Edition Web
Vol. 46 - No. 3
Automne 1998
pp. 24-28

Une capacit euro-atlantique de raction
en cas de catastrophe

Francesco Palmeri

Directeur de la Direction des Plans civils d'urgence et Prsident du Haut Comit pour l'tude des plans d'urgence dans le domaine civil




(25Kb)
Selon le Dr. Palmeri, une vritable "rvolution copernicienne" s'amorce au sein de l'Alliance avec la cration Bruxelles, en juin dernier, du nouveau Centre euro-atlantique de coordination des ractions en cas de catastrophe. Cette nouvelle capacit, qui s'appuie sur prs de cinquante annes d'exprience des Allis dans le domaine des plans civils d'urgence et sur un programme de coopration prouv avec des partenaires non membres de l'OTAN, tmoigne de la profondeur des changements en cours au sein de l'Alliance. Cette innovation, qui renforce la capacit de la communaut internationale de faire face des catastrophes de grande ampleur, illustre l'importance grandissante que l'Alliance accorde aux aspects non militaires de la scurit.


La longue liste des abrviations OTAN vient de gagner une ligne avec l'ajout d'EADRCC. Cette abrviation peu commode est cependant le seul aspect, ou presque, par lequel le nouveau Centre euro-atlantique de coordination des ractions en cas de catastrophe rappelle l'OTAN d'autrefois. Il s'agit, en fait, d'un concept totalement nouveau qui met l'uvre les mcanismes de coopration et la longue exprience de l'OTAN dans le domaine des plans civils d'urgence (PCU).

La capacit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe renforcera les moyens dont dispose la communaut internationale pour faire face des catastrophes de grande ampleur dans l'immensit de la rgion euro-atlantique, qui s'tend de Vancouver, au Canada, Sakhaline, en Russie. Cette rgion, qui inclut six des sept pays les plus industrialiss du monde, est celle qui, bien que possdant la plus grande capacit de raction, est aussi la plus susceptible de connatre de graves catastrophes naturelles et technologiques.

Certes, les bnficiaires ultimes de cette coopration internationale seront les pays frapps par des calamits auxquelles ils ne peuvent faire face seuls, mais le premier recevoir la contribution qu'apporte ce nouveau mcanisme est en fait le Bureau des Nations Unies pour la Coordination de l'assistance humanitaire (BCAH), l'institution internationale chef de file dans ce domaine. L'EADRCC a pour tche de coordonner les capacits de raction des quarante-quatre pays membres du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA) afin de pouvoir offrir rapidement une assistance efficace aux Nations Unies en cas de catastrophe. Il institutionnalise donc entre l'OTAN et les Nations Unies un troisime lien qui vient s'ajouter aux relations de travail existantes dans les domaines de la politique et de la scurit.

L'EADRCC s'appuie sur prs de cinquante ans d'exprience de la coopration internationale en matire de plans civils d'urgence l'OTAN - sans parler du rseau d'experts civils habitus travailler ensemble, des plans, procdures, services et matriels normaliss et interoprables, de la coopration civilo-militaire, des structures de tlcommunications, etc. - et sur la relation de coopration prouve entre l'OTAN et ses partenaires d'Europe centrale et orientale au sein du programme de coopration en matire de plans civils d'urgence dans le cadre du Partenariat pour la paix (PPP). (1)

Cependant, la gense de cette cration remonte 1992, avant le PPP, o l'ancien Secrtaire gnral de l'OTAN Manfred Wrner fit preuve de clairvoyance en accueillant au sige de l'OTAN, Bruxelles, une confrence novatrice sur les secours internationaux en cas de catastrophe. Cet vnement, organis par les Nations Unies et la Fdration internationale des socits de la Croix Rouge, auquel participrent plus de quarante pays et de vingt organisations internationales, fut l'origine d'un projet de mise disposition de ressources militaires pour faire face des catastrophes civiles. Le Projet d'utilisation des ressources militaires et de la protection civile (MCDA) cra un mcanisme permettant la fois de dresser un inventaire systmatique des ressources civiles et militaires disponibles en cas de catastrophe et de prvoir des mesures garantissant la faisabilit de cette nouvelle forme de coopration internationale.

