Edition Web
Vol. 46 - No. 4
Hiver 1998
pp. 20-23

Un nouveau regard sur le rle de l'OTAN dans la scurit europenne

Michael Rhle

Administrateur principal - planification, Section plans politiques et rdaction des discours, Division des affaires politiques de l'OTAN




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Nombre d'observateurs ont encore du mal comprendre pourquoi l'OTAN reste en activit bien aprs la disparition de la menace sovitique. Selon M. Rhle, leur perplexit tient au fait qu'ils appliquent un critre d'analyse assimilant l'OTAN au seul objectif de la dfense collective. Or dans le monde de l'aprs-Guerre froide, les institutions sont devenues des instruments polyvalents, qui uvrent ensemble pour crer un environnement stratgique plus sr. En soutenant une Identit europenne de scurit et de dfense, l'volution d'une Russie dmocratique, de bonnes relations transatlantiques et des approches communes de la gestion des crises, l'OTAN est devenue un instrument propre modeler l'environnement de scurit, au sens le plus large de cette notion.


Les mauvaises questions

Quel objectif l'OTAN poursuit-elle, prsent que la menace sovitique a disparu?" Dix ans aprs la fin de la Guerre froide, certains posent encore cette question, et elle est lgitime. Aprs tout, la thorie ne nous dit-elle pas que les alliances se dfont une fois que l'ennemi commun a t vaincu? Dans ce cas, pourquoi l'OTAN est-elle encore l? Et pourquoi domine-t-elle encore le dbat sur la scurit europenne - qu'il s'agisse de la Bosnie ou de l'largissement?

Dconcerts par la prennit de l'OTAN, certains dtracteurs ont prtendu que le maintien de l'Alliance tait purement et simplement le rsultat de l'inertie bureaucratique. D'autres estiment que le calendrier charg de l'OTAN est totalement artificiel et ne vise qu' cacher le fait que l'Alliance a perdu toute raison d'tre. Or, de telles explications sont totalement fausses, car elles reposent toutes sur une conception fondamentalement errone du rle des institutions dans l'environnement de scurit d'aujourd'hui.

Du temps de l'opposition Est-Ouest, chaque institution avait une tche claire, bien dfinissable. Chacune avait un unique domaine de comptence. L'objectif de l'OTAN tait alors d'assurer la dfense et la dissuasion face une menace spcifique. Mais les institutions de l'aprs-Guerre froide sont devenues des instruments polyvalents qui uvrent de concert pour crer un environnement stratgique plus sr.

Aussi faut-il changer de critre d'analyse si l'on veut comprendre pourquoi l'OTAN existe encore aujourd'hui, et pourquoi elle est mme plus active que jamais. Au lieu de chercher en vain un objectif unique substituer la "menace sovitique", il faut se poser une question plus large: "Quelle est la contribution de l'OTAN l'architecture de scurit euro-atlantique qui se dessine?"


L'architecture de scurit: le juste contexte


A partir de la gauche, Jorge Domecq, (Directeur du Cabinet), Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, et Anthony Cragg (Secrtaire gnral adjoint pour les plans de dfense et les oprations), juste avant le dbut de la runion du Conseil de l'OTAN sur la crise au Kosovo, le 27 octobre dernier.
(Photo OTAN 51Kb)

Bien entendu, en reformulant ainsi la question, on en appelle une autre, celle de la dfinition d'une architecture de scurit. Quantit de dfinitions ont t avances, souvent axes sur le concept d'"institutions interdpendantes". Or, si ce concept reste un cadre de rflexion utile, il ne cerne cependant pas pleinement la dynamique des vnements de l'aprs-Guerre froide. Plutt que de se focaliser sur les institutions, il vaudrait peut-tre mieux apprhender une architecture comme tant une srie de processus politiques majeurs qui dterminent l'environnement stratgique: l'intgration europenne, l'volution de la Russie, le dveloppement des relations transatlantiques et un nouveau mode de gestion des crises dans la zone euro-atlantique. Si ces processus voluent positivement, ils engendreront un ensemble de relations grce auxquelles les crises et les conflits pourront tre vits, ou tout au moins grs de faon efficace; c'est cela qui constitue une "architecture".

