L’environnement de sécurité auquel l’OTAN est aujourd’hui confrontée est plus complexe et plus imprévisible qu’il ne l’a jamais été depuis la fin de la Guerre froide. Il se caractérise notamment par l’attitude plus assertive de la Russie, les menaces cyber et hybrides, les crises et l’instabilité touchant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et la persistance de la menace terroriste. Face à toutes ces menaces dynamiques, les Alliés adaptent en profondeur la manière dont l’OTAN produit et fournit du renseignement à l’appui de la prise de décision.
La réforme la plus importante a été menée en 2017, lorsque l’Alliance a créé la Division civilomilitaire Renseignement et sécurité (Divison JIS - JIS pour joint intelligence and security) au siège de l'OTAN. En ma qualité de tout premier secrétaire général adjoint de cette nouvelle division et de responsable stratégique du renseignement pour l'ensemble de l'OTAN, j’ai été chargé d’élaborer une vision, de constituer une équipe de professionnels et de lancer une vaste série de réformes afin d’améliorer la qualité et la pertinence du renseignement fourni aux plus hauts dirigeants politiques et militaires de l’OTAN. Pour que ces différentes tâches puissent être menées à bien, une étroite collaboration a été instaurée avec d’autres responsables du renseignement à l'OTAN, tout particulièrement la J2 du SHAPE (la division du Commandement allié Opérations chargée du renseignement).

L’une des nouvelles capacités de l’OTAN, le système allié de surveillance terrestre – composé de segments air, sol et soutien – permettra, par tous temps, d’assurer une surveillance terrestre et maritime persistante de zones étendues en temps quasi réel, améliorant ainsi la connaissance de la situation sur le théâtre. Photo de Northrop Grumman.
L'objectif général de l'exercice était de faire en sorte que le renseignement réponde au mieux aux besoins de nos clients. Nos produits de renseignement doivent être de grande qualité, axés sur les priorités fixées par les dirigeants et livrés au bon moment aux bons destinataires. Le secrétaire général a toujours été clair : l’appui renseignement au siège de l'OTAN doit permettre d'améliorer la connaissance de la situation et d'éclairer l’élaboration des politiques. Pour que ce but soit atteint, il faut que les évaluations parviennent aux services qui gravitent au plus près du Conseil de l’Atlantique Nord, du Comité militaire et des hauts dirigeants de l’Alliance.
La Division JIS est la toute première division civilo-militaire de l’OTAN établie au siège de l’Organisation. Regrouper des services civils et militaires autrefois bien distincts n’a pas été chose aisée. À l’époque, d’aucuns craignaient que les cultures et approches professionnelles des uns et des autres en matière de renseignement soient difficilement compatibles. En réalité, rien n’est plus faux. Cette fusion nous a en effet permis de remettre des évaluations de renseignement cohérentes, d’accroître notre efficacité, d’éviter les chevauchements et de tirer parti aussi bien des atouts des organismes civils que de ceux des organismes militaires, tout en favorisant l’émergence d’une culture de la coopération. Plus important encore, cette fusion a aussi permis à la Division JIS de lutter efficacement contre les menaces hybrides, cyber et terroristes auxquelles les Alliés sont de plus en plus souvent confrontés, car elle a considérablement accru nos capacités d'analyse de ces questions transversales.
Afin que la Division JIS contribue au mieux à préparer la prise de décision des Alliés, nous nous sommes attachés à mieux aligner nos principaux domaines de travail et nos programmes sur les calendriers, les réunions et les missions des dirigeants. La véritable force du renseignement allié réside dans le fait qu’il fournit un cadre de référence unique pour la prise de décision, ce qui touche au fondement même de la solidarité entre Alliés. Aussi difficile à croire que cela puisse paraître, d’après mon expérience, les profonds désaccords sont bien moins fréquents qu'on pourrait le penser.
D’ailleurs, certaines décisions très importantes du Conseil de l'Atlantique Nord n’auraient pas pu être prises sans une connaissance de la situation du renseignement commune à l'ensemble des Alliés. Cela vaut notamment pour la réaction de l'OTAN après la violation par la Russie du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, tout comme pour l'expulsion, par les Alliés, de plus de 150 officiers du renseignement russes agissant sous couverture, suite à la tentative de Moscou d’assassiner l’ex-agent russe Sergueï Skripal au moyen d’un agent neurotoxique au Royaume-Uni en mars 2018 (une citoyenne britannique, Dawn Sturgess, est décédée après avoir été exposée à cette substance).
En outre, nous avons remis des évaluations stratégiques à plus long terme basées sur une connaissance de la situation plus actualisée. En nous appuyant sur les connaissances approfondies et l’expertise pointue de nos analystes, nous sommes désormais en mesure de livrer rapidement des évaluations initiales à nos clients. La mise en place de nouvelles modalités de partage du renseignement en interne au siège de l’OTAN, comme la tenue de réunions entre parties prenantes de haut niveau, a singulièrement accru la fréquence et la réactivité de l’appui renseignement fourni aux hauts dirigeants. Jamais encore le renseignement n’a autant contribué à la prise de décision à l’OTAN.
