[ NATO PRESS
RELEASES ]

Discours
devant le
Colloque:
"La Dfense
de la France
dans l'aprs-
guerre froide"

Ecole Militaire
27 mars 1996


Discours

du secrtaire gnral

Monsieur le Prsident,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

C'est avec grand plaisir que j'ai accept votre invitation de prendre aujourd'hui la parole devant votre colloque. Vous me donnez ainsi l'occasion d'exposer devant un parterre de spcialistes minents, dans le cadre prestigieux de l'Ecole Militaire, certaines de mes rflexions actuelles. Je m'en rjouis et je vous en remercie.

Je serai bref car, vous vous en doutez, je suis prisonnier du programme extrmement charg de ma visite officielle Paris.

Le changement dans le contexte de scurit qui a suivi la fin de la guerre froide a incit l'Alliance entreprendre sa propre rforme, et il ne fait pas de doute qu'elle s'est dj fortement transforme. Le fait que l'OTAN ait cr la force de mise en oeuvre des accords de paix en Bosnie et qu'elle se trouve ainsi la tte de 60.000 hommes venus de 16 pays allis et de 17 autres pays montre quel point l'Alliance a volu, la fois sur le plan militaire et sur le plan politique, au cours de ces dernires annes.

D'autres changements s'imposent cependant, et sont en fait invitables. La raison en est tout d'abord que l'exprience de l'IFOR influencera profondment le dbat sur le rle et les missions de l'Alliance dans la nouvelle Europe.

Par ailleurs, la dcision - fort apprcie - du prsident Chirac d'engager plus activement la France dans l'Alliance aura galement une incidence profonde sur la nature et sur le rythme des changements que connatra l'OTAN. L'empressement de la France difier un pilier europen au sein de l'Alliance a t chaleureusement accueilli par ses Allis. Il nous est maintenant possible de nous rapprocher srieusement de l'objectif que nous nous sommes fix de longue date de construire une identit europenne de scurit et de dfense, qui soit compatible avec l'Alliance et qui lui apporte son soutien.

Je souhaiterais dvelopper quelque peu ces deux points, c'est--dire les consquences de la situation en Bosnie et la future rforme des structures de l'Alliance.


Aucun autre vnement depuis la fin de la guerre froide n'aura autant mis l'preuve nos institutions, nos objectifs et mme nos idaux que le conflit en Bosnie. Les principes et les valeurs que la communaut internationale s'tait engage soutenir et dfendre ont t attaqus. Heureusement nous avons ragi cette attaque.

Je tiens ici saluer le rle dirigeant de la France dans l'inspiration et la conduite de l'effort international pour instaurer une paix durable dans l'ex-Yougoslavie. Ds les premiers temps de la guerre en Bosnie, des officiers et des soldats franais ont montr l'exemple. La protestation du gnral Morillon propos de Sarajevo en 1992 a t un cri de ralliement pour ceux qui ne pouvaient pas voir sans rien faire des civils innocents soumis jour aprs jour un sige sans relche.

A mesure que croissaient les effectifs et la complexit des tches de la Force de protection de l'ONU en Bosnie, le rle dirigeant de la France a plus que rpondu aux attentes. La France a us de son prestige et de son exprience au Conseil de scurit de l'ONU pour stimuler et organiser la raction des Nations Unies au conflit. Elle a particip pleinement chaque opration militaire destine faire pression sur les belligrants pour les amener un rglement pacifique. Ses navires ont fait respecter les embargos maritimes contre l'ex-Yougoslavie; ses chasseurs ont patrouill le ciel de Bosnie pour empcher des attaques ariennes contre des civils sans dfense et pour protger les forces civiles et militaires des Nations Unies sur le terrain.

Les Franais ont appuy sans compter et sans faiblir la dfense en Bosnie des idaux auxquels leur pays est associ - libert individuelle, protection des innocents, aide ceux qui souffrent. Des dizaines de militaires franais ont perdu la vie en Bosnie depuis le dbut de la guerre en Yougoslavie, mais la France a accept ces sacrifices au nom de la scurit europenne et comme prix de son rle dirigeant.


