ALLOCUTION DU SECRETAIRE GENERAL
           AUX GRANDES CONFERENCES CATHOLIQUES
                                      
      L'OTAN ET L'EUROPE : DE LA DEFENSE COLLECTIVE 
           A LA SECURITE GLOBALE DE L'EUROPE


Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

          C'est pour moi un grand honneur de commencer
cette Nouvelle annee par une allocution devant votre
illustre assemblee. En tirant profit de
l'internationalisation croissante de Bruxelles, vous avez
reussi, Monsieur le President, a accroitre progressivement
le rayonnement et l'influence de cette tribune. En
temoigne le passage de grands hommes d'Etat, notamment les
Chanceliers Schmidt et Kohl, les Presidents Giscard
d'Estaing et Mitterrand, les Secretaires generaux de l'ONU
Perez de Cuellar et Boutros Ghali, et mes predecesseurs au
poste de Secretaire general de l'OTAN, Paul-Henri Spaak et
Manfred Worner. Tous etaient des hommes de grand talent
qui partageaient la vision de justice et de paix dans le
monde, pronee par  par l'Eglise. 

          La Nouvelle annee est traditionnellement une
periode d'espoir, et, apres les tumultes de 1994, nous
commencons 1995 avec certains signes d'optimisme. En
Bosnie, une treve de quatre mois a ete signee. Elle offre
peut-etre la meilleure perspective d'interruption des
combats de ces trois dernieres annees. Au Proche-Orient,
le processus de paix est en route, et, pour la premiere
fois depuis l'independance d'Israel, nous pouvons
apercevoir les contours du chemin, meme etroit et
difficile, vers une paix permanente. Plus pres de chez
nous, au sein de l'Union europeenne, l'Irlande du Nord
entre dans sa Nouvelle annee la plus chargee d'esperances
depuis un quart de siecle, avec la fin des hostilites et
la perspective de progres politiques substantiels.
Ces quelques notes optimistes ne doivent cependant pas
cacher le caractere precaire de la stabilite et de la
cooperation internationales ainsi que la fragilite
du processus de democratisation de par le monde. Le sort
tragique qui frappe l'Afrique, les debordements du
fondamentalisme islamique et la guerre en Tchechenie sont
la pour corroborer cette precarite. 

          Si chacun peut donc se feliciter des
developpements positifs, je crois que nul ne doit ignorer
les graves problemes de securite qui continuent
a hanter notre continent. La chute du Mur de Berlin et la
disparition du communisme ont, en effet, radicalement
change les donnees de la securite europeenne de ces
cinquante dernieres annees. La menace d'une apocalypse
nucleaire a ete remplacee par l'apparition de nouveaux
risques militaires et non-militaires. Que nous
considerions la proliferation des armes sophistiquees a
l'echelle du globe ou les conflits ethniques et
nationalistes a l'interieur et a l'exterieur de l'Europe,
nous constatons que la securite demeure un bien precieux.
Dans cette periode de confusion et d'incertitude,
l'Alliance reste plus que jamais necessaire pour continuer
a garantir la defense collective de ses Etats membres. Je
voudrais donc aujourd'hui evoquer, outre cette defense
collective,  le role cle que l'Alliance de l'Atlantique
Nord joue dans l'instauration d'un nouvel ordre de
securite en Europe et dans l'edification d'une Europe
placee sous le signe de la cooperation et de
l'integration.

