Q: Monsieur Fournet, ça fait six ans et demi maintenant que vous travaillez à l'OTAN et vous nous quittez dans quelques jours. Quel a été pour vous l'événement le plus marquant pendant votre service ici?
Jean FOURNET (Secrétaire Général adjoint pour la Diplomatie publique de l'OTAN): Vous savez, je suis arrivé début mars 2001. Et six mois après, c'étaient les événements du 11 septembre. Et il est clair que pour moi, mes collègues, une bonne partie des gens qui travaillent dans le domaine de la sécurité, c'est ça l'événement marquant de ces dernières années. C'est là que les changements profonds ont été générés.
Pour l'OTAN, c'est vraiment un tournant. Les sujets dont on s'occupe depuis ont changé: lutte contre le terrorisme, les armes de destruction massive, les États faillis, les trafics de toutes sortes etc. La structure de l'organisation a changé. L'état d'esprit dans lequel on évolue aussi a changé. C'est... c'est vraiment... ça a été vraiment un moment de grand changement.
Q: Un moment de grand changement, mais également un moment historique?
Jean Fournet: Bien sûr!
Q: Dans le sens...?
Jean Fournet: Pour tous ceux qui ont vécu un moment avec très... très... beaucoup d'émotions, bien sûr. Aussi, je crois, ce qui est important, c'est qu'on a constaté à cette occasion que l'OTAN pouvait réagir avec une grande rapidité et même si les décisions dans cette organisation doivent se prendre au consensus, donc à l'unanimité. Eh bien, quand on est en face d'événements majeurs qui mettent en cause la sécurité, les réactions sont ultra-rapides: 24 heures, en 24 heures.
Q: Là, vous faites référence à l'invocation de l'article 5?
Jean Fournet: Oui, bien sûr, c'est ça. En 24 heures, on a invoqué l'article 5, article de sécurité collective donc qui dit: si un événement, une attaque contre une nation est considérée comme mettant en cause ce qui est vital pour elle, les autres nations de l'Alliance considèrent qu'elles sont aussi attaquées et donc viennent en soutien selon des formes indéterminées. C'était la première fois dans l'histoire de l'Alliance, la seule fois d'ailleurs où on a invoqué l'article 5.
Q: Si je comprends bien, donc vous êtes Secrétaire Général adjoint pour la Diplomatie publique. Mais en arrivant à l'OTAN, vous étiez nommé Secrétaire Général adjoint pour la Science et entre-temps la diplomatie publique a inclus la science et l'information. Comment ces domaines peuvent se rapprocher? Comment ils ont été rapprochés? Pourquoi?
Jean Fournet: Bon, bien il y a évidemment une composante historique. C'est la suite des événements du 11 septembre, la restructuration, la réorganisation du quartier général de l'OTAN. On a défini de nouvelles divisions.. dont une division de la diplomatie publique parce que l'objectif clairement affiché pour cette division c'est de développer les contacts et le dialogue avec toutes les composantes de la société civile des pays de l'OTAN, des pays partenaires, des pays partenaires au sens très large.
Et le programme scientifique de l'OTAN était un programme... est toujours d'ailleurs un programme de coopération scientifique. On ne finance pas des projets de recherche avancés. On finance de la coopération entre des scientifiques pour qu'ils échangent des idées entre eux, pour qu'ils se connaissent mieux. Donc, c'est un programme politique. Et cette volonté de dialogue qui est à la base de la diplomatie publique incorpore très naturellement ce dialogue avec la communauté scientifique qui est, dans beaucoup de pays, en particulier tous les anciens pays de l'Union soviétique, une communauté très influente. La plupart des leaders politiques ayant eux mêmes une formation scientifique de base.
Q: Si je vous comprends bien, donc cette communauté crée un réseau qui peut être utile pour faire passer certains messages.
Jean Fournet: Tout à fait, tout à fait. L'OTAN, c'est une organisation civile, politique et militaire, bon...politique et militaire. Mais on fait autres choses à l'OTAN, on fait aussi des plans civils d'urgence et on fait un peu d'activités scientifiques. Je dis un peu parce que ce n'est pas le coeur de l'activité de l'OTAN tant s'en faut. Mais c'est un outil, c'est une clé qui permet de promouvoir l'Alliance d'une façon qui soit plus facile à comprendre dans certaines régions du monde où on vivait et on voyait l'Alliance comme un instrument guerrier ennemi dans certains pays, antagonistes dans d'autres etc.