Il est vident que la gestion efficace de tels processus requiert la participation de bien d'autres acteurs ct de l'OTAN. En effet, ces dernires annes, toutes les grandes organisations ont cess de ne s'occuper que d'une seule question et se sont engages dans la gestion de ces grandes transformations politiques. Le processus d'largissement de l'Union europenne, ses programmes spciaux pour la Russie ou sa dimension mditerranenne grandissante tmoignent de cette tendance, de mme que le rle jou par l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE) dans le dsamorage des problmes de minorits en Europe, dans l'organisation d'lections libres en Bosnie ou, plus rcemment, dans la vrification du respect d'un accord au Kosovo.

L'OTAN reste cependant unique, car elle seule dispose des instruments ncessaires pour runir ces processus dans la cohrence. Conjuguant la consultation politique, la comptence militaire et sa vocation transatlantique, l'Alliance apporte une contribution irremplaable la gestion de la dimension scuritaire du processus d'intgration europenne, l'volution de la Russie vers un rle d'acteur responsable dans le domaine de la scurit, au maintien de la relation transatlantique et l'volution de la gestion des crises dans la rgion euro-atlantique.


Approfondir et largir l'unit europenne



Equipe prparant le terrain, Pristina, le 18 octobre, pour l'arrive chelonne de 2000 observateurs de l'OSCE qui vrifieront l'application des rsolutions des Nations Unies visant viter une catastrophe humanitaire au Kosovo. Une force de l'OTAN a t prvue pour l'"extraction" d'urgence, en cas de ncessit, des observateurs de l'OSCE.
(Photo AP 51Kb)
L'OTAN et le processus d'intgration europenne ont toujours t troitement lis. Mais tout au long de la Guerre froide, cette relation est reste passive: l'Alliance assurait la scurit d'une Europe largement tourne vers la coopration conomique et politique.

Aujourd'hui, cette passivit a disparu. Depuis qu'il a t dcid de dvelopper une Identit europenne de scurit et de dfense (IESD) au sein de l'OTAN, et non en dehors de l'Alliance, l'OTAN contribue activement approfondir l'intgration europenne. En renforant la capacit d'agir de l'UEO dans des cas o une raction militaire europenne pourrait tre prfrable, l'OTAN offre un cadre grce auquel les limites de l'Europe en tant qu'acteur stratgique pourront disparatre progressivement.

Si l'on cherche dvelopper une IESD au sein de l'OTAN, ce n'est pas seulement parce que l'on sait que, dans l'avenir prvisible, le poids militaire de l'Europe restera dpendant du soutien matriel apport par les Etats-Unis. C'est aussi parce que l'on sait que d'autres partenaires stratgiques, comme le Canada, la Norvge et la Turquie, continueront ainsi de participer au processus. Au total, une OTAN plus souple devrait permettre l'Europe de progresser dans l'approfondissement de son intgration sans tre tiraille par une douloureuse opposition entre les ambitions politiques et des moyens militaires limits.

La contribution de l'OTAN l'largissement dans le contexte de l'intgration europenne est encore plus directe: elle consiste largir l'Alliance elle-mme. En effet, la division de l'Europe ne pourra tre vritablement efface que si les nouvelles dmocraties de l'Est ont elles aussi la possibilit d'exercer leur droit de dterminer leur propre politique trangre et leur orientation dans le domaine de la scurit. Compte tenu de l'intgration unique, sur le plan historique, qu'ont ralise l'OTAN et l'UE, il n'y a rien d'tonnant ce que nombre de ces Etats envisagent leur avenir comme membres de ces deux organisations.

