Le Commandement interarmées du soutien et de la facilitation (JSEC) a atteint sa capacité opérationnelle initiale le 17 septembre 2019. Élément important du dispositif de dissuasion et de défense renforcé de l’OTAN en réponse à l’évolution de l'environnement de sécurité, ce commandement contribuera à accélérer, à coordonner et à garantir les mouvements des forces et des équipements alliés à travers les frontières européennes.

La création du JSEC, de même que celle de son QG jumeau, le commandement de forces interarmées (JFC) de Norfolk, a été entérinée par les ministres de la Défense des pays de l’OTAN en février 2018. Si le JFC de Norfolk contribue à garantir que les voies maritimes entre l’Amérique du Nord et l'Europe restent sûres, le JSEC couvre ce que l’on appelle la « zone arrière » en Europe. L’Allemagne a joué un rôle central dans la constitution du JSEC, sa posture militaire et sa situation de plaque tournante logistique en Europe faisant d’elle le « pays-cadre » idéal. Le JSEC fait partie de la structure de forces de l'OTAN et relève du commandement opérationnel du Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR). Dans un premier temps, le JSEC comptera environ 280 effectifs (en temps de paix). Dans le tableau d'effectifs du temps de crise, ce chiffre sera évidemment plus élevé.

En situation de crise, le nouveau Commandement interarmées du soutien et de la facilitation de l’OTAN contribuerait à garantir le déploiement rapide des renforts et du matériel militaire à travers l’Europe, selon les besoins. © Bundeswehr / A. Bier
)

En situation de crise, le nouveau Commandement interarmées du soutien et de la facilitation de l’OTAN contribuerait à garantir le déploiement rapide des renforts et du matériel militaire à travers l’Europe, selon les besoins. © Bundeswehr / A. Bier

La zone arrière : un nouveau défi ?

Depuis l'annexion, illégale, de la Crimée par la Russie, en 2014, et compte tenu de l’augmentation des défis de sécurité émanant du sud, notamment des attaques brutales de l’EIIL/Daech et d’autres groupes terroristes, l’OTAN a procédé au plus grand renforcement de la défense collective depuis la Guerre froide et adopté une approche à 360°.

Les commandants et les planificateurs se sont aperçus qu’il existait une lacune dans la zone de responsabilité du SACEUR. Si, au cours d’un conflit, un grave incident de sécurité survenait à un millier de kilomètres derrière les lignes de front, qui serait chargé d’intervenir ? Serait-ce le SACEUR lui-même, ou l’un des deux commandants de forces interarmées (Brunssum et Naples), chacun pour sa zone d'opérations interarmées (JOA) ? En effet, les commandements seraient déjà occupés par des opérations militaires au sein de leur JOA respective. Une zone arrière sécurisée, conjuguée à la capacité de renforcer rapidement les troupes, permettrait aux deux commandements de se concentrer sur leur mission fondamentale – les opérations de combat – et représenterait également un facteur essentiel de succès pour leurs activités.

Pourquoi a-t-on besoin d’un nouveau quartier général pour la zone arrière alors qu’il n’y en avait pas pendant la Guerre froide ? Cela se justifie pour trois grandes raisons : la posture militaire, la géographie et la planification.

Premièrement, les capacités militaires de l'OTAN ont été considérablement réduites ces trente dernières années. Contrairement à la posture qu’avait adoptée l’OTAN durant la Guerre froide, les Alliés ne maintiennent actuellement, dans la partie orientale de l'Alliance, qu’une présence avancée limitée, qui se mesure en bataillons plutôt qu’en divisions. Cela signifie que la disponibilité opérationnelle et la capacité à renforcer rapidement les troupes – par la zone arrière – sont des éléments essentiels du dispositif de dissuasion et de défense.

Deuxièmement, avec l’adhésion à l’OTAN de pays d’Europe orientale, les distances se sont allongées. Par le passé, un convoi de l’armée de terre des États-Unis, par exemple, partant du port de Rotterdam pour se rendre à la frontière de l’Allemagne de l’Ouest, devait parcourir environ 500 kilomètres et n’avait qu’une frontière à traverser. Aujourd’hui, pour atteindre Tallinn, la distance est de plus de 2200 kilomètres et les frontières à franchir sont au nombre de cinq. En fait, pendant la Guerre froide, de nombreux pays européens se situaient sur la ligne de front ou à proximité ; aujourd’hui, bon nombre d’entre eux en sont bien éloignés (que les distances soient réelles ou perçues comme telles).

