Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais tout d’abord vous présenter toutes mes condoléances pour la mort d’un soldat français en Afghanistan hier. Les soldats français accomplissent dans ce pays un travail remarquable.
C'est avec un grand plaisir, et une grande fierté, que je m'adresse à vous ce matin.
Comme vous le savez, j'ai moi-même été parlementaire de longues années, dans mon pays, les Pays-Bas, et en tant que Secrétaire général de l'OTAN, je me prête de temps en temps à l'exercice de l'audition devant le Parlement, que ce soit dans les pays alliés, ou même dans nos pays partenaires. Aussi, lorsque le Président Poniatowski m'a proposé, en novembre dernier, lors de sa visite à Bruxelles, de venir parler aux Commissions de l'Assemblée nationale, j'ai accepté sans hésiter. Mais je dois dire que cette rencontre revêt une importance toute particulière à mes yeux.
En premier lieu, j'étais à Munich le week-end dernier, à la conférence sur la sécurité, et naturellement j'ai entendu le Président de la République annoncer qu’il aurait un débat avec les Français, et donc aussi avec vous, leurs représentants, sur la question de la rénovation de la relation de la France avec l'Alliance, d’ici au sommet de Strasbourg/Kehl. Ma venue parmi vous était prévue de longue date mais, pour ainsi dire, elle tombe à point nommé! C'est ce que l'on appelle le sens de l'anticipation - qui n'est pas une qualité inutile pour une organisation de sécurité, vous en conviendrez.
Mais surtout, c'est en réalité la première fois que je suis amené à m'exprimer devant l'Assemblée nationale française en tant que Secrétaire général de l'OTAN – et, je crois, la première fois depuis plus de quinze ans qu'un Secrétaire général a cette chance. Alors, je ne sais pas si la France reprendra toute sa place dans l'OTAN – à titre personnel, je m’en féliciterai, cela va de soi – mais, en ce qui me concerne, je suis heureux de prendre toute ma place à l'Assemblée nationale.
Je sais que, dès la semaine prochaine, les ministres Kouchner et Morin viendront parler devant vous de l'avenir de la France dans l'OTAN. Il m'a donc semblé intéressant de vous faire part, moi aussi, de mes réflexions sur cette relation et de vous dire, tout simplement, qu'une Alliance rénovée a besoin de la France, et qu'une France ayant mené jusqu'à son terme son rapprochement des structures de l'OTAN aurait tout à gagner d'une telle situation. Au préalable, permettez-moi cependant de vous dire quelques mots de cette Alliance que j'ai le privilège de diriger depuis maintenant plus de cinq ans, pour vous dire combien elle a changé.
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Députés,
L'OTAN d'aujourd'hui n'est plus celle de 1966, ni même celle de 1995, lorsque la France a amorcé son premier mouvement de rapprochement. L'Alliance a quitté sa posture de guerre froide, centrée sur la défense du territoire – tout en conservant, bien sûr, sa mission, son fondement même, qui est la défense collective en cas d'agression, l'article 5. Elle a entrepris de contribuer à la stabilité internationale et de défendre les intérêts de ses membres au-delà du territoire de l'OTAN:
en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, et aussi, tout récemment, au large des côtes de la Somalie, dans un rôle de lutte contre la piraterie. Le plus souvent, d'ailleurs, elle l'a fait en mettant en oeuvre des mandats des Nations Unies.
Cette évolution est logique et, que l'on ne s'y trompe pas, elle ne signifie nullement que l'OTAN a soudainement développé l'ambition de devenir le gendarme du monde. Cette évolution était nécessaire parce que le monde lui-même a changé, parce que les menaces ont changé.
