Face aux affres de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses familles juives vivant en Belgique ont dû cacher leurs enfants dans l’espoir qu’ils échappent aux griffes de la Gestapo et survivent à la guerre. Rien qu’en Belgique, plus de 5 000 enfants ont survécu au génocide dissimulés aux yeux du monde. Voici le témoignage de Regina Sluszny, ancien enfant caché, qui fait partie des derniers rescapés belges de l’Holocauste.

Regina à Hemiksem, en 1944.
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Regina à Hemiksem, en 1944.

Je m’appelle Regina Sluszny, et j’avais à peine plus d’un an lorsque la guerre a éclaté en Belgique. Née dans une famille juive ayant quitté la Pologne en 1930, je vivais alors à Anvers avec ma mère, Jenta, mon père, Jacob, et mes deux frères, Marcel et Eli. Nous y menions une vie paisible jusqu’à ce que les soldats allemands envahissent la Belgique en mai 1940. Leur principal objectif était d’exterminer l’ensemble de la population juive, même les enfants. Peu de temps après le début de l’occupation, de nouvelles lois visant spécifiquement les Juifs ont été introduites. La première d’entre elles, entrée en vigueur en 1941, prévoyait que tous les Juifs devaient s'enregistrer auprès de l'administration communale sur une liste spéciale appelée Joodselijst (« liste juive »). Une copie de cette liste a été remise aux officiers allemands afin qu’ils aillent chercher toutes les familles juives pour les rassembler à Malines, à la Kazerne Dossin, un centre d’internement et de transit. De là, les familles ont été conduites dans les camps d’extermination à bord de 27 trains entre 1942 et 1944. Plus de 25 000 personnes – des mères, des pères et leurs enfants, y compris des bébés – ont été envoyées à la mort. Elles ne sont qu’environ 1 200 à avoir fait le voyage retour.

Cachée à la vue de tous

Dans le courant de l’année 1942, mes parents ont compris qu’il était trop dangereux de rester à Anvers avec trois jeunes enfants. Avant la guerre, à l’époque où il travaillait sur les marchés, mon père connaissait la fille d’une prénommée Poldine. Cette dernière tenait un bistrot et une pension de famille à Hemiksem, une petite ville située à une quinzaine de minutes d'Anvers. Comme il lui restait deux chambres libres, elle a offert de nous loger et nous avons donc tous déménagé à Hemiksem. Nous devions garder le silence toute la journée, car en bas, dans le bistrot, les hommes se retrouvaient pour discuter autour d’une bière, et ils pouvaient entendre le moindre bruit provenant de l’étage. Poldine ne voulait pas que quiconque sache que des gens s’y cachaient, car cela l’aurait mise en danger. J’avais la chance d’avoir les cheveux blonds et de ne pas avoir l’air juive, alors j’avais le droit d’aller jouer dans la cour. Je n’avais que deux ans et demi, et selon Poldine, personne ne penserait que j’étais un enfant juif.

De gauche à droite : Anna, Marcelle (nièce d’Anna), Dora (sœur d’Anna, qui porte la fille de Marcelle dans ses bras), Regina, Twan (mari de Dora) et Charel, en 1943.
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De gauche à droite : Anna, Marcelle (nièce d’Anna), Dora (sœur d’Anna, qui porte la fille de Marcelle dans ses bras), Regina, Twan (mari de Dora) et Charel, en 1943.

Il y avait un trou dans le mur qui séparait la cour du bistrot de celle de l’épicerie mitoyenne, par lequel je pouvais passer de l’une à l’autre. Les propriétaires de l’épicerie s’appelaient Anna et Charel Jacobs-Van Dijck. Ce sont les meilleures personnes qu’il m’ait été donné de connaître.

Regina et les deux sœurs d’Anna, Dora et Fientje, font des courses à Anvers en 1944.
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Regina et les deux sœurs d’Anna, Dora et Fientje, font des courses à Anvers en 1944.

Le couple n’avait pas d’enfant mais avait deux chats, qu’Anna aimait beaucoup. Elle partageait chaque jour avec eux la nourriture qu’elle préparait pour elle-même et son mari. Un jour, tenaillée par la faim, je me suis faufilée par le trou dans le mur de la cour et j’ai emporté l’assiette de nourriture encore intacte. Je n’ai pas vu qu’Anna m’observait depuis sa cuisine, derrière les rideaux de la fenêtre. Elle a tout de suite compris que, si une petite fille d'à peine trois ans venait prendre la nourriture de ses chats, c’est que celle-ci devait se trouver dans une situation désespérée. Ce fut ma première rencontre avec Anna, qui allait devenir ma « mère de guerre » après que ma famille eut été dénoncée aux Allemands.

