La récente intervention de la Russie en Ukraine a suscité de nombreux débats sur le recours à la guerre hybride et son efficacité. Il s’agit d’un type de guerre généralement présenté comme alliant guerre conventionnelle et non conventionnelle, guerre régulière et irrégulière, guerre de l’information et cyberguerre.

Un analyste examine des codes dans le laboratoire d’analyse des logiciels malveillants d’un service de cyberdéfense. © REUTERS
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Un analyste examine des codes dans le laboratoire d’analyse des logiciels malveillants d’un service de cyberdéfense. © REUTERS

Certaines des plus grandes puissances et coalitions militaires au monde, dont l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), tentent depuis une dizaine d’années de faire face aux menaces qualifiées d’hybrides et de les contrer. Au lieu d’élaborer des stratégies fondées sur des défis « hybrides », terme fourre-tout plutôt évasif, j’estime que les décideurs devraient se désintéresser de cette formule et aborder la guerre pour ce qu’elle a toujours été : un maillage complexe de menaces et de moyens de coercition mis au service de motivations politiques.

Apparue dès 2005, voire plus tôt encore, la formule « guerre hybride » est ensuite utilisée pour décrire la stratégie employée par le Hezbollah lors de la guerre du Liban en 2006. Depuis lors, le terme « hybride » domine la plupart des discussions relatives à la guerre contemporaine et du futur, au point que le concept a été adopté par les grands dirigeants militaires et présenté comme le fondement des stratégies militaires modernes.

L’idée générale est que les adversaires d’aujourd’hui ont recours à des moyens conventionnels et non conventionnels, réguliers et irréguliers, visibles et dissimulés. Ils exploitent toutes les dimensions de la guerre pour s’attaquer à la supériorité dont jouit l’Occident en matière de guerre conventionnelle. Les menaces hybrides exploitent pleinement tous les aspects de la guerre moderne : elles ne se limitent pas aux moyens conventionnels.

Dans la pratique, une menace peut être considérée comme hybride dès lors qu’elle s’inscrit dans plusieurs dimensions et types de guerre différents. Lorsqu’une menace ou le recours à la force est qualifié d’hybride, ce terme perd sa valeur et crée la confusion au lieu d’expliquer la « réalité » de la guerre moderne.

Un char détruit le long d’une route sur le territoire contrôlé par la République populaire autoproclamée de Louhansk à proximité de l’aéroport de Louhansk (région de Louhansk), dans l’est de l’Ukraine, le 19 novembre 2014. © REUTERS
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Un char détruit le long d’une route sur le territoire contrôlé par la République populaire autoproclamée de Louhansk à proximité de l’aéroport de Louhansk (région de Louhansk), dans l’est de l’Ukraine, le 19 novembre 2014. © REUTERS

Personne ne nie que les adversaires, d’hier comme d’aujourd’hui, ont usé de créativité pour tirer pleinement parti de toutes les formes que peut prendre la guerre, notamment par le recours à des tactiques régulières et irrégulières dans toutes les dimensions qu’elle comporte. Ensemble, ces moyens constituent peut-être un éventail hybride de menaces et de stratégies, mais l’on ne voit pas très bien en quoi cela justifierait l’utilisation du terme « hybride », si ce n’est pour sa valeur de simple description générique.

Dans la pratique, une menace peut être considérée comme hybride dès lors qu’elle s’inscrit dans plusieurs dimensions et types de guerre différents. Lorsqu’une menace ou le recours à la force est qualifié d’hybride, ce terme perd sa valeur et crée la confusion au lieu d’expliquer la « réalité » de la guerre moderne.

L’utilisation systématique du terme « hybride » présente un autre problème : le recours à un terme nouveau suppose que la guerre moderne a quelque chose de nouveau, ce qui n’est pas forcément le cas. Dans son ouvrage phare sur la guerre au XXIe siècle, l’éminent stratège militaire Colin Gray défend de manière convaincante l’argument selon lequel la guerre du futur et donc, par extension, la guerre moderne, ne consiste dans le fond qu’à reproduire des schémas déjà connus.

La plupart des conflits de l’histoire de l’humanité, sinon tous, ont donné lieu à l’emploi de moyens asymétriques qui permettent d’exploiter les faiblesses de l’ennemi, et donc à des situations complexes caractérisées par le recours à des tactiques régulières comme irrégulières, conventionnelles comme non conventionnelles. Aussi l’émergence de la cyberguerre n’a-t-elle pas fondamentalement changé la nature de la guerre, elle n’a fait qu’apporter une nouvelle dimension aux conflits.

Un soldat ukrainien s’entraîne au maniement d’un drone à proximité de Kiev, le 6 novembre 2014. © REUTERS
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Un soldat ukrainien s’entraîne au maniement d’un drone à proximité de Kiev, le 6 novembre 2014. © REUTERS

Lors d’une récente rencontre parrainée par l’OTAN et organisée par l’Atlantic Council, les participants ont appris qu’il n’existait « aucune définition unanimement reconnue des termes liés à la guerre hybride ». Autrement dit, les vingt-huit membres de l’Alliance atlantique ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une définition claire des menaces auxquelles ils sont confrontés. Comment les dirigeants de l’OTAN pourraient-ils élaborer une stratégie militaire efficace s’ils ne peuvent définir ce qu’ils considèrent comme la principale menace du moment ?

Je recommande donc que l’OTAN et les autres décideurs occidentaux oublient toutes les références à l’« hybridité » et qu’ils se concentrent sur la spécificité et l’interconnexion des menaces qui se présentent à eux. La guerre, qu’elle soit ancienne ou moderne, hybride ou non, est toujours complexe et peut difficilement se résumer à un seul adjectif. Pour élaborer une stratégie efficace, il convient de tenir compte de l’environnement complexe d’un conflit et de trouver le moyen de l’aborder sans pour autant le simplifier à outrance.