"La vision"
Propos du
Secrétaire
général à la conférence
"défense européenne : le concept de convergence"
Monsieur le Ministre,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Durant la journée d'hier, et encore aujourd'hui, la conférence
a été axée sur la question de la défense européenne,
vue sous tous les angles imaginables. Vous avez examiné les objectifs
et les capacités, de même que les conditions préalables
au succès, sur le plan économique et du point de vue transatlantique.
Notre groupe de discussion - le dernier de la conférence - est
réuni autour du thème de "la vision de l'avenir".
Si les organisateurs ont placé ce débat vers la fin de la
conférence, c'est parce qu'ils voulaient que vous et moi examinions
comment, d'ici quelques années, chaque chose devrait s'articuler
dans un ensemble harmonieux.
Ceci est du domaine de la prédiction - et la prédiction
est une entreprise hasardeuse. John Maynard Keynes avait évité
le piège des prédictions à long terme en prononçant
ces mots demeurés célèbres : "au bout du chemin,
nous serons tous morts!". Mais parfois, on ne peut éviter
de faire des prédictions. Dans un tel cas, je ne puis m'empêcher
de penser à cet avis paru dans un journal local américain
informant ses lecteurs que la rubrique horoscope avait dû être
annulée "en raison de circonstances imprévues".
On l'aura donc compris, il est dangereux de faire des prédictions.
Je me hasarderai toutefois à lancer au moins quelques idées
sur l'Europe, l'OTAN et le lien transatlantique tels que je les vois se
modeler pour les années à venir.
Regardons un peu, cinq ans devant nous, et examinons l'Identité
européenne de sécurité et de défense de l'an
2005. Où en serons-nous? Avec toutes les réserves d'usage,
voici le scénario tel que je le perçois :
D'ici à 2005, l'Europe aura développé ses capacités
de gestion des crises dans les domaines militaires et non militaires.
Les structures politiques et militaires nécessaires pour assurer
le contrôle politique et l'orientation stratégique d'opérations
dirigées par l'Union européenne auront été
établies. Les Alliés européens apporteront une contribution
plus effective à la sécurité de l'Alliance et à
celle de l'Europe en général. De ce fait, les relations
transatlantiques seront plus solides.
Mes trois mots d'ordre (voie au chapitre pour tous les membres de l'Alliance,
caractère indivisible du lien transatlantique et amélioration
des capacités) auront été gravés dans le marbre
d'un monument dressé à l'extérieur du bâtiment
des réunions de l'OTAN et de l'Union européenne en session
conjointe.
D'ici à 2005 , l'OTAN et l'Union européenne auront, à
tous les niveaux, des liens étroits et une relation de confiance.
Les échanges, formels et informels, entre les secrétariats
et les autorités militaires, feront partie du quotidien. Des réunions
conjointes auront lieu, et de hauts responsables de nos organisations
respectives se tiendront mutuellement informés de façon
régulière.
Les membres de l'OTAN n'appartenant pas à l'Union européenne
seront étroitement associés aux délibérations
de l'UE concernant la politique européenne de sécurité
de défense et la gestion des crises. De la même façon,
l'OTAN aura mis en place des mécanismes pour les pays de l'Union
européenne non membres de l'Alliance.
L'OTAN prendra en compte les besoins de l'Union européenne dans
l'établissement de ses plans de défense, et les deux organisations
coordonneront étroitement leurs activités dans ce domaine.
L'Union européenne aura accès aux moyens de planification
de l'OTAN. Des dispositions seront en place pour que la structure de commandement
de l'OTAN puisse fournir des éléments de quartiers généraux
et des postes à l'échelon du commandement en vue d'opérations
dirigées par l'Union européenne, et l'Adjoint au SACEUR
sera le point focal pour toutes les questions liées à l'IESD.
En outre, les dispositions permettant de mettre à disposition les
moyens et les capacités de l'OTAN seront bien développées.
Un accord de sécurité entre l'OTAN et l'Union européenne
pour l'échange d'informations classifiées sera en place.
