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Mise à jour: 20-Nov-2006 Discours

Bruxelles
29 mars 2000

"La vision"

Propos du

Secrétaire général à la conférence
"défense européenne : le concept de convergence"

 

Monsieur le Ministre,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Durant la journée d'hier, et encore aujourd'hui, la conférence a été axée sur la question de la défense européenne, vue sous tous les angles imaginables. Vous avez examiné les objectifs et les capacités, de même que les conditions préalables au succès, sur le plan économique et du point de vue transatlantique.

Notre groupe de discussion - le dernier de la conférence - est réuni autour du thème de "la vision de l'avenir". Si les organisateurs ont placé ce débat vers la fin de la conférence, c'est parce qu'ils voulaient que vous et moi examinions comment, d'ici quelques années, chaque chose devrait s'articuler dans un ensemble harmonieux.

Ceci est du domaine de la prédiction - et la prédiction est une entreprise hasardeuse. John Maynard Keynes avait évité le piège des prédictions à long terme en prononçant ces mots demeurés célèbres : "au bout du chemin, nous serons tous morts!". Mais parfois, on ne peut éviter de faire des prédictions. Dans un tel cas, je ne puis m'empêcher de penser à cet avis paru dans un journal local américain informant ses lecteurs que la rubrique horoscope avait dû être annulée "en raison de circonstances imprévues".

On l'aura donc compris, il est dangereux de faire des prédictions. Je me hasarderai toutefois à lancer au moins quelques idées sur l'Europe, l'OTAN et le lien transatlantique tels que je les vois se modeler pour les années à venir.

Regardons un peu, cinq ans devant nous, et examinons l'Identité européenne de sécurité et de défense de l'an 2005. Où en serons-nous? Avec toutes les réserves d'usage, voici le scénario tel que je le perçois :

D'ici à 2005, l'Europe aura développé ses capacités de gestion des crises dans les domaines militaires et non militaires. Les structures politiques et militaires nécessaires pour assurer le contrôle politique et l'orientation stratégique d'opérations dirigées par l'Union européenne auront été établies. Les Alliés européens apporteront une contribution plus effective à la sécurité de l'Alliance et à celle de l'Europe en général. De ce fait, les relations transatlantiques seront plus solides.

Mes trois mots d'ordre (voie au chapitre pour tous les membres de l'Alliance, caractère indivisible du lien transatlantique et amélioration des capacités) auront été gravés dans le marbre d'un monument dressé à l'extérieur du bâtiment des réunions de l'OTAN et de l'Union européenne en session conjointe.

D'ici à 2005 , l'OTAN et l'Union européenne auront, à tous les niveaux, des liens étroits et une relation de confiance. Les échanges, formels et informels, entre les secrétariats et les autorités militaires, feront partie du quotidien. Des réunions conjointes auront lieu, et de hauts responsables de nos organisations respectives se tiendront mutuellement informés de façon régulière.

Les membres de l'OTAN n'appartenant pas à l'Union européenne seront étroitement associés aux délibérations de l'UE concernant la politique européenne de sécurité de défense et la gestion des crises. De la même façon, l'OTAN aura mis en place des mécanismes pour les pays de l'Union européenne non membres de l'Alliance.

L'OTAN prendra en compte les besoins de l'Union européenne dans l'établissement de ses plans de défense, et les deux organisations coordonneront étroitement leurs activités dans ce domaine. L'Union européenne aura accès aux moyens de planification de l'OTAN. Des dispositions seront en place pour que la structure de commandement de l'OTAN puisse fournir des éléments de quartiers généraux et des postes à l'échelon du commandement en vue d'opérations dirigées par l'Union européenne, et l'Adjoint au SACEUR sera le point focal pour toutes les questions liées à l'IESD. En outre, les dispositions permettant de mettre à disposition les moyens et les capacités de l'OTAN seront bien développées.

