l'Institut des
Hautes Etudes
de Dfense Nationale
(IHEDN)

Paris,
8 mars 1999

Discours

du Secrtaire gnral

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi d'tre parmi vous aujourd'hui. L'Institut des Hautes Etudes de Dfense Nationale est connu dans l'ensemble des pays de l'Alliance pour tre l'une des institutions de tout premier plan en matire d'tudes de dfense. La prsence d'un si grand nombre de personnalits - tant militaires que civiles - runies au sein d'un mme forum d'tude et de rflexion confirme la rputation de centre de comptence et d'influence dont jouit l'Institut.

Quelle heureuse concidence que nous soyons rassembls ici Paris, la ville qui vit Schuman et Monnet lancer le projet europen. A l'poque, le continent tait trs diffrent de ce qu'il est aujourd'hui. L'Europe occidentale se relevait d'une terrible guerre. Les conomies taient faibles, les socits dchires par des divisions internes.

Les pres fondateurs de l'intgration europenne n'en croiraient pas leurs yeux s'ils pouvaient voir l'Europe actuelle. L'Union europenne compte quinze pays membres, et six autres pays ont conclu avec elle des accords d'association pour une adhsion future. Les citoyens europens lisent leurs reprsentants au sein d'un Parlement europen. Les frontires internes disparaissent, et les ressortissants des pays de l'Union europenne ont un passeport commun. Onze pays membres de l'Union viennent d'adopter l'Euro.

Les militaires europens conduisent les forces internationales dployes en ARYM pour rsoudre la crise au Kosovo. Et une Identit europenne plus forte se dveloppe au sein de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Ces vnements, conjugus, dmontrent avant tout une chose, savoir que l'Europe n'est plus "ce petit cap du continent asiatique", pour reprendre l'expression de Paul Valry, mais un projet qui connat un remarquable succs.

Le lancement de l'euro montre quel point les fondements politiques de ce projet europen sont solides. Une monnaie est bien plus qu'une unit d'change : c'est un symbole d'identit. Les pays de la zone Euro ne tmoignent pas seulement de leur confiance rciproque sur le plan conomique. Ils prouvent aussi qu'une nouvelle identit europenne prend corps.

Je voudrais aujourd'hui, dans mon intervention, aborder plus particulirement le rle jou par l'OTAN dans ce processus d'intgration europenne, et la contribution concrte apporte par l'Alliance un aspect spcifique de ce processus - l'mergence d'une Identit de scurit et de dfense. D'ailleurs, le moment est mon avis venu d'examiner ce que signifie, pour les relations entre l'OTAN et l'Union europenne, cette Identit europenne de scurit et de dfense qui se fait jour.

Mesdames et Messieurs,

Pendant quatre dcennies, l'OTAN a t le bras protecteur d'une Europe occidentale en plein redressement. Aucune intgration conomique ou politique n'aurait t possible sans la scurit fondamentale assure par l'Alliance. Cette scurit tait essentielle.

Mais l'influence de l'OTAN sur le processus d'intgration a t plus profonde encore. L'existence de l'Alliance a mis un terme un comportement historique qui voulait que chaque Etat europen cherche assurer sa dfense et sa scurit par des moyens purement nationaux - et souvent aux dpens des autres. Par son engagement en faveur d'une dfense collective, l'Alliance atlantique a contribu liminer l'une des causes premires de guerre.

Ce faisant, l'OTAN a contribu l'veil d'une culture de confiance entre ses membres. Le rsultat en est vident pour tous. Un conflit majeur entre Allis, ou mme une guerre grande chelle en Europe, sont tout simplement inconcevables. Des dcennies de coopration militaire et politique au sein de l'OTAN ont cr des liens de confiance trs solides. C'est cette confiance qui a permis au processus d'intgration europenne de voir le jour et de se dvelopper.