Les deux processus d'largissement ont dj fait la preuve de leur valeur en tant qu'instruments efficaces d'un changement bien gr. La seule perspective d'adhrer l'OTAN et l'UE a incit de nombreux pays d'Europe centrale et orientale entreprendre des rformes intrieures et s'efforcer de rgler les diffrends bilatraux. L'engagement crdible de l'OTAN de laisser la porte ouverte de nouvelles adhsions est donc sans doute un des leviers susceptibles de jouer le plus fortement en faveur d'une volution positive de l'environnement stratgique pour les annes venir.


L'OTAN et la Russie: vers un partenariat pleinement dvelopp

L'volution de la Russie, variable numro un de la scurit europenne, constitue le deuxime grand processus politique de nature influer sur l'avenir d'une nouvelle architecture de scurit. Si la Russie reste sur la voie de la dmocratie et de l'conomie de march, la plupart des problmes qui se posent dans le domaine de la scurit europenne pourront se rsoudre par la coopration, qu'il s'agisse de conflits rgionaux, de la sret nuclaire ou de questions de non-prolifration. L'OTAN a donc tout intrt peser de faon constructive pour que la Russie soit partie prenante dans l'architecture de scurit mergente.

Mais que peut faire l'OTAN pour aider la Russie participer aux transformations qui se produisent en Europe? N'est-elle pas prcisment l'organisation qui exclut le plus manifestement la Russie - et qui est par consquent la plus limite dans ses possibilits de coopration?

Certes, il serait prsomptueux de la part de l'OTAN de revendiquer un rle directeur dans le processus de dmocratisation de la Russie. Mais les efforts de coopration de l'Alliance avec la Russie n'en demeurent pas moins d'une importance cruciale. Ils indiquent que l'OTAN prend au srieux le rle de la Russie en tant qu'acteur de premier plan dans le domaine de la scurit.

L'Acte fondateur OTAN-Russie de mai 1997 a ouvert la voie d'une nouvelle relation de coopration. Il a cr de nouveaux cadres de coopration, dans des secteurs allant de la prvention de la prolifration la formulation de conceptions communes de la gestion des crises. En outre, travers le Conseil conjoint permanent OTAN-Russie, la consultation politique entre l'Alliance et la grande puissance eurasiatique a t institutionnalise. Le CCP comble donc une lacune dans l'architecture de scurit europenne. Mme si les consultations en son sein ne dbouchent pas toujours sur des positions communes, elles permettront de rduire considrablement les malentendus ou le risque de voir mettre des signaux contraires lors d'une crise ventuelle. Et surtout, ces consultations prouvent que l'OTAN et la Russie n'ont pas cd la logique fataliste consistant se dsigner l'une l'autre comme adversaire permanent.


Les relations transatlantiques,
lment central de l'Alliance


M. William Cohen, Secrtaire la dfense des Etats-Unis ( gauche), aux cts de M. Veiga Simao, Ministre de la dfense du Portugal, lors de la runion informelle des Ministres de la dfense des pays de l'OTAN Vilamoura, au Portugal, le 24 septembre. Des relations transatlantiques fortes sont un lment essentiel l'Alliance.
(Photo OTAN 48Kb)

Ni le processus d'intgration europenne ni l'engagement constructif de la Russie ne seraient possibles sans des relations transatlantiques fortes. Le lien qui unit l'Amrique du Nord l'Europe en matire de scurit continue de contribuer des relations intra-europennes saines. Il garantit galement que la Russie ne cdera pas la tentation de recommencer poursuivre ses intrts de scurit aux dpens de ses voisins. Enfin, et ce n'est pas le point le moins important, les Etats-Unis restent sans gal pour ce qui est de grer des crises - qu'il s'agisse du rle qu'ils ont jou pour faciliter l'unification allemande ou du rglement du conflit bosniaque.

Telles sont les raisons pour lesquelles une nouvelle architecture de scurit europenne devra toujours tre aussi une architecture euro-atlantique. Mais si l'on veut que le lien transatlantique fonctionne sans heurts dans l'avenir, on ne pourra pas se contenter de faire comme avant. Des deux cts de l'Atlantique se met en place une nouvelle gnration qui ne considre plus l'OTAN travers le prisme de l'exprience personnelle et ou d'un attachement affectif. Cela donne penser que si l'OTAN veut demeurer le forum central de la coopration transatlantique en matire de scurit dans un nouvel environnement de scurit, elle doit tre en mesure de faire face de nouveaux dfis.