          Depuis sa creation, en 1949, l'OTAN est devenue
l'incarnation par excellence du principe de la recherche
de la securite par la defense collective.
La constitution d'un lien transatlantique a exerce une
influence non seulement en termes de securite militaire
mais aussi en termes de defense des valeurs de
civilisation qui nous sont communes. De par ce fait,
l'OTAN a ete un facteur essentiel de la stabilite du
continent europeen. Elle constitue le seul exemple
d'une alliance de pays souverains ayant cree a la fois des
mecanismes de cooperation politique et des structures
militaires integrees permettant d'assurer la defense
collective de ses Etats membres et de donner une reelle
signification aux resultats de sa consultation politique.
C'est cet engagement institutionnalise envers la defense
collective qui a, non seulement endigue les ambitions
hegemoniques de l'Union sovietique, mais aussi permis le
developpement de l'integration politique et economique en
Europe occidentale. Le grand merite de l'OTAN a ainsi ete
d'eviter le declenchement d'une troisieme guerre mondiale.
Je crois qu'il est particulierement indique, dans ce
contexte, de rendre un hommage appuye a Pierre Harmel qui,
alors qu'il etait Ministre des Affaires Etrangeres, a, en
decembre 1967, dans un rapport soumis au Conseil souligne
- et je cite "la securite militaire et une politique de
detente ne sont pas contradictoires mais complementaires".
Le rapport Harmel s'appuyait sur la necessite de maintenir
une defense credible tout en ouvrant et developpant le
dialogue avec le Pacte de Varsovie. Il a ete adopte par
l'OTAN et a ouvert un exercice qui a permis a l'OTAN de
contribuer activement a la detente.  Je dois
souligner que cette approche - defense credible et
dialogue -, a laquelle s'ajoute maintenant la cooperation, 
reste d'application aujourd'hui.

          Ce concept de defense collective, se limitant a
certain pays de l'Europe occidentale et d'Amerique du
Nord, est cependant aujourd'hui insuffisant. L'epoque des
alliances militaires qui se faisaient face est revolue,
et le temps n'est plus ou la securite pouvait etre definie
uniquement dans ses dimensions militaires. Les imperatifs
de securite d'un continent europeen qui evolue dans le
sens de l'unite transcendent le besoin de defense
collective de seulement quelques pays; l'Europe de
l'apres-Guerre froide requiert une approche differente, un
veritable concept de securite globale qui, sur de solides
bases de stabilite militaire, permette l'eclosion de
relations politiques, economiques, culturelles et humaines
qui, a terme, renforceront notre destin commun et seront
les seuls garantes d'un avenir pacifique.

          Je sais que les termes "securite collective"
portent, dans la memoire de certains d'entre vous, les
stigmates de l'echec. De nombreux observateurs estiment
que ce concept est, par nature, imparfait, et ils
rappellent l'echec de la Societe des Nations dans les
annees 30. Ils font valoir que le loup ne se couchera
jamais avec l'agneau et que toute securite fondee sur une
telle hypothese n'est qu'un mirage.

          Il y a probablement une part de verite dans ces
mises en garde, et nous ne devrions certainement pas
placer tous nos espoirs et investir politiquement dans une
idee qui pourrait etre aussi facilement discreditee que
la Societe des Nations. Mais nous ne vivons cependant pas
dans les annees 30. Nous disposons en effet d'instruments
qui manquaient a nos predecesseurs. Nous avons les
institutions - les Nations Unies, , l'Organisation
pour la Securite et la Cooperation en Europe (l'OSCE),
l'Union Europeenne, le Conseil de l'Europe, l'OTAN - au
sein desquelles les Etats ont apris a travailler
ensemble, peuvent faire entendre leur voix et oeuvrer a la
recherche de solutions d'une maniere democratique. Nous
avons les moyens techniques d'information et de
communication qui nous donnent un acces instantane a
chaque partie du monde et qui ouvrent la voie a des
societes plus ouvertes, plus tolerantes. Nous disposons
des moyens diplomatiques, economiques et militaires qui
doivent nous permettre de reagir rapidement a une crise
naissante et de l'eteindre avant qu'elle ne se transforme
en incendie. Et, par-dessus tout, nous assistons a un
changement d'attitude a l'egard de la securite
internationale : a la fin du 19e siecle, Bismarck
declarait que les Balkans "ne valent pas qu'on y risque
les os d'un grenadier de Pomeranie". Aujourd'hui,
pres de 40.000 hommes et femmes de plus de 30 pays
apportent une aide et une assistance humanitaires a
l'ex-Yougoslavie. Jadis, nous aurions assiste aux
rivalites de Puissances, pressees de remplir a leur profit
tous les vides strategiques et aggravant d'autant les
conflits regionaux. Aujourd'hui, des dizaines de Nations
sont unies dans un effort, aussi imparfait soit-il, pour
contenir et resoudre ces memes confits.

