Face aux menaces et au « climat d’instabilité » (concept stratégique de l’OTAN), les Alliés doivent rendre la société plus résiliente, ce qui exige plus d’efforts de leur part. Les défis qu’ils ont à relever ensemble se multiplient, comme l’illustre le document stratégique du Royaume-Uni Integrated Review Refresh, qui indique que le monde est « marqué par l’instabilité et la conflictualité ». Pour mieux s’y préparer, il faut mettre en place une approche mobilisant tous les pans de la société, ainsi que l’indique le Cadre de résilience du Royaume-Uni. La communication en est la clé de voûte, car c’est elle qui permet d’informer, de mobiliser et de préparer la population.
Les frontières du paysage médiatique s’estompent de plus en plus, ce qui laisse à nos adversaires plus de latitude pour investir l’espace informationnel, nuire à la coopération à l’échelle mondiale et entamer le crédit dont jouit la démocratie libérale. Cela étant, il est encore possible de rallier l’opinion publique. J’ai pu constater le pouvoir de la communication quand il s’agit de se préparer à des chocs majeurs, d’en atténuer les effets et de se relever après coup. Que ce soit pour répondre à une crise soudaine ou faire évoluer des mentalités et des comportements bien ancrés dans la société, communiquer efficacement sur la base de faits véridiques reste essentiel si l’on veut contrer ses adversaires.
Les autorités britanniques peuvent se prévaloir d’une certaine excellence professionnelle en la matière, ayant au fil des ans emmagasiné de l’expérience, en apprenant de leurs erreurs et en collaborant avec leurs alliés. Elles agissent et communiquent de manière proactive sur le fondement de faits avérés, en tenant compte des expériences antérieures. Pour renforcer leur résilience, tant individuelle que collective, les pays de l’OTAN doivent apprendre les uns des autres. Ainsi, lorsqu’une nouvelle crise éclatera, ils seront tous mieux préparés.
Communiquer en période de crise
Ces dernières années, le Royaume-Uni a dû faire face à une série de crises qui ont nécessité des réponses adaptées. Prenons par exemple l’affaire des empoisonnements de Salisbury en mars 2018. En faisant un usage inconsidéré d’un agent neurotoxique, qui a fait une victime, la Russie a montré qu’elle ne faisait aucun cas des règles internationales. Les autorités britanniques ont réagi en présentant des preuves irréfutables et en assurant une communication claire, comme en atteste la lettre adressée au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, par Sir Mark Sedwill, alors conseiller à la sécurité nationale du Royaume-Uni. S’appuyant sur des éléments de renseignement déclassifiés, celui-ci affirmait dans cette lettre officielle que « seule la Russie » possédait « les moyens techniques [et] l’expérience opérationnelle » nécessaires pour commettre un tel acte et avait « des raisons » de le faire. Suite à cette affaire, des pays du monde entier ont fini par expulser un grand nombre d’officiers du renseignement russe.

Des agents en combinaison s’affairent autour de la tente de la police scientifique qui recouvre le banc sur lequel étaient assis Sergueï Skripal et sa fille Ioulia – Salisbury (Royaume-Uni), 8 mars 2018 © Reuters
À chaque nouvelle crise, j’ai notamment pour rôle, en tant que directeur de la communication chargé des questions de sécurité nationale au niveau interministériel, de faire clarifier les objectifs par le ministre concerné. J’ai remarqué que les responsables politiques savent souvent instinctivement ce qui compte vraiment dans ces moments de tension. Ils tirent leur autorité de leur légitimité démocratique, qui découle elle-même de leur compréhension de l’opinion publique et de leur capacité à la prendre en considération.
