Le 31 octobre 2000, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait à l’unanimité la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, le Conseil de sécurité a officiellement pris acte des préoccupations des femmes en matière de paix et de sécurité et accordé à cette question une place dans ses débats. Alors que les résolutions précédentes avaient appelé à protéger les civils de manière générale, la résolution 1325 se distinguait en ce qu’elle reconnaissait l’impact disproportionné et tout à fait particulier des conflits armés sur les femmes et soulignait la nécessité d’une pleine participation des femmes en tant qu'actrices de la paix et de la sécurité.
La résolution a marqué un tournant : si l’égalité des genres était auparavant envisagée sous le seul angle du développement, l’adoption de la résolution 1325 a permis d’ancrer cette question dans le domaine de la paix et de la sécurité. Les femmes ne seraient plus considérées comme des victimes sans défense, mais comme de véritables actrices de la paix et de la sécurité.
C’est désormais un fait acquis : les femmes ont voix au chapitre en matière de paix et de sécurité. Ce qui est à présent perçu comme la norme dans la gestion des conflits armés et de leurs suites était vu, à la fin des années 1990, comme une manière révolutionnaire de concevoir la paix et la sécurité.
Depuis l’adoption de la résolution, les conseillers pour les questions de genre et les compétences en la matière font partie intégrante de toutes les structures internationales. L’OTAN et d’autres organisations internationales déploient régulièrement de tels conseillers dans le cadre de leurs activités, missions et opérations. L’analyse selon le genre est devenue l’un des points de départ de la planification, les données devant désormais être ventilées par sexe pour que des réponses inclusives puissent être apportées, et la dimension de genre est systématiquement intégrée dans l’ensemble de la doctrine, des politiques et des fonctions.
Mais en fin de compte, la résolution vise essentiellement à faire sortir les femmes de l’ombre : le but est de leur ouvrir des portes et de balayer les obstacles les empêchant de participer aux processus décisionnels sur les conflits et la paix. Il s’agit d’un texte pionnier, qui a modifié les contours et la grille de lecture du conflit au profit d'une conception plus large, et d'une approche plus nuancée de la paix et de la sécurité.
Il est communément admis que les conflits n’affectent pas les femmes et les hommes de la même manière. Les conflits comportant une dimension de genre, force est de constater que les actions et réactions observées dans les situations de ce type ont tendance à accentuer les normes et les valeurs liées au genre. Depuis longtemps, la recherche met en évidence les effets des conflits prolongés sur les femmes et les filles. Dans la mesure où elles jouent de nombreux rôles en période de conflit, les femmes ont des vécus très divers et des regards très variés sur la guerre et ses retombées. La prise en considération de leur expérience de la guerre pourrait, à terme, permettre de repenser le dialogue sur la paix. Cette grille de lecture sur les femmes, la paix et la sécurité figure au cœur de l'action menée et constitue la clé de sa réussite.
Protection et participation
Le programme FPS repose sur deux concepts distincts mais d’égale importance : la protection contre les violences sexuelles et la participation croissante des femmes dans tous les domaines (politique, social, militaire et économique). Ces concepts, étroitement liés, constituent le fondement de l’égalité des genres.
Depuis l’adoption de la résolution 1325, un certain nombre de changements sont intervenus, notamment l’élargissement du programme FPS pour inclure les enjeux plus vastes de paix et de sécurité liés aux femmes, et l’adoption de sept résolutions supplémentaires sur cette question.
Alors que la résolution 1325 était d'une portée relativement large et générale, les sept autres sont plus spécifiques et ciblées, permettant ainsi d'approfondir et d'affiner l'approche de certaines questions qui méritent l’attention du Conseil de sécurité et de la communauté internationale, telles que la lutte contre les violences sexuelles dans les situations de conflit, le renforcement du suivi et de l’évaluation par l’élaboration d'indicateurs mondiaux, la lutte contre la montée de l’extrémisme, et l’introduction d’indicateurs d’alerte précoce selon le genre pour recenser les risques et les menaces. Le résultat : un ensemble de résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité qui visent à structurer, de manière globale et holistique, les éléments omis ou sous-estimés du programme FPS.
