Edition Web
Vol. 46 - No. 2
Et 1998
pp. 22-26

L'Albanie: une tude de cas de la mise en uvre pratique du Partenariat pour la paix

George Katsirdakis

Officier suprieur la Direction Coopration et Partenariat de la Division Oprations et Plans de dfense de l'OTAN




L'quipe d'enquteurs envoye Tirana en aot dernier, dirige par M. Katsirdakis (troisime partir de la droite). (47Kb)
L'an dernier, une succession de mouvements contestataires a engendr une rbellion arme qui a plong l'Albanie dans le chaos. L'intervention d'une force multinationale et la tenue d'lections dmocratiques ont permis de surmonter la crise, mais ses effets se feront encore sentir pendant plusieurs annes. Cet article traite de l'incidence de la crise sur les forces armes albanaises et de la contribution de l'OTAN et du Partenariat pour la paix (PPP) au redressement du pays. L'auteur estime que l'action en Albanie a marqu une nouvelle tape de l'volution du PPP, dont le rle en tant qu'lment essentiel de la nouvelle structure de scurit europenne a t confirm.

Du temps de son isolement sous la dictature communiste d'aprs-guerre, l'Albanie avait adopt un systme de "dfense totale", caractris par la prsence de plusieurs milliers de casemates parpilles travers le pays, par l'quipement en armes d'une grande proportion de la population, et par des forces armes disproportionnes par rapport la population et aux ressources du pays.

Le gouvernement post-communiste albanais s'est engag procder des rformes dmocratiques et s'est immdiatement tourn vers les institutions occidentales, notamment en adhrant au Conseil de coopration nord-atlantique (CCNA) en 1992.(1) L'Albanie a t l'un des premiers pays s'associer au Partenariat pour la paix (PPP) en fvrier 1994, en indiquant que son objectif stratgique final tait de devenir membre de l'Alliance. Elle a entrepris une restructuration et une rorganisation radicales de ses forces armes et envoy de nombreux officiers dans des institutions militaires occidentales. L'Albanie a galement mis disposition des installations pour soutenir les oprations diriges par les Nations Unies puis par l'OTAN en ex-Yougoslavie.


La crise


Soldats albanais s'entranant la frontire avec le Kosovo en mars dernier.
(Photo Reuters 68Kb)

Au dbut de 1997, l'Albanie a subi une crise profonde, dclenche par la frustration de centaines de milliers de personnes qui avaient perdu les conomies de toute une vie en les plaant dans des systmes d'investissement "pyramidaux". Les explosions de violence survenues dans plusieurs rgions ont progressivement conduit, surtout dans le Sud, l'effondrement de l'autorit de l'tat et la cration de comits rvolutionnaires au niveau local. De nombreux dlinquants ont galement tir parti du chaos ambiant.

Une grande partie de la population possdait des armes en vertu du concept de "dfense totale", et les confrontations ouvertes avec les forces armes, souvent elles-mmes victimes de l'effondrement des systmes pyramidaux, se sont peu peu multiplies. En de nombreux endroits, les casernes ont t abandonnes par les appels qui sont tout bonnement rentrs chez eux, laissant sans protection la plupart des installations militaires o les armes et les munitions pouvaient tre voles.

En avril 1997, l'Italie a dirig une force de protection multinationale pour assurer l'acheminement de l'aide humanitaire l'Albanie. L'opration Alba, sous mandat du Conseil de scurit de l'ONU, a rassembl, outre celles de l'Italie, des troupes fournies par l'Autriche, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grce, la Roumanie, et la Turquie.

Cette intervention a permis la tenue d'lections en mai, et un nouveau gouvernement est entr en fonction en juillet. L'une des premires tches du nouveau gouvernement a consist demander toutes les formes d'aide possibles pour sortir le pays de la crise et restaurer les institutions de l'tat, y compris les forces armes. A la fin du mois de juillet, une confrence a runi, Rome, un certain nombre de pays membres et non membres de l'OTAN ainsi que des organisations internationales, tablissant le cadre d'un programme d'assistance internationale de grande envergure qui couvre l'aide conomique et le soutien la restructuration des diffrentes fonctions tatiques, notamment militaires.