Les soldats allemands du campement d’Hemiksem ont appris que des Juifs se cachaient à l’étage du bistrot de Poldine. Nous n’avons pas su de qui ils tenaient que nous y vivions clandestinement avec d’autres familles juives, mais cela importait peu. Le bourgmestre d’Hemiksem a été sommé de conduire à Dossin les Juifs dénoncés, mais nous avons eu de la chance : avant de venir, il a envoyé son fils de douze ans voir Charel pour lui dire de se rendre chez Poldine nous avertir de son arrivée imminente. Charel a dit à mes parents de prendre tout ce qu’ils pouvaient emporter et de partir avec mes frères, et que, s’ils le voulaient, je pouvais rester avec Anna et lui jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un refuge sûr. Mes parents n’ont pas eu le choix. Ils ont dû prendre une décision sur-le-champ alors qu’ils ne savaient pas où aller. Ils ont donc accepté de me laisser avec Anna et Charel et de revenir me chercher quand le danger serait écarté. J’ai vécu avec ce couple d’une grande bonté jusqu’à la fin de la guerre.

« Parents de guerre »

Je menais une vie de rêve chez Anna et Charel. J'étais libre de courir partout et d’aller faire quelques courses quand j’en avais envie. J’avais ma propre chambre – un luxe à l’époque – et, surtout, j’étais entourée d’amour. Anna et Charel m’ont donné tout ce dont j’avais besoin, et plus encore. Ce n’est que bien des années après la guerre que nous avons découvert que tout le monde à Hemiksem savait que j’étais juive ; malgré cela, je n’ai jamais été dénoncée. Lorsque la guerre a pris fin et que j’ai eu six ans, le temps était venu pour moi d’aller à l’école primaire. Mon instituteur de maternelle a dit à Anna et à Charel qu’il valait mieux que j’aille à l’école à Anvers, où l’enseignement était de meilleure qualité. Anna et Charel ont donc envoyé un mot à mes parents pour leur demander de venir me chercher et de me ramener chez moi, à Anvers. Mes parents et mes frères y étaient retournés après s’être cachés dans quinze endroits différents au cours des trois années et demie précédentes. Charel le savait car, pendant tout le temps où je vivais avec lui et Anna, il était allé leur apporter de la nourriture.

Regina et son ami Robert à Hemiksem, en 1944.
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Regina et son ami Robert à Hemiksem, en 1944.

Mes parents ont accepté, mais quand ma mère est venue me chercher, je ne l’ai pas reconnue. Charel m’a rassurée en m’expliquant qu’il s’agissait bien de ma mère et qu’elle allait me ramener à la maison. Mais je ne comprenais pas car je me sentais chez moi à Hemiksem. Ma mère a demandé à Anna et à Charel : « Comment pouvons-nous vous remercier d’avoir sauvé non seulement notre fille, mais notre famille entière ? D’avoir, pendant plus de trois ans, régulièrement bravé le couvre-feu pour nous apporter des vivres et des provisions au péril de votre vie ? » La gratitude de ma mère était sans borne. Anna et Charel n’avaient pas d’enfant, et ils m’aimaient tellement qu’ils ne désiraient qu’une seule chose : que notre lien perdure, que leur enfant « adoptive » ne leur soit pas complètement enlevée. Ma mère leur a promis que je pourrais venir chez eux tous les vendredis après l’école et rester jusqu’au dimanche soir. C’est ainsi que j’ai vécu le reste de mes jeunes années, jusqu’à ce que je rencontre mon mari.

La semaine, je vivais avec ma famille orthodoxe et j’allais dans une école juive, et le week-end je vivais avec Anna et Charel comme un enfant non juif. Le retour auprès de mes parents et de mes frères a été difficile au début, parce qu’ils avaient affronté la guerre ensemble, en tant que famille juive, alors que je l’avais vécue avec des gens qui n’étaient pas juifs. J’ai dû réapprendre à vivre selon le judaïsme la semaine, en respectant toutes les règles régissant l’alimentation et la conduite. Le week-end, j’étais libre de tout oublier. Avec le temps, j’ai fini par retrouver ma place au sein de ma famille et de ma religion, mais je n’ai jamais cessé d’être celle que j’étais dans ma deuxième vie.

Travail de mémoire

Regina Sluszny en 2022.
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Regina Sluszny en 2022.

