Edition Web
Vol. 46 - No. 1
Printemps 1998
pp. 22-25

La coopration civilo-militaire, lment essentiel
la mise en uvre de la paix en Bosnie

Colonel William R. Phillips

Chef de la Coopration civilo-militaire au SHAPE



(17Kb)

Le programme de coopration civilo-militaire de l'OTAN (CIMIC) reflte la conception large qu'a l'Alliance de la scurit, qui reconnat que toute opration militaire a des ramifications civiles. Selon l'auteur, la CIMIC s'est impose comme un aspect essentiel des oprations de l'IFOR/SFOR en Bosnie-Herzgovine et a de ce fait t intgre la formation des commandants de l'OTAN leurs tches de planification et d'intervention.

Les consquences de conflits comme celui de l'ex-Yougoslavie ne sont malheureusement que trop connues depuis quelques annes : autorit civile affaiblie, voire totalement inexistante, conomies effondres, rivalit et haine entre ethnies, multitude de personnes dplaces et de rfugis, et nombreuses violations des droits de l'homme. Ce genre de situation d'urgence complexe appelle l'intervention de beaucoup d'organisations internationales et non gouvernementales civiles qui apportent leur assistance un large ventail de tches politiques, humanitaires, conomiques et sociales. Quand des forces militaires sont galement dployes, les autorits politiques et les commandants militaires doivent uvrer en parallle avec les organismes civils et prendre en compte leur travail lors de la planification et de la conduite d'oprations. C'est prcisment ce que recouvre le concept de coopration civilo-militaire (CIMIC). Depuis dcembre 1995, la Force de mise en uvre (IFOR) comme la Force de stabilisation (SFOR) de l'OTAN considrent la CIMIC comme un lment essentiel l'interaction entre civils et militaires.

La CIMIC dans le cadre de l'IFOR/SFOR

Dans le cadre de la SFOR, la CIMIC a pour tche de nouer et d'entretenir les relations entre les commandants de la SFOR, les organisations civiles et la population. Elle mne en gnral deux types d'actions : le soutien aux forces militaires et le soutien l'environnement civil. Le premier a permis de prparer le dploiement de l'IFOR en Bosnie-Herzgovine, de crer et de maintenir des conditions de confiance et de partenariat entre civils et militaires aux niveaux local, rgional et national, et d'appuyer les activits oprationnelles des commandants de la SFOR. Pour raliser le second, la CIMIC value la situation et, dans les limites du mandat de la SFOR et des ressources disponibles, contribue au rtablissement des services publics essentiels et au redressement conomique. Tout au long de l'histoire de l'IFOR et de la SFOR, la CIMIC a volu afin de s'adapter l'volution des besoins sur le terrain.

Ds le dbut de leurs missions respectives, l'IFOR et la SFOR ont pris en compte, dans leurs plans et leurs oprations, la situation et les activits civiles. L'Accord-cadre gnral pour la paix - dit Accords de paix de Dayton - a dfini un rglement global qui aborde divers aspects civils et militaires parallles de la mise en uvre de la paix dans l'ex-Yougoslavie. Au cours de l'hiver 1995-1996, l'IFOR s'est concentre sur l'excution des aspects militaires des accords de paix. Au dbut, les relations avec les organisations de mise en uvre civile et leurs initiatives, qui rpondaient leur demande, ont t tournes vers des activits humanitaires l'appui du Haut Commissariat pour les rfugis des Nations unies (HCR), la libration de prisonniers l'appui du Comit international de la Croix rouge (CICR) et des projets immdiats, court terme.

"Quel que soit l'objectif de ces oprations - le rtablissement ou le maintien de la paix - elles demandent une composante civile et une interface civilo-militaire. Cela a t le cas de toutes ces oprations dans le pass et sans nul doute de cette mene en Bosnie, et ce sera l'un des grands enseignements tirs pour l'avenir."

Carl Bildt,
Haut Reprsentant,
Bosnie-Herzgovine,
mai 1996


Durant l't et l'automne 1996, l'interaction entre l'IFOR et les organisations de mise en uvre civile a t largie au soutien humanitaire, aux lections nationales, des projets plus long terme et la reconstruction d'infrastructures. Ce changement a reflt la prsence et l'exprience croissantes, sur le terrain, d'importantes organisations de mise en uvre civile comme les commissions civiles mixtes du Bureau du Haut Reprsentant, la Banque mondiale, l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE) et le Groupe international de police des Nations unies en Bosnie-Herzgovine (GIP). En 1997, la SFOR a commenc soutenir les efforts de diverses organisations civiles concernant les questions de rapatriement et de reconstruction, des projets d'investissements en quipement, les lections municipales et la mise en place d'institutions civiles.