La dfinition d'un programme d'aide

Le 1er aot 1997, l'OTAN a reu une demande officielle d'aide la reconstitution des forces armes albanaises, prsente par le ministre de la Dfense, M. Sabit Brokaj. L'OTAN ayant dj suivi l'volution des vnements et dcid d'utiliser le cadre du PPP pour fournir l'aide indispensable si l'Albanie en faisant la demande, elle a pu ragir immdiatement. Des travaux prliminaires ont aussitt dbut sur un programme d'aide spcialement conu pour rpondre aux besoins urgents de reconstruction des forces armes albanaises. Conformment la pratique tablie dans le cadre du PPP, il a t appel Programme de partenariat individuel (IPP) bien qu'il s'agisse d'un projet tout fait singulier qu'il serait plus appropri d'appeler "Plan d'action".

En premier lieu, le Conseil a dcid d'envoyer Tirana, o elle est arrive le 18 aot, une quipe spciale d'experts charge d'une mission d'information. Son objectif immdiat tait d'identifier les besoins et de les hiarchiser sur la base d'informations donnes par ses interlocuteurs albanais. Les conclusions de cette quipe ont fait apparatre l'ampleur et l'urgence de l'aide ncessaire et l'OTAN a rapidement rpondu par un programme d'assistance qui tait le premier dans son genre. Le Comit directeur politico-militaire du Partenariat pour la paix (PMSC) - l'organisme de l'Alliance qui coordonne les actions du PPP au nom du Conseil - a travaill en troite collaboration avec les reprsentants albanais tout au long de l't pour s'assurer que le projet d'IPP refltait bien les conclusions des experts et les priorits accordes par l'OTAN et l'Albanie aux diffrentes formes d'aide fournir. Le nouvel IPP a t finalis et approuv lors d'une session spciale du Conseil de l'Atlantique Nord, le 10 septembre 1997, en prsence du premier ministre albanais, M. Fatos Nano.


Le premier pilier: l'OTAN



Des milliers d'Albanais de souche ont pris part une manifestation contre le gouvernement Pristina, capitale de la province du Kosovo, le 10 avril.
(Photo Belga 56Kb)
L'IPP reposait sur deux piliers, dont le premier correspondait aux formes d'aide que l'OTAN, en tant qu'organisation, devait fournir. Elle consistait en un programme intensif de douze visites par des quipes d'experts qui devaient se rendre en Albanie au cours d'une priode quatre mois, entre octobre 1997 et la fin janvier 1998. Ces quipes d'experts taient charges d'examiner toute la gamme des questions prioritaires relatives la reconstruction des forces armes albanaises et de donner des conseils sur les remdes possibles la situation. Diriges par des membres du personnel de l'OTAN, ces quipes comprenaient galement des experts envoys par des pays de l'Alliance et, parfois, par des pays partenaires, ce qui a largi le champ de l'assistance et associ directement les pays cet effort. Leur but n'tait pas d'offrir l'Albanie un unique modle adopter, mais plutt une gamme de conseils d'experts qu'elle pourrait utiliser ou adapter en fonction de ses besoins. Leurs travaux ont port sur trois domaines:

  • Questions conceptuelles: concept de scurit nationale, concept de dfense nationale, doctrine militaire, questions constitutionnelles, cadre juridique pour les forces armes, contrle dmocratique des forces et relations civilo-militaires;

  • Questions structurelles: rorganisation et fonctionnement du ministre de la Dfense, structures des hauts commandements et de l'tat-major des forces armes, restructuration des forces armes jusqu' l'chelon le plus bas en donnant la priorit aux structures ayant un impact positif immdiat, conseil et formation en mdecine militaire, direction, formation linguistique et fonctionnelle, dveloppement de structures logistiques de base, dveloppement d'un systme de Commandement, Contrle, Communications et Information (C3I) essentiel, structures de transports et de mouvements;

  • Questions techniques: stockage, manutention et limination de munitions, scurit des dpts militaires, valuation de l'tat des infrastructures militaires de base existantes, tablissement des plans et des budgets de dfense.

