
Un aspirant terroriste britannique a dit que la participation de son pays à la guerre en Iraq avait été pour lui l’élément catalyseur
Plus de dix ans après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, les théoriciens et les praticiens de la lutte contre le terrorisme et les responsables politiques concernés s’emploient toujours à comprendre ce qui peut motiver des hommes qui ont passé leur enfance et le début de leur vie adulte dans des villes occidentales comme Londres, Toronto, Copenhague, New York ou Madrid à se retourner contre le pays dont ils sont ressortissants ou résidents et à l’attaquer.
La dissection de dizaines de milliers de pages de transcriptions judiciaires liées à 14 des complots les plus importants organisés par Al-Qaïda contre l’Occident au cours de la dernière décennie a montré que l’intervention des puissances occidentales dans des terres musulmanes revient souvent parmi les éléments perçus comme des griefs politiques justifiant des actes terroristes contre l’Ouest.
Basculement de loyalisme
Les questions de loyalisme figurent en bonne place parmi les causes du basculement dans la violence d’individus ayant grandi en Occident. Lorsqu’ils se radicalisent ainsi, ils se sentent tenus d’être loyaux non plus envers leur pays mais envers une cause islamique transnationale incarnée par Al-Qaïda. Par exemple, Omar Khyam, qui projetait de commettre un attentat contre une boîte de nuit et un centre commercial au Royaume-Uni, où il est né, et qui a été arrêté dans le cadre de l’opération Crevice, a dit qu’il avait acquis la conviction, en 2002-2003, que l’Ouest était en guerre contre l’islam. La participation du Royaume-Uni à l’invasion de l’Iraq fut l’élément catalyseur qui l’a amené à voir les choses sous un autre angle et a fait basculer son loyalisme.
Il a déclaré : « C’est au début de la guerre en Afghanistan, en 2001, que j’ai entendu pour la première fois des gens dire qu’il faudrait attaquer le Royaume-Uni, mais ce n’était pas un avis majoritaire. À l’époque, je trouvais des excuses au Royaume-Uni, considérant qu’il n’avait pas le choix. Nous étions nés ici et nous avions un certain sentiment d’allégeance vis-à-vis du pays. Mais les choses ont changé après l’invasion de l’Iraq. La guerre en Iraq a été le point de basculement. Les gens ne comprenaient vraiment pas pourquoi ce pays était attaqué. Des questions pétrolières étaient-elles en jeu ? C’était aussi une guerre contre l’islam. J’étais au Pakistan à l’époque. Le comportement de beaucoup de gens qui, auparavant, trouvaient, comme moi, des excuses au pays avait changé et ils estimaient qu’il fallait maintenant attaquer le Royaume-Uni et l’Amérique. »
Omar Khyam, qui projetait de commettre un attentat contre une boîte de nuit et un centre commercial au Royaume-Uni, où il est né, a dit qu’il avait acquis la conviction, en 2002-2003, que l’Ouest était en guerre contre l’islam
Vengeance
Autre thème fréquemment évoqué par ceux qui projetaient de commettre des attentats contre l’Ouest : le désir de faire payer aux pays occidentaux leurs décisions et leurs actions en matière de politique étrangère. Par exemple, dans son enregistrement vidéo du 7 juillet 2005 concernant les attentats à la bombe dans le métro londonien, le kamikaze Mohammed Siddique Khan, a notamment déclaré ceci :

Le chef du groupe qui a perpétré les attentats de Londres, Mohammed Siddique, a dit : « Nous sommes en guerre et je suis un soldat »
« Vos gouvernements démocratiquement élus commettent constamment des atrocités contre mon peuple partout dans le monde. Et le soutien que vous leur apportez vous rend directement responsables, de la même manière que je suis moi directement responsable de la protection et de la vengeance de mes frères et sœurs musulmans. Tant que nous ne serons pas en sécurité, vous serez nos cibles, et tant que vous ne cesserez pas de recourir aux bombardements, aux gaz, à l’emprisonnement et à la torture contre mon peuple, nous poursuivrons ce combat. Nous sommes en guerre et je suis un soldat. Vous allez maintenant connaître vous aussi la réalité de cette situation.
