[ NATO SPEECHES ]

L'Université
du Québec
à Montréal

26 mar. 1997

"L'élargissement de l'OTAN et la Russie"

Discours du Secrétaire général délégué


Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous dire le plaisir que j'ai à me trouver devant un auditoire si distingué et, en particulier, de vous faire part de la sensation que j'éprouve - une sensation de "home coming" en revisitant ce pays où j'ai servi pendant plus de sept ans.

Comme vous le savez, dans moins de quatre mois, aura lieu le Sommet de l'OTAN à Madrid. Il sera l'aboutissement de plusieurs années d'adaptation et de préparation. A cette occasion, nous inviterons un ou plusieurs nouveaux membres à engager des négociations en vue de leur adhésion à l'Alliance; nous espérons également pouvoir établir de nouvelles relations avec la Russie et l'Ukraine, et nous nous prononcerons sur une nouvelle structure militaire.

Si nous avons pu parcourir tant de chemin, c'est parce que l'OTAN a toujours conservé son esprit de cohésion. Certes, nous avons connu des frictions, comme par exemple lors des premières phases de notre engagement en Bosnie. Certes, nous avons connu des différends sur le bon niveau des dépenses de défense. Mais jamais nous n'avons perdu de vue la vérité fondamentale : que le meilleur moyen de veiller à notre sécurité est de rester ensemble; que nous ne pouvons faire face aux défis d'un monde de plus en plus complexe que si l'Amérique du Nord et l'Europe agissent de concert.

Ce jugement a été corroboré de la manière la plus manifeste en Bosnie, où l'OTAN dirige une force composée de contingents de [33] pays et assure la paix indispensable à la reconstruction de ce pays déchiré par la guerre. Le Canada, aussi bien par les soldats qu'il a envoyés sur place que par sa riche expérience du maintien de la paix, joue un rôle important dans cet effort commun, et nous lui en sommes reconnaissants.

La plupart des observateurs s'accordent à dire, aujourd'hui, que la cohésion de l'Alliance a permis l'accord de Dayton et les événements qui en ont découlé. En revanche, ils se montrent moins optimistes sur les autres points qui figurent à l'agenda de l'OTAN. Ainsi, ces derniers mois, s'est répandue l'idée qu'il nous fallait en quelque sorte "choisir" entre l'élargissement de l'OTAN et la Russie, ce qui laisserait entendre que nous ne pouvons pas en même temps accueillir de nouveaux membres et instaurer une nouvelle relation avec la Russie. Bon nombre d'observateurs se demandent, par conséquent, si l'Alliance ne veut pas à la fois le beurre et l'argent du beurre.

Il s'agit là d'idées fausses, mais nous ne pouvons pas y être indifférents car elles n'expriment pas seulement l'opinion de Monsieur ou Madame Tout le monde : elles reflètent aussi l'opinion de certains de nos législateurs. Si nous voulons que l'adhésion des nouveaux membres ne soulève aucune objection dans nos parlements et que ceux-ci la ratifient, nous devons faire en sorte que notre politique soit bien comprise.

Notre politique repose sur la conviction qu'une Alliance élargie et une relation plus étroite avec la Russie sont des notions non pas contradictoires mais complémentaires. Le nouvel environnement européen ne se caractérise plus par une recherche de l'équilibre des forces, mais par des rapports de coopération sans cesse plus étroits. L'ouverture de l'OTAN à de nouveaux membres est donc tout aussi naturelle et inévitable que le resserrement des liens OTAN-Russie : les deux processus sont des constituants essentiels de la nouvelle architecture de sécurité européenne.


L'ouverture de l'OTAN devrait être vue - et appréciée - pour ce qu'elle est en réalité : un élément naturel du processus général d'intégration européenne, un moyen de renforcer chez les démocraties nouvelles la confiance en leur destin, en même temps que de satisfaire leur désir d'appartenance à une communauté. Ces pays veulent entrer dans l'Alliance atlantique pour les mêmes raisons que les membres actuels ne veulent pas la quitter. Nous avons donc l'obligation morale de répondre à leurs aspirations légitimes.

L'élargissement de l'OTAN ne vise en aucune manière à marginaliser la Russie. Au contraire, une architecture de sécurité européenne digne de ce nom doit donner à la Russie sa juste place. Ceux qui estiment que l'OTAN doit choisir entre l'élargissement et la Russie appliquent à l'Europe de l'après-guerre froide un schéma révolu de "gagnants" et de "perdants", totalement inadapté à l'environnement actuel. Dans notre vision de la nouvelle architecture de sécurité européenne, il n'y a pas de perdants, il n'y a que des gagnants. C'est pourquoi nous attendons des pays désireux d'intégrer l'Alliance la même volonté d'entretenir avec la Russie des relations positives, constructives, que chez les membres actuels. Pour moi, il est clair que nous parviendrons à une sécurité accrue en Europe, en coopération avec la Russie.