L’adoption de ces résolutions s’inscrit dans le prolongement d’engagements antérieurs en faveur de la promotion, de la progression et de la préservation des droits des femmes et de l’égalité des genres dans les situations de conflit ou d'après-conflit. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et le Programme d’action de Beijing de 1995 ont jeté les bases de la promotion des femmes et de leurs droits. La résolution 1325 n’était pas le seul texte sur la question, elle faisait partie d’un vaste ensemble de cadres traitant tous des droits des femmes. Toutefois, elle avait cela d'unique que grâce à elle, pour la première fois, l’importance des femmes dans le contexte de la paix et de la sécurité était reconnue au niveau international.
Nous savons qu’une paix durable n’est possible que si les femmes peuvent vivre en sécurité et sur un pied d’égalité avec les hommes. Nous savons aussi que le traitement réservé aux femmes dans une société est un baromètre indiquant si l'on risque ou non d'y trouver d’autres formes d’oppression. Enfin, nous savons que les pays où l'autonomisation des femmes est acquise jouissent d'un niveau de sécurité bien plus élevé. Et pourtant, dix-huit ans après l’adoption de la résolution 1325, aussi révolutionnaire ce texte soit-il, une question se pose : ses principes sont-ils toujours d’actualité ?
Contribution de l’OTAN
L’OTAN considère depuis longtemps que les principes relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité sont intrinsèquement liés à ses tâches fondamentales. Depuis l’adoption de sa première politique sur la question, l’Alliance a ancré son action en matière de genre et de sécurité dans une approche plus large de la paix et de la sécurité, tout en restant fidèle à son cœur de métier.
Politique et orientations
L’OTAN a élaboré une politique et des orientations sur les femmes, la paix et la sécurité, la dernière initiative en date étant l’actualisation de la politique OTAN/Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) en la matière. Cette politique, entérinée par les Alliés et leurs pays partenaires, met en exergue les grands principes régissant l’action de l’OTAN dans le domaine FPS :
- intégration – veiller à ce que l'égalité des genres soit considérée comme faisant partie intégrante des politiques OTAN reposant sur des mécanismes efficaces d'intégration de la dimension de genre ;
- inclusivité – encourager une plus grande participation des femmes à l’échelle de l’OTAN et au sein des forces nationales ;
- intégrité – renforcer la redevabilité s’agissant du programme FPS conformément aux cadres internationaux.
La politique et le plan d’action s’y rapportant ouvrent la voie à une approche plus ciblée de l’égalité des genres au sein de l’Alliance. L’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques et de la doctrine OTAN figure au cœur du travail entrepris par le Bureau de la représentante spéciale pour les femmes, la paix et la sécurité, un travail qui s’appuie par ailleurs sur une détermination à augmenter le nombre de femmes dans les opérations et missions de l’OTAN en aidant les pays à remédier à la représentation insuffisante des femmes au sein des forces nationales.
L’Alliance a également élaboré des orientations pour les commandements stratégiques de l’OTAN sous la forme de directives sur la violence sexuelle et sexiste liée aux conflits, lesquelles offrent, à partir du cadre normatif relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité, un outil pratique de réponse et de lutte contre les violences sexuelles en situation de conflit ou d'après-conflit.
Ces directives destinées aux quartiers généraux et aux commandements sont complétées par des formations et des mesures de renforcement des capacités visant à mieux faire comprendre l’importance du programme FPS ainsi que les modalités de sa mise en œuvre. Le programme de mentorat et d’accompagnement professionnel mis en place tout récemment pour le personnel du siège de l’OTAN permet de sensibiliser plus largement aux liens qui existent entre la sécurité et la défense, d’une part, et les questions FPS, d’autre part.
Faire entendre davantage la voix des femmes
Les menaces complexes et multiformes auxquelles notre monde est actuellement confronté compliquent l'environnement de sécurité comme jamais auparavant. Le lien entre sécurité et stabilité économique n’est plus à prouver : plus la situation politique est instable, plus les femmes seront fragilisées sur le plan économique. Dès lors, l’OTAN cherche à encourager et à renforcer activement le dialogue avec les femmes dans la société civile, afin de faire entendre davantage les personnes les plus touchées par les conflits.
