Edition Web
No. 6 - nov.-
dc. 1997
Vol. 45 - pp. 12-16

Le Snat amricain va-t-il entriner l'largissement de l'OTAN ?

Stephen Cambone

Chercheur en tudes politico-militaires Centre d'tudes stratgiques et internationales, Washington, D C




(26Kb)
Les dbats du Snat amricain sur l'largissement de l'OTAN ont vritablement commenc. Au printemps 1998, le Snat, conformment la Constitution amricaine, dcidera s'il accepte que le Trait de Washington soit amend. Les principaux problmes sur lesquels il se penchera sans doute cette occasion sont les cots de l'largissement, le partage des charges, les consquences de l'largissement de l'Union europenne, les relations avec la Russie ainsi que l'ampleur et le calendrier d'une nouvelle vague d'adhsion. En donnant son accord l'largissement de l'OTAN, le Snat posera probablement plusieurs conditions qui devront tre incorpores dans la dcision finale de ratification et pourraient influer sur la politique amricaine envers l'OTAN pendant de nombreuses annes.


L'ouverture des sances de la Commission en octobre a vritablement lanc le dbat du Snat amricain sur l'largissement de l'OTAN. D'aprs la constitution, le Snat doit donner son avis et son accord concernant les amendements du Trait de Washington ncessaires l'admission de nouveaux membres dans l'Alliance. Le dbat s'achvera, au printemps 1998, par un vote qui requiert une majorit des deux tiers pour que le nouveau trait soit ratifi.

L'avis et l'accord du Snat seront exprims sous forme d'une rsolution de ratification accompagne d'une srie de conditions, rserves et dclarations par lesquelles le Snat tablira les bases politiques et juridiques de la participation amricaine au rgime du trait amend. Cette rsolution n'engage que l'excutif amricain, mais compte tenu du rle des Etats-Unis l'intrieur de l'OTAN, les dcisions du Snat auront des consquences pour l'Alliance tout entire.

Il est trop tt pour prvoir la teneur de la rsolution. Mais les problmes qui feront l'objet d'une attention particulire des snateurs dans le dbat en cours et conditionneront la rdaction de la rsolution sont dj vidents.

Les cots


Mme Madeleine Albright, Secrtaire d'Etat ( droite), et M. William Cohen, Secrtaire la Dfense, dclarant que le cot de l'largissement pourrait tre infrieur aux prvisions initiales, devant une Commission du Snat, le 21 octobre.
(AP 27Kb)

Le problme des cots a deux composantes, dont la premire est celle des cots absolus. Peu de snateurs croient que les cots absolus pour les dix prochaines annes atteindront les 120 milliards de dollars annoncs par le bureau du budget du Congrs. Nombre d'entre eux se montrent cependant sceptiques l'gard des 28 35 milliards avancs par l'administration Clinton. Pour beaucoup, l'estimation de 40 60 milliards de la Rand Corporation n'apparat pas exagre, et elle pourrait constituer l'extrme limite supportable pour les snateurs.

Le problme des cots de l'OTAN proccupe le Congrs depuis longtemps. L'accord rcent sur l'quilibre du budget fdral accrot cette proccupation. Il prvoit en effet que les dpenses de dfense n'augmenteront qu'en proportion de l'inflation. Or les chefs d'tat-major interarmes ont dj relev un dficit des crdits d'approvisionnement de l'ordre de 20 40 milliards de dollars par an dans l'actuel plan quinquennal de la dfense. Nul doute que les snateurs craindront soit que d'ventuelles grosses dpenses amricaines pour l'largissement de l'OTAN n'entranent le report ou l'annulation d'autres programmes de dfense auxquels ils tiennent, soit d'tre amens rinjecter des fonds dans la dfense, ce qui risquerait de bouleverser le fragile accord budgtaire tabli. La politique budgtaire affrente l'largissement conduira les snateurs affirmer avec vigueur que compte tenu de la charge que doit supporter le contribuable amricain, il faudra que les Allis de l'OTAN assument une part importante des cots.

La deuxime composante du problme des cots concerne la faon dont l'argent sera dpens. A ce sujet, les snateurs vont vouloir s'appesantir sur la nature de la menace, l'tat de modernisation relatif des forces allies et de celles des nouveaux membres, et les missions accomplir.