En période de crise, les responsables doivent pouvoir s’appuyer sur les avis de spécialistes, corroborés par des données fiables. La pandémie de COVID-19 a montré tout l’intérêt de mettre en place un centre de communication pour pouvoir collecter ces données. Au Royaume-Uni, nous avons ainsi conçu, de A à Z, une plateforme de communication interministérielle réunissant des spécialistes de différents domaines : médias, marketing, numérique, visualisation de données, analyse des besoins et attentes du grand public, et sciences comportementales. Les membres de l’équipe, qui travaillaient sur un même site, réagissaient rapidement à mesure que l’épidémie se propageait, en s’appuyant sur des éléments probants pour prendre leurs décisions. Par exemple, nos données ont révélé que le vaccinoscepticisme, en particulier dans certaines franges de la population ou certains groupes, était un véritable problème au début de la pandémie. Nous avons ainsi mis sur pied toute une campagne d’information pour lutter contre la mésinformation et expliquer le fonctionnement des vaccins, ce qui a permis de réduire considérablement l’ampleur de ce phénomène. Grâce à la plateforme de communication mise au point, nous avons été en mesure de diffuser rapidement et au bon moment des messages de qualité, sans devoir renoncer à la rigueur de mise dans le cadre de la communication « en temps de paix ».
Fins, méthodes et moyens
Pour atténuer les effets des crises, nous devons rendre la société plus résiliente, et la solution la plus efficace dont nous disposions pour y parvenir consiste à assurer une communication stratégique dans la durée. Chacun est ainsi informé et peut agir en conséquence, limiter les risques pour soi-même et pour les autres, et se préparer avant qu’une nouvelle crise survienne afin de pouvoir rester en sécurité le moment venu.
L’une des lettres qui m’ont rendu le plus fier est celle que j’ai reçue d’un officier supérieur de la Metropolitan Police de Londres au sujet d’une campagne de communication des autorités britanniques visant à inciter la population à signaler des objets ou colis suspects. Dans sa lettre, l’officier se félicitait de l’efficacité de cette campagne, indiquant que celle-ci avait permis de sauver des vies en aidant la police à déjouer des attentats terroristes. Évidemment, la communication a ses limites, mais lorsqu’elle est bien pensée, elle constitue un outil efficace parmi d’autres pour empêcher le pire de se produire.
Le général Sir Nick Carter, ancien chef d’état-major des armées du Royaume-Uni, m’a rappelé un jour qu’une stratégie consistait à déterminer les méthodes et moyens à mettre en œuvre pour parvenir à ses fins au service d’un objectif. La communication stratégique a généralement pour objectif de faire évoluer certains comportements dans un délai précis. Pour ce faire, on met en place une campagne soutenue prenant la forme d’une série d’interventions publiques coordonnées et homogènes, qui font appel à toutes les techniques de communication.
Il en résulte une campagne de communication à propos et pertinente, qui atteint son objectif. Elle doit être menée dans le respect des valeurs démocratiques que sont la confiance et la transparence. Et surtout, elle doit avoir une assise populaire solide, comme le montre la réponse des Ukrainiens à l’invasion à grande échelle de leur pays par la Russie.
Étude de cas : les sept règles de Volodymyr Zelensky
Le président, le gouvernement et le peuple ukrainiens nous ont montré tout l’intérêt de s’unir autour d’un objectif fondé sur des valeurs. Le président Zelensky et son équipe ont mis au point une nouvelle approche de la communication publique, dont on peut dégager sept règles :
- Maintenir un rythme soutenu : la nature du conflit nécessite une communication constante.
- Assumer une part de risque : le président accepte, à juste titre, les inconvénients qui vont inévitablement de pair avec ce rythme soutenu, en particulier les risques auxquels il s’expose lui-même lorsqu’il se rend sur le front.
- Avoir des contacts directs : le président fait d’innombrables interventions à travers le monde pour plaider la cause de l’Ukraine, en s’adressant directement à ceux qu'il souhaite convaincre.
- Être clair : l’emploi de formules accrocheuses permet de donner plus de corps au message, comme « avec ou sans vous » ou « je n’ai pas besoin d’un taxi, j’ai besoin de munitions ». Il permet de créer du lien et de clarifier les attentes.
- Galvaniser : faire passer en temps opportun des messages pertinents est aussi une manière efficace d’influencer et de motiver.