Par rapport son orientation initiale vers les aspects purement civils des accords de paix, la mission de l'IFOR et de la SFOR s'est peu peu largie pour soutenir de nombreux volets de la mise en uvre civile. Aujourd'hui, la SFOR s'oriente de plus en plus vers l'appui aux tches de mise en uvre civile.

L'adaptation de la CIMIC dans le cadre de la SFOR



Soldats de la SFOR, dont une des missions consiste entretenir des relations avec la population civile, discutant avec un jeune bosniaque.
Tim Ripley (41Kb)
La structure de la CIMIC est fonde sur le principe selon lequel des oprations comme celle de la SFOR ncessitent des relations troites entre les niveaux d'activit politique, stratgique, oprationnel (sur le thtre) et tactique. La CIMIC a pour rle essentiel d'aider les commandants de l'OTAN accomplir leurs missions. L'orientation militaire stratgique de la SFOR est du ressort du SACEUR, au Grand quartier gnral des puissances allies en Europe (SHAPE), lequel est assist par une section provisoire de la CIMIC et un groupe CIMIC supplmentaire au Centre d'oprations interarmes du SHAPE Mons, en Belgique.

Dans le cadre de la SFOR, la structure de la CIMIC comporte des niveaux oprationnels et tactiques. Prs de 180 personnes soutiennent les activits tactiques des trois divisions multinationales prsentes en Bosnie-Herzgovine. Les autres membres de la CIMIC constituent le personnel oprationnel (CJ-9) qui assiste le Commandant de la SFOR, et ont compos, jusqu' dcembre 1997, un Groupe d'intervention civilo-militaire couvrant l'ensemble du thtre. Ce groupe d'intervention comportait des spcialistes responsables d'un large spectre de tches civiles allant de l'agronomie l'conomie en passant par le gnie civil. Prudemment mises au service des efforts civils, les comptences civiles de ce groupe couples un bagage commercial et aux connaissances des militaires en matire d'organisation ont aid au redressement, encourag le rapatriement et favoris la dmocratisation sur le thtre.

Les leons tires des oprations de l'IFOR et de la SFOR et des expriences nationales comme les missions antrieures des Nations unies en Bosnie-Herzgovine, la mission des Nations unies en Slavonie orientale et la coalition de 1997 en Albanie ont clairement dmontr que les commandants allis ont besoin d'une capacit de coopration civilo-militaire spcialise. A l'OTAN, l'volution qu'ont connue, ces deux dernires annes, l'orientation politique, les principes et la doctrine militaire de la CIMIC marque la premire phase de mise en place d'une telle capacit et a fait apparatre qu'il tait souhaitable d'tablir, dans l'Alliance, une base plus large de pays ayant l'exprience de ce genre de coopration. La mission de la SFOR, qui a besoin d'une importante capacit de coopration civilo-militaire, donne l'occasion de former un personnel de type multinational, dans le contexte des oprations en cours.


"En novembre (1995), nous n'avions jamais entendu parler de la CIMIC, nous n'avions pas la moindre ide de ce que vous faisiez... Maintenant, nous ne pouvons plus vivre sans vous."

Amiral Leighton Smith,
Commandant, IFOR,
avril 1996

De nombreux pays participant militairement la SFOR ont dploy du personnel de coopration civilo-militaire, mais ce sont les Etats-Unis - travers leurs units d'Affaires civiles actives ou de rserve - qui ont fourni le plus gros des effectifs la disposition des commandants de l'IFOR et de la SFOR. Au cours de ces deux dernires annes, ils ont envoy quelque 1 400 officiers et sous-officiers chargs des affaires civiles. La plupart de ces hommes sont des rservistes mobiliss pendant 270 jours puis placs sous le contrle oprationnel de l'IFOR/SFOR pendant six mois. Jusqu'en dcembre 1997, la SFOR a ainsi pu compter, tout moment, sur environ 320 membres des Affaires civiles de l'arme de terre des Etats-Unis.

Le processus de transformation du Groupe d'intervention civilo-militaire, jusque alors majoritairement amricain, en une vritable force allie multinationale a commenc en aot 1997. Il a t rorganis en un nouveau Groupe multinational de Cimic l'intrieur duquel la proportion de personnel non amricain a t augmente. L'objectif immdiat tait de former un Groupe d'intervention dont environ 50 % des membres proviendraient de pays autres que les Etats-Unis. De nombreux pays souhaitaient fournir des hommes, mais comme la CIMIC tait une fonction militaire nouvelle, beaucoup d'entre eux n'ont pas de personnel form cette tche. C'est pourquoi, durant le processus de constitution de cette force, plusieurs pays ont demand au SHAPE d'organiser un cours lmentaire de coopration civilo-militaire avant que leurs troupes ne rejoignent la SFOR.