Le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les trafics transnationaux, la piraterie, les cyberattaques sont autant de nouvelles menaces pour les membres de l'OTAN. L'OTAN aurait failli à sa mission si elle ne s'était pas mise en mesure de répondre à ces défis. Et c'est à bien des égards un processus encore en cours, où l'Alliance doit définir avec justesse sa valeur ajoutée
C'est aussi un processus que l'OTAN mène en ayant une conscience aiguë de la nécessité de s'intégrer dans un ensemble plus vaste d'organisations internationales et régionales, dans une « approche globale ». L'OTAN ne peut, ni ne veut, tout faire. C'est actuellement l'une des limites en Afghanistan: on ne peut stabiliser – la mission de l'OTAN – que si l'on reconstruit – la mission de l'ONU, de l'UE, du gouvernement afghan lui-même, de la Banque mondiale, des ONG. L'OTAN doit apprendre à travailler avec tous ces acteurs, dans une démarche cohérente. J'ai personnellement oeuvré à l'amélioration des relations OTAN-ONU: j'ai été le premier Secrétaire général de l'OTAN à m'exprimer devant le Conseil de sécurité à New York;
j'ai été parmi les premiers à promouvoir le poste de grand coordonnateur de l'aide internationale en Afghanistan – poste aujourd'hui créé et occupé par Kai Eide, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies; et j'ai travaillé sans relâche à une déclaration sur la coopération OTAN-ONU, que j'ai signée avec Ban Ki-moon en septembre dernier, lors de mon déplacement annuel à l'Assemblée générale des Nations Unies.
L'OTAN a changé dans ses missions; elle a aussi revu ses structures en conséquence. C'est ce que l'on appelle dans notre jargon la « transformation »:
simplification des chaînes de commandement, encouragement de nouvelles initiatives capacitaires tournées vers la déployabilité des forces, création de la Force de réaction de l'OTAN, la NRF. Les forces intégrées n'existent plus: les forces sont mises à disposition de l'OTAN pour une mission donnée par les nations (seules quelques forces dédiées demeurent, pour des raisons pratiques de cohérence, comme en matière de défense aérienne). Cet effort de réforme se poursuit, et il me tient à coeur – quand bien même ce sera à mon successeur de le mener à terme et, je l'espère, d'en tirer les bénéfices.
Ainsi, je proposerai aux 26 ministres de la Défense dès la semaine prochaine, à Cracovie, un nouvel ensemble de réformes du fonctionnement du siège de l'OTAN et du Secrétariat international. Ces réformes sont fortement encouragées et soutenues par les autorités françaises, et je les remercie pour cela.
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Députés,
Pendant que l'OTAN accomplissait sa mue, la France n'est pas restée immobile – loin de là. Membre fondateur toujours actif dans la structure civile – j'en veux pour preuve que je suis accompagné ce matin de l'un des mes plus proches collaborateurs, Secrétaire général adjoint pour la diplomatie publique, Jean-François Bureau, que la plupart d'entre vous connaissent bien –, la France s'est depuis 1991 peu à peu rapprochée de la structure militaire qu'elle avait quittée.
Depuis 1993, le CEMA [chef d'état-major] français participe à nouveau aux réunions du comité militaire, d'abord au cas par cas, puis, à partir de 1996, de manière systématique. Depuis 1994, le ministre français de la Défense prend une part active aux réunions ministérielles du Conseil de l'Atlantique Nord. Et, depuis 2003, ce ne sont pas moins de 110 officiers français qui sont présents dans les commandements ACT, à Norfolk, et ACO (SHAPE), à Mons.
A cela s'ajoute, évidemment, le fait que la participation de la France dans les opérations est forte – déterminante même. La France est aujourd'hui le 5e contributeur de troupes de l'OTAN – et, dois-je souligner, avec plus de troupes françaises sous commandement OTAN que sous commandement UE ou ONU. Elle a même commandé des opérations de l'Alliance, comme récemment avec le Général Bout de Marnhac à la tête de la KFOR et aussi en Afghanistan dans le passé. L'OTAN ne pourrait se passer de ces contributions.
En accomplissant ces gestes, la France n'a rien perdu de sa souveraineté – pas plus qu'elle n'en perdrait demain si elle décidait de reprendre toute sa place au sein de l'Alliance.