- Adresser des mises en garde à Moscou : le président Zelensky s’adresse à ses adversaires directement, sur un ton mesuré mais péremptoire.
- Appliquer le principe des trois « V » – format vidéo, fort impact visuel et voix crédible : tous les messages sont systématiquement diffusés sur les réseaux sociaux sous la forme d’une vidéo, avec une voix crédible et un fort impact visuel.
Cette approche modulable adoptée par le président Zelensky et son équipe constitue une nouvelle façon d’utiliser les médias numériques dans le monde d’aujourd’hui. Elle a non seulement un effet dissuasif sur l’adversaire de l’Ukraine, mais elle est aussi une source d’inspiration pour les alliés du pays. L’exemple ukrainien montre bien que dans le domaine de la communication, la forme compte autant que le fond.

Pedro Sánchez (premier ministre de l’Espagne), Recep Tayyip Erdoğan (président de la Türkiye), Boris Johnson (premier ministre du Royaume-Uni), Joe Biden (président des États-Unis), Jens Stoltenberg (secrétaire général de l’OTAN) et Volodymyr Zelensky (président de l’Ukraine) lors du sommet de Madrid (Espagne) (qui a eu lieu du 28 au 30 juin 2022).
© NATO
Une communication stratégique efficace
Pour être efficaces, la communication stratégique et la communication de crise doivent être assurées par un groupe de communicants professionnels qui œuvrent à un même objectif. Les services de communication des gouvernements et des armées doivent être suffisamment préparés, posséder les compétences adéquates et éviter de travailler en vase clos. Dans le cas contraire, à moins d’avoir beaucoup de chance, il leur est presque impossible de mettre en place une bonne communication stratégique. Pour assurer une communication efficace, ces services doivent ainsi suivre les trois grands principes suivants.
1 – Faire preuve d’excellence
Aujourd’hui, pour toucher le public cible, il est nécessaire d’utiliser tout l’éventail des techniques de communication disponibles. On ne peut plus se contenter de publier de simples communiqués comme on le faisait avant. Nos adversaires ont investi fortement dans la communication numérique de masse et créé tout un réseau d’acteurs en mesure de semer le trouble, ce qui fait qu’il est plus difficile de discerner le vrai du faux. Dans un environnement informationnel où chacun peut s’exprimer et où les algorithmes déterminent les informations que chacun reçoit, nos équipes de communication doivent avoir les compétences nécessaires pour faire entendre leurs messages.
2 – Collaborer
Cette excellence professionnelle doit être de mise dans l’ensemble du secteur de la communication. Tous les professionnels de la communication doivent se mettre au service d’un objectif commun, à savoir protéger le public, au lieu de défendre exclusivement leur cause ou l’organisme pour lequel ils travaillent. À l’image de notre société, qui est tributaire aujourd’hui de multiples systèmes et réseaux reliés entre eux, nos équipes de communication doivent faire fi des barrières organisationnelles et des frontières géographiques et prendre acte de la convergence de nos objectifs. Comme l’indique Elizabeth Kennedy Trudeau dans un article récemment publié dans la Revue de l’OTAN, les responsables de la communication de l’OTAN ne pourront lutter efficacement contre la désinformation qu’en menant « une action globale et coordonnée ». Pour accroître globalement notre efficacité, nous devons nous exercer collectivement, nous préparer ensemble à différentes éventualités et apprendre les uns des autres.
Même au niveau national, il est possible de coopérer. Au titre de l’agenda OTAN 2030, les Alliés se sont engagés à élaborer « une proposition en vue d’établir, d’évaluer et de revoir des objectifs de résilience, et d’en assurer le suivi, pour guider l’élaboration, au niveau national, des buts [...] en matière de résilience ». Dans son propre Cadre de résilience, le gouvernement britannique reconnaît que ce qui se passe ou ce qui a une incidence ailleurs, dans d’autres pays ou dans des espaces « non gouvernés », peut évoluer rapidement et toucher le Royaume-Uni. Quoi qu’il en soit, les autorités du pays ont appris à atténuer les risques qui pèsent sur les réseaux et les systèmes. Par exemple, leur campagne Cyber Aware, visant à sensibiliser les citoyens aux comportements à risque en ligne et aux enjeux de la cybersécurité, contribue à réduire les risques systémiques.