Il faut encore citer un troisime lment essentiel dans la dimension de scurit du processus d'intgration europenne. Il s'agit de l'mergence d'une Identit de scurit et de dfense, complment naturel et logique d'une intgration politique et conomique qui va en s'approfondissant. Une IESD effective est tout aussi ncessaire l'Europe qu' la bonne sant de la relation transatlantique. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.

Pendant des annes, "atlantistes" et "europanistes" avaient des points de vue trs diffrents, laissant peu de place au compromis. Les atlantistes craignaient que le dveloppement d'une identit europenne ne puisse se faire qu'au dtriment de l'OTAN. Les europanistes craignaient qu'un monopole de l'OTAN sur les questions de scurit ne fasse obstacle l'mergence d'une vritable IESD.

Le temps de ces perspectives concurrentes est rvolu. Les dcisions prises au sein de l'Alliance au cours des dernires annes ont permis au dveloppement de l'IESD de trouver sa place : loin des concepts; dans la ralit. Nous passons de la thorie la mise en oeuvre concrte.

Deux ingrdients essentiels ont rendu possible ces progrs. En premier lieu, la dtermination des Allis europens construire l'IESD au sein de l'OTAN.

En cette priode de restrictions budgtaires, il tait rationnel, sur le plan conomique, d'utiliser l'existant, en faisant appel des moyens et des capacits de l'OTAN pour des oprations europennes, plutt que de tenter de reproduire ailleurs ces structures et ces comptences.

Le second ingrdient cl, complmentaire de cette dcision, a rsid dans le changement d'attitude des Etats-Unis vis--vis d'un renforcement du rle de l'Europe au sein de l'OTAN.

Les Etats-Unis en sont venus reconnatre qu'avec une Europe forte au sein de l'Alliance, l'efficacit de l'OTAN serait renforce et non pas compromise.

En 1991, deux vnements ont dfini le cadre fondamental : la signature du Trait de Maastricht et le Sommet de Rome. Le Trait de Maastricht a confirm le dveloppement de l'Union de l'Europe Occidentale en tant que bras arm de l'Union europenne. Le Sommet de Rome a confirm que, du point de vue de l'OTAN, l'UEO constituerait le moyen de renforcer la dimension europenne de l'Alliance. Les Allis ont donn un puissant lan cette entreprise lorsqu'ils ont dcid, en 1994 Bruxelles et en 1996 Berlin, que les moyens collectifs de l'Alliance pourraient tre mis disposition pour des oprations de l'UEO. Je sais combien votre pays a jou un rle important pour cela. Depuis, l'Alliance a dfini les moyens concrets de "sparer" des moyens de l'OTAN en vue de leur utilisation par l'UEO. Aujourd'hui, quelques semaines du Sommet de Washington, nous mettons les dernires touches ce travail concret de dveloppement de l'IESD au sein de l'OTAN.

A Washington, nous dvoilerons la nouvelle structure de commandement de l'Alliance. Celle-ci n'est pas seulement plus rduite et plus souple, et donc mieux adapte aux missions, plus varies, d'aujourd'hui. Elle a galement t modifie pour rendre possibles des oprations diriges par les europens et utilisant des moyens et des capacits de l'OTAN. Nous avons galement ralis des progrs significatifs dans l'identification des moyens et des capacits de l'OTAN susceptibles d'tre utiliss pour soutenir des oprations de l'UEO. Et nous travaillons de concert avec l'UEO pour nous familiariser avec les procdures qui pourraient tre mises en uvre dans le cadre d'une opration de gestion de crise dirige par l'UEO et faisant appel des moyens de l'OTAN.

De tels progrs auraient t impensables il y a quelques annes seulement. Ils montrent combien la dtermination politique btir l'IESD au sein de l'OTAN est relle. Et c'est une dtermination qui vise inclure tous les Allis s'ils le dsirent. Notre approche est inclusive, pas exclusive.