Le Secrtaire gnral Wrner, qui, dj du temps de la Guerre froide, accordait une importante toute particulire aux activits non militaires de l'Alliance, avait acquis la conviction que cette dimension spcifique constituerait l'environnement le plus favorable au dialogue, la coopration et au renforcement de la confiance entre anciens ennemis. En outre, c'tait l'occasion de rpondre aux attentes de ceux fort nombreux qui, aprs la Guerre froide, souhaitaient que certaines ressources de dfense soient dgages au profit d'objectifs civils. Ce n'est donc pas un hasard si l'immeuble dans lequel se trouve l'EADRCC, ct du sige actuel de l'OTAN Bruxelles, a t nomm Btiment Manfred Wrner.

Au dpart, l'Alliance avait labor, en 1953, un mcanisme d'assistance mutuelle entre les Allis en cas de catastrophe de grande ampleur. Peu aprs l'instauration de la coopration avec les pays partenaires dans le domaine des PCU, en 1994, l'Alliance a pris une mesure importante, puisqu'en mai 1995, elle a dcid d'tendre ses partenaires ces dispositions d'assistance mutuelle entre Allis. Depuis, elles ont t mises en uvre plusieurs reprises, et en particulier en Ukraine, cette mme anne, et plus rcemment lors des graves inondations qui ont frapp l'Europe centrale durant l't 1997.

Se fondant sur l'exprience acquise sur le terrain, et dans le droit-fil des dcisions prises par les dirigeants de l'Alliance Madrid, en juillet 1997, de renforcer encore la coopration pratique avec les pays partenaires, le Haut Comit pour l'tude des plans d'urgence dans le domaine civil (SCEPC) en configuration CPEA (c'est--dire en session avec les Partenaires de la coopration) a propos d'actualiser les politiques existantes en matire de raction aux catastrophes. A partir d'une ambitieuse proposition faite par la Russie Moscou en avril 1997, l'occasion de la premire runion du SCEPC tenue dans un pays membre du PPP, un nouveau mcanisme a t conu, qui a dbouch sur la cration de l'EADRCC.


Accrotre l'efficacit



MM. Herpert van Foreest, Secrtaire gnral adjoint de l'OTAN pour l'infrastructure, la logistique et les PCU ( gauche), Serge Kislak, Ambassadeur de Russie auprs de l'OTAN (au centre), et M. Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, clbrant l'ouverture de l'EADRCC, le 3 juin.
(Photo OTAN 58Kb)
L'objectif d'amliorer l'efficacit des secours l'chelle internationale en cas de catastrophe est pleinement partag par les Nations Unies, les principaux pays contributeurs et les grandes organisations non gouvernementales (ONG). Le point de dpart, pour relever ce dfi, a t la reconnaissance du fait que les ressources utilisables par les Nations Unies appartiennent toujours aux pays. En consquence, les ressources tant limites, la seule manire d'accrotre l'efficacit des secours au niveau international consiste :

  1. acclrer le processus de fourniture effective de l'aide;

  2. viter les doubles emplois;

  3. viter le gaspillage des ressources.

Etant donn, par ailleurs, que les Nations Unies uvrent elles-mmes rgulirement l'amlioration des secours internationaux en cas de catastrophe, toute initiative visant cet objectif doit ncessairement:

  1. ne pas tre incompatible avec les nouveaux arrangements sur lesquels travaillent les Nations Unies (comme le Projet MCDA);

  2. apporter une "valeur ajoute" pour les Nations Unies.


M. Kofi Annan, Secrtaire gnral de l'ONU ( gauche) et M. Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, s'entretenant de la situation dans l'ex-Yougoslavie Rome, le 15 juin.
(Photo Belga 40Kb)

Dans ce contexte, les Ministres des affaires trangres du CPEA ont pris la dcision, en dcembre dernier, de crer une capacit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe. Le SCEPC en configuration CPEA a t charg de prparer un rapport dtaill indiquant les orientations et les procdures ncessaires pour que cette dcision politique se concrtise sur le plan oprationnel. Ce rapport, intitul "Une coopration pratique accrue dans le domaine des secours internationaux en cas de catastrophe", constituera la charte fondamentale de l'EADRCC. La contribution officieuse qu'a apporte le BCAH des Nations Unies la prparation de ce rapport a permis de dissiper les craintes relatives un ventuel recoupement entre cette initiative et le mandat d'autres organisations internationales spcifiquement conues pour traiter de l'aide internationale en cas de catastrophe, comme le BCAH, ce qui a facilit l'obtention d'un consensus au sein des 44 pays membres du CPEA.

