'Organisation réfléchit et planifie sur le long terme. © OTAN.
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L'OTAN commence à mieux appréhender la nature dynamique et durable de ces conflits simultanés aux origines multiples, comme en attestent le processus de réflexion engagé dans le cadre de l'initiative [OTAN 2030] (https://www.nato.int/nato2030/) et l'horizon temporel de 20 ans du NWCC. Après plusieurs décennies d'opérations à caractère discrétionnaire et de crises « du moment », l'Organisation réfléchit et planifie sur le long terme. © OTAN.

  1. Dimension temporelle : arrêter de considérer les compétiteurs de puissance quasi équivalente comme un problème à court ou à moyen terme.

Nous nous trouvons face à une compétition à long terme, dynamique, persistante et diverse. La nature belligérante de la Russie ne va probablement pas changer. Les acteurs non étatiques, y compris les groupes et organisations terroristes comme Al-Qaida, ont fait la preuve de leur longévité et de leur adaptabilité ; d'autres vont vraisemblablement apparaître. Par ailleurs, la Chine affirme son ambition de devenir la première puissance militaire mondiale d'ici à 2050, y compris pour les capacités expéditionnaires.

Nous commençons à beaucoup mieux appréhender cette dimension temporelle, comme en attestent le processus de réflexion engagé dans le cadre de l'initiative [OTAN 2030] (https://www.nato.int/nato2030/) et l'horizon temporel de 20 ans du NWCC. Après plusieurs décennies d'opérations à caractère discrétionnaire et de crises « du moment », nous devons à présent réfléchir et planifier sur le long terme.

  1. Dimension spatiale : arrêter d'envisager les compétiteurs de puissance quasi équivalente en termes de géographie.

Nous commençons tout juste à nous habituer à réfléchir et à agir dans une perspective multimilieu et multirégionale impliquant plusieurs instruments de puissance, et à nous adapter à l'imbrication des espaces physiques et des espaces immatériels. La superposition des milieux cyber et spatial, ainsi que d'un champ informationnel omniprésent, aux milieux aérien, terrestre et maritime traditionnels conduit à l'émergence d'un espace de bataille à plusieurs dimensions (physique, virtuelle et cognitive). Pour conserver un avantage décisif sur tout adversaire, il est essentiel de disposer d'une stratégie cohérente pour tous les milieux d'opérations, clé de l'efficacité dans cet espace de bataille multidimensionnel.

  1. Aspect fonctionnel : arrêter de penser de manière linéaire et binaire, et relever le défi de la simultanéité .

Le modèle de référence que constitue la traditionnelle gradation paix-crise-guerre va de plus en plus limiter notre capacité de surclasser un adversaire par l'analyse et par la performance. Nous devons adopter un nouveau paradigme basé sur la simultanéité et sur la non-linéarité, qui nous permettra de répartir nos efforts entre les contextes opérationnels propres à la configuration, à la contestation et à la confrontation.

Nos adversaires potentiels, qu'ils opèrent dans la dimension physique ou immatérielle, nous façonnent. Les crises récentes, telles que le blocus de la mer d'Azov et les campagnes d'information persistantes dirigées contre les Alliés, ont révélé la créativité dont peuvent faire preuve certains pays lorsqu'il s'agit de défier l'Alliance.

Il appartient à l'Alliance de façonner l'environnement de sécurité, de manière positive et proactive, en fonction de ses desseins et de ses forces – idées, valeurs, partenariats et structures militaires intégrées –, tout en contestant aux adversaires la capacité de nuire à ses objectifs. Dans le milieu cyber et dans le champ informationnel, l'Alliance est aux prises avec une série d'acteurs. Cette situation va perdurer, et les Alliés doivent donc se coordonner, développer et agir en conséquence.

  1. Structures militaires : repenser le commandement et le contrôle, ainsi que les structures de forces.

Si nous acceptons les nouveaux termes de cette équation temps-espace-fonction, nous devons aussi envisager de repenser radicalement le commandement et le contrôle (C2), ainsi que la structuration des forces en divisions, brigades et leurs équivalents.

Dans le contexte d'une compétition persistante, d'un espace sans limites et d'activités simultanées, comment composer aujourd'hui une force qui sera efficace demain ? À quoi ressemblera la force multimilieu du futur, vue sous les différents angles de l'activité militaire – des C2 à la planification, aux capacités, aux exercices et aux éléments facilitateurs ? Comment les commandants, les dirigeants, les forces et les experts devraient-ils s'entraîner et se préparer au combat du futur ? Vers quelle combinaison de capacités de pointe, de plateformes héritées et de technologies nouvelles, bon marché et consommables (comme les essaims de drones) faudrait-il nous orienter ?