Toutefois, il n'est pas possible de concrtiser une Identit europenne de scurit et de dfense uniquement par le biais d'arrangements institutionnels. Cette identit ne peut pas non plus tre ramene un aspect interne des oprations de l'OTAN ou de l'UEO. En fait, il s'agit de savoir si l'Europe a le dsir de devenir un acteur uni, actif et crdible sur la scne mondiale.

C'est une question qui dpasse largement les relations entre l'OTAN et l'UEO, et qui touche au coeur mme de l'Identit europenne.

En dernire analyse, le dveloppement de l'IESD ne pourra tre men bien que si l'Europe parvient parler d'une seule et mme voix.

Cet objectif n'est pas irraliste. Toutefois, pour l'atteindre, il sera ncessaire de faire des progrs dans trois domaines cls : la volont politique, les capacits militaires et les relations transatlantiques.

Premirement, la volont politique. Pour raliser des avances en ce qui concerne les problmes politiques dlicats, il est ncessaire d'tablir une position commune - et de s'y tenir, ensemble. Le conflit en Yougoslavie nous a donn l'occasion de rflchir sur la difficult que cela reprsente.

En Albanie, par exemple, les pays europens ont pu, bref dlai, crer une coalition des bonnes volonts et prendre les mesures ncessaires. Quand la crise a clat au Kosovo, une position europenne commune a rapidement t tablie. Les Europens fournissent aujourd'hui la plus grande partie des vrificateurs dploys dans le cadre de la mission de vrification de l'OSCE au Kosovo. En tant qu'Alli europen, la France est la tte du dploiement de la force d'extraction de l'OTAN. Ce sont les Europens qui ont pris l'initiative des ngociations de Rambouillet destines contraindre les parties parvenir un rglement pacifique. Par ailleurs, un niveau politique plus lev, l'initiative franco-britannique de Saint-Malo a donn une nouvelle impulsion aux mesures visant renforcer le rle de l'Europe en matire de scurit. Vous le voyez, votre pays est loin d'tre en reste en ce qui concerne sa contribution ce processus, dont je tiens saluer ici la qualit.

Il s'agit l d'tapes importantes et concrtes dans la bonne direction. Elles montrent clairement que l'Europe dispose d'un potentiel rel pour jouer un rle politique majeur sur la scne mondiale.

Toutefois, pour que ce potentiel soit pleinement dvelopp, des progrs sont ncessaires en ce qui concerne le deuxime point : les capacits. Une identit europenne de scurit de dfense a tout autant besoin de capacits que de la volont politique. Sans investissements dans les domaines du transport stratgique, du renseignement, du commandement, du contrle et des tlcommunications, l'Europe ne sera pas en mesure de soutenir une intervention militaire complexe et de grande envergure, quelle qu'en soit la dure.

D'o galement la ncessit pour l'Europe de se doter d'une base industrielle solide qui lui permettra de rpondre aux besoins engendrs par les nouveaux dfis.

Si l'Europe veut vritablement assumer des responsabilits plus grandes dans le domaine de la dfense, il faut qu'elle utilise avec soin et de faon productive les ressources limites dont elle dispose. Il est irraliste de penser que l'Europe pourrait atteindre l'autosuffisance complte dans ce secteur, et mme si elle l'atteignait, cela serait totalement improductif. En fait, les ressources europennes devraient plutt tre utilises de faon combler les lacunes des capacits actuelles de l'OTAN.

Le troisime lment ncessaire au dveloppement de l'IESD est le rquilibrage des relations transatlantiques. Il est clair que seule une Europe plus forte garantira un engagement amricain continu l'gard de la scurit europenne. Car seule une Europe plus forte peut jouer le rle du partenaire stratgique que les Etats-Unis recherchent pour relever les grands dfis du domaine de la scurit.

Soyons clair. Il s'agit d'un partenariat, non pas d'une comptition; il s'agit de permettre le dveloppement d'un potentiel, non pas de l'empcher. Selon moi, le moment n'a jamais t plus propice pour rquilibrer les relations transatlantiques, en favorisant et multipliant des synergies, au lieu de crer des allergies.

