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Prenez, d’une part, l’alliance politico-militaire la plus grande de l’histoire, qui protège plus de 900 millions de personnes. Prenez, d’autre part, le deuxième pays du monde au niveau de la taille, dont la population vient de passer le cap du milliard. Comment ces deux géants pourraient-ils travailler ensemble ? Michael Rühle se penche sur ce qui pourrait constituer l’un des partenariats les plus vastes jamais noués par l’OTAN.

Lorsque les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance ont tenu leur sommet de Lisbonne en novembre 2010, ils ont eu à répondre à une question d’importance majeure : l’OTAN est-elle capable de devenir une véritable alliance du XXIème siècle ?

Leur réponse a été un « oui » sans équivoque. En adoptant un nouveau Concept stratégique dans le cadre duquel la mondialisation est considérée comme la caractéristique principale de l’environnement stratégique, ils ont reconnu que l’Alliance atlantique doit poursuivre sa transformation, et que l’une des parties importantes de cette transformation sera le développement de relations plus étroites avec des pays du monde entier.

Au cours de la préparation du sommet de Lisbonne, le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, avait déjà indiqué ce que cela impliquerait : des relations plus étroites avec tous les grands acteurs mondiaux, y compris l’Inde et la Chine.

Le fait de citer l’Inde et la Chine en tant que partenaires potentiels de l’OTAN aurait fait lever les sourcils il y a peu, et pas seulement à New Delhi et à Pékin

Il y a à peine quelques années, le fait de citer l’Inde et la Chine en tant que partenaires potentiels de l’OTAN aurait fait lever les sourcils, pas seulement à New Delhi et à Pékin, mais aussi dans de nombreux pays de l’Alliance. Ce n’est plus le cas. La suggestion du secrétaire général n’a guère suscité de débat, et encore moins de controverse.

Et pourquoi en aurait-il été ainsi ? Après tout, tendre la main à l’Inde n’est pas une tentative voilée pour attirer ce pays et d’autres puissances émergentes dans l’orbite politique et militaire de l’Alliance. Ce n’est pas non plus une tentative pour damer le pion aux Nations Unies en tant qu’arbitre ultime de la sécurité mondiale. L’idée d’utiliser l’OTAN comme forum de consultation et de coopération est beaucoup moins ambitieuse, et beaucoup plus pragmatique. Dans une époque de plus en plus façonnée par les forces de la mondialisation, la gestion des défis sécuritaires communs exige que les acteurs clés entretiennent un réseau beaucoup plus serré.

L’HDMS Esbern Snare, à bord duquel le commandant de la force opérationnelle de lutte contre la piraterie de l’OTAN, le commodore Christian Rune, des forces navales royales du Danemark, a rencontré le commandant de la force opérationnelle de lutte contre la piraterie de l’Inde, le capitaine de vaisseau S. Srikant © Atlantic Council
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L’HDMS Esbern Snare, à bord duquel le commandant de la force opérationnelle de lutte contre la piraterie de l’OTAN, le commodore Christian Rune, des forces navales royales du Danemark, a rencontré le commandant de la force opérationnelle de lutte contre la piraterie de l’Inde, le capitaine de vaisseau S. Srikant © Atlantic Council

L’Afghanistan constitue un exemple parlant en la matière. Le fait que l’OTAN assure la direction de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), placée sous mandat de l’ONU, a non seulement conduit l’Alliance aux frontières de la Chine, mais a également créé une interdépendance beaucoup plus grande entre l’OTAN et l’Inde.

En tant que donateur international majeur dont la présence civile est considérable en Afghanistan, l’Inde a un intérêt stratégique non seulement à l’égard de la sécurité que les forces de la FIAS assurent, mais aussi à l’égard de l’effet de stabilisation que l’engagement de l’Alliance apporte à la région. La réussite à long terme de l’OTAN en Afghanistan dépend, quant à elle, du succès des efforts de reconstruction civile menés par l’Inde et par d’autres. L’Afghanistan est donc devenu une parfaite illustration de la manière dont les nouveaux défis créent de nouvelles dépendances et de nouvelles relations.

L’Alliance a consenti des efforts soutenus pour adapter ses politiques et ses structures à ces nouvelles réalités. Aujourd’hui, ses 28 membres entretiennent des relations diplomatiques et militaires avec plus de 30 pays non membres dans le monde entier. La portée et l’intensité de ces relations varient en fonction des intérêts spécifiques de chacun des partenaires.

Certains pays préfèrent que les choses restent restreintes - pourparlers ponctuels au niveau pratique, ou participation à des séminaires ou à des stages. D’autres limitent leur interaction avec l’OTAN au dialogue politique. D’autres encore optent pour un partenariat militaire beaucoup plus étroit, afin d’être en mesure de prendre part à des opérations difficiles aux côtés des Alliés.

Mais toutes ces relations avec l’Alliance s’établissent de manière volontaire et « à la carte ». Elles ne comportent pas d’engagement de défense mutuel comme celui qui lie les Alliés, mais elles ne compromettent pas non plus la politique extérieure particulière d’un pays partenaire, par exemple sa tradition sécuritaire de non-alignement.