La décision de participer à une opération, et la nature de l'engagement, restent nationales. C'est d'ailleurs bien le défi quotidien du Secrétaire général: faire que chacun, quel que soit son degré d'engagement, contribue malgré tout au consensus, à la bonne marche de l'Alliance, à sa solidarité globale. Actuellement, l'Espagne ne participe pas aux « nouvelles tâches » de l'OTAN au Kosovo; la nouvelle Kosovo Security Force n'en a pas moins été mise sur pied, il y a quelques semaines à peine, avec l'appui et l'expertise de l'OTAN.
Enfin, la France est pour moi un acteur clef, en ce sens qu'elle a seule cette capacité à symboliser la complémentarité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense. Je me définis moi-même comme un Européen et un Atlantiste, aussi comprendrez-vous pourquoi cette notion de complémentarité est si importante pour moi. Permettez-moi de m'y attarder quelques instants.
Le besoin d'une PESD forte est désormais une évidence.
Une Europe de la défense est dans l'intérêt de l'OTAN. Je dirais même que pour l'OTAN, l'enjeu, ce n'est pas moins d'Europe, comme certains pouvaient le croire il y a dix ans, au contraire, c'est plus d'Europe, en particulier en ce qui concerne les capacités militaires. Le renforcement des capacités de l'OTAN et de l'UE doit être mutuel, car, le plus souvent, ces efforts visent à remédier à des lacunes similaires. Je souscris donc pleinement à la tribune publiée la semaine dernière par le Président Sarkozy et la Chancelière Merkel dans Le Monde:
ils ont cent fois raison lorsqu'ils écrivent que «nous devons aller vers une véritable coopération, fondée sur une nécessaire complémentarité». Et ce constat est pleinement partagé de l'autre côté de l'Atlantique. Je vous le dis, parce que je le constate désormais tous les jours: le débat théologique à ce sujet aux Etats-Unis est mort. Le Président Bush avait eu des mots très forts et très positifs à cet égard lors du sommet de Bucarest l'année dernière. Le Vice-Président Biden, il y a quelques jours à peine à Munich, s'est inscrit, de ce point de vue, dans la même ligne.
La Présidence française de l'Union européenne, au semestre dernier, a elle-même beaucoup contribué à rehausser le profil de la PESD, à la relancer. Au plan opérationnel d'abord: en Géorgie, avec le lancement de la mission EULEX au Kosovo, et avec le lancement de l'opération Atalanta au large de la Somalie – qui a pris le relais d’une force navale déployée en urgence par l’OTAN. Le bilan n'est pas mince. Et s'ajoutent à cela des initiatives de long terme sur les capacités qui me semblent très positives, et un vrai souci de développer la coopération OTAN-UE.
Le Secrétaire d'Etat Jouyet est venu présenter les priorités françaises devant le Conseil de l'Atlantique Nord: une vraie novation! La Présidence française m'a également invité à venir parler de l'Afghanistan au Conseil affaires générales – relations extérieures: une première! Les Alliés ont perçu cela très positivement. Positivement car ces initiatives ont une portée de fond. Mais positivement aussi car sur la forme, ceci contribue à dissiper définitivement cette impression que la France jouait, parfois, une organisation contre l'autre, que tout progrès à l'UE devait s'accomplir au détriment de l'OTAN, qu'il y avait des arrière-pensées.
Une OTAN qui change, une France qui évolue. Voilà deux mouvements convergents, qui me semblent pouvoir se renforcer mutuellement encore davantage si la France choisit d'achever la rénovation de ses relations avec l'OTAN – décision qui lui appartient souverainement, cela va de soi.
Se renforcer, tout d'abord parce que l'Alliance bénéficierait incontestablement d'une plus grande implication de la France dans ses travaux.
La France vient d'achever l'exercice du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale – je sais que plusieurs d'entre vous, Mesdames et Messieurs les Députés, y ont été personnellement associés ; j’ai également eu l’occasion d’exposer mes vues à la Commission Mallet lors de ma visite officielle à Paris l’an dernier. La France est désormais dotée d'une doctrine stratégique rénovée, cohérente et globale. De ce fait, les analyses françaises vont incontestablement contribuer à enrichir les débats au sein du Conseil. Il ne s'agit nullement de « noyer » les idées françaises dans une « pensée unique » otanienne.
Au contraire, il s'agit de participer à l'amélioration de l'efficacité de l'Alliance dans tous les domaines.
