Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Au terme de ces deux journées fort riches, que l’IRIS a pris l’initiative d’organiser en partenariat avec La Croix et France Culture, et que je remercie très vivement, mon propos ne sera sûrement pas d’esquisser une synthèse des nombreux points de vue exprimés au long des débats. Tous, de même que le débat public qui s’est développé au cours des dernières semaines, traduisent cependant une réalité, relevée à Bruxelles : l’OTAN demeure un objet privilégié des "passions françaises", parce qu’à travers l’Alliance, c’est d'abord notre rapport à l’Europe et notre rapport aux Etats-Unis qui sont simultanément mis en jeu, et donc bien sûr, l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes et de notre rapport aux autres ; en même temps, l’OTAN n’est pas un objet inerte - il suffit d’examiner l’ampleur des transformations qui sont intervenues depuis la fin de la guerre froide -, ce qui, en raison des rapports particuliers qui nous lient à cette organisation, nous oblige à un réexamen périodique de nos propres volontés et de nos intérêts à long terme. Ce débat est en cours, et je me bornerai à constater qu’il est suivi avec grand intérêt par l’ensemble de nos Alliés à commencer par les Européens, et chacun comprend bien qu'il s'agit d'une décision souveraine de la France.
Je voudrais, et cela dans le prolongement des débats que j’ai eu le plaisir de suivre cet après-midi, me tourner également vers l’avenir et consacrer ces quelques minutes à l’examen de l’agenda qui sera celui de OTAN lorsque les chefs d’Etat et de Gouvernement se retrouveront, dans un mois exactement, les 3 et 4 avril, pour célébrer le 60ème anniversaire de l’Alliance. Cet anniversaire prendra bien entendu une signification particulière puisqu’il sera célébré, pour la première fois et conjointement, sur le sol de la France et de l’Allemagne, dont l’histoire commune, celle des heures les plus tragiques comme celle des oeuvres les plus admirables, - au premier rang le développement de l’Union Européenne -, cette histoire commune est aussi, nous le savons bien, celle des Européens en même temps que celle des relations entre l’Europe et l’Amérique du nord, celle du lien transatlantique.
A Strasbourg / Kehl, trois sujets principaux réuniront les chefs d’Etat et de Gouvernement : les opérations en cours, c'est-à-dire l’Afghanistan et la lutte contre le terrorisme global, le Kosovo et la poursuite de l’intégration Euro-Atlantique des Balkans, d’abord, la Russie et l’avenir de la stabilité sur le continent européen ensuite, et, last but not least, la définition d'un concept stratégique rénové pour l’Alliance qui impliquera, sans doute, une nouvelle réforme de l’organisation.
Depuis la fin de la guerre froide, les opérations dominent, à juste titre, l’agenda de OTAN. Cela signifie que cette Organisation, unique de son espèce puisqu’elle associe Européens - 21 des membres de l’UE sont membres de OTAN -, et nord-américains pour faire face, ensemble et lorsque nous le décidons, aux enjeux communs de sécurité et de défense, engage sa crédibilité sur le terrain, nos militaires y assumant souvent les missions les plus exigeantes, et nous savons les sacrifices qui ont été consentis au long de ces missions, auxquelles la France a pris toute sa part.
L’Alliance a démontré son efficacité en Bosnie (IFOR-SFOR) où elle a rétabli la paix, avant de passer le relais à l’Union Européenne qui poursuit, avec succès, la mission. Au Kosovo, la KFOR a préservé depuis 10 ans la stabilité et, sur la base de la résolution 1244, poursuit sa mission, en relation avec l’Union Européenne désormais engagée avec EULEX. Dans les Balkans, l’Alliance a permis aux populations de l’ex-Yougoslavie de renoncer à la violence et de se préparer à un futur toujours plus intégré à l’Europe. Ce sera sans doute la tâche des dix ans à venir, l’Alliance et l’Union européenne en seront les acteurs principaux, confortant ainsi la stabilité au coeur du continent, et fermant une page à nouveau douloureuse de notre histoire commune.
En Afghanistan, l’Alliance fait face à des conflits de type nouveau, qui constituent pour elle, nous le savons, un véritable défi.
En 2009, les élections présidentielles doivent permettre au peuple Afghan de choisir ses responsables, pour la seconde fois de son histoire. Elles seront l’occasion de renouveler le pacte qui doit relancer la construction de cette nation, sa sécurité à travers la constitution d’une armée et d’une police en lesquelles tous les Afghans se reconnaissent, plus largement construire ses institutions et organiser son développement. Nous le savons, l’aspiration des Afghans est là : bâtir un avenir prometteur pour la nouvelle génération, ce faisant, tourner définitivement les pages de la guerre civile et de l’oppression talibane, trouver enfin les voies d’une relation désormais confiante avec tous les voisins de la région, à commencer par le Pakistan dont la stabilité constitue, aussi et à l’évidence, un enjeu pour tous.