Et lorsque la rponse de la communaut internationale faiblissait et risquait de driver, la France a ragi. En 1994, elle a propos aux Europens, aux Etats-Unis et la Russie de crer le Groupe de contact afin d'laborer un plan de paix. Chaque fois qu'il a fallu plus de forces sur le terrain, ou une action plus nergique pour accomplir les missions humanitaires des Nations Unies, la France a donn l'exemple. Enfin, lorsque la dignit des casques bleues s'est trouve menace, lorsque des parties au conflit, avec arrogance, ont cru pouvoir recourir impunment la prise d'otages, la France a dit : "Assez!". Le prsident Chirac a propos au Royaume-Uni la cration d'une Force de raction rapide.

La Bosnie a clairement montr que les Allis, ensemble, ont leur disposition une gamme formidable d'instruments militaires et politiques ds lors qu'ils choisissent de les utiliser. S'agissant de la scurit, lorsque nous avons un intrt commun indiscutable - il est clair que mettre fin la guerre tait dans l'intrt de chacun - et que nous employons les moyens collectifs dont nous disposons, nous pouvons produire un effet dcisif.

L'IFOR va fournir de nombreux enseignements politiques et militaires. Le plus vident est l'importance de maintenir et de renforcer le systme qui a rendu possible une coalition aussi large. Les crises ou les conflits futurs pourront galement exiger une formule de coalition analogue, dans laquelle les membres de l'OTAN et les moyens de l'Organisation fourniront le noyau dur autour duquel pourra tre structure une force de maintien de la paix.

Il est en grande partie impossible de prvoir la composition et les caractristiques prcises d'une force d'intervention de crise. Cependant, nous ne pouvons pas nous en remettre au hasard pour la planification dans l'optique de telles crises.

La planification militaire de l'OTAN a impliqu une interaction intense avec les autorits militaires nationales des Allis - dont celles de la France. La planification a donc t, dans toute l'acception du terme, un effort collectif. Un fait important, bien que peu connu, est que les plans de circonstance de l'OTAN pour l'ex-Yougoslavie ont t fonds sur l'hypothse qu'aucune opration qui en dcoulerait ne serait limite la seule participation des Allis. Nous avons espr, et accueilli avec satisfaction, la participation de pays non OTAN au contrle de la gestion des crises et des oprations de soutien de la paix.


La prvision par nos planificateurs militaires d'une participation de pays non OTAN a trs bien complt le Partenariat pour la paix que l'Alliance a lanc il y a deux ans. A travers ce Partenariat, nous dveloppons notre coopration pratique avec maintenant 27 pays europens dans des domaines militaires et d'autres domaines lis la dfense. Les habitudes trs prometteuses qui prennent forme en matire de coopration sous les auspices du Partenariat pour la paix ont fourni la base de la participation harmonieuse et efficace de plus d'une douzaine de Partenaires la Force de mise en oeuvre des accords de paix en Bosnie.

L'OTAN est ainsi devenue un instrument important et effectif de gestion des crises en Europe, et la base d'une large coopration avec d'autres pays europens cette fin. Nous devons faire en sorte qu'elle reste pleinement oprationnelle.

Cela m'amne au second point, la poursuite de la rforme des structures de l'OTAN.

Au Sommet de Bruxelles de janvier 1994, les dirigeants allis ont lanc une initiative visant examiner comment il serait possible de dvelopper et d'adapter les structures et procdures politiques et militaires de l'Alliance afin de permettre celle-ci de conduire avec plus d'efficacit et de souplesse ses missions, y compris le maintien de la paix, ainsi que d'amliorer la coopration avec l'UEO et de tenir compte de l'mergence de l'identit europenne de scurit et de dfense.