L’Alliance s’emploie à institutionnaliser un dialogue continu avec les représentants de la société civile qui œuvrent – que ce soit dans le cadre de l'action locale ou dans celui de l'élaboration des politiques nationales et internationales – en faveur de la prévention et du règlement des conflits, de la sécurité et de l'autonomisation des femmes.
Mise sur pied en 2016, la Commission consultative de la société civile sur les femmes, la paix et la sécurité est un groupe indépendant d’organisations de femmes du monde entier représentant les premières victimes des inégalités et des conflits. Sa mission consiste à encourager l’OTAN à élargir sa conception de la sécurité et à promouvoir une approche plus inclusive de la résolution des problèmes de défense et de sécurité.
Parité
Au fil des différentes résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité adoptées ces dernières années, nous avons assisté à une multiplication des initiatives en faveur de la parité, qui passe par l’augmentation du nombre de femmes au sein des forces nationales et dans les opérations.
Cette évolution a poussé l’OTAN à s’intéresser davantage au recrutement et au maintien en fonction de femmes au sein des forces nationales, dans une optique d’efficacité opérationnelle. À l'heure actuelle, les femmes représentent 12 % des personnels déployés dans le cadre d’opérations et de missions dirigées par l’OTAN. L’Organisation entend mettre en œuvre le programme FPS en éliminant les barrières à la pleine participation des femmes au sein de l’Alliance et des forces nationales. Plus important encore, l’Alliance s’emploie à renforcer la redevabilité en adoptant les normes de conduite professionnelles et personnelles les plus rigoureuses, tant pour le personnel civil que pour le personnel militaire de l’OTAN.
Pourtant, si nous voulons mettre en œuvre le programme FPS pleinement et efficacement, nous devons veiller à ne pas miser uniquement sur la parité. On considère souvent que la parité est synonyme d’égalité des genres et qu’elle répond donc entièrement aux exigences du programme FPS. La tendance à rechercher en priorité un équilibre hommes-femmes sur le plan statistique s’explique en partie par le fait que la parité est beaucoup plus facile à mesurer, et donc beaucoup plus facile à appréhender ; les résultats se voient directement. La parité est un objectif concret et réalisable, tandis que l’intégration de la dimension de genre est une tâche plus ardue. C’est pourquoi, dans le domaine FPS, les initiatives en faveur de la parité sont souvent plus plébiscitées.
Or, pour l’OTAN, le programme FPS ne peut aboutir que si les efforts s’inscrivent dans la durée, comme indiqué dans la version révisée de la politique OTAN/CPEA en la matière. Ces efforts reposent sur une double approche : augmenter la représentation des femmes et intégrer la dimension de genre. Nous ne pourrons atteindre notre objectif ultime – l’égalité des genres – que si la dimension de genre est pleinement intégrée dans les tâches fondamentales et les fonctions de l’OTAN.
L'intégration de la dimension de genre dans les activités de protection et de participation est à la base du programme FPS. En intégrant cette dimension dans les fonctions stratégiques et opérationnelles, sous tous leurs aspects, non seulement nous répondons aux exigences des résolutions mais nous construisons également un socle à partir duquel les principes relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité peuvent trouver leur concrétisation.
Une résolution plus que jamais d’actualité
La résolution 1325 trouve son origine dans les conflits. À l’heure où des affrontements ont lieu aux quatre coins du monde, elle garde toute son importance et véhicule un message essentiel. À bien des égards, elle est plus que jamais d’actualité, dans la mesure où des conflits continuent de déchirer des communautés et où la vie et l’intégrité physique des femmes sont constamment menacées.
Le danger direct auquel sont exposées les femmes ainsi que les répercussions des conflits sur la vie et l’avenir des femmes et des filles sont précisément les raisons pour lesquelles le programme FPS est si pertinent et toujours plus important. Il faut donc le voir comme constituant de nombreux maillons d'une chaîne plus vaste et le mettre en œuvre en conséquence. Le conflit, tout comme la paix, peut prendre une multitude de formes. De la même façon, les femmes et les hommes ont une multitude de rôles à jouer dans les situations de conflit et dans l'instauration de la paix.
