© Reuters /  Kevin Lamarque
)

© Reuters / Kevin Lamarque

À l’issue des élections législatives américaines du 2 novembre, les républicains ont pris le contrôle de la Chambre des représentants et ont obtenu cinq sièges supplémentaires au moins au Sénat, où la majorité démocrate est passée de 59 à 53 sièges. Ce changement de majorité au Congrès aura-t-il des conséquences pour l’OTAN ? Quel est exactement le pouvoir de la Chambre des représentants dans le domaine de la politique étrangère et de la politique de défense américaine, et dans quelle mesure les républicains pourraient-ils en infléchir le cours s’ils le souhaitaient ?

Aux États-Unis, c’est toujours la Maison Blanche qui a eu la haute main sur la conduite courante des affaires internationales, plutôt que le Congrès. La constitution confère au Sénat le pouvoir de déclarer la guerre, mais le statut de « commandant en chef » du président lui laisse une grande latitude pour conduire les opérations militaires lorsqu’il ne s’agit pas d’une « guerre totale ».

De temps à autre, le Congrès a voulu restreindre les pouvoirs de l’exécutif. La résolution sur les pouvoirs de guerre qu’il a votée en 1973, passant outre au veto de Richard Nixon, a légèrement réduit cette marge de manœuvre en obligeant la Maison Blanche à informer le Congrès de toute intervention militaire dans un délai de 48 heures et à obtenir une résolution approuvant l’usage de la force armée si l’intervention dure plus de 60 jours. Il n’empêche que la Maison Blanche s’est engagée militairement de nombreuses manières et sur de nombreux fronts sans qu’il y ait eu de déclaration de guerre officielle.

Après les élections, la question de politique étrangère qui fera le plus débat sera peut-être l’objectif déclaré du président de parvenir à un « monde exempt d’armes nucléaires »

Cela étant, certains éléments de l’ordre du jour présidentiel risquent de se trouver compromis.

La question qui fera la plus débat est peut-être l’objectif déclaré du président de parvenir à un « monde exempt d’armes nucléaires », et aussi le récent rapprochement avec la Russie. Les républicains ont été amèrement déçus par la décision présidentielle d’annuler la mise en place d’installations de défense antimissile prévue en Pologne et en République tchèque et de les remplacer par des moyens embarqués et positionnés en mer, de moindre ampleur. De nombreux conservateurs, dont le conseiller du président George Bush père pour la sécurité nationale, Brent Scowcroft, pensent qu’un monde exempt de toute arme nucléaire pourrait, paradoxalement, s’avérer plus dangereux qu’une architecture de sécurité basée sur la dissuasion.

Alors, comment ces divergences pourraient-elles se manifester par le biais de la politique ?

C’est le Congrès qui tient les cordons de la bourse, et le contrôle de la Chambre permet aux républicains d’autoriser les financements de manière minutieuse, créative et souvent ésotérique.

Par exemple, comme l’a relevé un article récent du New York Times, dans un projet de loi de finances adopté l’an dernier par la Chambre, il était stipulé que les crédits fédéraux ne pouvaient pas être utilisés pour acheter des ampoules électriques ne répondant pas à certains critères d’efficacité ; le même texte contenait aussi une phrase indiquant qu’aucun crédit affecté au titre de cette loi ne pouvait être utilisé pour le transport d’étudiants ou d’enseignants en vue de compenser un déséquilibre racial dans un quelconque établissement scolaire.

Les membres du Congrès peuvent donc satisfaire des marottes idéologiques par une phrase bien placée dans un projet de loi n’ayant aucun rapport avec le sujet. Et la Chambre pourrait utiliser ses pouvoirs budgétaires pour imposer, de manière tout aussi créative, des engagements de dépenses correspondant à ses priorités de défense – en supprimant des fonds destinés à des programmes de défense antimissile qu’elle juge trop limités, par exemple, et en en ajoutant pour des programmes plus vastes.

L’opposition des républicains au nouveau Traité START signé par les présidents Obama et Medvedev s’intensifie

Cependant, c’est peut-être de l’autre côté du Capitole, toujours sous contrôle démocrate, que l’on enregistrera la première « victime » des élections.

La Constitution prévoit qu’il faut, pour ratifier un traité, l’approbation des deux tiers du Sénat, soit 67 voix. Les républicains ont gagné six sièges de sénateurs et donc, lorsque le nouveau Sénat siégera en janvier, il y aura 53 sénateurs démocrates et non plus 59. Il faudra donc que les traités négociés par l’Administration Obama obtiennent 14 voix républicaines en supplément, au lieu de 8 auparavant.

