Au nom de la résilience : porte-voix de ses compagnons d’armes aux Jeux Invictus 2023, elle veut faire bouger les lignes durablement

J’ai rejoint la Bundeswehr en 2011. J’assumais des fonctions d’encadrement au sein de la police militaire dans le domaine de la protection individuelle et des opérations d’intervention. Il ne s’agissait pas d’un simple travail : je voulais me dépasser et agir concrètement dans un monde en proie à de nombreux conflits. Je me suis toujours impliquée personnellement dans mon travail, qui est une partie de moi-même.

En 2019, j’ai été blessée dans l’exercice de mes fonctions, et ma vie tant professionnelle que personnelle s’est retrouvée bouleversée du jour au lendemain. Assaillie d’émotions jusqu’alors inconnues, j’ai été submergée par un sentiment de perte, par l’incertitude et la crainte face à un avenir flou. J’avais toujours eu un tempérament fonceur, et rien ne pouvait me détourner de mes objectifs. Mais la vie avait d’autres projets pour moi.

Le groupe de thérapie par le sport et le centre de médecine sportive de la Bundeswehr m’ont apporté un soutien inestimable au cours de cette période éprouvante. Leurs équipes de professionnels dévoués m’ont non seulement aidée à me rétablir physiquement, mais m’ont aussi proposé de précieux outils de réadaptation. Grâce à eux, j’ai appris que ma force ne se résume pas à mes aptitudes physiques, et qu’elle est également faite de persévérance et de courage. Pendant ma convalescence, mes médecins m’ont aidée à me fixer des objectifs, dont l’un était de participer aux Jeux Invictus.

Les Jeux Invictus ont été créés en 2014 à l’initiative du prince Harry, un an après que celui-ci a assisté aux Warrior Games organisés aux États-Unis. Il venait alors d’achever son déploiement en Afghanistan au sein des forces armées britanniques dans le cadre de la mission multinationale de l'OTAN, et l’idée lui est venue de créer une compétition analogue à l’échelle internationale. La première édition des Jeux Invictus s’est déroulée à Londres en 2014, avec la participation de 400 athlètes venus de 13 pays. Cette année, pour leur sixième édition, les jeux rassembleront 550 sportifs venus de 21 pays et concourant dans dix disciplines différentes.

Avant ma blessure, je jouais au football, mais je me suis découvert un goût pour la natation et le cyclisme pendant ma rééducation. Je n’aurais jamais imaginé faire de la natation, mais les événements que je traversais alors m’ont fait changer de perspective. Je me suis demandé si mon accident pouvait avoir des aspects positifs, et je me suis notamment aperçue que j’avais développé une plus grande tolérance à la douleur, ce qui m’a permis de faire de nouvelles expériences, comme la nage en eaux glacées. Aujourd'hui, je suis plus forte que jamais. Chaque brassée et chaque pas me le prouvent.

Tandis que je reconstruisais ma vie peu à peu, les Jeux Invictus sont devenus un objectif et une source de motivation. L’idée que le sport a le pouvoir de nous aider à surmonter les obstacles qui se dressent sur notre chemin a eu un profond écho en moi et continue chaque jour de me donner de l’élan. La perspective de faire partie de cette aventure hors du commun a allumé une étincelle en moi – une étincelle qui s’est transformée en feu lorsque j’ai appris que j’avais été sélectionnée pour représenter l’Allemagne aux Jeux.

Faire partie de l’équipe allemande est un immense honneur. Il ne s’agit pas simplement de participer à une compétition sportive, mais de porter la voix de ceux et celles qui font face à l’adversité. L’esprit de camaraderie qui règne entre les athlètes est galvanisant. Nous sommes comme unis par un lien invisible, nous comprenons nos luttes respectives et nous nous encourageons les uns les autres. En intégrant l’équipe, j’ai rencontré des gens qui avaient eux aussi affronté des épreuves difficiles. Nos expériences communes nous ont permis de tisser des liens profonds. Et l’essentiel n’est pas ce que nous avons perdu, mais ce que nous sommes toujours capables d’accomplir. Nous nous préparons depuis plus d’un an pour les Jeux Invictus, en nous entraînant sans relâche au centre de formation sportive de la Bundeswher, à Warendorf. Chaque séance m’a donné un supplément d’énergie pour avancer. Je fais partie d'une équipe formidable, qui est devenue comme une famille pour moi.