Un autre kamikaze, Shehzad Tanweer, a également évoqué la vengeance dans sa vidéo, notant que les non-musulmans de Grande-Bretagne méritaient d’être la cible de tels attentats parce qu’ils avaient voté pour un gouvernement qui « continue d’opprimer nos mères, nos enfants, nos frères et nos sœurs en Palestine, en Afghanistan, en Iraq et en Tchétchénie. »
Échec de la contestation non violente
Pour un certain nombre de conspirateurs, le basculement dans la violence s’est opéré une fois qu’ils sont arrivés à la conclusion que l’action politique non violente ne parviendrait pas à faire changer la politique étrangère de leur pays. Comme Omar Khyam, Ahmed Abdulla Ali, l’un des terroristes qui projetaient d’utiliser des explosifs liquides sur des vols transatlantiques en 2006, a déclaré que la guerre en Iraq avait été le principal catalyseur de ses sentiments antiaméricains et antibritanniques. Il a expliqué comment, après avoir participé à des manifestations et à des mouvements de contestation, il avait conclu que la contestation politique et le travail humanitaire ne parviendraient pas à influer sur le problème de fond – la politique étrangère du Royaume-Uni.
« …Mon enthousiasme et ma confiance à l’égard de moyens d’action comme la contestation et les manifestations se sont érodés. La plus grande manifestation qui ait été organisée – un million de personnes – ne semblait pas avoir eu d’impact… Donc, pour résumer, en s’occupant des réfugiés et en manifestant, on ne s’attaquait qu’aux symptômes du problème ; or il fallait s’attaquer à sa racine – la politique étrangère.»
Langage/obligation d’ordre religieux
Si dans bon nombre de leurs messages les conspirateurs utilisent un langage à caractère religieux pour fournir une justification morale (ou même évoquer une obligation imposée par leur religion) à l’acte de terrorisme prévu, leurs déclarations dénotent, en fait, derrière le vocabulaire religieux, des griefs à l’encontre de la politique étrangère des pays occidentaux. Par exemple, avant sa tentative d’attentat, le tristement célèbre « terroriste à la chaussure piégée », Richard Reid, avait écrit dans une lettre à sa mère :
« Ce que je fais entre dans le cadre de la guerre en cours entre l’islam et les mécréants… Je n’ai pas commis cet acte par ignorance ou simplement parce que je souhaite mourir, mais bien parce que je considère que c’est une obligation qui m’incombe pour aider à chasser les forces d’oppression américaines des terres musulmanes… nous n’avons pas d’autre moyen de les combattre… nous sommes prêts à mourir pour défendre le véritable islam, plutôt que de laisser passivement le gouvernement américain nous dicter ce que nous devons croire et comment nous devons nous comporter… c’est une guerre entre l’islam et la démocratie.»
De même, l’un des terroristes qui avaient planifié un attentat dans le métro new yorkais en 2009, Adis Medunjanin, a expliqué qu’il avait choisi la violence en réaction à ce qu’il considérait comme des violations morales commises par la politique étrangère des États-Unis contre la communauté musulmane mondiale. Il a dit qu’il avait vu le reportage montrant comment les musulmans étaient traités à la prison d’Abou Ghraïb (de nouvelles images étaient parues à cette époque). Cela l’avait rendu furieux et l’avait amené à promouvoir le djihad à la mosquée et après les rencontres de basket-ball avec ses amis, où personne n’avait de ballon. Il estimait devoir faire quelque chose pour se joindre au combat mené par ses frères musulmans. Les États-Unis commettaient tellement d’injustices qu’il se devait de faire quelque chose pour aider ses frères musulmans… Il avait décidé d’aller en Afghanistan et de rejoindre les talibans. Il voulait y combattre et tuer des soldats américains.

Abou Ghraïb – les abus commis dans cette prison ont été évoqués comme justification par l’un des terroristes qui avaient planifié un attentat dans le métro new yorkais
La vengeance, l’échec des actions de contestation non violentes et le sentiment d’obéir à une obligation religieuse ont été autant d’éléments qui ont contribué au dessein visé par les 14 complots : contraindre les puissances occidentales à modifier leurs politiques étrangères.
Selon l’un des témoins au procès des organisateurs des attentats de Madrid de 2004, c’était la participation de l’Espagne à la guerre en Iraq qui avait justifié les attentats perpétrés contre ce pays. Il a indiqué que « sous l’angle du conflit en Iraq, l’Espagne était devenue un ennemi de l’islam et devait dès lors être attaquée. » Cependant, le calendrier et la nature des attentats auraient été largement inspirés par une suggestion d’attaque de l’Espagne publiée sur un site Web – Jihadi Iraq – et découverte dans l’ordinateur de l’un des organisateurs. Ce message appelait à mener une campagne d’attentats peu avant les élections générales espagnoles, qui devaient conduire à l’élection d’un nouveau gouvernement qui procéderait ensuite au retrait des troupes d’Iraq.