La formation pr-recrutement la CIMIC


Officier des Affaires civiles du Royaume-Uni fournissant des informations sur les mines dans le cadre du stage de la CIMIC.
Photo SHAPE (34Kb)

Le SHAPE a ragi rapidement en constituant une organisation de formation et de soutien compose de vingt-six instructeurs de cinq pays diffrents venant du SHAPE, du QG des Forces terrestres du Centre Europe, du QG de la SFOR, du Groupe d'intervention civilo-militaire de la SFOR, des trois divisions multinationales de la SFOR, de l'unit allemande de CIMIC, du Groupe des Affaires civiles du Royaume-Uni et d'units d'Affaires civiles des Etats-Unis (Commandement europen des Etats-Unis, Stuttgart, Arme de terre des Etats-Unis en Europe, Heidelberg, et 353e Commandement des Affaires civiles, Rserve de l'Arme de terre des Etats-Unis). Le Centre de prparation de la 7e arme des Etats-Unis a fourni des salles de cours, des moyens d'hbergement et des installations de tir d'explosifs Vilseck, en Allemagne.

L'objectif du " Stage de CIMIC pr-recrutement de l'OTAN " est d'apporter aux stagiaires les connaissances de base de la coopration civilo-militaire telle qu'elle est pratique par la SFOR. Aprs l'avoir suivi, ils doivent tre prts tre dploys dans la SFOR, suivre une formation pratique sur place et accomplir des tches de coopration civilo-militaire l'intrieur des commandements et des formations de la SFOR.

Le programme du cours spcifiquement tourn vers la SFOR a t prpar par des responsables de l'IFOR/SFOR en prenant en compte les enseignements tirs de ces oprations dans diffrents pays et des indications donnes par des membres de la CIMIC au sein de la SFOR. Il comporte des cours sur l'orientation sur zone et la situation civile en Bosnie-Herzgovine ; les procdures de CIMIC ; les relations avec les organisations civiles ; la protection individuelle des soldats ; les enseignements tirs des missions de l'IFOR/SFOR. Des discussions sont galement prvues avec des reprsentants du QG du CJ-9 de la SFOR, du Groupe d'intervention civilo-militaire de la SFOR et des trois divisions multinationales en Bosnie-Herzgovine.

Le premier stage, qui s'est droul entre le 24 et le 29 novembre 1997, a runi 104 personnes provenant de dix pays membres et cinq pays partenaires de l'OTAN. Pour faciliter la constitution d'quipes et l'change d'informations, elles ont t divises en plusieurs groupes en fonction de leur affectation potentielle dans la SFOR. Les membres d'units oprationnelles ou de thtre ont form deux de ces groupes, tandis que trois autres rassemblaient les lments de divisions tactiques ou multinationales. Un officier charg de la CIMIC dans l'organe correspondant de la SFOR tait attach en permanence chaque groupe, dont il assurait tant la direction que la cohsion. La formation se composait d'une combinaison de 40 pour cent de cours magistraux et de 60 pour cent de cours en groupes comportant des exercices pratiques collectifs et individuels dans des domaines comme la ngociation, les entretiens avec les mdias et les runions entre civils et militaires. Tout au long de cette semaine de formation intensive, les stagiaires ont mis leurs instructeurs l'preuve et labor des techniques personnelles. Ils se sont fait une ide des moyens d'encourager le partenariat entre civils et militaires, ont li connaissance avec ceux qu'ils retrouveront dans le cadre de la SFOR et fait profiter les autres, chaque cours, de leurs grandes connaissances. D'aprs leurs ractions et le jugement port par les instructeurs, l'objectif poursuivi a t atteint.

Aprs le stage

Le 30 novembre et le 1er dcembre 1997, quatre-vingts stagiaires ont quitt Vilseck pour suivre une formation pratique, sur le thtre, dans le cadre de la SFOR. D'autres ont suivi peu aprs. Entre le 15 et le 29 dcembre, le Groupe d'intervention civilo-militaire s'est transform en un nouveau groupe d'intervention multinational de CIMIC avec le dpart de 320 soldats amricains et l'addition des bnficiaires du premier " Stage de CIMIC pr-recrutement " de l'OTAN aux 170 nouveaux officiers et sous-officiers chargs de la coopration civilo-militaire des Etats-Unis. De nouveaux stages devraient avoir lieu en 1998.

Il est bien vident que ce n'est pas en l'espace d'un seul stage que l'on peut faire le tour de tous les problmes que pose l'interface entre civils et militaires dans des situations complexes comme celle de l'ex-Yougoslavie. L'importance de ce stage rside non pas tant dans la formation de 104 officiers et sous-officiers de coopration civilo-militaire que dans la reconnaissance de la vision de l'OTAN et de sa volont de rgler la question de l'attitude des forces militaires devant l'volution complexe de l'environnement civil dans des zones d'oprations connues ou potentielles. Elle tient aussi la ncessit de fournir aux commandants de l'Alliance une capacit de coopration civilo-militaire multinationale spcialise.


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