L’approche des Jeux Invictus m’emplit d’excitation et d’impatience, et je suis heureuse et fière qu’ils se déroulent dans mon pays. Ils sont une occasion sans pareille de montrer, non seulement au public allemand mais au monde entier, le pouvoir de la résilience, de montrer qu’il ne faut jamais baisser les bras, quelles que soient les difficultés.

L’organisation irréprochable de la compétition témoigne d’une vraie volonté de faire vivre à tous les athlètes un moment inoubliable. J’en suis infiniment reconnaissante aux organisateurs. L’effervescence est palpable, comme si une vague d’espoir et de détermination s’apprêtait à déferler sur Düsseldorf.

Alors que mes coéquipiers et moi attendons le top départ, je suis gagnée par diverses émotions allant de l’excitation à la nervosité, en passant par la gratitude. Cette compétition représente bien plus qu’une performance individuelle, ou même qu’une avancée sur la voie de la guérison. Elle redonne la parole aux combattants qui l’ont perdue, à ceux qui ne peuvent être présents. Plus qu’une simple manifestation sportive, les Jeux Invictus qui se tiendront cette année à Düsseldorf seront un hommage vibrant à la ténacité et à l'endurance dont les êtres humains sont capables.

Pendant ma convalescence, j’ai eu la chance d’avoir des supérieurs qui avaient foi en mes capacités et qui n’ont jamais ajouté à mes difficultés. Nous avons célébré ensemble chaque petite victoire, et ils m’ont laissé l’espace dont j’avais besoin pour me rétablir.

Mais je sais que tout le monde ne bénéficie pas d’un tel soutien et que des efforts de sensibilisation restent nécessaires dans de nombreuses unités. Certains militaires rencontrent des obstacles ou sont privés de la compréhension et de l’empathie dont ils ont pourtant besoin pour faire face à ce qu'ils traversent. Il est crucial que des formations soient dispensées à tous les personnels d’encadrement, quel que soit leur niveau de responsabilité, pour qu’ils connaissent mieux le processus de réadaptation. Il est essentiel qu’ils comprennent les problèmes physiques et psychologiques auxquels les membres de leur équipe sont confrontés pour être à même de les aider comme il se doit. Grâce à des structures adaptées et à un réel investissement, ils peuvent favoriser un climat de compassion et d’écoute, dans lequel tout le monde se sent en sécurité, entendu et apprécié à sa juste valeur.

La hiérarchie ne doit pas se contenter de soutenir les soldats en convalescence, elle doit aussi faire sentir à l’ensemble des personnels qu’elle croit en eux et qu’elle leur fait confiance. Lorsqu’ils savent que leurs supérieurs ont conscience de leur potentiel, ceux-ci visent l’excellence et deviennent plus forts.

Les Jeux Invictus nous montrent les bienfaits d’une telle approche : derrière chaque athlète se trouve un réseau de soutiens, parmi lesquels ses supérieurs hiérarchiques. Je suis fermement convaincue que cet état d’esprit doit perdurer après la compétition, qui est bien plus qu’un simple événement sportif. Nous ne devons surtout pas manquer cette occasion de faire bouger les lignes durablement, aussi bien en Allemagne que dans le reste du monde.

C’est pourquoi j’appelle les responsables politiques et les décideurs à prendre conscience de l’importance de cette compétition et à investir dans les programmes et initiatives qui permettent aux athlètes d’y participer.

Il faut tout d’abord mettre l’accent sur le renforcement des programmes de réadaptation, en veillant à ce qu’ils restent accessibles à tous ceux et toutes celles qui en ont besoin. Ces programmes aident leurs bénéficiaires à se rétablir physiquement, mais aussi à trouver les ressources émotionnelles et psychologiques qui leur permettront de faire face aux conséquences irréversibles de leurs blessures. L’appui inestimable que m’ont apporté le groupe pour la thérapie par le sport et le centre de médecine sportive de la Bundeswehr en sont un bon exemple.