Troisièmement, pendant la Guerre froide, la planification par l’OTAN des déploiements et des opérations était détaillée et précise. Par exemple, on savait exactement où et comment les bataillons de chars des pays de l’Alliance devaient être déployés en Allemagne de l’Ouest en cas d’escalade. Les itinéraires étaient prêts, les procédures avaient été testées et tout était mis en pratique régulièrement, notamment dans le cadre des exercices REFORGER (Return of Forces to Germany - Retour des forces en Allemagne) de l’OTAN.

Après la chute du mur de Berlin et la disparition du Pacte de Varsovie, le nombre de QG de l’OTAN a été réduit et la planification s’est estompée. L’OTAN s’est consacrée principalement à des opérations hors zone, notamment en Afghanistan, lesquelles nécessitent un différent type de planification et de logistique. Les missions de l’OTAN se déroulaient au moment et à l’endroit où les Alliés le jugeaient opportun. La planification était adaptée à la situation et les équipements étaient tout simplement transportés sur des navires commerciaux ou par avion, parfois même des avions affrétés auprès de l’Ukraine ou de la Russie.

Pour en revenir à l’Europe, de nouvelles infrastructures civiles – telles que des routes et des ponts – ont été construites sans qu’il soit tenu compte de la moindre considération militaire, ce qui n’est pas pour faciliter le transport d’un char de 60 tonnes du point A au point B. Aujourd'hui, alors que l’OTAN se recentre sur sa capacité à répondre rapidement à toute menace pesant sur son intégrité territoriale, la disponibilité opérationnelle est d’une importance capitale. Il convient donc de disposer de plans prêts à être activés sur simple pression d’un bouton. Toutefois, pour ce qui est des aspects logistiques et de planification, l’OTAN doit tout réapprendre.

Des forces britanniques en route pour l’exercice de l’OTAN Trident Juncture 2018 testent la mobilité militaire © OTAN
)

Des forces britanniques en route pour l’exercice de l’OTAN Trident Juncture 2018 testent la mobilité militaire © OTAN

Cependant, il serait trompeur de comparer la situation à celle de la Guerre froide. Dans l’actuelle approche à 360° de l’OTAN, des régions qui ne sont habituellement pas considérées comme faisant partie de la zone arrière pourraient le devenir. Les sociétés ont fondamentalement changé depuis 1989. Les États ont privatisé en grande partie leurs infrastructures critiques et presque tout est connecté à l’internet. Les nouvelles performances commerciales, telles que les livraisons « juste à temps », ont permis de supprimer les redondances dans de nombreux systèmes et organisations. Le cyberespace constitue un nouveau vecteur attrayant pour les activités malveillantes, et les sociétés ont à peine commencé à recenser les vulnérabilités et les dépendances qui viennent de voir le jour.

Ces vulnérabilités sont la cible de ce que l’on nomme la « guerre hybride », laquelle englobe des opérations clandestines pouvant inclure des cyberattaques, des campagnes de désinformation et du sabotage. Plus important encore, ces activités malveillantes sont menées principalement sous le seuil du conflit armé, c’est-à-dire en temps de paix. Ce que l’on désignait, pendant la Guerre froide, par préparation du secteur civil est à présent couvert – en partie – par le terme plus vaste de résilience (l’aptitude à se redresser ou à rebondir en cas de crise) et nécessite une approche mobilisant tous les rouages de l’État. Pour répondre à tous ces nouveaux défis, il faut être capable de cultiver l’esprit du débutant.

Les deux piliers du JSEC

La mission fondamentale du JSEC s’articule autour de deux piliers : la sécurité et la facilitation. Afin de remédier à la lacune recensée dans la zone de responsabilité du SACEUR, le JSEC met fortement l’accent sur la sécurité et la protection des forces pendant les crises, à la demande des pays souverains.

On pourrait imaginer que dans une situation de crise, un pays (hôte) ne soit pas capable de sécuriser la réception et le transit de troupes arrivant sur le terrain, soit parce que ses propres forces sont engagées dans une opération, soit parce que ses capacités militaires sont limitées. Cet Allié pourrait solliciter l’aide du JSEC, qui pourrait alors mettre en correspondance les offres et les demandes de soutien. Une autre solution pourrait être que le JSEC, en tant que QG interarmées pleinement capable, dispose également de troupes qui seraient placées sous son commandement tactique. D’autres scénarios pourraient prévoir la couverture aérienne de régions essentielles ou des couloirs de transport.

Ces scénarios ne se produiraient qu’en situation de crise, auquel cas le Conseil de l’Atlantique Nord devrait désigner une zone (arrière) pour le JSEC et convenir d’un plan opérationnel.