Un accord de sécurité entre l'OTAN et l'Union européenne pour l'échange d'informations classifiées sera en place. Par ailleurs, l'OTAN et l'UE tiendront conjointement des exercices de gestion des crises destinés à mettre à l'épreuve ces divers arrangements et mécanismes.

D'ici à 2005, ce lien entre l'OTAN et l'Union européenne sera devenu la plus forte composante nouvelle de notre capacité d'améliorer l'environnement stratégique. Non seulement ce lien nous permettra de faire un pas de géant pour ce qui est d'assurer la sécurité et la défense européennes, mais il commencera aussi à avoir des effets bénéfiques au-delà de l'IESD, par exemple dans les orientations des deux organisations vis-à-vis de la Russie, de l'élargissement ou de la Méditerranée, pour ne citer que quelques?uns des intérêts stratégiques que nos deux organisations ont en commun.

Voilà pour les institutions. Mais de quelles capacités disposerons-nous en 2005?

Il y aura au moins une différence importante. En 2005, l'Union européenne aura depuis longtemps réalisé son Grand objectif. Cela signifie que nous aurons à notre disposition une force de 50.000 hommes entraînés et équipés, prêts à intervenir dans un délai de 60 jours et pouvant recevoir un soutien sur le terrain pendant un an au moins. Ce sera un changement significatif : nous aurons des troupes prêtes à être déployées, bénéficiant d'un soutien approprié sur court préavis, et pouvant accomplir des missions très variées.

En 2005, les premiers résultats concrets de l'initiative sur les capacités de défense de l'OTAN seront devenus perceptibles. L'écart technologique entre les deux côtés de l'Atlantique continuera d'exister, mais, ayant identifié les lacunes les plus importantes, nous aurons commencé à les combler.

Tel serait donc le scénario idéal pour une IESD qui fonctionne effectivement. Ce serait un scénario dans lequel l'Europe serait capable d'assumer de plus larges responsabilités pour le maintien de la sécurité et de la stabilité sur ce continent. Ce serait un scénario dans lequel l'OTAN et l'Union européenne seraient, non pas des rivales, mais des partenaires. En bref, ce serait un scénario marqué par un atlantisme éclairé, un atlantisme qui peut s'adapter aux défis de ce nouveau siècle.

Après toutes ces prédictions, je ne voudrais pas terminer sans avoir posé la question essentielle : que devons-nous faire maintenant pour que ce scénario idéal se réalise ?

Premièrement, garder le cap. Au cours de ces dix-huit derniers mois, l'Europe a fait plus de progrès sur l'IESD qu'au cours des dix-huit années précédentes. De Saint-Malo à Cologne, puis à Helsinki, de nouvelles orientations sont devenues perceptibles - et cela ne se limite pas à l'Union européenne. De fait, les activités des trois institutions participant à la construction de l'IESD - l'Union européenne, l'UEO et l'OTAN - reflètent ces nouveaux impératifs politiques et militaires. Le Grand objectif de l'Union européenne, l'"inventaire" de l'UEO, la nouvelle structure de commandement de l'OTAN et la DCI convergent tous vers les mêmes fins : une Europe plus forte et une relation transatlantique plus forte. Cette dynamique doit être maintenue.

Deuxièmement, résoudre rapidement les questions institutionnelles. Les liens entre l'OTAN et l'Union européenne doivent être développés afin d'assurer la transparence et la confiance mutuelle entre les deux organisations. Le rôle des Alliés européens non membres de l'Union européenne doit également être défini d'une manière satisfaisante pour tous. C'est plus qu'une simple question psychologique. Le soutien qu'apporteraient, par exemple, la Turquie, la Norvège ou la Pologne à une opération dirigée par l'Union européenne est tout aussi important politiquement qu'il pourrait l'être militairement. Il ne faut pas non plus oublier les pays partenaires de l'OTAN, de la Roumanie à l'Albanie et à l'Ukraine. L'un des enseignements essentiels tirés des opérations au Kosovo est que nous avons besoin de leur soutien politique et militaire également.