Le chantier est encore immense mais il ne fait aucun doute que la réduction de l’hyperterrorisme et la maîtrise de la stabilité dans toute cette région vont de pair. Moins éloignée de nos propres enjeux de sécurité qu’il n’y paraît trop souvent à nos opinions publiques, cette région restera une priorité commune des Européens, des Etats-Unis et du Canada, de la Russie, et par-delà, de toute la communauté internationale sous l’autorité des Nations Unies. Si l’ISAF réunit plus de 40 pays déterminés à accomplir la mission de stabilité que l’ONU a confiée à l’OTAN en 2003, c’est bien parce qu’ils partagent la même conviction, à savoir qu’une dimension essentielle de la sécurité internationale, donc de la leur, donc de la nôtre également, se jouera là-bas encore dans les années à venir, comme ce fut le cas depuis plus de dix ans maintenant, même si nous n’en avons pris conscience qu’au lendemain du 11 septembre.
La prévention du terrorisme a constitué l’un des sujets majeurs de la coopération entre l’OTAN et la Russie, et le demeure. En même temps, nous sommes incontestablement entrés dans une phase de réexamen des relations entre la Russie et l’Alliance. Nul besoin de souligner les graves difficultés et les désaccords persistants nés de la crise de Géorgie et de la reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud, venant après la suspension du traité CFE, les incompréhensions liées au programme de défense antimissile et la question de l’appartenance de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Alliance. Comme les Ministres des Affaires étrangères l’ont décidé en décembre dernier, la reprise du dialogue politique s'engage de façon progressive. Chacun mesure bien la complexité de la situation nouvelle, qui combine à la fois les exigences d’une coopération durable et les risques liés à une politique d’influence, la régulation de l’ensemble ne pouvant résulter que d’un dialogue interrompu et intensifié. Dans l’univers mondialisé et globalisé qui est le nôtre, dont la crise économique et financière nous a encore montré l’ampleur par la rapidité et l’intensité de sa diffusion, il est clair que les intérêts partagés doivent prévaloir sur les désaccords, et plus encore les confrontations éventuelles.
Le président Medvedev et la diplomatie russe ont, au cours des derniers mois, fait valoir la nécessité d’une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Ces propositions ont été abordées depuis lors au sein de l’OSCE, qui constitue bien le forum approprié pour en débattre. Beaucoup reste à faire pour clarifier leur portée, en relation notamment avec les autres sujets qui demeurent à l’ordre du jour comme le Traité CFE, la résolution de la crise en Géorgie et les sujets plus larges, mais d’intérêt mutuel également, comme la non prolifération. On le voit, après les résultats importants obtenus depuis 2002 dans le cadre du partenariat OTAN – Russie, les conditions futures de la stabilité et de la sécurité en Europe, et plus précisément, la nature et le contenu des relations entre l’Alliance et la Russie sont de nouveau à l’ordre du jour.
Troisième sujet éminent du Sommet, le devenir du concept stratégique de l’Alliance.
L’élaboration de la « Déclaration sur la sécurité de l’Alliance » (DAS) décidée à Bucharest pourrait ouvrir la voie, si les chefs Etat le décident, à un concept stratégique rénové pour l’OTAN. On sait que le concept actuel, adopté en avril 1999 lors du Sommet de Washington, a également orienté la réorganisation profonde des commandements militaires de l’Alliance décidée à Prague en 2002, mettant fin à une organisation géographique héritée de la guerre froide, au profit d’une organisation fonctionnelle reposant sur deux piliers : la conduite des opérations d’une part (ACO) sur la base de capacités de projection développées de façon significative, la transformation des outils de défense d’autre part (ACT) afin de mieux préparer les forces à conduire lesdites opérations à distance. Je note, à titre personnel, qu’avec la professionnalisation et la réorganisation des armées décidées et conduites en 1995-2000, la France a accompli exactement, pour ce qui la concerne, cette transformation qui lui a permis d’ailleurs, et souvent avant beaucoup d’autres Alliés, de faire certifier au milieu de la décennie actuelle tous ses états-majors de niveau opératif, et ce faisant, de prendre le commandement, à plusieurs reprises, et encore en 2008, des composantes de la NRF.