L’opposition des républicains au nouveau Traité START signé par les présidents Obama et Medvedev s’intensifie. En juillet, Mitt Romney, candidat républicain potentiel à la présidence, avait publié dans le Washington Post un éditorial dans lequel il faisait valoir que ce traité, qu’il qualifiait de pire erreur de politique étrangère commise par Obama, saperait les efforts des États-Unis en matière de défense antimissile.

Richard Lugar, le membre républicain de la Commission des relations étrangères du Sénat qui compte le plus d’ancienneté, a longuement réfuté l’éditorial de Mitt Romney, et la commission a approuvé le traité en septembre et l’a envoyé au Sénat en séance plénière pour ratification pleine et entière. Cependant, l’Administration ne pourrait toujours compter que sur une douzaine de voix républicaines pour la ratification. Elle espère que le vote sur le traité interviendra lors de sa session « interrégime », où il ne lui faudra que huit voix républicaines en supplément. La non-approbation du Traité START risquerait de porter un coup sévère aux efforts menés par les États-Unis et l’OTAN pour faire redémarrer les relations avec la Russie, et les conséquences pourraient dépasser le cadre de la prolifération nucléaire.

En outre, l’obstruction républicaine au Sénat se trouve facilitée. Auparavant, il ne fallait aux démocrates qu’une voix républicaine pour clore le débat ; maintenant il leur en faut sept. Par ailleurs, les républicains ne disposent pas de suffisamment de voix pour passer outre à un veto du président. Dans l’ensemble, ce scrutin devrait donc surtout déboucher sur deux années d’impasse marquées par le mécontentement.

Au final, la question de politique intérieure américaine la plus sérieuse à laquelle l’OTAN sera confrontée sera peut-être celle de l’ampleur du déficit du budget des États-Unis suite à la crise financière.

D’autres Alliés ont été durement touchés. Leurs budgets militaires ont été fortement réduits. L’Allemagne prévoit de faire passer ses forces armées de 250 000 à 180 000 hommes. Les réductions prévues par le Royaume-Uni concernent 17 000 hommes et femmes, une flotte d’avions à réaction et un porte-aéronef. L’Espagne a réduit son budget militaire de plus de 13 % depuis 2009. D’autres Alliés comme le Portugal, l’Italie et la Grèce vont sans doute aussi voir leurs budgets diminuer. Si les contributions de ces pays revêtent une très grande importance, pour le moment c’est l’armée américaine qui constitue toujours la clef de voûte de la force expéditionnaire de l’Alliance. La question qui se pose est de savoir si son budget va lui aussi subir des coupes.

L’armée des États-Unis a évité des réductions spectaculaires. En fait, le budget américain de la défense a augmenté de 3 % de 2009 à 2010, malgré le risque de voir la dette publique brute atteindre 100 % du PIB en 2011, contre 70 % en 2008. Les chiffres correspondants pour les pays européens dont les déboires budgétaires ont suscité une inquiétude généralisée – la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal – sont quant à eux respectivement de 130 %, 93 %, 130 % et 74 %.

Les États-Unis n’ont pas eu à procéder à une douloureuse réévaluation - pour reprendre l’expression de John Foster Dulles « agonizing reappraisal » - de leur budget militaire

Les États-Unis n’ont pas eu à procéder à une douloureuse réévaluation - pour reprendre l’expression de John Foster Dulles « agonizing reappraisal » - de leur budget militaire, et donc de leurs relations avec l’OTAN, parce que le Trésor américain a toujours la faculté de vendre des obligations à des taux historiquement bas. Le maintien de cette situation dépendra, dans une large mesure, de la question de savoir si les marchés pensent que le gouvernement fédéral va en définitive augmenter les impôts ou réduire les dépenses. Au stade actuel, ces options semblent l’une comme l’autre de moins en moins réalistes. .

Tant que le Trésor américain conservera la faculté de vendre ses obligations, l’OTAN pourra s’adapter et évoluer. Si ce ne devait plus être le cas, les conséquences au niveau de l’Alliance pourraient être vraiment peu réjouissantes.

Unique et maigre consolation : s’il devait effectivement y avoir une ruée sur le dollar, le tsunami mondial de problèmes qui en résulterait aurait une telle ampleur que les difficultés de l’Alliance seraient le dernier souci des gens.