Troisièmement, s'intéresser aux capacités, et pas seulement aux institutions. La mise en oeuvre de changements institutionnels est plus rapide et coûte certainement moins cher que la création de capacités. Mais, finalement, c'est l'existence des capacités nécessaires qui donne toute sa valeur à l'IESD. En effet, l'IESD n'a pas de sens si les capacités appropriées ne sont pas mises à disposition. En tant que Secrétaire général de l'OTAN, je continuerai à rappeler avec insistance aux gouvernements des pays alliés leurs engagements concernant les capacités, pour faire en sorte qu'ils les mettent bel et bien à disposition.

Quatrièmement, éviter les répétitions inutiles. Nul ne conteste que l'Union européenne doive établir les structures nécessaires à l'exercice du contrôle politique et de la direction stratégique d'opérations conduites par l'Union européenne, qu'elles fassent ou non appel à des moyens et à des capacités de l'OTAN. Ce qu'il faut éviter, en revanche, ce sont les doubles emplois, en particulier s'agissant de la planification de la défense. C'est pourquoi l'OTAN estime que les Etats membres de l'Union européenne devraient utiliser autant que possible ses procédures de planification de la défense. Après tout, chaque pays n'a qu'un budget de la défense, et ne possède qu'un ensemble de forces armées.

Cinquièmement, et ce sera mon dernier point, il faut faire un effort d'information soutenu pour expliquer l'IESD - des deux côtés de l'Atlantique. Nous devons expliquer ce qu'est l'IESD à une opinion américaine qui reste sceptique. Cela exigera que les Européens fassent preuve de ce que j'appellerai "une discipline rhétorique". Une IESD qui serait perçue comme traduisant simplement une volonté de l'Europe de s'affirmer ne recueillerait aucun soutien aux Etats-Unis. En plaidant la cause de l'IESD, nous devons également mettre en évidence la raison d'être de cette initiative dans le contexte, plus large, des relations transatlantiques : c'est un moyen de faire de l'Europe un partenaire d'une plus grande valeur pour les Etats-Unis, une contribution à une relation transatlantique plus mûre.

Bien entendu, le défi que constitue l'explication de l'IESD ne se limite pas aux seuls Américains. Expliquer à un électorat européen pourquoi les budgets européens de la défense ne devraient plus être réduits, ou pourquoi ils devraient même être accrus, sera tout aussi difficile. Mais c'est un effort qui mérite d'être fait. Et qui peut être fait. L'expérience du Kosovo a convaincu même les plus ardents IESD-sceptiques que l'asymétrie entre l'Europe et l'Amérique du Nord n'est pas saine. Chacun se rend compte qu'un changement est nécessaire. Cela nous donne une occasion unique de faire valoir nos arguments.

Nous devons saisir cette occasion. Pour la première fois depuis plusieurs décennies - je devrais peut-être dire depuis un demi-siècle - nous pouvons constater une convergence de vues sur les modalités détaillées de l'IESD. Les questions philosophiques sur l'opportunité de l'IESD ne dominent plus notre ordre du jour. Nous avons dépassé ce stade : nous discutons enfin des questions pratiques liées à sa mise en oeuvre. Cela montre que tous les acteurs mesurent l'importance de l'enjeu. Et qu'ils sont déterminés à aboutir.

Monsieur le Ministre Flahaut,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Faire des prédictions peut être dangereux, mais peut aussi se révéler très instructif. Le principal avantage que l'on peut tirer d'une telle démarche consiste peut-être à mettre les choses en perspective : dans cinq ans, de nombreux problèmes qui nous semblent actuellement insolubles auront été résolus. Et, souvent, la solution à des problèmes que nous jugeons aujourd'hui extrêmement délicats nous apparaîtra soudain, avec le recul, tout à fait évidente.

Merci de votre attention.

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