La prolifration des armes de destruction massive en est un. Seule la coopration transatlantique peut permettre de la prvenir politiquement, mais aussi de se protger militairement contre ses ventuelles consquences. Il est donc tout fait logique que l'OTAN l'ait inscrite son programme.

Le maintien de bonnes relations transatlantiques demande aussi que l'on aborde la question du juste partage des charges au sein de l'Alliance. Comme il a dj t dit au sujet de l'intgration europenne, l'OTAN s'efforce actuellement de trouver une nouvelle formule de partage des charges entre les deux rives de l'Atlantique travers un renforcement de la capacit d'agir de l'Europe. Cependant, cette politique ne pourra russir que si les Etats-Unis abandonnent leur scepticisme latent quant la capacit de l'Europe d'assumer un rle qui lui soit propre dans le domaine de la scurit. Et de son ct, l'Europe doit essayer d'tablir une IESD non pas tant pour affirmer ses particularits que pour contribuer vritablement un nouveau partenariat transatlantique mieux dvelopp.


Vers un espace de scurit euro-atlantique

L'intgration europenne, l'volution de la Russie, les relations transatlantiques, ces trois processus ont un point commun: ils sont vitaux pour la scurit de la rgion euro-atlantique. Ce n'est pas le cas des conflits rgionaux, qui, d'un point de vue territorial tout au moins, ne sont pas "vitaux". Le conflit bosniaque a cependant profondment marqu toute la zone euro-atlantique. Des msententes au niveau transatlantique, entre l'OTAN et la Russie, et au sein mme de l'Europe, ont eu tendance entamer la confiance pourtant indispensable la construction d'une vritable architecture de scurit. Cette architecture demande donc un autre lment: une capacit de gestion des crises dans toute la rgion euro-atlantique.

L encore, l'OTAN reste l'institution indispensable. Sa comptence militaire unique lui a permis de tisser des liens avec de nombreux pays non membres. Le Partenariat pour la paix (PPP) a incit 27 pays, de la Sude au Kazakhstan, s'engager dans une relation de coopration de caractre militaire avec l'OTAN. Aucune autre institution n'aurait pu susciter un tel lan.

Cette coopration a dj jou un rle important dans la mise en place de l'opration multinationale en Bosnie et en ce qui concerne l'aide aux Etats voisins du Kosovo. En outre, elle facilitera la cration de coalitions militaires futures. Avec le complment politique du PPP qu'est le Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA), l'OTAN a ainsi cr un cadre de scurit qui relie les membres de diffrentes organisations, favorise des approches communes de la gestion des crises et de la coopration rgionale, et offre aux anciens pays neutres un moyen de se rapprocher des structures de scurit euro-atlantiques.


Les bonnes questions

L'OTAN est devenue un inestimable instrument de changement, propre modeler les contours de la scurit euro-atlantique; elle est le catalyseur d'un ordre de scurit largi. Ceux qui chercheront analyser l'Alliance au moyen de critres dpasss du temps de la Guerre froide ne pourront comprendre pourquoi l'OTAN conserve cette vitalit. La question poser n'est donc pas "quel objectif unique l'OTAN poursuit-elle dans l'aprs-Guerre froide?" La question qui va au fond des choses est plutt "quelle est la contribution de l'OTAN l'architecture de scurit euro-atlantique qui se dessine?"

Certes, il s'agit l d'un ambitieux critre de mesure des rsultats de l'OTAN, puisqu'il va bien au-del de la dissuasion et de la dfense pour s'intresser la gestion du changement politique long terme. Mais c'est le seul critre qu'il soit utile d'appliquer. Comme l'a dclar un jour M. Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, l'Alliance ne vise plus viter "le pire"; elle vise raliser "le meilleur" - une nouvelle architecture de scurit pour la zone euro-atlantique.


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