L’Inde est bien trop vaste pour être simplement un partenaire de plus pour l’Alliance atlantique

Cependant, de nombreux analystes indiens émettent des doutes quant aux implications que le développement de liens plus étroits avec l’OTAN pourrait avoir sur la position internationale de leur pays. Comme l’a dit un éminent analyste indien lors d’une conférence à New Delhi, l’Inde est bien trop vaste pour être simplement un partenaire de plus pour l’Alliance atlantique.

Et si la plupart des membres de la communauté stratégique du pays reconnaissent tout à fait que la mission de l’OTAN en Afghanistan coïncide avec les intérêts stratégiques propres de l’Inde s’agissant de la stabilisation de ce pays, ils n’en concluent pas forcément que l’Inde et l’Alliance doivent instaurer une coopération plus étroite.

Au contraire, nombreux sont ceux qui semblent penser que le retrait de l’OTAN d’Afghanistan qui interviendra finalement marquera la fin de l’intérêt de l’Alliance pour l’Asie.

Enfin, étant donné que l’Inde entretient des relations bilatérales étroites avec tous les grands pays de l’OTAN, notamment les États-Unis, avec qui les liens sont de plus en plus étroits, d’aucuns considèrent que le renforcement des liens avec l’Alliance n’apporte pas grand-chose de plus.

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Ces arguments sont-ils valables ? Tout d’abord, toute crainte que l’Inde puisse être reléguée au statut de partenaire « junior » de l’OTAN est déplacée. Les contacts pratiques de la Chine avec l’Alliance n’ont certainement pas entravé l’ascension rapide de ce pays. Et la stature internationale d’États tels que le Japon, l’Égypte ou l’Australie n’a pas non plus pâti de leur coopération avec l’OTAN.

L’Inde n’aura donc pas à transiger sur les principes fondamentaux de sa politique extérieure et sécuritaire. La coopération que la Suisse entretient de longue date avec l’Alliance devrait convaincre même les plus sceptiques que ni le non-alignement ni la neutralité ne doivent empêcher un pays de coopérer avec l’OTAN.

Ensuite, même après que la responsabilité de la sécurité de l’Afghanistan aura été confiée aux Afghans, l’Alliance continuera à s’intéresser à la stabilité de l’ensemble de la région et au renforcement des liens politiques et militaires avec elle, comme en témoigne le partenariat durable sur lequel l’OTAN et l’Afghanistan se sont mis d’accord. L’Alliance considère ses partenariats comme un investissement stratégique à long terme et non comme un outil tactique à court terme, et l’histoire de ses partenariats en apporte la preuve. Si ceux-ci se développent à des rythmes différents, ils tendent tous à s’intensifier avec le temps.

Enfin et surtout, les arguments en faveur d’une coopération plus étroite entre l’Inde et l’OTAN ne tiennent pas seulement à l’Afghanistan. Les pays et les organisations ont de plus en plus besoin de coopérer plus étroitement dans beaucoup d’autres domaines également. Une grande partie des consultations interviendra dans le cadre des Nations Unies, mais les défis comme les cyberattaques, la sécurité énergétique, la prolifération nucléaire, les États en déliquescence et la piraterie obligent tous les pays à rechercher des cadres supplémentaires leur permettant non seulement de parler ensemble, mais aussi de travailler ensemble, y compris sur le plan militaire. L’OTAN est l’un de ces cadres – et c’est le seul qui peut se prévaloir d’une expérience de plus de six décennies en matière de planification et de coopération multinationale dans le domaine militaire.

La question n’est pas de savoir si l’Inde et l’OTAN doivent se consulter et coopérer, mais bien comment assurer à ce processus une efficacité optimale

Pour l’Alliance, un partage plus large de cette expérience unique est à la fois naturel et inévitable. C’est la raison pour laquelle la coopération de l’OTAN avec les forces navales indiennes dans les opérations de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes sera probablement suivie d’un renforcement de la coopération dans d’autres domaines également. Autre signe d’une nouvelle dynamique : la participation de haut niveau de l’Inde au séminaire annuel de l’Alliance sur la prolifération des armes de destruction massive, qui rassemble plus de 50 pays appartenant aux cinq continents, y compris la Chine et le Pakistan, voisins de l’Inde.

En résumé, la question n’est pas de savoir si l’Inde et l’OTAN doivent se consulter et coopérer, mais bien comment assurer à ce processus une efficacité optimale. Faut-il poursuivre sur une base « ad hoc », avec l’efficacité limitée que l’improvisation suppose ? Ou bien l’Inde et l’Alliance doivent-elles opter pour un dialogue plus régulier, dans le cadre duquel elles apprendront à connaître leurs perceptions, leurs politiques et leurs procédures respectives, ce qui leur permettra de mettre rapidement cette connaissance en pratique pour faire face aux défis communs ? Le choix doit être clair : l’exploitation du potentiel de l’OTAN en tant que forum de consultation et de coopération est une situation « gagnant-gagnant », tant pour l’Inde que pour l’Alliance.