L'OTAN et la Russie ont engagé un dialogue qui se poursuivra dans les mois à venir. Ces dernières semaines, M. Solana, Secrétaire général de l'Alliance, a rencontré à trois reprises M. Primakov, Ministre russe des affaires étrangères, pour mettre au point les détails d'un document ayant force contraignante, à adopter d'un commun accord avec la Russie. Le texte ainsi agréé énoncerait les principes et les mécanismes d'une relation stratégique entre l'OTAN et la Russie d'un type radicalement nouveau. La position de l'OTAN et celle de la Russie se rapprochent. Les entretiens se poursuivent dans un climat constructif. Les deux parties désirent sincèrement des résultats positifs. L'OTAN a proposé de créer un Conseil OTAN-Russie, qui constituerait un mécanisme permanent de consultation et, éventuellement, d'action commune. Nous souhaiterions également voir s'installer à l'OTAN une représentation diplomatique et militaire russe. Nous serions favorables au rattachement d'officiers de liaison russes de haut rang aux éléments appropriés de la structure militaire de l'OTAN, étant entendu que la réciproque serait vraie pour la présence d'officiers de liaison de l'OTAN en Russie. Dans l'intérêt général, la Russie devrait être représentée de façon permanente à l'OTAN pour pouvoir se faire entendre et voir par elle-même ce qui s'y passe. Un authentique partenariat verra le jour lorsque des représentants de la Russie et des services de l'OTAN commenceront à collaborer de façon étroite, voire quotidienne. De telles habitudes de travail auront peu à peu raison des vieux préjugés.

Toutefois, quels que soient les progrès réalisés dans nos entretiens avec la Russie, nous maintiendrons notre intention d'admettre un ou plusieurs nouveaux membres. Notre objectif est d'accueillir les premiers nouveaux membres d'ici à 1999, cinquantième anniversaire de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Parallèlement, pour faire en sorte que l'ouverture de l'Alliance accroisse la sécurité et la stabilité de l'ensemble de l'Europe, nous devrons également tenir compte des besoins des pays qui ne deviendront pas membres de notre Organisation ou qui le deviendront plus tard. Pour cela, nous devons renforcer notre mécanisme de coopération le plus efficace : le Partenariat pour la paix.

L'histoire du PPP est celle d'une remarquable réussite. Cette initiative a permis d'augmenter nettement la capacité qu'a la communauté internationale d'agir et d'interagir efficacement. Le Canada a contribué activement à faire passer le PPP du simple concept qu'il était à son lancement, en janvier 1994, à ce qu'il est aujourd'hui: un système de coopération à part entière, avec des programmes de travail, des exercices et des activités de planification couvrant un vaste domaine. Au Sommet de Madrid, nous offrirons à nos Partenaires d'autres possibilités de s'associer à des activités naguère réservées aux seuls Alliés. Nous travaillons aussi au renforcement des dispositions déjà en place pour la tenue de consultations régulières en matière de politique et de sécurité.

Un PPP ainsi renforcé n'est pas un "lot de consolation" pour ceux qui ne seraient pas invités, en juillet, à se joindre à l'Alliance. Là non plus, nous ne devons pas accréditer l'idée que seraient artificiellement créés des "gagnants" et des "perdants". L'IFOR devrait avoir démontré, même aux plus sceptiques, que la coopération militaire à travers l'Europe est une nécessité stratégique. Et à mesure que se resserreront les mailles de la coopération, la distinction entre Alliés et Partenaires deviendra de plus en plus ténue.

Nous sommes également en train de développer une relation spécifique et effective entre l'OTAN et l'Ukraine, afin de renforcer la participation de ce pays à l'instauration de la stabilité en Europe. On ne peut douter qu'une Ukraine indépendante, stable et démocratique est d'une importance stratégique pour le développement de l'ensemble de l'Europe. Nous nous attachons avec les autorités ukrainiennes à faire en sorte que cette nouvelle relation de sécurité soit formalisée d'ici au Sommet de Madrid. Dans le même temps, avec le soutien actif du gouvernement ukrainien, l'OTAN s'apprête à ouvrir un bureau d'information à Kiev. Ce sont des initiatives concrètes comme celle-là qui, en permettant au public de connaître la nouvelle OTAN, font des discours une réalité.

Toutes ces initiatives, qu'elles concernent la Russie, l'Ukraine, le PPP ou l'élargissement, témoignent du fait que l'OTAN joue un rôle de tout premier plan dans l'oeuvre entreprise pour façonner la sécurité européenne. Mais pour bien remplir ce rôle, nous devons parachever la transformation de l'OTAN elle-même. Nous comptons nous entendre d'ici au mois de juillet sur les détails d'une structure militaire réduite et rénovée.