Depuis 1999, l’évolution des menaces et des risques implique une nouvelle étape de la transformation de l’Alliance. Le terrorisme global, la prolifération des armes de destruction massive, les cyberattaques, l’insécurité énergétique, la piraterie, les risques liés au changement climatique détermineront, autant que les cadres d'emploi ou de non-emploi de la force, déjà connus, les conditions de la défense et de la sécurité des Etats membres. C’est pourquoi le débat sur le concept stratégique pourrait porter précisément sur la relation existant entre la défense territoriale, pour laquelle l’Alliance a été créée et qui demeurera une mission essentielle, et les formes contemporaines de combinaison entre missions de défense et protection de la sécurité. Déterminer la relation devant à l’avenir exister entre sécurité et défense, préciser les conditions dans lesquelles l’Article 5 du Traité de Washington permettra de faire face à ces données nouvelles sera l’un des enjeux du concept stratégique. Ce faisant, les nations détermineront ce qui, à leurs yeux, doit constituer le « cœur de métier » de l'OTAN dans les années à venir.
On peut également pronostiquer que si le débat sur le concept stratégique s’oriente ainsi, il pourrait également ouvrir la voie à une réflexion renouvelée concernant les relations entre l’OTAN et les autres acteurs de la communauté internationale, au premier rang desquels les Nations Unies et l’Union Européenne. S’il est une conviction qui résulte des « leçons apprises », notamment en Afghanistan, c’est la nécessité de définir une « approche globale » qui permette de mieux déterminer ce que sera la valeur-ajoutée de l’Alliance, chacun mesurant bien que l’ampleur de la tâche implique que l’Alliance demeure sur son « coeur de métier », ce qui exige également que les autres institutions internationales précisent leur propre rôle, l’OTAN n’ayant sûrement pas vocation à être « le gendarme » du monde. C’est également dans ce cadre que l’approfondissement de la relation entre l’UE et l’OTAN pourrait être abordé, ce qui confirme, s’il en était besoin, la double reconnaissance dont chaque institution est l’objet, tant de la part des Etats, membres de l’UE et de l’OTAN, que de ceux qui n’appartiennent qu’à l’une ou l’autre des institutions. La fameuse formule de la « complémentarité », que nous connaissons bien, devrait alors permettre de progresser sur la voie d’une relation plus organisée, plus régulière et plus productive, entre les deux organisations. Je dois dire qu’à l’OTAN, c’est un souhait clairement exprimé, et cela continuellement, l’expérience des opérations en cours, au Kosovo autant qu’en Afghanistan, permettant de mesurer aisément, et nos militaires le savent mieux que quiconque, les progrès qui pourraient être accomplis en la matière.
Cette déjà trop longue évocation le montre, la préparation du concept stratégique sera l’occasion, si elle est engagée, d’un débat de fond sur les finalités de l’Alliance, sans doute pour la prochaine décennie. Cela témoigne également de la vitalité, il faut le dire, de cette Alliance dont on croit peut être trop facilement qu’elle est mue par une pulsion irrépressible d’extension, qu’elle soit fonctionnelle ou géographique. Outre le fait, qu’à la fin, ce sont tous les Etats membres qui décident, et la règle du consensus n’est pas une vaine clause dans la vie de l’Alliance, la réalité est sans doute autre et depuis dix ans, l'OTAN a peut être été parfois plus attractive, parce qu’indispensable, qu’elle n’a été « impériale ».
Pour ma part, j’ai tendance à voir dans cette attractivité l’un des défis majeurs auxquels l’Alliance peut être confrontée. Et je dois dire que le défi de tâches toujours nouvelles et plus difficiles, résultant d’un environnement plus dangereux et plus incertain, tâches à assumer avec des ressources qui, elles, n’ont pas changé de façon très significative, ce défi est également l’un des ferments constamment actifs de la transformation de cette Organisation. C’est la raison pour laquelle, à Strasbourg, les décisions des chefs d’Etat pourraient également ouvrir la voie à une nouvelle étape de la réforme de l’Organisation. Un grand nombre de nations considèrent que cette nouvelle transformation est nécessaire, pour ne pas dire indispensable. S’il est engagé, ce chantier, malgré toutes ses difficultés, façonnera l’Alliance des années 2010. Il vaudra donc la peine de décider si et comment chacun sera partie prenante de cette nouvelle mutation.
C’est peu de dire que soixante ans après sa création, cette Organisation n’a plus grand chose à voir avec ses origines, sauf qu’elle réunit toujours des nations, démocratiques, solidaires, prêtes à partager les mêmes risques lorsqu’elles l’ont décidé ensemble, pour la défense et la sécurité de leurs citoyens. Car, il en est pour nos Alliés comme pour nous, cette Alliance est notre Alliance. A nos yeux, ce message concerne en premier chef, vingt ans après la fin de la guerre froide, celles et deux qui ont 20 ans aujourd'hui, nés depuis 1989, et qui accèdent aux responsabilités, comme citoyens d'abord, comme acteurs de la société ensuite.
Je remercie l'IRIS d'avoir contribué à ce débat, et vous remercie de votre attention.