Ensuite, il est d’une importance primordiale de soutenir le secteur de la santé dans son ensemble. Le chemin vers la guérison ne s’arrête pas à la dimension physiologique : il s’agit également de soigner les blessures invisibles dont souffrent vétérans, policiers, pompiers et, plus largement, toutes les victimes de traumatismes.

Enfin, nous devons investir dans des initiatives telles que les Jeux Invictus et leur Fondation, qui permettent aux athlètes de former des communautés et des réseaux d’aide internationaux, qui donnent plus de visibilité aux accomplissements des militaires accidentés ou blessés, et qui encouragent les personnes dans la même situation à tenir bon.

J’appelle les responsables politiques à considérer les Jeux Invictus comme un symbole d’espoir et comme une occasion d’améliorer les choses. Les incidences de leurs décisions vont bien au-delà du terrain et peuvent changer la vie d’innombrables soldats d’active ou de vétérans et celle de leur entourage, y compris de leurs familles et compagnons d’armes. Ensemble, faisons advenir un monde qui prend soin et soutient ceux et celles qui servent et protègent, pas seulement pendant les Jeux Invictus mais pour le bien des générations à venir.

À l’image du Rhin, qui traverse Düsseldorf – ville hôte des Jeux Invictus – et qui figure sur l’emblème de l’édition 2023, le processus de réadaptation n’est pas linéaire. Il est sinueux, fait de hauts et de bas, mais aussi d'éclat et de puissance. Il nous transforme et nous rend plus forts. Les Jeux Invictus et le Rhin me rappellent que la beauté de la vie réside en notre capacité à avancer malgré les difficultés, même lorsque cela ne va pas de soi. La vie nous fait parfois faire des détours, mais elle nous offre aussi l’occasion d’évoluer et de grandir.

Lorsque j’ai pris mes fonctions au sein de la Bundeswehr, je n’aurais jamais imaginé faire ce que je fais aujourd'hui. Je suis désormais chercheuse et doctorante à l’université de la Bundeswehr, à Munich. Dans le cadre de mon doctorat, j’ai étudié la mission menée par l’OTAN en Afghanistan pour trouver comment une meilleure communication entre différentes forces militaires pourrait être assurée à l’avenir. Je partirai bientôt pour Rome afin d’intégrer le Collège de défense de l'OTAN, où j’enrichirai mes connaissances et m’acquitterai de nouvelles fonctions. Les entraînements auxquels j’ai participé, mon implication en tant que membre d’une équipe et les efforts que j’ai déployés pour me surpasser m’ont appris combien chaque nouvelle expérience compte. Les Jeux Invictus sont plus qu’un défi : ils sont un parcours d’exploration personnelle. Ce cheminement se poursuit dans tous les aspects de ma vie – ma vie privée, ma carrière et ma vie d’athlète.

Alors que je m’apprête à me lancer corps et âme dans l’aventure des Jeux Invictus, mon cœur est empli des espoirs et des rêves de mes camarades. Loin d’être une simple manifestation sportive, ces jeux sont une célébration de la vie et de la force de caractère dont les êtres humains sont capables. Je ne suis pas seule dans cette aventure : il s’agit d’une entreprise collective, dans laquelle nous unissons notre courage pour faire bouger les lignes sur le long terme. J’appelle chacun et chacune à faire siennes les valeurs portées par les Jeux Invictus, à soutenir ceux et celles qui ont tant sacrifié, et à faire en sorte que ce formidable événement favorise durablement la guérison, l’unité et l’entraide. Ensemble, nous pouvons œuvrer à un monde qui honore et vient en aide à ceux et celles qui ont affronté l’adversité en usant d’un courage indéfectible et d’une ténacité à toute épreuve. Tablons que les Jeux Invictus contribueront à façonner un avenir meilleur. Que les jeux commencent, et que le courant de la vie puisse continuer de nous faire emprunter des chemins imprévisibles, mais qui recèlent moult richesses.