Par ailleurs, l'OTAN et l'UE tiendront conjointement des exercices de
gestion des crises destinés à mettre à l'épreuve
ces divers arrangements et mécanismes.
D'ici à 2005, ce lien entre l'OTAN et l'Union européenne
sera devenu la plus forte composante nouvelle de notre capacité
d'améliorer l'environnement stratégique. Non seulement ce
lien nous permettra de faire un pas de géant pour ce qui est d'assurer
la sécurité et la défense européennes, mais
il commencera aussi à avoir des effets bénéfiques
au-delà de l'IESD, par exemple dans les orientations des deux organisations
vis-à-vis de la Russie, de l'élargissement ou de la Méditerranée,
pour ne citer que quelques?uns des intérêts stratégiques
que nos deux organisations ont en commun.
Voilà pour les institutions. Mais de quelles capacités
disposerons-nous en 2005?
Il y aura au moins une différence importante. En 2005, l'Union
européenne aura depuis longtemps réalisé son Grand
objectif. Cela signifie que nous aurons à notre disposition une
force de 50.000 hommes entraînés et équipés,
prêts à intervenir dans un délai de 60 jours et pouvant
recevoir un soutien sur le terrain pendant un an au moins. Ce sera un
changement significatif : nous aurons des troupes prêtes à
être déployées, bénéficiant d'un soutien
approprié sur court préavis, et pouvant accomplir des missions
très variées.
En 2005, les premiers résultats concrets de l'initiative sur les
capacités de défense de l'OTAN seront devenus perceptibles.
L'écart technologique entre les deux côtés de l'Atlantique
continuera d'exister, mais, ayant identifié les lacunes les plus
importantes, nous aurons commencé à les combler.
Tel serait donc le scénario idéal pour une IESD qui fonctionne
effectivement. Ce serait un scénario dans lequel l'Europe serait
capable d'assumer de plus larges responsabilités pour le maintien
de la sécurité et de la stabilité sur ce continent.
Ce serait un scénario dans lequel l'OTAN et l'Union européenne
seraient, non pas des rivales, mais des partenaires. En bref, ce serait
un scénario marqué par un atlantisme éclairé,
un atlantisme qui peut s'adapter aux défis de ce nouveau siècle.
Après toutes ces prédictions, je ne voudrais pas terminer
sans avoir posé la question essentielle : que devons-nous faire
maintenant pour que ce scénario idéal se réalise
?
Premièrement, garder le cap. Au cours de ces dix-huit derniers
mois, l'Europe a fait plus de progrès sur l'IESD qu'au cours des
dix-huit années précédentes. De Saint-Malo à
Cologne, puis à Helsinki, de nouvelles orientations sont devenues
perceptibles - et cela ne se limite pas à l'Union européenne.
De fait, les activités des trois institutions participant à
la construction de l'IESD - l'Union européenne, l'UEO et l'OTAN
- reflètent ces nouveaux impératifs politiques et militaires.
Le Grand objectif de l'Union européenne, l'"inventaire"
de l'UEO, la nouvelle structure de commandement de l'OTAN et la DCI convergent
tous vers les mêmes fins : une Europe plus forte et une relation
transatlantique plus forte. Cette dynamique doit être maintenue.
Deuxièmement, résoudre rapidement les questions institutionnelles.
Les liens entre l'OTAN et l'Union européenne doivent être
développés afin d'assurer la transparence et la confiance
mutuelle entre les deux organisations. Le rôle des Alliés
européens non membres de l'Union européenne doit également
être défini d'une manière satisfaisante pour tous.
C'est plus qu'une simple question psychologique. Le soutien qu'apporteraient,
par exemple, la Turquie, la Norvège ou la Pologne à une
opération dirigée par l'Union européenne est tout
aussi important politiquement qu'il pourrait l'être militairement.
Il ne faut pas non plus oublier les pays partenaires de l'OTAN, de la
Roumanie à l'Albanie et à l'Ukraine. L'un des enseignements
essentiels tirés des opérations au Kosovo est que nous avons
besoin de leur soutien politique et militaire également.