          Ce changement d'attitude, qui souligne la
necessite de s'engager et de ne pas simplement laisser les
conflits regionaux s'eteindre d'eux-memes, sera un element
cle d'une nouvelle architecture de securite en Europe. De
plus, a la difference de la Societe des Nations, qui,
simplement, postulait une harmonie d'interets la ou il
n'en existait pas, le regime de securite auquel je pense
devrait se developper de facon organique. Il ne
pretendrait pas qu'il y a accord universel, mais tendrait
plutot a instaurer entre tous les pays d'Europe
un type de relations suffisamment ouvertes pour que chacun
puisse s'exprimer et suffisamment solides pour resister a
d'occasionnelles divergences de vues. Il est certain que
de telles relations sont a notre portee.

          Le passage oblige de cette nouvelle architecture
de securite pour l'Europe reside dans son ouverture vers
l'Est afin de favoriser la creation d'un reel espace de
securite militaire et de cooperation politique et
economique de l'Atlantique a l'Oural. En d'autres termes,
il nous faut consolider les resultats obtenus par la fin
de la Guerre froide et ne surtout pas croire que
l'histoire de notre continent s'arrete avec la chute du
Mur de Berlin. La tache qui nous attend n'implique rien de
moins qu'une seconde reconstruction europeenne, cette fois
pour la moitie orientale de l'Europe.

          A l'evidence, l'OTAN n'est pas seule a souligner
l'importance de l'ouverture a l'Est, comme le font
ressortir les initiatives d'autres institutions telles que
l'Union europeenne et l'Union de l'Europe Occidentale
(UEO). La tache qui consiste a accueillir les pays
d'Europe centrale et orientale dans les structures que
nous avons mises en place avec succes est enorme. Il faut
donc progressivement les integrer dans les institutions
occidentales qui ont assure a l'Europe de l'Ouest depuis
la fin de la deuxieme Guerre Mondiale sa stabilite
militaire, son developpement economique et son integration
politique. Chaque institution occidentale doit s'ouvrir
vers l'Est dans une strategie concertee afin de tisser un
reseau qui, progressivement, contribuera a un nouveau type
de securite pan-europeenne. Le continent europeen entre
dans une periode de remodelage. Il est essentiel que
chaque institution developpe a son rythme son ouverture
vers l'Est tout en privilegiant et tout en affinant les
secteurs qu'elle traite et connait depuis longtemps. 

          L'OTAN reside au coeur meme des futurs
arrangements de securite en Europe, car elle est la seule
organisation de securite en place qui ait la capacite de
s'attaquer a un grand nombre des defis revetant une
importance primordiale pour l'evolution du continent
europeen. En effet, l'Alliance s'arc-boute sur l'existence
d'un lien transatlantique indispensable a toute defense et
securite de l'Europe et sur des structures militaires
integrees et operationnelles.

          La contribution unique que l'OTAN peut apporter
a l'avenement d'un tel regime de securite collective se
presente sous un triple aspect :

     -    etendre la zone de paix et de securite de        
          l'Europe occidentale vers l'Est, en direction    
          des peuples d'Europe centrale et orientale;

     -    contribuer aux taches de gestion des crises et   
          de maintien de la paix sur l'ensemble du         
          continent europeen; 

     -    apporter un soutien pratique au developpement    
          d'une identite europeenne de securite et de      
          defense.

          Je voudrais evoquer chacun de ces trois defis
tour a tour.

          Premierement, la projection de la stabilite en
Europe centrale et orientale. La tache essentielle de
l'Alliance consiste aujourd'hui a aider a faire
entrer les pays d'Europe centrale et orientale dans la
famille occidentale des democraties. C'est non seulement
un devoir moral mais aussi un interet de securite
fondamental que de veiller a ce que les nouvelles
democraties ne retombent pas dans l'instabilite et
l'insecurite du passe. Ainsi, l'Alliance est allee
au-dela d'un concept "territorial" de sa securite pour
s'orienter vers une approche plus active de la projection
de cette stabilite a l'exterieur de ses frontieres.