Un autre lment important du programme d'assistance l'Albanie a t l'inclusion de quelques activits de coopration militaire, spcialement choisies dans le Programme de travail du Partenariat pour aider les Albanais garder le contact avec des activits telles que les exercices et la formation dans le cadre du PPP. Certaines activits impliquant la participation d'importantes runions de comits et d'autres vnements du PPP ont galement t prvues afin que l'Albanie ne reste pas en marge du droulement central du programme du PPP.


Le second pilier: les pays

Le second pilier du programme d'aide tait destin coordonner l'assistance bilatrale fournie l'Albanie par les Allis et les pays partenaires. Plusieurs pays avaient, avant la crise, des programmes d'aide en cours qui ont t suspendus lors de celle-ci. Le lancement du programme d'aide de l'OTAN a permis de les reprendre dans un cadre coopratif. La premire tape a consist identifier les domaines dans lesquels l'aide des pays pouvait tre ncessaire. Puis, il a fallu classer ces besoins par ordre de priorit et, enfin, encourager la coordination de ces efforts des tats. Un forum spcial pour la coordination de leurs activits d'assistance, le centre d'changes sur l'Albanie (Clearing House on Albania, CHA) a t agr par les pays.


Le centre d'changes sur l'Albanie

Le centre d'changes du PPP est un forum dsormais bien tabli au sein duquel les Allis se runissent deux fois par an pour discuter de leurs programmes de coopration nationaux dans le cadre du PPP. Ils changent des informations sur leurs programmes respectifs, accroissant ainsi la transparence et permettant aux pays de mieux hirarchiser leurs activits de coopration avec les programmes des autres pays allis.

Dans le cas du CHA, le but tait de centrer la discussion prcisment sur l'Albanie, de faon aider les pays coordonner leurs efforts et viter le gaspillage ou un double emploi inutile des ressources. Cela a t une grande russite, les participants restant concentrs sur les besoins prioritaires et l'Albanie pouvant ainsi tirer le meilleur profit du programme. L'Albanie a bien entendu pris part ce forum, auquel elle a apport de prcieuses informations en retour. Des partenaires ont galement pris part aux travaux du centre d'changes, notamment la Suisse, qui a relanc un programme d'aide interrompu dans le domaine des quipements de transports. D'autres pays partenaires ont mis disposition des experts, qui ont particip aux missions des diffrentes quipes, au ct de leurs collgues des pays membres de l'OTAN.

La contribution des pays au programme a t d'une importance cruciale. Outre les experts constituant les diffrentes quipes, ils ont galement fourni leurs propres quipes sur des questions spcifiques ncessitant la fourniture de conseils et des transferts de connaissances, en complment du travail des quipes diriges par l'OTAN. Les pays ont aussi apport une assistance matrielle et technique, assur une formation spcialise et fourni d'autres formes d'aide qui ne sont pas ncessairement lies de faon directe l'effort de reconstruction des forces armes albanaises.


Les rsultats

Pour l'essentiel, le programme de 1997 est maintenant achev et la plupart des principales activits prvues ont t accomplies, mme si certaines ont largement dbord sur 1998. L'valuation du travail ralis dans le cadre du programme 1997 indique que l'IPP a contribu l'obtention des grands rsultats suivants:

  • La nouvelle constitution fera explicitement rfrence au rle des forces armes et dfinira le rle du commandant en chef.

  • Une srie de lois relatives la structure de dfense, au personnel militaire et d'autres questions connexes sont en prparation et le Parlement entend s'y consacrer en priorit lors de sa session du printemps 1998.

  • Un concept de scurit nationale et un concept de dfense nationale, les premiers de ce genre en Albanie, en sont un stade d'laboration avanc.

  • Une nouvelle structure de haut commandement des forces armes a t approuve. La prochaine tape consistera la confirmer sur le plan lgislatif.

  • Les units militaires sont rtablies au fur et mesure de la rparation et de la reconstitution graduelles des installations de soutien.