Ces questions importantes, que l'élargissement de l'environnement des opérations évoqué plus haut nous amène à nous poser, appellent à redynamiser notre approche du développement des capacités de combat. C'est ici qu'intervient le NWCC.

Un concept pour le futur

Principe d'organisation du développement des capacités de combat pour les vingt prochaines années, le NWCC joue pour l'Alliance et pour les Alliés le rôle d'une « étoile polaire ». Son objectif est de procurer un avantage, et de stimuler les plus importants des travaux en cours visant à concrétiser notre ambitieuse vision du futur instrument de puissance militaire. Un aspect tout aussi important du NWCC est qu'il présente une série de nouveaux axes de mise en place de cet instrument de puissance, grâce auxquels ce dernier sera mieux à même d'atteindre les objectifs de l'Alliance avec efficacité et d'offrir aux décideurs politiques l'éventail d'options stratégiques le plus large possible.

Pour véritablement cerner l'environnement des opérations ainsi que les objectifs des adversaires et ceux de l'Alliance elle-même, il faut disposer, au niveau politico-militaire, d'une compréhension commune et cohésive des menaces, des adversaires et de l'environnement au sein duquel opère l'OTAN, depuis la technologie et la doctrine jusqu'au [JISR] (https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_111830.htm) et au big data. © OTAN.
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Pour véritablement cerner l'environnement des opérations ainsi que les objectifs des adversaires et ceux de l'Alliance elle-même, il faut disposer, au niveau politico-militaire, d'une compréhension commune et cohésive des menaces, des adversaires et de l'environnement au sein duquel opère l'OTAN, depuis la technologie et la doctrine jusqu'au [JISR] (https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_111830.htm) et au big data. © OTAN.

Le NWCC s'appuie sur la connaissance de la menace, mais il est avant tout guidé par les ambitions de l'Alliance. Il vise à lui permettre de contrer toute menace et de relever tout défi par l'analyse (out-think), par l'excellence (out-excel), dans le combat (out-fight), par la réactivité (out-pace), grâce aux partenariats (out-partner) et par l'endurance (out-last). L'ambition ultime de l'OTAN est d'être en mesure de comprendre l’environnement de sécurité, de prendre l'initiative, d'opérer de manière décisive et de développer ses relations extérieures, tout en agissant rapidement et en garantissant la résilience. C'est en se référant aux six facteurs de supériorité ci-avant (les six « out- ») que l'Alliance peut déterminer les travaux à stimuler, ainsi que les approches et les capacités innovantes qui permettront de maintenir et de renforcer l'avantage militaire.

Prolongement de cette ambition, le NWCC fournit un principe d'organisation à suivre pour concrétiser la vision, ainsi que les éléments rationnels pouvant guider la mise en cohérence du développement des capacités de combat de l'Alliance. Il fournit également la structure sur laquelle s'appuyer pour façonner de manière proactive l’environnement de sécurité, et pour permettre à l'Alliance, d'une part de contrer les menaces, et d'autre part de maintenir et de renforcer son état de préparation au combat.

Le NWCC énonce cinq impératifs du développement des capacités de combat :

  1. la supériorité cognitive : pour véritablement cerner l'environnement des opérations ainsi que les objectifs des adversaires et ceux de l'Alliance elle-même, il faut disposer, au niveau politico-militaire, d'une compréhension commune et cohésive des menaces, des adversaires et de l'environnement au sein duquel opère l'OTAN, depuis la technologie et la doctrine jusqu'au [JISR] (https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_111830.htm) et au big data. La supériorité cognitive consiste également à fournir les outils permettant à l'échelon politico-militaire d'opérer efficacement (rapidement et en mode dynamique) et de conserver son autonomie décisionnelle à l'ère de l’information ;

  2. la résilience multicouche : à l'appui de la dissuasion, l'Alliance doit pouvoir supporter les chocs soudains imposés à ses lignes de ravitaillement et à ses communications, ainsi que les effets subis dans la dimension cognitive. Elle doit pouvoir tenir dans des situations difficiles pendant de longues périodes, et être prête dès le « jour zéro » ;

  3. projection d'influence et de puissance : pour façonner l'environnement en fonction de ses forces, et notamment pour générer des options et pour confronter les adversaires à des dilemmes, l'Alliance doit être capable, par différents moyens, de prendre l'initiative de manière proactive afin d'atteindre ses objectifs ;