En tant que responsable stratégique du renseignement, il m'appartient également de regarder au-delà de la Division JIS. L’« architecture du renseignement à l’OTAN », qui dépasse largement le cadre du siège de l’Organisation, englobe une multitude de fonctions essentielles dans les deux commandements stratégiques. Du fait du développement « spontané » de bon nombre de ces fonctions en dehors de tout plan directeur commun, la cohérence globale pose problème. Les Alliés sont dès lors convenus qu'une approche commune permettrait d’améliorer le partage du renseignement, de coordonner la production, de perfectionner les indices et indicateurs d'alerte, et de renforcer la gestion et la gouvernance. En étroite coopération avec le [Commandement allié Opérations] (https://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_52091.htm?selectedLocale=fr) (ACO) et le Commandement allié Transformation (ACT), nous avons commencé à recenser, à prioriser et à mettre en œuvre ensemble une série de projets clés en matière de réforme. Au fil des ans, nous avons établi une relation de travail fondée sur la confiance qui transcende les frontières institutionnelles.
En particulier, notre étroit partenariat avec l’ACO a permis des progrès majeurs concernant les indices et indicateurs d’alerte ; nous nous sommes tout particulièrement attachés à mettre en place une architecture plus efficace, à renforcer la cohérence des mécanismes et à remédier aux lacunes. Le nouveau système est mieux adapté aux menaces complexes que nous connaissons aujourd'hui, et nous travaillons actuellement avec les Alliés en vue de garantir qu’il fonctionne comme prévu en cas de crise réelle.
L’exercice Unified Vision 18 s’est tenu en juin 2018 pendant deux semaines sur le territoire de pays de l’OTAN en Europe et en Amérique du Nord afin de tester l'interopérabilité des capacités JISR (renseignement, surveillance et reconnaissance interarmées) multinationales et collectives. © OTAN
La production fait désormais l'objet d'une coordination régulière entre le siège et les commandements stratégiques. Là encore, nous éliminons les chevauchements, rationalisons notre action et fournissons à nos dirigeants une image plus cohérente de la situation du renseignement.
En coulisses, toute une série de fonctions facilitatrices jouent un rôle essentiel pour la gestion, le partage et l’exploitation du renseignement. Ce n’est que lorsque la gestion des fonctions techniques aura été pleinement optimisée et que les effectifs nécessaires y auront été affectés que le renseignement à l’OTAN pourra réaliser son vrai potentiel.
La sécurité est indispensable pour les Alliés, car il s'agit d’éviter les fuites et d’empêcher les adversaires d’exploiter les vulnérabilités. La sécurité permet à la confiance de s’établir, et la confiance rend possible le partage du renseignement. La décision d'intégrer le Bureau de sécurité de l'OTAN (NOS) dans la Division JIS était pleine de bon sens. Les services chargés du renseignement et ceux chargés de la sécurité étant désormais intégrés au sein d'une même structure, ils peuvent en effet interagir facilement au quotidien. Le NOS, qui assure de nombreuses fonctions importantes, est à présent également chargé de suivre de près et de passer au crible toutes les réformes du renseignement, auxquelles il apporte également sa contribution.
Par ailleurs, nous étoffons nos capacités afin de maximiser notre potentiel. Le traitement d'un plus grand volume de renseignements de sources ouvertes, à partir de données recueillies auprès de sources en libre accès, servira à élaborer des analyses précises en temps utile. C'est pour cela que nous renforçons considérablement nos capacités à exploiter les immenses réservoirs de données du web. Si nous voulons garder une longueur d’avance, nous devrons pouvoir nous appuyer sur l’analytique avancée et sur l’intelligence artificielle. Autre nouvelle capacité , le système allié de surveillance terrestre – composé d'aéronefs pilotés à distance et de segments sol et soutien – permettra, par tous temps, d’assurer une surveillance terrestre et maritime persistante de zones étendues en temps quasi réel, améliorant ainsi la connaissance de la situation sur le théâtre.
Afin de mieux partager et traiter le renseignement à l’OTAN, nous sommes par ailleurs en train de revoir en profondeur la base technique et l’interopérabilité de nos systèmes informatiques et de nos méthodes de gestion des données.
Aujourd'hui, près de trois ans après la création de la Division JIS, la coopération civilo-militaire dans le domaine du renseignement à l’échelle de l’OTAN est devenue la norme. Nous nous rapprochons d'une culture commune du travail. De plus, nos évaluations sont plus cohérentes et sont livrées plus rapidement. La demande de renseignement de haute qualité est plus forte que jamais et occupe une plus grande place dans l’élaboration des politiques et la prise de décisions.
Néanmoins, certaines difficultés subsistent, ce qui impose d'aller plus loin dans les réformes, car les cultures restent différentes. L’armée, qui raisonne principalement en termes de planification et d’opérations, est généralement plus sensible au « besoin de partager », tandis que certains organismes de renseignement civils adoptent une approche bien plus restrictive, axée sur « le besoin d'en connaître », quand il s'agit de donner accès aux informations en leur possession. Rompre avec des traditions aussi profondément ancrées n’est pas simple.
Les menaces pour la sécurité sont fort changeantes. L’Alliance doit se tenir informée des derniers développements et en suivre l’évolution aussi vite que le requièrent les circonstances. La Russie et la Chine investissent toutes deux massivement dans leurs forces conventionnelles, tout en développant et en mettant en avant de nouvelles armes nucléaires et de nouveaux systèmes de missile de pointe. L’une et l’autre s'intéressent tout particulièrement aux technologies émergentes et de rupture qui pourraient avoir des répercussions considérables pour les Alliés. Les menaces hybrides et cyber sont devenues tout à fait courantes, alors que d’autres pays et des acteurs non étatiques mettent eux aussi au point de nouvelles capacités. De ce fait, l'importance du renseignement à l'OTAN ne fera que s'accroître dans les années à venir.