Parmi ces points, c'est l'cart important et grandissant entre les capacits des forces amricaines et celles des Allis actuels qui les proccupe le plus. Les snateurs comprennent que les principaux Allis - la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni - aient dcid de rduire leurs forces armes et de se concentrer sur la modernisation de la petite fraction constitue par les forces de raction rapide, plutt que d'entreprendre une modernisation d'ensemble. Mais cette comprhension ne lve pas pour autant leur inquitude quant aux consquences de ces dcisions.

Cela ne serait peut-tre pas un gros problme si l'Alliance n'avait adopt de nouvelles missions telles que le maintien de la paix et la gestion des crises. En effet, elles mettent l'accent sur des forces de projection modernes maintenues un niveau de prparation lev. Les snateurs sont parfaitement conscients que les forces allies actuelles ne disposent encore ni des fonds ni des structures adquats pour excuter ces missions. Ils craignent que cela n'oblige les Etats-Unis s'engager plus que ncessaire pour pallier les insuffisances de leurs allis, et certains se plaignent de l'ingalit du partage des charges. Les snateurs les plus vigilants ont peur que du fait des contraintes auxquelles sont soumis les Etats-Unis les ventuels investissements de ressources en Europe pour remdier aux carences de l'OTAN ne se fassent au dtriment des intrts de scurit de leur pays dans quelque autre rgion.

Ils ralisent qu'il sera difficile de maintenir les cots de l'largissement un niveau raisonnable pour tous et, dans le mme temps, d'assurer l'apport par les Allis, tant nouveaux qu'actuels, d'une contribution importante aux capacits de l'OTAN. Ils souhaitent concilier ces deux ncessits et pensent que les Allis peuvent y parvenir. De plus, ils estiment que les deux sont indispensables si l'Alliance veut disposer de capacits de dfense et de dissuasion crdibles.


L'engagement des Allis



M. Lszl Kovcs, ministre hongrois de la Dfense (au centre), en compagnie de M. Trent Lott, prsident du groupe majoritaire au Snat ( droite), et d'autres snateurs amricains, Washington, le 30 septembre, pour y discuter de l'adhsion de son pays l'OTAN.
(AP 37Kb)
Le problme de l'engagement des Allis comporte deux facettes. La premire est l'engagement l'gard mme du processus d'largissement de l'OTAN. Les snateurs savent bien qu'il est en grande partie le rsultat de l'insistance des Etats-Unis; nombre d'entre eux affirment, d'ailleurs, avoir contribu la dcision prise par l'administration de fixer 1999 la date de l'largissement. Mais ils sont galement conscients de l'attitude moins enthousiaste de certains Allis sur ce sujet.

La seconde facette tient la crainte que la politique de l'Union europenne, qui vise la fois l'largissement de l'U.E. (voir plus loin) et la ralisation de l'Union montaire, n'accapare les dirigeants politiques allis et les richesses nationales au point qu'il ne reste plus assez de ressources humaines et matrielles consacrer l'largissement de l'OTAN. Lors de leur rflexion sur les problmes de l'Alliance, les snateurs seront amens s'intresser davantage l'ensemble de la scne politique europenne. Le Snat est conscient, en particulier, des difficiles dcisions que devront prendre les gouvernements europens pour prparer l'Union montaire et de son incidence sur les budgets de dfense et les ressources disponibles pour faire face aux cots de l'largissement.

L'largissement de l'Union europenne

Les snateurs prouvent une certaine irritation quant au rythme auquel est men l'largissement de l'Union europenne. L'annonce de l'ouverture dans un proche avenir de pourparlers d'adhsion avec six pays, dont trois qui sont aussi candidats l'adhsion l'OTAN, parat encourageante ceux qui pensent que les largissements des deux organisations doivent tre complmentaires et parallles. Mais l'U.E. devra poursuivre ses pourparlers d'adhsion avec davantage d'entrain pour combattre l'impression qu'ils sont un moyen de retarder son vritable largissement.

Certains affirment dj avec insistance que l'Union europenne n'a aucune raison de ne pas intgrer un ou plusieurs Etats baltes dans les prochaines annes. Et le mme sentiment est souvent exprim au sujet de la Slovnie. Les snateurs ne manqueront pas d'affirmer que l'Estonie et la Slovnie remplissent d'ores et dj clairement les critres de l'U.E. et devraient tre admises sans dlai.