  4. défense multimilieu intégrée : les menaces auxquelles l'Alliance est confrontée ne sont plus « monomilieu ». Afin de pouvoir résister à toute menace, quelles qu'en soient l'origine et la nature, il est essentiel d'aborder un environnement fluctuant au moyen d’une approche interarmées flexible ;

  5. commandement intermilieux : la capacité à saisir une situation en un clin d'œil, qui est l’apanage des grands généraux, pourrait disparaître dans un espace de bataille multimilieu et intégré. Investir dans le développement de notre personnel – art du commandement, pensée critique et audace dans l'action – constitue donc une clé du succès. Pour en savoir plus sur le NWCC.

Pour une mise en place efficace

Pour décrire le développement des capacités de combat, il est tentant d'avoir recours à la métaphore de la course : développer et déployer un nouveau logiciel avant un adversaire potentiel reviendrait à courir un cent mètres, et la conception de nouvelles doctrines ou de capacités du haut du spectre tiendrait du marathon. Cependant, comme le démontrent l'analyse fonctionnelle et les impératifs présentés dans le NWCC, le développement des capacités de combat serait plutôt comparable à un ensemble d'épreuves courues simultanément, sur des distances et à des cadences différentes.

Les menaces auxquelles l'Alliance est confrontée n'étant plus « monomilieu », il est essentiel, afin de pouvoir résister à toute menace, quelles qu'en soient l'origine et la nature, d'aborder un environnement fluctuant au moyen d’une approche interarmées flexible. Photo : bâtiment OTAN en mer Baltique, vu depuis un chasseur Typhoon de la Royal Air Force (crédit photo : Royal Air Force).
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Les menaces auxquelles l'Alliance est confrontée n'étant plus « monomilieu », il est essentiel, afin de pouvoir résister à toute menace, quelles qu'en soient l'origine et la nature, d'aborder un environnement fluctuant au moyen d’une approche interarmées flexible. Photo : bâtiment OTAN en mer Baltique, vu depuis un chasseur Typhoon de la Royal Air Force (crédit photo : Royal Air Force).

Pour surmonter cette difficulté, le NWCC établit une trajectoire réaliste permettant d'atteindre le niveau d'ambition qu'il fixe en matière de développement des capacités de combat. Le cadre qu'il propose permettra de suivre une approche coordonnée, constituée des éléments ci-après :

  • un certain nombre d'« aides au démarrage », série de sprints devant débuter immédiatement et dont les résultats viendront à l'appui des travaux en cours dans l'ensemble de l'Alliance ;

  • un certain nombre de priorités, courses de fond essentielles au succès et qui demanderont des efforts spécifiques sur la durée ;

  • un certain nombre de débats militaro-stratégiques, marathons qui demanderont des échanges approfondis touchant au cœur même de la pensée stratégique de l'Alliance.

Cette combinaison entre des aspirations ambitieuses et une trajectoire réaliste va aider à trouver le point d'équilibre entre les réalités actuelles du développement des capacités de combat et les besoins relatifs au combat de demain. Élaboré en collaboration avec l'ensemble de l'Alliance, le NWCC joue le rôle de feuille de route permettant d'établir et de maintenir un avantage militaire décisif tout en optimisant les options stratégiques à la disposition des autorités politiques.

La stratégie militaire de l'OTAN et ses deux concepts de mise en œuvre, le NWCC et le DDA, sont le fruit de nos réflexions militaires les plus abouties. Ils constituent une nouvelle référence pour les avis militaires stratégiques sur l'emploi et le développement de l'instrument militaire de l'Alliance, et ils définissent un cap que l'OTAN et les Alliés peuvent suivre afin de faire converger leurs efforts, de les mettre en cohérence et de les synchroniser.

Reconnaissant la nature pérenne de la guerre, le NWCC s'efforce de donner à l'OTAN et aux Alliés l'avantage sur tout adversaire potentiel, et de les rendre résilients face aux chocs stratégiques et aux défis de nature plus générale. Il énonce les principes directeurs rationnels qui permettront, à l'avenir, de dynamiser le développement des capacités de combat. Combiné à l'agilité requise pour développer ces capacités de combat au rythme adéquat, le NWCC va permettre, au travers du positionnement de l'instrument de puissance militaire de l'Alliance, d’établir et de maintenir un avantage militaire décisif, garantie du succès au sein de l'environnement de sécurité de plus en plus complexe, interconnecté et imprévisible qui caractérisera les prochaines décennies.