Pour sa part, le BCAH des Nations Unies a formul les recommandations ci-aprs, l'occasion d'un sminaire du PPP qui s'est tenu en Suisse en avril dernier, en se fondant sur une tude approfondie des tendances et dfis, dans le domaine de la coordination des secours, en Europe et dans les nouveaux Etats indpendants de l'ex-Union sovitique.

"La communaut internationale charge des secours doit faire tout son possible pour:

  • coordonner les investissements dans une capacit de raction aux catastrophes;

  • amliorer les procdures de coordination et de mobilisation;

  • amliorer la communication au sein des rseaux rgionaux de coordination des secours;

  • laborer des projets spcifiques afin d'amliorer systmatiquement les processus de mise en uvre des secours;

  • uvrer collectivement la mobilisation des ressources ncessaires pour relever ce dfi."

C'est trs prcisment ce que l'on a voulu raliser avec le lancement du programme de coopration en matire de plans civils d'urgence dans le cadre du PPP, et la nouvelle capacit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe poursuivra ces mmes objectifs. En outre, cette efficacit accrue dans la rgion euro-atlantique bnficiera aussi aux Nations Unies en permettant de librer des ressources au profit d'autres rgions du monde.


Structure de la capacit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe

La nouvelle capacit de raction aux catastrophes comporte deux lments principaux:

  • Une Unit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe (EADRU), structure non permanente regroupant diffrents lments nationaux (moyens de sauvetage, soins mdicaux, transports et autres) qui ont t mis disposition bnvolement par les pays membres du CPEA. L' EADRU peut tre dploye sur les lieux d'une catastrophe de grande ampleur la demande du pays membre du CPEA sinistr. Ce sont les pays membres du CPEA fournissant des lments nationaux l'EADRU qui dcideront de leur dploiement et supporteront les cots correspondants.

  • Un Centre euro-atlantique de coordination des ractions en cas de catastrophe (EADRCC), install au sige de l'OTAN et compos de membres du Secrtariat international de l'OTAN et d'un nombre limit de personnes provenant de pays membres et partenaires de l'OTAN intresss. En cas de catastrophe, l'EADRCC pourrait constituer le noyau d'une quipe d'valuation qui, en troite coopration avec l'organisme du pays sinistr grant les situations d'urgence et le coordinateur rsident des Nations Unies, dterminerait les besoins en matire d'aide internationale en cas de catastrophe.

L'EADRCC coordonnera, de concert avec les Nations Unies, les propositions d'aide internationale de pays membres du CPEA. Pour se prparer une ventuelle intervention en cas de catastrophe, le Centre laborera des plans et procdures appropris de recours l'EADRU en prenant en compte l'valuation nationale des risques, les accords bilatraux et multilatraux existants ainsi que les capacits de raction. Il dressera galement une liste des lments civils et militaires nationaux disponibles et favorisera l'interoprabilit travers des formations et exercices conjoints.

Ce concept global a t mis au point de telle sorte que la prise de dcision reste du ressort des pays mais que les pays membres et partenaires de l'OTAN qui participent cette initiative aient une identit commune au sein du CPEA.