Cette nouvelle structure permettra à l'Alliance de réagir plus vite et plus efficacement à une crise naissante. Elle créera également une identité européenne de sécurité et de défense visible au sein de l'Organisation. Son adoption représente donc une étape majeure vers une OTAN plus flexible et un partenariat transatlantique plus abouti.

Pas plus que dans le cas de l'élargissement de l'OTAN et de la Russie, nous n'avons à nous tenir sur la défensive. La nouvelle structure militaire est l'une des clés de la vitalité de l'OTAN au siècle prochain. Elle apportera de multiples avantages. Tout d'abord, elle dotera pour la première fois l'Alliance d'une capacité expressément organisée pour permettre le déploiement d'une force de maintien de la paix dans une zone de crise. En outre, la nouvelle structure est conçue pour fonctionner d'emblée avec la participation de pays non membres de l'OTAN.

La nouvelle structure présente une deuxième grande caractéristique : la responsabilité et le rôle croissants qu'y assumeront les Européens. Elle comportera un dispositif européen clairement défini qui pourrait être utilisé pour des opérations dirigées par l'UEO. Il ne s'agit pas, comme beaucoup semblent le croire, d'"européaniser" l'OTAN. Nous voulons qu'il y ait dans notre nouvelle structure une option supplémentaire, celle d'une opération sous conduite européenne, d'une opération dirigée par l'UEO. De cette manière, l'OTAN offrira plus de souplesse et apportera une contribution forte à l'évolution de l'UEO en tant qu'instrument d'une Europe en voie d'intégration.

Mesdames, Messieurs, il est bien certain que l'agenda de l'OTAN ne se limite pas à ce que je viens de vous dire. Notre travail s'étend à d'autres domaines importants, comme ceux qui nous voient tisser des liens d'amitié par delà la Méditerranée ou intensifier nos efforts pour prévenir la prolifération des armes de destruction massive. Dans chaque cas, nous n'aboutirons que si nous gardons notre atout le plus précieux : notre cohésion. Vous vous demandez sans doute ce qui fait le prix de cette cohésion et ce que le Canada peut en retirer.

Je dirai, moi qui ai vu le paysage de la sécurité changer sous mes yeux au cours des trois dernières années, que les bénéfices restent à mon avis considérables et que, comme pour tout investissement judicieux, ils vont croissant.

L'intérêt d'une participation du Canada ne tient pas à la qualité de ses troupes ni à ses sacrifices passés. Il y a d'autres raisons, politiques, et tout aussi fortes à mon avis, d'apprécier la contribution du Canada. Aujourd'hui, l'Alliance façonne les événements en Europe bien plus qu'elle ne pouvait le faire auparavant.

A l'époque de la guerre froide, l'Alliance a efficacement sauvegardé l'Europe occidentale de la menace qui pesait sur son intégrité territoriale et son indépendance politique. Nous avons incontestablement fait la preuve de l'échec de toute tentative d'étendre à l'ouest la puissance soviétique, que ce soit par la force des armes ou par l'intimidation politique. L'Europe occidentale a pu ainsi connaître la période de paix la plus longue de son histoire. Du point de vue du Canada, le bénéfice a été de ne pas se trouver à nouveau devant la décision d'envoyer ses fils se battre sur le sol européen.

De façon plus positive, l'Alliance a créé une zone de stabilité qui a stimulé la prospérité et le développement de l'Europe occidentale. Celle-ci est pour l'Amérique du Nord la première zone d'investissement, en même temps qu'un partenaire commercial solide. Si la sécurité de l'Amérique du Nord est devenue inséparable de celle de l'Europe, il en a été de même pour leurs économies. Le Canada a contribué à instaurer cette paix et cette stabilité qui sont pour lui d'un intérêt capital, aussi bien stratégiquement qu'économiquement. Ainsi, de par son appartenance à l'OTAN, le Canada a pu faire entendre sa voix, et l'a fortement fait entendre, dans l'évolution du continent européen à un moment de profonde mutation. Cela a été et cela demeurera d'une importance capitale pour le bien-être du Canada même. La situation en Europe n'est pas figée, elle peut être influencée et façonnée par la volonté collective des Alliés.

Alors que nous nous approchons du Sommet, je pense que la période que nous vivons pourrait s'inscrire parmi les phases décisives que l'OTAN a traversées depuis sa fondation, en 1949. L'Alliance reste au centre de toutes les initiatives pour façonner l'Europe de demain. Le Canada y tient, à bon droit, sa place d'acteur et non de spectateur.


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