L'Alliance soutient fermement le dveloppement d'une identit europenne de scurit et de dfense effective. Les arguments en faveur de la constitution d'un pilier europen au sein de l'Alliance gardent toute leur force - et ont mme t renforcs par l'exprience bosniaque. La crise de Bosnie fait douter qu'Atlas lui-mme puisse, seul, porter le monde sur ses paules.

Dans un monde o la scurit se caractrise par une complexit croissante, il devient encore plus ncessaire de partager le leadership aussi bien que les charges. Le Secrtaire d'Etat amricain, Warren Christopher, a dit frquemment que toute crise ne doit pas ncessairement se rsoudre un choix entre l'inaction et une intervention unilatrale des Etats-Unis. Cela prsuppose toutefois que l'Europe ait elle aussi une capacit d'action adquate. Il est dans l'intrt de l'OTAN que l'Europe soit plus unie et plus forte - je dirais mme que c'est une condition de la vitalit long terme de l'OTAN.


Cependant, nous ne pouvons accomplir nos nouvelles missions avec de vieilles structures. Les exigences de la gestion des crises et du maintien de la paix, de mme que la pression exerce par la rduction des dpenses de dfense dans les capitales allies, imposent un mode d'organisation rationalis et plus souple. Comme convenu au Sommet de Bruxelles, nous devons aussi crer des structures qui permettent aux Allis europens de prendre une responsabilit plus grande en matire de dfense - principalement travers le concept de groupes de forces interarmes multinationales (GFIM).

D'importants et prcieux travaux ont dj t accomplis dans ce sens, en coordination avec l'UEO. J'ai trs bon espoir qu' notre prochaine Ministrielle, en juin, nous parviendrons un accord sur un mode de mise en oeuvre du concept de GFIM qui permette d'tablir des capacits militaires sparables mais non spares pouvant tre utilises par l'OTAN ou par l'UEO.

La volont de la France de participer de manire plus complte l'OTAN nous a donn la possibilit de faire vraiment progresser l'adaptation des structures de l'Organisation face aux nouvelles missions remplir et aux dfis relever. Car la dcision de la France s'inscrit dans une reconnaissance commune tous les Allis que l'identit europenne de scurit et de dfense doit tre construite, d'abord et avant tout, au sein et non en dehors de l'Alliance. Cela est essentiel tant pour la crdibilit de l'Europe que pour la cohsion transatlantique. Les processus consistant accrotre la capacit de l'Europe d'assumer une part plus importante des charges, et renforcer et rnover l'Alliance et les liens transatlantiques qu'elle incarne, doivent aller de pair.

Tout au long de nos dbats sur la restructuration de l'Alliance, nous devons garder une chose clairement l'esprit, savoir que les principes de la structure militaire intgre existante devraient rester la base sur laquelle s'appuieront les structures nouvelles, quelles qu'elles soient. Sans les dcennies de fonctionnement sous un commandement unique, sans les moyens exceptionnels de planification et de logistique de la structure militaire intgre de l'OTAN, une opration de la complexit et de l'envergure de celle de l'IFOR n'aurait pas t possible.


En fin de compte, la restructuration interne de l'OTAN devrait permettre la fois un pilier europen plus solide au sein de l'Alliance et une consolidation du lien transatlantique. Je suis convaincu que ces deux principes ne sont pas incompatibles; en effet, comme l'exprience en Bosnie le dmontre, l'OTAN ne peut mettre son potentiel important au service de la scurit dans l'Europe au sens plus large que lorsque Allis nord-amricains et europens agissent ensemble de manire harmonieuse et contribuent de faon gale. Telle est la recette du succs, non seulement en Bosnie en 1996, mais aussi en ce qui concerne la paix et la prosprit en Europe au cours des prochaines dcennies.

Je voudrais aussi vous parler, mme brivement, sur la Russie. Comme vous le savez, j'en reviens. Comme votre Prsident, j'estime que la Russie a un rle central jouer. Il n'y aura pas de nouvelle architecture europenne valable sans elle. C'est dans l'intrt de tous.