Une rvolution copernicienne



Equipes de recherche et de sauvetage d'Estonie et d'Islande se prparant lors de l'exercice de raction en cas de catastrophe Cooperative Safeguard '97, qui a eu lieu en Islande.
(Photo OTAN 88Kb)
La coopration institutionnalise avec les Nations Unies que reprsente l'EADRC, dans le domaine des secours internationaux en cas de catastrophe, est l'expression la plus forte et la plus concrte de la stratgie de l'Alliance dans la priode de l'aprs-Guerre froide, c'est--dire de la vision largie de la scurit qui est consacre dans le Concept stratgique de 1991. Cette vision largie, qui sera probablement raffirme, voire renforce, l'issue de l'examen entrepris pour actualiser le Concept stratgique, dplace l'accent des moyens militaires de l'OTAN vers ses moyens politiques ainsi que vers la coopration avec des Etats non membres de l'Alliance afin de faire face aux nouveaux risques lis au contexte de scurit qui s'est modifi. En particulier, il avait t not "(...) qu'en raison des profonds changements intervenus dans le contexte de la scurit, jamais la possibilit d'atteindre les objectifs de l'Alliance par des moyens politiques n'a t aussi grande. On peut prsent tirer toutes les consquences du fait que la scurit et la stabilit ont des dimensions politique, conomique, sociale et cologique, en plus de l'indispensable dimension de dfense." (2)

Cette "rvolution copernicienne" du Concept stratgique de l'OTAN, qui conduit mentionner la dimension de dfense aprs les dimensions politique, conomique, sociale et cologique, met invitablement en avant le domaine d'activit de l'OTAN qui englobe toutes ces dimensions, savoir: les plans civils d'urgence. En effet, l'extraordinaire russite du programme de coopration en matire de plans civils d'urgence atteste la clairvoyance de cette conception largie de la scurit.


L'enjeu


Pour le compte du HCR, l'EADRCC a organis l'acheminement de secours urgents dans cet avion de transport norvgien C-130 l'intention de rfugis fuyant la crise au Kosovo.
(Photo Belga 48Kb)

Il n'est donc pas surprenant que les Ministres des affaires trangres du CPEA, avec le soutien des Nations Unies, aient entrin avec enthousiasme la cration de l'EADRCC lors de leur runion tenue Luxembourg le 29 mai dernier. Cinq jours plus tard, en prsence des ambassadeurs des pays membres du CPEA auprs de l'Alliance, le Secrtaire gnral de l'OTAN, Javier Solana, inaugurait au sige de l'Organisation le Centre euro-atlantique de coordination des ractions en cas de catastrophe. Le jour mme de l'inauguration, les vagues de rfugis fuyant le Kosovo allaient prcipiter le dbut immdiat d'oprations dans le cadre de cette toute nouvelle structure. Fin juin, l'EADRCC avait envoy vers l'Albanie voisine 16 vols transportant un total de 165 tonnes d'aide d'urgence, l'appui du Haut Commissariat des Nations Unies pour les rfugis, organisme responsable au premier chef des oprations de secours destines aux rfugis. Bien entendu, il ne faut pas y voir seulement le rsultat d'un dsir bienveillant de renforcer les capacits d'assistance internationale en cas de catastrophe. En l'occurrence, l'enjeu primordial est le renforcement de la stabilit, de la scurit et de la paix dans la rgion euro-atlantique, but ultime du Partenariat pour la paix.

C'est peut-tre Andrei Piontkovski Responsable de l'Institut d'tudes stratgiques de Moscou, qui a le plus loquemment rsum la mission de l'EADRCC, alors que les discussions entre la Russie et l'OTAN au sujet de la cration d'une capacit euro-atlantique de raction en cas de catastrophe se poursuivaient encore:

"Sept annes ont pass depuis la runification de l'Allemagne. Durant toutes ces annes, une muraille d'amertume et de ressentiment s'est dresse entre ceux de l'Est et ceux de l'Ouest, et il a t plus difficile de la faire tomber que de dtruire le mur de Berlin. Il a fallu les ravages d'une inondation pour que les deux parties comprennent enfin qu'il n'y a qu'un seul et mme peuple allemand. Peut-tre, un jour, au lendemain de quelque opration conjointe de secours face une catastrophe, raliserons-nous tous qu'il n'y a qu'un seul et mme genre humain". (3)


Notes

  1. Pour de plus amples informations, cf. Francesco Palmeri, "Les plans civils d'urgence: une intressante forme de coopration sort de l'ombre", Cf. Revue de l'OTAN n2, 1996, pp.29-33.

  2. Paragraphe 25 du Concept stratgique de 1991. Cf. Revue de l'OTAN, dcembre 1991, p. 27.

  3. Andrei Piontkovsky, "NATO needs a human face", in Moscow Times, 29 aot 1997.


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