3 – Organiser des campagnes selon un modèle précis
Troisièmement, les services de communication des gouvernements et des armées doivent inscrire chacune de leurs interventions dans une campagne conçue sur un modèle donné. Il faut pouvoir apporter des démentis à l’aide d’éléments probants, respecter un calendrier précis, pour mettre en évidence l’urgence de la situation, et être créatif, en s’appuyant sur l’expérience humaine pour déterminer ce qui aura de l’effet sur les gens.
Au Royaume-Uni, on utilise le modèle OASIS (Objectives, Audience, Strategy, Implementation, Scoring), que l’OTAN a également adopté. Selon ce modèle, chaque activité de communication doit avoir un objectif clair, cibler un public précis, reposer sur une stratégie bien définie, être mise en œuvre par étapes et être assortie d’un mécanisme rigoureux de notation et d’évaluation.
L’équipe de communication du Bureau du Cabinet chargée des questions de sécurité nationale a récemment mis sur pied plusieurs campagnes ciblées. Ainsi, la campagne Don’t Feed The Beast invitait à se poser cinq questions simples pour éviter le piège de la mésinformation. Grâce à elle, le nombre de personnes s’assurant de la véracité d’un article avant de le relayer a augmenté de 21 %. La campagne Digital and Tech China, quant à elle, consistait à énoncer des « règles d’or » à respecter quand on commerce avec la Chine. Ces règles ont été adoptées par un tiers des entreprises ciblées. Enfin, la campagne Trusted Research a permis d’augmenter de 56 % la capacité du public cible à détecter les menaces.
Ces campagnes répondent à des besoins précis et ont un impact concret et mesurable, mais la contribution de chacune à l’accroissement de la résilience collective de la société britannique est minime. Si l’on transpose cet objectif à tous les pays de l’OTAN (un milliard de personnes) et aux pays partenaires, y compris l’Ukraine, on se rend compte de l’ampleur de la tâche qui nous attend.
Conclusion
Comme on a pu le constater dans l’actualité récente, la communication est primordiale. Les pays membres et les pays partenaires de l’OTAN peuvent être fiers de ce qu’ils accomplissent pour soutenir l’Ukraine. Ils ont mis en place une stratégie de communication efficace à l’appui de cet effort, comme l’illustre, par exemple, la décision de rendre publics des renseignements sur le fait que la Russie s’apprêtait à envahir son voisin, ce qui a permis de réfuter par avance la rhétorique du Kremlin. En sensibilisant et en informant la population de nos pays, nous la rassurons sur la réponse des pouvoirs publics et de l’OTAN.
Lorsqu’une nouvelle situation d’urgence se produira, les gouvernements des pays de l’OTAN devront de nouveau recourir à la communication de crise pour montrer que tout est sous contrôle et qu’ils ne restent pas les bras croisés, pour amener les citoyens à se mobiliser, les convaincre que rien n’est laissé au hasard et leur donner foi en l’avenir. D’ici là, nous devons mettre en place une communication stratégique efficace qui permette de rendre toutes les sphères de la société résilientes. Plus les citoyens prendront conscience de tout ce qui pourrait aujourd’hui compromettre notre bien-être économique et sociétal, plus ils seront nombreux à rechercher de manière proactive les outils et le soutien dont ils ont besoin. La résilience se construit au niveau local, mais l’histoire récente montre qu’elle gagne en efficacité lorsque tous les niveaux collaborent.
Même si le monde évolue vite, une communication efficace reposant sur des faits portera toujours ses fruits. Dans sa lettre adressée au secrétaire général de l’OTAN en avril 2018, Sir Mark Sedwill disait : « Je sais que l’OTAN restera déterminée à faire face à l’agressivité grandissante de la Russie. » Cinq ans plus tard, cette confiance dans la détermination de l’OTAN est plus forte que jamais.