Et nous n'avons pas attendu ce jour pour nous atteler la tche. Nous savons tous que si la Russie progresse sur la voie de la dmocratie, et si nous l'y aidons, il n'y a pas de problme de scurit dans la zone euro-atlantique, si ardu soit-il, que nous ne puissions rgler.

Dj, et c'est un grand succs, la Russie est partie intgrante de la coalition IFOR. Mais ce n'est pas suffisant: dans le cadre d'une scurit europenne globale, il nous faut parer toutes sortes de problmes. Qu'il me soit permis de citer mon ami Jacques Baumel, en qui je vois l'un des stratges europens d'aujourd'hui, lorsqu'il disait, je le cite: "la guerre froide c'tait le danger de la destruction nuclaire cataclysmique totale mais sans risque grce la dissuasion nuclaire; aujourd'hui, le danger cataclysmique n'existe plus mais nous vivons dans un monde risques multiples, prolifration nuclaire, conflits ethniques, dbordements de la dmographie, mouvements massifs de populations, etc...".

Jacques Baumel a raison. La scurit de demain sera globale et nous ne pouvons pas en exclure la Russie. Bien sr, me direz-vous, la Russie est hostile tout largissement de l'OTAN. Monsieur Eltsine Moscou me l'a dit en des termes qui auraient pu choquer d'autres que moi. Je lui ai sereinement rpondu que l'largissement ne serait jamais dirig contre la Russie, bien au contraire. Il s'agit-l -- et je suis convaincu que la Russie le comprendra -- de rpondre aux aspirations des dmocraties d'Europe Centrale et Orientale qui souhaitent rejoindre la communaut des Etats dmocratiques en entrant, non seulement dans l'OTAN mais aussi dans l'Union Europenne.


Qu'il me soit permis ici de dire que l'largissement de l'OTAN n'est pas pour demain. Mais pour aprs-demain sans doute. C'est un processus, je le rpte, de longue haleine, dj bien engag et qui prendra le temps qu'il faudra. Mais nous sommes convaincus que la Russie comprendra que nous ne reviendrons jamais sur l'largissement de l'Alliance: il correspond en effet aux aspirations des peuples d'Europe Centrale et Orientale la dmocratie.

Cel dit, il va de soi que l'largissement fera l'objet d'un dbat progressif et transparent qui permettra de dterminer les conditions de l'adhsion des nations candidates. Il reviendra l'OTAN de dire ce qu'elle attend des nouveaux adhrents et aux nouveaux adhrents de prciser ce qu'ils attendent de l'Alliance. Comme je l'ai dit, cel prendra du temps.

Je regarde ma montre et je ne voudrais pas abuser de votre patience: l'IFOR, la rforme de l'Alliance, l'largissement, un nouveau partenariat avec la Russie, comme vous le voyez, nous avons du pain sur la planche. Et, plus que jamais, nous devons faire front d'un seul bloc pour rpondre aux dfis d'un monde de plus en plus complexe.

Je vous l'ai dit, l'exprience de la Bosnie l'a clairement dmontr: l'OTAN n'est jamais aussi efficace que lorsqu'elle runit dans l'action les Nord-Amricains et les Europens. Il serait absurde sur tous les grands problmes actuels --- et ce sera ma conclusion --- que les Allis se divisent entre "Europens" d'un ct et "Atlantistes" de l'autre. Ce dbat est dpass.

A l'heure o la France donne le signal de la refonte en profondeur de l'Alliance, l'Europe a besoin de tous ceux qui l'aiment, sans discrimination, tout la fois les partisans de la dimension transatlantique et ceux de la construction de l'Union Politique europenne.

Pour paraphraser le Gnral de Gaulle dans le Volume 2 de ses Mmoires: L'UNITE, "l'heure n'est plus dlibrer mais agir". Je vous remercie.


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