Troisièmement, s'intéresser aux capacités, et pas
seulement aux institutions. La mise en oeuvre de changements institutionnels
est plus rapide et coûte certainement moins cher que la création
de capacités. Mais, finalement, c'est l'existence des capacités
nécessaires qui donne toute sa valeur à l'IESD. En effet,
l'IESD n'a pas de sens si les capacités appropriées ne sont
pas mises à disposition. En tant que Secrétaire général
de l'OTAN, je continuerai à rappeler avec insistance aux gouvernements
des pays alliés leurs engagements concernant les capacités,
pour faire en sorte qu'ils les mettent bel et bien à disposition.
Quatrièmement, éviter les répétitions inutiles.
Nul ne conteste que l'Union européenne doive établir les
structures nécessaires à l'exercice du contrôle politique
et de la direction stratégique d'opérations conduites par
l'Union européenne, qu'elles fassent ou non appel à des
moyens et à des capacités de l'OTAN. Ce qu'il faut éviter,
en revanche, ce sont les doubles emplois, en particulier s'agissant de
la planification de la défense. C'est pourquoi l'OTAN estime que
les Etats membres de l'Union européenne devraient utiliser autant
que possible ses procédures de planification de la défense.
Après tout, chaque pays n'a qu'un budget de la défense,
et ne possède qu'un ensemble de forces armées.
Cinquièmement, et ce sera mon dernier point, il faut faire un
effort d'information soutenu pour expliquer l'IESD - des deux côtés
de l'Atlantique. Nous devons expliquer ce qu'est l'IESD à une opinion
américaine qui reste sceptique. Cela exigera que les Européens
fassent preuve de ce que j'appellerai "une discipline rhétorique".
Une IESD qui serait perçue comme traduisant simplement une volonté
de l'Europe de s'affirmer ne recueillerait aucun soutien aux Etats-Unis.
En plaidant la cause de l'IESD, nous devons également mettre en
évidence la raison d'être de cette initiative dans le contexte,
plus large, des relations transatlantiques : c'est un moyen de faire de
l'Europe un partenaire d'une plus grande valeur pour les Etats-Unis, une
contribution à une relation transatlantique plus mûre.
Bien entendu, le défi que constitue l'explication de l'IESD ne
se limite pas aux seuls Américains. Expliquer à un électorat
européen pourquoi les budgets européens de la défense
ne devraient plus être réduits, ou pourquoi ils devraient
même être accrus, sera tout aussi difficile. Mais c'est un
effort qui mérite d'être fait. Et qui peut être fait.
L'expérience du Kosovo a convaincu même les plus ardents
IESD-sceptiques que l'asymétrie entre l'Europe et l'Amérique
du Nord n'est pas saine. Chacun se rend compte qu'un changement est nécessaire.
Cela nous donne une occasion unique de faire valoir nos arguments.
Nous devons saisir cette occasion. Pour la première fois depuis
plusieurs décennies - je devrais peut-être dire depuis un
demi-siècle - nous pouvons constater une convergence de vues sur
les modalités détaillées de l'IESD. Les questions
philosophiques sur l'opportunité de l'IESD ne dominent plus notre
ordre du jour. Nous avons dépassé ce stade : nous discutons
enfin des questions pratiques liées à sa mise en oeuvre.
Cela montre que tous les acteurs mesurent l'importance de l'enjeu. Et
qu'ils sont déterminés à aboutir.
Monsieur le Ministre Flahaut,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Faire des prédictions peut être dangereux, mais peut aussi
se révéler très instructif. Le principal avantage
que l'on peut tirer d'une telle démarche consiste peut-être
à mettre les choses en perspective : dans cinq ans, de nombreux
problèmes qui nous semblent actuellement insolubles auront été
résolus. Et, souvent, la solution à des problèmes
que nous jugeons aujourd'hui extrêmement délicats nous apparaîtra
soudain, avec le recul, tout à fait évidente.
Merci de votre attention.

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