Et pourtant, si l’intégration de la dimension de genre est une évidence pour les experts en la matière, la mise en œuvre reste semée d’embûches. Bien souvent encore, les acteurs internationaux ne tiennent pas compte des répercussions très particulières des conflits armés sur les femmes et ne mettent donc pas à profit la contribution essentielle que celles-ci sont en mesure d'apporter aux débats sur la paix et la sécurité. Lorsqu’il est question de sécurité mondiale, les activités en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité ne sont pas encore systématiquement reconnues comme indispensables.
La présence militaire au sens traditionnel du terme n’est pas toujours synonyme de sécurité pour les femmes. Partir du principe qu’une présence militaire est la solution dans certaines situations relève d’une vision limitée de la réalité, fondée sur une compréhension très approximative des besoins des femmes. Pour savoir ce qu'est une situation de sécurité, il faut d’abord déterminer quels sont les risques. Si l’on exclut les femmes de la définition des risques, et donc de celle de la sécurité, leur voix sera forcément marginale au moment de définir la paix. Pour les femmes, la paix ne se limite pas à l’absence de guerre mais englobe aussi l’égalité de participation dans les sphères sociale, économique et politique.
Bien que la résolution 1325 et les résolutions suivantes ne présentent pas la sécurité en ces termes, il est fondamental que toutes les mesures de protection soient le fruit d'une approche plus globale et plus inclusive. La sécurité doit absolument être envisagée à l’aune des menaces, aussi bien celles qui pèsent sur les hommes que celles qui pèsent sur les femmes dans différents environnements de sécurité. À partir du moment où l’on s’accorde à dire que la guerre ne frappe pas les hommes et les femmes de la même façon, il est impératif d'intégrer également la dimension de genre dans les processus d'instauration de la sécurité.
Dix-huit années se sont écoulées depuis l’adoption de la résolution 1325 et, même si les progrès sont lents et les résultats parfois difficiles à voir, les choses changent. Ce changement a pour vecteur le cadre institutionnel reconnu dont bénéficie l'action FPS, assorti d'un système de suivi et d’évaluation sur la base d’indicateurs de progrès mondiaux. .
Le dernier rapport en date de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité a mis l’accent sur les points suivants : les progrès en ce qui concerne le déploiement de conseillers pour les questions de genre dans l’ensemble des zones de conflit ou d'opérations de maintien de la paix ; le nombre plus important d’accords de paix signés par des femmes ; le meilleur accès des femmes aux postes à responsabilité ; l’expansion de la formation et du développement des capacités pour la sensibilisation aux questions de genre ; les efforts accrus en faveur de la protection des femmes et des filles contre les violences sexuelles, et de l’élaboration de cadres juridiques visant à ce que les auteurs de telles violences répondent de leurs actes ; la prise de conscience du fait que l’autonomisation des femmes est un droit fondamental et un élément indispensable à la croissance économique mondiale.
Au bout du compte, le programme FPS est un programme pour le changement, la transformation. Et comme toute transformation, celle-ci est difficile, rude, et pas toujours appréciée à sa juste valeur, mais elle est absolument essentielle au développement de la société et à la stabilisation des collectivités humaines.
La pertinence de la résolution 1325 réside dans sa force politique. Il s’agit d’un outil politique et opérationnel qui a changé la manière de concevoir la sécurité et d’envisager la question des droits des femmes dans ce domaine. Si l’on veut en tirer pleinement parti, il faut s'y intéresser davantage et lui accorder une plus grande place.
Malgré les importants progrès réalisés, il reste beaucoup à faire. Après dix-huit ans et sept résolutions supplémentaires, des milliers de femmes conviendront que la résolution 1325 est plus que jamais nécessaire. Ce texte a donné l’élan voulu au discours sur les femmes, la paix et la sécurité, et les résolutions prises dans leur ensemble ont ouvert la voie à une révolution. Alors que le vingtième anniversaire de la résolution 1325 approche à grands pas, l’OTAN va continuer de développer et de renforcer son programme FPS, contribuant ainsi à poser des fondements durables afin que toutes et tous puissent vivre en sécurité.