Avec l'outil scientifique, nous arrivons, nous disons: "Regardez, on vous aide. On peut vous aider si vous voulez, à travailler ensemble, à échanger. On peut vous aider à vous connecter au web à bas coût." On a un projet qui s'appelle le Virtual Silk Highway en anglais. On a un projet qui s'appelle Mélange dans un autre pays où on détruit des produits chimiques qui ont été laissés après la disparition de l'Union soviétique. Et nous montrons donc aux populations locales que l'OTAN c'est aussi une organisation qui peut les aider à se débarrasser d'un certain nombre de produits dangereux. La sécurité environnementale est devenue un sujet majeur dans beaucoup de pays, chez nous, mais aussi chez les partenaires. Donc, vous voyez, c'est un outil, c'est une clé.
Q: C'est aussi un outil de communication. Donc, il y a d'autres outils donc au sein de la diplomatie publique. Vous pouvez nous en parler un petit peu, puisque c'est vrai qu'on se rend compte que la technologie avance rapidement. Et j'imagine que les outils de la diplomatie publique doivent aussi suivre ce mouvement. Donc, ça doit être un défi pour essayer de maintenir....
Jean Fournet: C'est un défi... un défi financier, bien sûr. Mais un défi technique, un défi intellectuel aussi. Puisque vous parlez de technologie, ceux qui nous regardent ont forcément ouvert leur ordinateur. Et ils sont en connexion avec le Web. Eh bien, voilà un outil que nous développons. Un très bon outil mis à jour en permanence etc. Mais on utilise toutes les nouvelles techniques qui sont disponibles. Et on utilise par exemple de plus en plus de vidéos. Pourquoi? Parce que ça aussi c'est moderne. Les gens lisent moins, regardent plus, les jeunes en particulier. Et donc, c'est un bon moyen de communiquer avec eux.
Mais nous avons d'autres outils de diplomatie publique qui sont moins technologiques: les visites, les tours spécifiques organisés pour parler de la sécurité. Bon, ça, c'est assez traditionnel, mais nous les avons bien sûr.
Et puis nous organisons des événements majeurs, des événements phares, on va dire, qui peuvent durer un jour ou deux jours, une semaine. On essaie de créer une concentration d'événements de toutes natures où on va parler de sécurité. Et nous attirons comme ça beaucoup d'attention sur la sécurité en général et sur l'OTAN en particulier. Ça, c'est un outil que nous utilisons de plus en plus.
Mais il n'y a pas que les outils, il y a aussi les auditoires. Et les auditoires, puisque si on veut parler de l'OTAN avec certain impact, il faut le faire d'une façon... comment dire... séquencée. On ne peut pas s'adresser à des millions de gens. On va donc s'adresser à des leaders d'opinion. Et ces leaders d'opinion, ils sont de diverses sortes: des politiques, des journalistes, des penseurs, des intellectuels dans le domaine de la sécurité.
Mais de plus en plus, nous nous adressons à d'autres groupes. Par exemple, il y a de plus en plus de groupes de femmes; des associations féminines qui veulent comprendre les problèmes de sécurité, qui demandent à discuter avec nous; des groupes de dirigeants d'entreprises qui veulent aussi comprendre ce que fait l'OTAN parce que, pour eux, c'est important de vivre dans un monde plus sûr.
Q: Et vous communiquez avec des ONG également?
Jean Fournet: Avec des ONG, très important parce que dans les activités de l'OTAN, soit en opération, soit en mission, nous sommes très fréquemment confronté sur le terrain concrètement à des ONG qui font un travail assez voisin, complémentaire.
Mais ça crée des problèmes, on le sait bien. D'un côté comme de l'autre, on a des griefs. Et donc, il faut qu'on puisse échanger, se rencontrer, mettre les choses sur la table. Ça, c'est le rôle de la diplomatie publique. On engage...
Après, nos collègues qui sont des experts en matière d'opérations, en matière de planification, que sais-je... de dialogues politiques, prendront le relais, iront plus loin. Et nous, on aura ouvert. Et on peut poursuivre si on nous le demande.
Q: Et quelle voie vous voyez la diplomatie prendre dans les années à suivre?
Jean Fournet: Moi, je crois que... Je vous ai dit ma conception de la publique diplomatie, c'est vraiment le dialogue, mais le dialogue en confiance. Je veux dire, on n'est pas là pour mettre du sucre sur des choses qui seraient un peu amères. Non, on est là pour parler de la sécurité, de ce qu'on fait à l'OTAN et avoir un vrai dialogue. Donc, ça c'est important. Il faut développer ça, développer ce dialogue. Ça veut dire développer l'écoute aussi. On parle beaucoup, on explique, c'est normal.
Q: Mais concrètement de quelle manière vous voyez ça?
Jean Fournet: En organisant de plus en plus d'événements sur place avec les gens du pays qui veulent dialoguer avec nous.