Le deuxième pilier de la mission du JSEC – la facilitation – est tout aussi important. La facilitation est un vaste terme, par lequel on entend non seulement la mobilité, mais aussi la fonctionnalité. Cela comprend tous les éléments qui facilitent et améliorent le transit en provenance et à destination des zones d'opérations interarmées.

À l'heure actuelle, les Alliés sont responsables du transport de leurs troupes et de leurs équipements jusqu’au front. Ces mouvements complexes sont régis par différents accords bilatéraux conclus entre les pays envoyeurs, de transit et hôtes. Dans un scénario de défense collective (couvert par l’article 5 du traité fondateur de l’OTAN), où une multitude de pays feraient transiter des unités militaires jusqu’aux zones d’opération interarmées, ce système serait fortement mis à l’épreuve. C’est la raison pour laquelle, ces dernières années, les Alliés européens ont réduit les formalités bureaucratiques afin d’accélérer le franchissement des frontières par leurs forces et leurs équipements, et les pays de l’Alliance se sont engagés à réduire les délais de franchissement des frontières à moins de cinq jours.

De nombreux pays n’ont pas la capacité logistique militaire requise pour transporter leurs propres troupes (cette capacité étant souvent la première à pâtir des coupes opérées dans les budgets de défense) et sont donc tributaires du même pool restreint de compagnies de transport civiles. En cas de crise grave, ces compagnies seraient saturées, les itinéraires de transport deviendraient des goulets d'étranglement et les pays hôtes et de transit seraient submergés de demandes d'assistance. Les déplacements en sens inverse, notamment de militaires blessés ou de réfugiés civils, pourraient compliquer encore davantage la situation. C’est là que le JSEC interviendrait. Sur la base des orientations données par le Grand quartier général des puissances alliées en Europe (SHAPE), et en étroite coordination avec d’autres entités OTAN, il synchroniserait et prioriserait les efforts des Alliés dans la zone arrière.

La coordination est essentielle pour garantir que les itinéraires de transport ne deviennent pas des goulets d'étranglement pendant des déploiements militaires en cas de crise grave. © Bundeswehr / R. Alpers
)

La coordination est essentielle pour garantir que les itinéraires de transport ne deviennent pas des goulets d'étranglement pendant des déploiements militaires en cas de crise grave. © Bundeswehr / R. Alpers

Une coordination efficace n’est possible que si le JSEC dispose d’un aperçu précis et actuel de la situation/d’une image commune de la situation opérationnelle. C’est en temps de paix qu’il conviendra de jeter les bases de cette connaissance de la situation ; il serait trop tard de partir de zéro à l’éclatement d’une crise. Le JSEC a déjà établi un réseau de points de contact nationaux uniques dans la plupart des pays de l'OTAN, ce qui permettra aux pays respectifs d’adopter une approche pangouvernementale. Le JSEC sera tributaire des données que lui fournissent les Alliés, à compléter par des informations fiables de sources ouvertes. Une fois établie, une image commune de la situation opérationnelle est l’illustration du fait qu’un tout dépasse la somme des éléments qui le constituent.

La connaissance de la situation par le JSEC lui permettra de conseiller le SACEUR pour ce qui est de la priorisation des unités, de l’harmonisation des dispositions relatives au transport ou de la modification des itinéraires des convois si nécessaire. Cela se ferait notamment en étroite coopération avec le QG permanent de groupement de soutien logistique interarmées (QG permanent de JLSG), qui fait partie intégrante de la structure de commandement de l'OTAN et qui sera colocalisé avec le JSEC à Ulm en 2020. Si la répartition exacte des tâches entre le JSEC et le SJLSG n’est pas encore arrêtée, elle peut toutefois être visualisée plus facilement grâce à la métaphore suivante : le JSEC va construire et protéger les pipelines menant aux zones d'intervention, tandis que le QG permanent de JLSG déterminera ce qui y passera et en quelle quantité.

La formation et les exercices seront essentiels pour que le JSEC puisse développer sa fonction de facilitation. Par le passé, les exercices ont montré que déplacer des troupes, des équipements et des munitions à travers les frontières européennes était un processus lent et fastidieux. L’ancien commandant de l’armée de terre des États-Unis en Europe, le général de corps d'armée (en retraite) Ben Hodges, a milité avec succès en faveur d’améliorations dans ce domaine. Les États-Unis, en partie pour promouvoir la facilitation au sein de l’OTAN, ont appuyé le JSEC de manière particulièrement énergique. En temps de crise, en effet, c’est l’armée des États-Unis qui assurera le transport de troupes et de matériel lourd, fournissant une énorme capacité militaire entrante. Cette situation sera mise en pratique l’an prochain, dans le cadre d’un exercice majeur que mèneront les États-Unis, DEFENDER-Europe 20. Avec 20 000 hommes envoyés par ce pays, il s’agira du plus grand déploiement de forces américaines en Europe (aux fins d’un exercice) de ces 25 dernières années. Ce sera aussi la première opportunité, pour le JSEC, d’observer et d’apprendre comment assumer son rôle de coordination dans la zone arrière.