Cet argument est destin favoriser une nouvelle forme de partage des charges dans laquelle les Etats-Unis et l'Union europenne (ou tout au moins ses Etats membres) uvrent ensemble pour tendre l'Europe centrale la scurit tant "forte" que "faible". Il sert galement, de toute vidence, contrebalancer les problmes ventuels qui pourraient dcouler du fait que l'OTAN n'a invit que trois pays adhrer. A cet gard, on peut se demander si les snateurs ont bien rflchi, dans une perspective plus large, aux consquences de l'U.E. comme source (limite) de scurit "forte" et (abondante) de scurit "faible" en Europe centrale. Avec l'largissement de l'OTAN et l'accroissement correspondant des responsabilits amricaines en Europe centrale, les snateurs estiment que l'U.E. doit en faire davantage.

La Russie


M. le Snateur Jesse Helms, Prsident de la Commission des relations extrieures du Snat.
(Reuters 24Kb)

Les proccupations des snateurs au sujet de la Russie touchent de nombreux aspects. Peu d'entre eux font preuve d'hostilit envers la Russie. Mais beaucoup s'interrogent sur son avenir politique et conomique et donc sur l'attitude qu'elle adoptera envers l'Occident et les Etats-Unis en particulier. La crainte d'hier que l'largissement n'affecte les rformes intrieures et les relations avec la Russie s'est estompe grce aux accords conclus aux sommets d'Helsinki et de Paris en 1997. Les snateurs sont manifestement favorables des initiatives permettant d'instaurer des relations entre la Russie et l'Occident, mais les incertitudes qui planent sur son avenir renforcent l'ide qu'il faut veiller ne pas donner la Russie la fois un droit d'expression et de veto sur les affaires de l'OTAN. C'est pourquoi l'Acte fondateur OTAN-Russie sign Paris en mai dernier est considr comme une ncessit politique. Des proccupations subsistent nanmoins quant au rle et la fonction du nouveau Conseil conjoint permanent (PJC).

Certains snateurs craignent que le PJC ne fournisse la Russie un moyen d'exercer son influence et son veto sur les activits de l'OTAN. Cette crainte rsulte de l'engagement de l'OTAN de consulter le Conseil conjoint sur toutes les questions d'intrt commun lies la scurit. Or les snateurs ne savent pas ce qu'englobe cette notion d'intrt commun. C'est pourquoi certains suggrent que l'on raffirme la primaut du Conseil de l'Atlantique Nord et qu'on limite troitement le champ d'activit du PJC afin de garantir que l'influence de la Russie sur les activits des Allis ne s'tende sous l'effet d'une simple expansion bureaucratique.

Un processus ouvert

L'administration s'est engage laisser l'Alliance ouverte de nouveaux membres. De nombreux snateurs y sont galement favorables. Leurs motivations vont de la volont de s'acquitter d'une dette envers les Etats baltes jusqu' un intrt particulier pour tel ou tel pays, comme la Slovnie ou la Roumanie. Certains pensent galement qu'un processus qui reste ouvert est un processus que la Russie ne contrle pas, ce qui prserve donc la libert politique d'agir de l'OTAN.

Cependant, d'autres snateurs craignent que l'engagement en faveur d'une Alliance en expansion constante ne la transforme en une organisation de scurit collective plus proche de l'OSCE qui perdrait la fois sa cohsion et la participation et le soutien actifs des Etats-Unis.

Le dbat sur l'largissement de l'OTAN au Snat amricain ne fait que commencer. Par la suite, l'attention des snateurs va se porter rapidement sur les problmes souligns ici. Leurs dlibrations constitueront la base de l'avis qu'ils adresseront au Prsident et de leur accord l'largissement de l'OTAN. La conclusion de ces dlibrations sera contenue dans une rsolution de ratification fixant les conditions dans lesquelles les Etats-Unis acceptent des amendements au Trait de Washington. Ces conditions serviront de cadre d'orientation de la politique amricaine envers l'OTAN pour les annes venir.

Il y a peu de risques qu'en acceptant l'largissement le Snat impose aux prochains prsidents amricains des contraintes susceptibles d'branler leur position parmi des conseils allis ou d'affecter l'intgrit de l'OTAN. Mais on peut s'attendre certaines exigences et peut-tre une ligne directrice spcifique pour que le prsident trouve les moyens d'viter que les Etats-Unis n'engagent des responsabilits supplmentaires, d'encourager les allis actuels accrotre les efforts de modernisation de leurs armes, d'inciter une acclration de l'largissement de l'U.E., de dfinir plus clairement les relations avec la Russie et de donner quelques indications quant l'extension territoriale et politique ultime de l'Alliance.


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