© REUTERS/K. Abdullah Ali Al Mahdi
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Un regard yéménite sur l’expansion d’Al-Qaida au Yémen - Faris Sanabani examine les particularités nationales qui ont, à son sens, joué un rôle dans le fait que ce pays est devenu le foyer d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique.

La nébuleuse Al-Qaida détermine elle-même l’apparition des phénomènes qu’elle annonce. Composée de personnes de races différentes, blancs et noirs, et de nationalités différentes, elle mêle meneurs intelligents et ambitieux, jeunes gens illettrés et désespérés, en proie aux frustrations, à la colère et à la misère, et tenants d’idéologies extrémistes.

Ceux que révoltent l’injustice dans leur propre pays ou dans le monde, ceux qui n’ont aucun espoir dans la vie, qui sont influençables et qui voudraient avoir un rôle à jouer se retrouvent devant une seule alternative : mettre fin à leur existence ou se regrouper pour trouver un sentiment d’appartenance.

Ainsi regroupés, ils peuvent évoluer vers la violence et la délinquance, comme cela se produit dans un certain nombre de pays. Mais au Yémen, l’éducation traditionnelle et religieuse fait que ce n’est pas le cas. L’autre option qui s’offre alors est l’adhésion à un groupement religieux extrémiste, comme Al-Qaida, qui apparaît comme la voie vers la gloire éternelle et le paradis. C’est vers cette perspective jugée plus attirante que s’oriente une partie des Yéménites.

Le taux élevé d’analphabétisme, le chômage et la pauvreté qui sévissent au Yémen facilitent malheureusement l’embrigadement des populations.

Je me souviens d’une interview réalisée avec un dirigeant d’Al-Qaida, libéré après deux ans d’emprisonnement et de dialogue. Il avait dirigé un camp en Afghanistan et il disait que les Yéménites avaient le cœur sensible et agissaient par sentiment et non par raisonnement. Ils pouvaient écouter un érudit salafiste le matin et embrasser son idéologie, puis entendre l’après-midi quelqu’un de la mouvance des Frères musulmans – les ikhwan – et adhérer à ses propos, pour se laisser emporter, le soir, par un troisième discours; il était facile de les entraîner vers tel ou tel groupement. Il disait également que Ben Laden avait ordonné aux Yéménites de rester séparés dans leur propre camp, à l’écart des autres Arabes, car ils étaient susceptibles de passer rapidement d’un groupe à l’autre.

Al-Qaida au Yémen est plus qu’une organisation ; c’est un « melting pot » où se retrouvent tous ceux qui voient dans la violence le moyen de régler un problème

La mondialisation et les moyens de communication de masse ont encore facilité l’expansion d’Al-Qaida. De petites cellules basiques peuvent se constituer de manière indépendante via Internet. La littérature est disponible et les objectifs sont clairs. La récompense est la gloire pour ceux qui survivent, ou l’éternité du paradis pour ceux qui perdent la vie. Ce sont ces idées, inculquées dans les esprits et dans les âmes, qui font qu’Al-Qaida s’étend, au Yémen et ailleurs.

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Al-Qaida au Yémen est plus qu’une organisation ; c’est un « melting pot » où se retrouvent tous ceux qui voient dans la violence le moyen de régler un problème. La nébuleuse semble, de plus en plus, constituer un recours pour ceux qui sont confrontés à un problème qu’ils ne peuvent résoudre, qui ont le sentiment d’être victimes d’une injustice, ou qui vivent dans la misère. Pour combattre Al-Qaida au Yémen, il faut s’attaquer aux racines, pas aux symptômes. Et les racines vont des problèmes familiaux au ressentiment envers le gouvernement, à la pauvreté et au chômage, aux idées extrémistes ou à la question israélo-palestinienne. La liste est longue.

Il faut donc analyser les choses de manière approfondie et prendre des mesures massives pour combattre Al-Qaida au Yémen à tous les niveaux. Nous devons commencer par le système éducatif, dès les premiers stades ; nous devons utiliser les médias, le cinéma, le théâtre, les informations aussi bien que la poésie, en présentant les autres cultures d’une manière réaliste, parce que ce que l’image que les Yéménites ont de l’Amérique par le biais des médias est une image de violence et d’immoralité.

Nous devons avoir recours à des figures publiques respectées pour lutter contre l’extrémisme. Le message des mosquées doit être celui de la modération. Leurs prédicateurs doivent être formés pour qu’ils comprennent les effets du message extrémiste sur leurs propres familles et sur leur propre peuple. Nous devons recourir à la force lorsque c’est nécessaire, et utiliser le renseignement et les mesures préemptives, mais ce dont nous avons surtout besoin c’est de développement économique et de création d’emplois, sans quoi les populations perdront espoir.

Les prédicateurs des mosquées doivent être formés pour qu’ils comprennent les effets du message extrémiste sur leurs propres familles et sur leur propre peuple

Al-Qaida, qui constituait au départ un problème local, est devenu un problème mondial. Pour combattre la nébuleuse, il faut des actions au niveau local, régional et mondial. Nous devons rechercher des solutions intégrées, à l’échelle de la planète.

Un pays économiquement prospère ne doit pas se replier sur lui-même ; il doit se tourner vers ses voisins pour les aider à créer des emplois et à relever le niveau de vie. C’est de cela que le Yémen a grandement besoin. Nous devons, certes, chercher au niveau interne à apporter des améliorations, mais en parallèle, nous devons aussi pouvoir compter sur le soutien de nos voisins pour les investissements et la création d’emplois, parce que c’est de cette manière que le terrorisme doit être combattu.