En leur demandant de le faire eux-mêmes. Ce n'est pas à nous, ce n'est pas à moi, si vous voulez, quand je vais dans un pays de parler de la sécurité comme si j'étais un professeur en chaire.
Je peux donner quelques idées. Je peux parler de ce que fait l'OTAN. Mais c'est beaucoup mieux si c'est un personnage du pays, respecté, connu, qui lui-même présente les idées et dialogue avec quelqu'un de l'OTAN pour apporter bien entendu cette touche multilatérale et de sécurité collective de l'OTAN. Mais aller sur le terrain concrètement, ça c'est vraiment une direction forte et là où nous sommes impliqués: Afghanistan, les Balkans…
Q: Avec votre expérience, quels conseils donneriez-vous à votre successeur.
Jean Fournet: Oui, mon premier conseil, j'aimerais que ça soit l'unique, c'est de ne pas suivre mes conseils puisque chacun doit vivre sa vie et finalement créer des nouvelles initiatives à partir de sa propre expérience.
Mais enfin, je sais bien qu'il m'en demandera quand même. Alors, je lui en donnerai deux. Le premier, ce sera de garder à l'esprit deux concepts: changement et continuité. Continuité parce que nous avons engagé un certain nombre d'actions qui ont été approuvées par le Conseil et nous devons les mener à terme. Changement parce que... il est toujours important d'arriver avec de nouvelles idées, de nouvelles initiatives, de faire les choses un peu différemment. D'abord, c'est intellectuellement satisfaisant. Mais en même temps, ça va susciter davantage d'intérêt chez les auditoires qui verront un renouveau dans la méthode. Et puis le troisième conseil, c'est de ne pas perdre de temps. Je dirais: "Allez, il faut plonger dans la piscine. L'OTAN, c'est complexe. On a du mal à comprendre cette organisation. Mais ça ne fait rien, il faut se jeter à l'eau.
Q: J'ai une dernière question pour vous qui est un peu plus personnelle, mais j'ai remarqué pendant notre discussion que vous avez utilisé quelques petits mots anglais par ci, par là. Et c'est vrai que l'OTAN c'est un environnement multiculturel, multilingue. Est-ce difficile d'être Français à l'OTAN?
Jean Fournet: Vous savez, votre question est intéressante parce qu'à chaque fois que je reçois un groupe de Français, je reçois bien sûr beaucoup de groupes de Français, ils me posent cette question. Et ma réponse est : non. C'est très facile d'être Français à l'OTAN pour différentes raisons.
Alors, d'abord, quand on est Français on est considéré au début comme l'empêcheur de tourner en rond, celui qui va toujours poser la question qu'on n'a pas envie d'entendre.
Mais au fond quand vous discutez dans les couloirs autour d'une bière ou d'un café avec des collègues, ils vous disent: "Mais c'est bien que vous posiez ces questions-là ou que vous ayez ce genre d'attitude parce que ça suscite de la réflexion. Même si parfois, on aurait préféré que vous posiez la question différemment ou que vous la posiez plus tard, c'est quand même intellectuellement et aussi en termes de conséquence pratique très important qu'il y ait cette petite musique spécifique." Bon, ça c'est pour les Français en général.
Pour moi, en particulier, ça a toujours été très agréable de travailler dans cet environnement multiculturel avec des gens qui viennent de partout, qui ont des langues différentes, des histoires différentes, des cultures, des religions différentes. Et ils aiment bien que je leur parle de la France.
Alors, là où j'ai une petite difficulté. C'est que dans mon poste je représente 26 nations; je ne représente pas la France. Mais on me pose toujours la question sur la France. Donc, il faut que je me tienne au courant et que j'essaie d'expliquer ce qu'est la situation, la politique de mon pays tout en faisant clairement comprendre que je ne m'exprime pas en tant que représentant officiel français mais en tant que représentant officiel d'une organisation qui fonctionne au consensus et qui comporte 26 membres. Ça, c'est une grande difficulté.
Q: Vous veniez de l'administration française à l'origine. Mais en fait, vous avez dû vous adapter et promouvoir en fin de compte les idées, les décisions de plusieurs pays?
Jean Fournet: Oui, dans certains cas, je suis amené à promouvoir des idées dont je sais qu'au fond à Paris on ne les aime pas beaucoup. Mais je suis chargé de promouvoir des idées qui ont été agréés par l'OTAN; donc, comme l'OTAN fonctionne au consensus, aussi agréé par la France.
Q: ... par la France.
Jean Fournet: Même si avec certaines réticences... agréés. Donc, en fait, ce n'est pas ça le plus difficile puisque je dis est finalement ce que 26 nations sont d'accord pour dire.