De nombreux autres progrs ont t raliss dans les domaines du stockage des munitions, de la rparation des infrastructures de base et de la formation du personnel pour faire face aux multiples problmes que rencontrent les forces armes albanaises. Le plus important, cependant, est que le processus de reconstruction est engag et que le moral des forces s'est considrablement amlior. Certains appels et sous-officiers qui avaient quitt leurs units au plus fort de la crise les rejoignent dsormais. Et les effets de la gnreuse assistance bilatrale qu'ont offerte les pays sont dj visibles.


Stockage et limination de munitions: subsistance des "points chauds"


(107Kb)

Une quipe d'experts de l'OTAN effectuant une visite de suivi en Albanie au mois d'avril a constat que la situation de l'Albanie dans le domaine du stockage de munitions s'tait amliore depuis sa prcdente visite en octobre 1997 (Cf. "Des experts de l'OTAN et de pays partenaires aident le ministre albanais de la Dfense traiter le problme du stockage et de l'limination de munitions", encadr p. 29 de la Revue de l'OTAN, n 1, Printemps 1998). Il reste nanmoins un problme majeur rsoudre de toute urgence: l'existence de divers "points chauds" parpills dans tout le pays, o des munitions instables et d'autres explosifs sont sans protection.

La prsence de milliers de tonnes de munitions non exploses dcouvert dans diffrents sites de ce genre constitue une grave menace pour la population voisine. De nombreuses personnes ont dj t tues et davantage encore blesses cause de ces "points chauds". L'Albanie, qui manque terriblement de ressources et d'expertise en la matire, aura besoin d'tre aide par d'autres pays, par d'autres institutions commes les Nations Unies, et par des organisations non gouvernementales pour rsoudre ses problmes de stockage et d'limination de munitions, et en particulier de suppression de ces "points chauds".

Source: Soutien de la dfense,
Secrtariat international de l'OTAN.


L'avenir

Tandis que la situation en Albanie s'amliorait, une complication supplmentaire est apparue au dbut de 1998 avec l'clatement de la crise du Kosovo qui, faute d'une issue pacifique, pourrait avoir de graves consquences sur toute la rgion des Balkans. Elle a ajout une nouvelle dimension aux problmes rencontrs par l'Albanie, car 90 % des habitants du Kosovo, rgion frontalire de l'Albanie, sont d'origine albanaise. Ce qui ne rend que plus urgente la reconstitution des forces armes albanaises.

En mme temps, bien que d'importants progrs aient t enregistrs, il subsiste d'autres problmes cruciaux qui ne seront pas rsolus avant plusieurs annes. Ces nouveaux dfis ont conduit la prparation d'un nouvel IPP pour l'Albanie en 1998, selon le modle de celui de 1997. Il entend toujours rpondre la ncessit urgente de rtablir des forces albanaises oprationnelles relativement brve chance. Sont nouveau prvus un programme intensif d'quipes d'experts de l'OTAN, une assistance bilatrale spcialise et une srie renforce d'activits de coopration pour l'Albanie.

Une exigence supplmentaire rside dans l'amlioration de la coordination des activits lies au programme tant en Albanie qu'au sige de l'OTAN Bruxelles, et diffrentes solutions sont actuellement examines pour aider les Albanais raliser efficacement ce nouveau et difficile programme.

A plus long terme, l'objectif est de passer progressivement d'un programme de "premier secours" un programme de consolidation, jetant les fondements du dveloppement des forces armes albanaises tout en associant peu peu davantage le pays aux activits principales du programme du PPP.

A travers ce baptme du feu albanais, le PPP a prouv qu'il tait un moyen efficace d'apporter une aide cible et spcialise un pays partenaire en crise. Les capacits oprationnelles du PPP ont brillamment russi ce test. En relevant ce dfi, le PPP a renforc sa position en tant qu'lment permanent de la nouvelle architecture de scurit europenne.


Notes

  1. Dsormais Conseil du partenariat euro-atlantique (CPEA)


Back to Index Back to Homepage Go to Next Page