Intervention
du
Ministre des Affaires étrangeres, M. Hubert vedrine
au Conseil Ministeriel de l'OTAN
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Nous tenons aujourd'hui notre première réunion depuis le
11 septembre.
Il s'agit d'un moment critique pour l'Alliance: pour la première
fois depuis sa création, l'Alliance a mis en jeu l'article 5 ;
nous avons ainsi collectivement et immédiatement marqué
notre solidarité à l'égard de notre allié
et notre ami américain, si cruellement frappé.
Nous avons reconnu que les attaques du 11 septembre, dirigées
de l'extérieur sur le territoire d'un pays membre, étaient
une attaque contre chacun d'entre nous.
Et s'agissant de mon pays, cette solidarité est naturelle : comme
à chaque fois que l'essentiel était en jeu, la France s'est
tenue aux côtés de son allié américain et du
peuple des Etats-Unis. C'est encore le cas aujourd'hui en soutenant la
campagne menée en Afghanistan contre les responsables des attentats
du 11 septembre et je dis à cet égard notre confiance en
Colin Powell.
Notre solidarité s'est traduite par un soutien effectif et concret
: dans le cadre de l'OTAN d'abord, la France a ainsi mis à disposition
ses Awacs pour les Balkans, en remplacement de ceux affectés à
la surveillance du territoire des Etats-Unis.
Cette solidarité s'est traduite aussi, à titre bilatéral,
par une présence militaire en appui de l'opération conduite
par les Américains en Afghanistan par le déploiement de
navires dans l'Océan indien, par l'envoi d'avions de reconnaissance,
par l'envoi de troupes pour la sécurisation de l'aide humanitaire,
sur la base de la résolution 1378. De nombreux pays ici représentés
ont, d'une façon ou d'une autre, apporté leur contribution.
Nous avons considéré dès le début que l'action
militaire ne saurait suffire à elle seule. Notre plan d'action
pour l'Afghanistan insistait dès le premier octobre sur la dimension
politique des problèmes de ce pays et sur sa reconstruction.
Aussi, dans le même temps où se poursuivent les opérations
militaires, il fallait travailler à préparer l'avenir politique
et le rétablissement d'une stabilité qui puisse être
durable. Nous nous réjouissons à cet égard, grâce
à l'attitude constructive des Afghans et grâce aux efforts
du représentant du SGNU, M. Brahimi, de l'accord politique trouvé
à Bonn, au Petersberg, qui permet l'installation, pour commencer,
d'une administration de transition représentative. Il faut maintenant
que les dirigeants afghans, tous les chefs afghans, jouent le jeu. Ce
doit être aussi le cas des pays voisins.
Nous devons également réfléchir à la façon
de répondre aux différents problèmes posés
par le nouveau contexte consécutif au 11 septembre, au-delà
de la réaction militaire immédiate.
Dans cette réflexion, l'OTAN doit évidemment prendre sa
place et réfléchir à l'adaptation de ses outils militaires
à la nouvelle dimension de la lutte contre le terrorisme, tout
en tenant compte des compétences des autres institutions. Le principe
qui doit nous guider, à chaque pas, devrait être celui de
la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la non-duplication et
de la non-confusion des rôles.
D'autant plus que la lutte contre le terrorisme n'est pas exclusivement
une affaire de réponse militaire même si celle-ci est indispensable
dans les moments clefs, beaucoup d'entre nous l'ont dit.
L'effort à long terme, qui seul permettra de vaincre le terrorisme,
a été lancé dans toutes les enceintes multilatérales
compétentes et doit s'y poursuivre :
- aux Nations unies, dont le rôle en la matière demeure
évidemment essentiel. L'adoption par le Conseil de sécurité
des résolutions 1368 et 1373 a marqué une étape
décisive de la lutte contre le terrorisme et pour l'organisation
de la réponse de la communauté internationale.
- au sein de l'Union européenne, seule capable de mettre en
place des réponses appropriées et coordonnées,
dans les domaines qui sont essentiels pour le combat engagé,
à savoir le domaine du financement, du contrôle judiciaire
et des mesures policières ; cette action sera déterminante
pour le succès de ces politiques à long terme.
Enfin, nous devons nous attaquer aussi à la racine des conflits,
aux injustices et à l'instabilité, qui ne créent
peut-être pas le terrorisme mais dont le terrorisme se nourrit,
pour pouvoir complètement l'éradiquer.
La réaction de la Russie à ces attentats a été
remarquable. En effet, le président Poutine a confirmé son
choix stratégique, un choix sur le rôle de la Russie dans
le monde et aussi pour un partenariat avec le monde occidental.
Nous devons y répondre par une ouverture aussi décidée,
avec pour objectif d'établir avec la Russie, une relation fondée
non plus sur l'équilibre des forces et des menaces, mais sur la
confiance. Cela est vrai pour l'OTAN, mais aussi pour nos relations bilatérales
ou celles que nous développons dans les autres enceintes internationales.
C'est pourquoi en ce qui concerne l'OTAN et la Russie, la France, qui
a été avec l'Allemagne à l'origine de l'Acte Fondateur,
pense comme le Premier ministre britannique, qu'il faut aujourd'hui aller
plus loin et que nous devons répondre aux ouvertures reçues
par une novation véritable :
- cela veut dire la création d'une nouvelle enceinte où
la Russie et les Alliés seraient des partenaires égaux.
- cela veut dire aussi des travaux de substance portant sur ce qui
est au cur des compétences de l'OTAN.
Je pense notamment au domaine de la gestion des crises, où des
opérations conjointement décidées, planifiées
et dirigées par l'OTAN et la Russie pourraient être examinées
et mises en oeuvre, par exemple dans les Balkans.
On peut penser à d'autres sujets tels que le désarmement
et la maîtrise des armements, la défense antimissile de théâtre
et les aspects militaires du contre-terrorisme.
On ne peut encore trancher tout cela, c'est compliqué, mais nous
devons engager cette réflexion sans tarder et sans réserves.
Il ne s'agit pas de faire du neuf avec de l'ancien, mais de penser l'avenir.
Je n'aborderai pas ici, à dessein, les trois sujets importants
que sont les progrès de la défense européenne, la
question des Balkans - qui sont à l'ordre du jour cet après
midi de notre réunion conjointe avec l'Union européenne
- ni celui de l'élargissement. Nos positions sur ce dernier point
sont bien connues, l'absence d'exclusive d'aucune sorte. Elles ont été
exposées clairement ; nous aurons tout loisir d'y revenir dans
les mois qui viennent, dans la perspective des décisions qui devront
être prises au Sommet de Prague.
Ce Sommet doit être préparé avec soin sur les autres
dossiers également. L'Alliance doit d'ici là poursuivre
son adaptation avec le pragmatisme nécessaire, et en même
temps avec le dynamisme que le Secrétaire général
lui apporte, en se gardant des débats théologiques, à
l'heure où, comme nous venons de le voir, c'est dans l'action concrète
que l'utilité des organisations doit être démontrée
chaque jour.
L'Alliance a su s'adapter progressivement et de façon pragmatique,
à toutes les évolutions fondamentales de notre monde. Il
faut maintenir le lien transatlantique qui est notre richesse commune.
Continuons, il faut persévérer dans cette voie.
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