Ces quatre dernières années, l’OTAN a également investi plus de deux milliards d’euros de financement commun dans des projets de mobilité militaire. Il s’agit notamment de la mise à niveau de terminaux maritimes en les dotant de grands conteneurs à carburant pour les aéronefs alliés, de la construction de capacités de stationnement pour les aéronefs de ravitaillement en vol, et de la restauration de pistes pouvant être utilisées par des aéronefs alliés.

Plusieurs initiatives européennes sont également importantes pour le JSEC dans son rôle facilitateur. La mobilité est aujourd’hui une grande priorité de la coopération de l’OTAN avec l’Union européenne, laquelle va faire en sorte que les infrastructures de transport civiles et commerciales, comme les ports, les routes et les ponts, soient conformes aux normes pertinentes aux fins du transport des forces militaires et des équipements lourds. Un projet phare de la coopération UE-OTAN porte sur la « mobilité militaire ». Ce projet, lancé par les Pays-Bas, comprend des mesures tant dans le domaine logistique que dans le domaine juridique/réglementaire. Le JSEC pourrait contribuer à la mise en œuvre et à l’exploitation de ces initiatives en matière de formation et d’exercices.

Dans la déclaration conjointe signée en juillet 2018 par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, l'OTAN et l'Union européenne ont désigné la mobilité militaire comme étant un domaine essentiel de coopération. © OTAN
)

Dans la déclaration conjointe signée en juillet 2018 par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil européen, Donald Tusk, l'OTAN et l'Union européenne ont désigné la mobilité militaire comme étant un domaine essentiel de coopération. © OTAN

Suite des travaux

Le JSEC est confronté à trois grands défis sur la voie vers une capacité opérationnelle totale, prévue pour octobre 2021.

Le premier concerne le renforcement de la prise de conscience parmi les parties prenantes. Destiné à devenir un centre nodal de coordination au sein d’un réseau international, le JSEC va devoir montrer qu’il apporte une valeur ajoutée aux Alliés. Si ces derniers soutiennent activement ce commandement et lui fournissent les données pertinentes, le JSEC peut, à son tour, servir plus efficacement leurs intérêts.

Le deuxième concerne la doctrine. L'OTAN a récemment redéfini avec succès sa stratégie militaire, et il va sans dire que les documents qui en constitue le fondement sont en cours de finalisation. Dans ce contexte d’élaboration de la doctrine, le JSEC travaille de concert avec le SHAPE pour innover et apprendre par la pratique.

Troisièmement, le JSEC devra construire un quartier général qui réponde à deux missions très différentes. Sa principale tâche à mener en temps de paix s’articule autour de la coordination et de la communication, à savoir assurer la liaison avec les parties prenantes civiles et militaires et élaborer un nouveau système qui fournisse une image commune de la situation opérationnelle dans la zone arrière. L’autre tâche, en préparation à une crise, concerne l’établissement d’un quartier général interarmées opérationnel. Tout particulièrement dans un contexte où les ressources, bien qu’en augmentation, restent limitées, cela ne sera pas facile.

Pour l’OTAN, une zone arrière sécurisée représente un élément important de dissuasion. La présence opérationnelle et avancée adaptée de l’Alliance signifie que la capacité à renforcer rapidement les Alliés sur la ligne de front est primordiale. Dans le cadre de la priorité du SHAPE qui est la disponibilité opérationnelle, le JSEC joue un rôle important d'amélioration de la coordination et de la facilitation. Il s’agira en partie de redécouvrir d’anciens enseignements de la Guerre froide, tandis que d’autres aspects exigeront une approche nouvelle et originale. Sur la voie menant de la capacité opérationnelle initiale à la capacité opérationnelle totale, le JSEC continuera d’échanger avec les Alliés et de travailler en étroite coordination avec les parties prenantes civiles et militaires. Vingt-deux des 29 pays de l’Alliance collaborent déjà activement avec le JSEC, démontrant ainsi l’importance qu'ils attachent à la zone arrière. En faisant en sorte que cette zone soit sécurisée et fonctionnelle, le JSEC pourra assurer les arrières de l’OTAN.