J’avais vingt ans lorsque j’ai épousé mon mari, Georges. Enfant caché lui aussi, il avait perdu sept membres de sa famille pendant la guerre. Anna et Charel ont fait de lui un membre à part entière de notre famille. Ils sont venus à notre mariage et étaient à nos côtés à la naissance de nos deux enfants, qui ont grandi en les appelant « tante Anna » et « oncle Charel ». Ils m’ont considérée comme leur propre fille jusqu’à la fin de leur vie et, pour moi, ils étaient mes autres parents, des membres de ma famille à part entière.

Photographies à l’appui, Regina Sluszny raconte son histoire à des élèves d’un collège d’Anvers, en 2022.
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Photographies à l’appui, Regina Sluszny raconte son histoire à des élèves d’un collège d’Anvers, en 2022.

En signe de gratitude éternelle, le Yad Vashem, mémorial de l’Holocauste en Israël, décerne le titre de « Juste parmi les nations » à celles et ceux qui ont aidé à sauver des Juifs pendant l’Holocauste. Les rescapés ont le devoir de les honorer. Le 13 juillet 2010, à ma demande, Anna et Charel ont reçu un certificat d’honneur de Yad Vashem. Je continue à raconter mon histoire pour que l’on se souvienne du courage d’Anna et de Charel, et de celui de tous les autres Justes.

Cela fait plus de vingt ans que je me rends dans des écoles et sur des lieux de travail pour livrer mon témoignage et celui de Georges sur notre vie pendant la guerre. J’ai parlé à des jeunes d’une douzaine d'années, à des étudiants et à des adultes de toutes origines et de toutes confessions, en Belgique et même parfois à l’étranger. Notre histoire a également été relatée par Paul de Keulenaer dans un ouvrage intitulé The Forgotten Children of the War. Quel que soit leur âge, les jeunes que je rencontre méconnaissent pour la plupart les atrocités commises lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils sont la preuve vivante qu’il importe plus que jamais de continuer à raconter l’histoire des enfants cachés si l’on veut que les générations futures ne restent pas dans l’ignorance et tirent des leçons de l’histoire. Car sans mémoire du passé, il n’y a pas d’avenir.

La désinformation vue par l’équipe de diplomatie publique de l’OTAN

Malgré l’abondante documentation rassemblée sur le génocide et les preuves circonstanciées des abominations commises pendant la Seconde Guerre mondiale, certains continuent à nier la réalité de l’Holocauste. Propos antisémites et fausses informations sur ce terrible crime historique circulent librement sur internet, amplifiés par les médias sociaux et les outils numériques modernes utilisés par tout un chacun. Mais la désinformation n’est pas un phénomène nouveau : elle a contribué à rendre possible l’Holocauste lui-même. Le parti nazi s’est servi de la désinformation, de la propagande et des médias comme d’une arme pour faciliter l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en Allemagne dans les années 1930. Les campagnes de désinformation nazies ont mobilisé l’opinion publique contre les groupes les plus vulnérables de la société.

Encore aujourd’hui, des acteurs malveillants continuent à user du pouvoir de la désinformation sur l’opinion publique en s’en prenant à nos valeurs, à la démocratie et à l’état de droit. Ils cherchent ainsi à semer la division et la confusion, exacerbant les clivages et minant la confiance dans les institutions. Ils tentent également, dans une perspective à long terme, d’agir sur les habitudes et les comportements pour influer sur les décisions des dirigeants et des simples citoyens et pour inspirer des actions concrètes, comme la propagation de la haine envers les minorités.

Il apparaît donc essentiel de lutter contre la désinformation, non seulement parce que notre mission à l’OTAN est de sauvegarder et de défendre nos valeurs, mais aussi parce que la désinformation sur l’Holocauste nous empêche de prendre connaissance des faits, d’appréhender le cours de l’histoire et de faire en sorte que de telles atrocités ne se reproduisent jamais. Comment l’OTAN contribue-t-elle à cet objectif ? D’abord, elle s’attache à comprendre l’environnement informationnel, en particulier ce qui a trait à la désinformation, pour pouvoir y opposer une réponse crédible. Ensuite, l’OTAN s'adresse à la population. Elle considère qu’une communication factuelle, transparente et proactive est le meilleur moyen de lutter contre la désinformation. Une population bien informée est moins susceptible d’être manipulée par des messages hostiles ; chaque citoyen est alors en mesure de s’appuyer sur les faits pour forger sa propre opinion et faire ses propres choix.