Laissez-moi vous donner un autre exemple, qui illustre la spécificité française, sur un sujet déterminant: nos futures relations avec la Russie. La sécurité et la stabilité de la zone euro-atlantique sont directement liées à une coopération saine et équilibrée entre l'OTAN et la Russie. Malheureusement, la crise en Géorgie a porté un coup à cette relation.
Suite à la réunion ministérielle de décembre dernier, les Alliés ont adopté une « approche mesurée et progressive » dans leurs relations avec la Russie. Suivant ce mandat, j'ai renoué le dialogue au niveau politique en rencontrant à Munich, le week-end dernier, M. Serguei Ivanov, le vice premier ministre russe. J’espère que le sommet de Strasbourg/Kehl permettra de poursuivre dans cette voie d’un dialogue sans concessions, mais positif et tourné vers l'avenir La France a joué un rôle moteur dans tout ce processus, forte de sa médiation en tant que présidence de l'UE dans la crise géorgienne, et de sa connaissance de la Russie.
Mais j'ai évoqué un enrichissement mutuel. Le retour complet de la France dans les structures militaires permanentes et dans les mécanismes de planification de défense de l'Alliance apporterait en effet, me semble-t-il, de nombreuses plus-values pour la France, dont le dénominateur commun est une meilleure cohérence, sans contraintes supplémentaires. Si je prends le domaine de la planification de défense, par exemple, la France participerait complètement à la définition du niveau d’ambition de l’Alliance, c'est‑à‑dire le nombre et le type de missions que l’Alliance doit être en mesure de conduire.
Ce faisant, elle pourrait assurer une concordance entre les niveaux d’engagement de l’UE et de l’OTAN. Elle pourrait aussi contribuer à la définition des besoins capacitaires des Alliés à moyen et à long terme, ainsi qu’à celle des capacités dont l’Alliance a besoin collectivement. La France gagnerait en visibilité sur les plans de défense des Alliés, et elle aurait la possibilité d’influer sur eux. Ceci ne peut qu’être très positif pour un pays comme le vôtre, qui encourage sans relâche ses partenaires européens à faire plus dans le domaine des investissements de défense.
J’ajouterai, pour prendre un dernier exemple, qu’aujourd’hui, la France ne participe pas à la rédaction d’une grande partie des « scénarios » de gestion de crise dans lesquels elle est impliquée par la suite, du fait de sa faible représentation dans la structure militaire. Cela est tout de même paradoxal, compte tenu de la place éminente que prend la France lorsque des opérations sont lancées !
La présence des experts français à tous les échelons des structures militaires permettrait à la France d’être concrètement impliqué tant dans la préparation de l’avenir (ce sont les travaux d’ACT), que dans la rédaction des scénarios de gestion de crise, la préparation des plans d’opérations et la conduite de l’opération sur le terrain (c’est le rôle d’ACO et des commandements subordonnées).
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La France, avec l’Allemagne, s’apprête à accueillir, les 3 et 4 avril, le sommet du 60e anniversaire de l’OTAN, à Strasbourg et Kehl. Cette perspective me réjouit, car je n’y vois pas de meilleur symbole de la promesse initiale des rédacteurs du Traité de Washington, celle d’une Europe libre et unie, ayant surmontée ses divisions historiques.
Ce sommet ne sera cependant pas que l’occasion de fêter un anniversaire, et d’accueillir au sein de la communauté transatlantique un nouveau président des Etats-Unis. Ce sera aussi l’occasion pour l’Alliance d’exprimer des choix pour son avenir, pour le XXIe siècle. Les Chefs d’Etat et de gouvernement adopteront une Déclaration sur la sécurité de l’Alliance, qui devrait manifester cette vision. Ils devraient aussi, je l’espère, lancer les travaux pour l’élaboration d’un nouveau concept stratégique de l’OTAN – l’actuel remonte à 1999. La France doit prendre toute sa part à cet important débat. Je ne doute pas qu’elle sera au rendez-vous.
Je vous remercie de votre attention, et je répondrai volontiers à présent à vos questions.