Coercition
L’objectif de coercition était clair : « Nous disons donc que pour contraindre le gouvernement espagnol à décider un retrait d’Iraq, la résistance doit porter des coups douloureux à ses forces… Il faut utiliser de manière optimale les élections générales qui vont se tenir en Espagne en mars de l’année prochaine. Nous pensons que le gouvernement espagnol ne pourra pas tolérer plus de deux, au maximum trois atteintes, après quoi il sera contraint de décider un retrait sous la pression populaire. »
le fait que les actions de politique étrangère des pays ont eu un effet catalyseur sur des actes de terrorisme perpétrés sur le territoire national ne signifie pas que les décisions de politique étrangère doivent reposer sur la volonté d’éviter de tels attentats
Shehzad Tanweer, l’un des kamikazes du métro londonien, s’était fait l’écho de cet objectif coercitif :
« Ce dont vous venez d’être témoins n’est que le début d’une série d’attentats qui se poursuivront et s’intensifieront jusqu’à ce que vous retiriez vos forces d’Afghanistan et d’Iraq et jusqu’à ce que vous mettiez un terme au soutien financier et militaire que vous apportez à l’Amérique et à Israël. »
Par ailleurs, Abid Nacer Benbrika, l’idéologue arrêté dans le cadre de l’opération Pendennis, qui avait mis au jour l’existence de deux groupes d’Australiens, à Sydney et Melbourne, qui prévoyaient de perpétrer des attentats sur des objectifs clés en Australie, voulait également utiliser la terreur pour contraindre ce pays à modifier sa politique étrangère. Il a déclaré que les musulmans étaient résolus à mener le djihad violent pour persuader le gouvernement de retirer les troupes australiennes d’Afghanistan et d’Iraq.
Il a dit à l’un de ses acolytes : «Nous ne voulons pas tuer juste une, deux ou trois personnes ; si nous en tuons un millier, ils entendront nos revendications et procéderont au retrait de leurs troupes d’Iraq.» Il a fait valoir qu’il n’y avait pas de différence entre le gouvernement et ceux qui ont élu les responsables.
Enfin, dans le cadre du complot du groupe « Toronto 18 », en 2006, les conspirateurs prévoyaient de commettre des attentats à la bombe qui surpasseraient ceux de Londres de 2005 et « forceraient le Canada à retirer ses troupes d’Afghanistan. »
Des griefs impossibles à satisfaire
Cependant, le fait que les actions de politique étrangère des pays ont eu un effet catalyseur sur des actes de terrorisme perpétrés sur le territoire national ne signifie pas que les décisions de politique étrangère doivent reposer sur la volonté d’éviter de tels attentats.
En effet, comme les événements de Madrid le donnent à penser, pour chaque grief potentiellement satisfait, il y en a d’autres qui ne peuvent pas l’être. Dans les décombres de l’appartement de la banlieue de Madrid où séjournaient les membres de la cellule responsable des attentats du 11 mars 2004 (qui se désignait comme « la brigade d’Al-Andalus »), détruit par une explosion, on a retrouvé des fragments d’enregistrement vidéo contenant leur ultime déclaration.
Outre la participation de l’Espagne à la guerre en Iraq, les membres de la cellule évoquaient un autre grief – l’occupation espagnole d’Al-Andalus, qui commença en 1492 avec la reconquête de l’Espagne aux mains des Maures par Ferdinand et Isabelle: « Vous savez que l’Espagne a mené une croisade contre les musulmans, et que peu de temps s’est écoulé depuis leur expulsion d’Al-Andalus et les tribunaux de l’Inquisition. Le sang appelle le sang. La destruction appelle la destruction ! »
Donc, même après la décision de Madrid de retirer ses troupes d’Iraq, l’occupation espagnole de l’Andalousie de 1492 était toujours un grief vivace appelant d’autres actes de terreur et de coercition tant qu’il n’aurait pas lui aussi été satisfait – une exigence impossible.
Il ressort, en outre, de conversations avec des responsables de la sécurité espagnols que malgré le retrait d’Iraq intervenu en 2005-2006, non seulement la menace terroriste pesant sur l’Espagne n’avait pas diminué, mais que les complots contre ce pays se sont poursuivis et ont atteint leur plus haut niveau quatre ans plus tard avec l’arrestation en janvier 2008, à Barcelone, de dix hommes soupçonnés d’avoir planifié des attentats suicide dans les transports publics barcelonais, dans le cadre de l’ « operación Cantata ».
Les décideurs et les responsables de la sécurité ne doivent pas tenter de composer avec cette série perpétuelle de griefs politiques impossibles à satisfaire. Ils doivent continuer à prendre les décisions de politique étrangère qu’ils jugent conformes à l’intérêt national, tout en tenant compte des réactions potentielles qu’elles pourraient engendrer et en se préparant à y faire face.