Nous devrions axer nos dbats sur le meilleur moyen de crer ces synergies nouvelles, dans des domaines d'intrt commun, entre les deux organisations qui contribuent le plus la scurit et la stabilit dans l'Europe d'aujourd'hui : l'Union europenne et l'Alliance. A cet gard, nous pourrions peut-tre nous engager dans une rflexion plus crative - dans des discussions franches qui, tout en prservant les vocations respectives des deux organisations, s'ouvriraient sur un chapitre nouveau de l'volution de l'identit europenne dans le domaine de la scurit et de la dfense.

Nous avons dj pu voir, dans les actions de ces deux organisations importantes, qu'il y a complmentarit et renforcement mutuel. En Bosnie, l'Alliance, grce sa force de stabilisation, a contribu crer les conditions de scurit les plus propices la dmarche d'aide financire et d'assistance technique de l'Union europenne. Ensemble, l'Alliance et l'Union europenne aident, chacune sa faon, tablir une paix durable en Bosnie.

Les deux organisations sont, chacune, engages dans un processus d'largissement qui leur est propre. Malgr leurs diffrences, toutes deux poursuivent le mme objectif, savoir le renforcement de la stabilit ncessaire au dveloppement des valeurs de prosprit, de bien-tre, de dmocratie et de paix sur ce continent.

Les deux organisations ont pris conscience que, si elles veulent atteindre cet objectif sur l'ensemble du continent europen et consolider rellement la stabilit et la scurit, elles doivent - et c'est essentiel - entretenir de bonnes relations avec la Russie. L'OTAN comme l'Union europenne ont uvr concrtement en ce sens avec leurs programmes respectifs - le soutien financier et l'aide de l'Union europenne venant complter et renforcer la coopration engage par l'Alliance sur le plan militaire et dans le domaine de la dfense par le biais de l'Acte fondateur OTAN-Russie.

De mme, cette synergie peut tre observe dans une autre partie du continent : la rgion mditerranenne. Les deux organisations ont cherch tendre la main de l'amiti aux pays riverains de la Mditerrane. L'engagement de l'Union europenne par le biais du processus de Barcelone est dcisif pour le renforcement de la stabilit dans le sud. Le dialogue de l'OTAN sur la Mditerrane, visant instaurer la confiance dans le domaine militaire, vient complter cet engagement.

Mesdames, Messieurs,

Je crois que le moment est venu de mettre un terme aux vaines querelles de comptence pour saisir les opportunits qui se prsentent nous aujourd'hui. Au Sommet de Washington, l'Alliance dvoilera des initiatives parmi lesquelles la perspective d'un rle europen accru dans le domaine de la scurit.

L'amlioration de nos capacits de dfense pour grer les crises, la prise en compte du risque pos par les armes de destruction massive, l'adoption d'un nouveau Concept stratgique - autant d'lments qui peuvent aller dans le sens d'une identit europenne plus tangible.

L'importance de l'IESD dans la nouvelle OTAN sera reflte le mois prochain dans la version rvise de notre Concept stratgique. Ce Concept prendra galement en compte les facteurs politiques et militaires qui ont modifi notablement et positivement le paysage stratgique depuis 1991. Il prcisera le nouvel quilibre trouver entre les missions traditionnelles et les missions nouvelles de l'OTAN, y compris les oprations de soutien de la paix. Il tiendra galement compte des nouvelles relations que nous avons tablies avec nos Partenaires, notamment la Russie et l'Ukraine.

Le Concept stratgique sera par consquent un document essentiel pour la nouvelle OTAN du prochain millnaire - une OTAN caractrise non seulement par une vocation europenne plus marque, mais aussi par une identit europenne de scurit et de dfense oprationnelle, tangible. Une OTAN qui aidera l'Europe atteindre sa pleine maturit en tant qu'acteur important sur le plan politique, sur le plan conomique et sur le plan de la scurit.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.


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