          Des 1990, alors que l'Union sovietique existait
encore et que des forces sovietiques etaient toujours
stationnees en Europe de l'Est, l'OTAN a mis a profit la
dynamique de changement en cours pour proposer
officiellement a ses anciens adversaires l'etablissement
de relations fondees sur la cooperation.
L'annee suivante a vu ainsi la creation du Conseil de
cooperation nord-atlantique (CCNA), enceinte qui a amorce
un debat sur les questions de securite entre trente-huit
Etats et qui a permis de familiariser les nouvelles
democraties avec les pratiques habituelles de la
consultation multinationale.
Enfin, le Partenariat pour la paix a ete lance il y a pres
d'un an, jour pour jour.
En exploitant les realisations du CCNA, il vise a
developper une cooperation pratique, a la fois dans les
domaines politique et militaire.

          La politique d'ouverture de l'OTAN traduit notre
conviction qu'un nouveau systeme de securite en Europe,
pour etre durable, doit s'ancrer sur des normes et des
procedures agreees non seulement dans le domaine
politique mais aussi dans le domaine militaire. Ce
principe de base trouve sa meilleure expression dans le
Partenariat pour la paix qui transforme deja les
relations de securite au sein de l'Europe et au-dela de
ses frontieres. Vingt-trois pays ont adhere a ce
programme. Le Belarus y apposera sa signature apres-demain
mercredi. D'autres pays devraient prochainement encore
rejoindre ce programme.

          Par le biais du Partenariat pour la paix, nous
voulons privilegier activement le rapprochement, la
confiance et les habitudes de cooperation que les Allies
ont su creer entre eux depuis plusieurs decennies.
Ensemble, nous examinons et elaborons des approches
communes des operations de maintien de la paix et de
soutien humanitaire au service desquelles nos forces
pourraient etre detachees. Ceci devrait permettre
l'existence d'un ensemble beaucoup plus important de
moyens militaires bien formes et interoperables auxquels
l'ONU ou l'OSCE pourraient faire appel en cas de nouvelles
operations de maintien de la paix. 

          Le Partenariat pour la paix ne se limite pas
exclusivement aux exercices militaires. A mesure qu'il se
developpera, le Partenariat pour la paix unira les Allies
et les Partenaires dans un ensemble commun d'activites en
rapport avec un large eventail de questions liees a la
securite. C'est ainsi, par exemple, que nous entendons
mettre notre experience et nos competences au service des
nouvelles democraties en favorisant la creation de
Ministeres de la defense et de structures militaires qui
soient organises de facon democratique et politiquement
responsables. Nous nous employons egalement a instaurer un
processus de planification et d'examen, fonde sur le
systeme des plans de forces qui a joue un role majeur dans
le renforcement de la solidarite au sein de l'Alliance et
qui sous-tend notre structure militaire integree. Le
developpement du Partenariat pour la paix prendra
forcement du temps et je voudrais ajouter qu'il absorbera
egalement des ressources financieres importantes. Mais il
s'agit sans conteste d'un investissement tres judicieux
qui sera eminemment rentable pour les Allies comme pour
les Partenaires. 

          Permettez-moi, ici, de mentionner la
preoccupation particuliere de l'Alliance relativement a la
proliferation des armes de destruction massive. Il
s'agit pour nous d'un des defis les plus importants et les
plus dangereux de cette fin de siecle. L'OTAN s'est dotee
d'une nouvelle mission et examine avec ses partenaires les
meilleurs moyens d'appuyer tous les efforts visant a
bloquer la dissemination des armes de destruction massive. 
L'OTAN cherche aussi a adapter au mieux ses moyens de
defense a ces nouveaux dangers.

          Le Partenariat pour la paix n'est pas une
formule proposee en remplacement d'une adhesion a l'OTAN.
Il n'implique, ni n'exclut automatiquement une adhesion a
l'OTAN. Une participation active dans le cadre du
Partenariat pour la paix aura pourtant un effet important
dans le processus de l'elargissement de l'OTAN. 

          J'en arrive ainsi a la question cruciale de
l'elargissement de l'OTAN. Je tiens a rappeler encore que
nous avons le devoir moral de ne pas laisser s'echapper
l'occasion historique qui s'offre d'assurer l'ancrage
permanent des nouvelles democracies d'Europe centrale et
orientale. Comme je vous l'ai fait comprendre plus tot,
cet ancrage doit se traduire, tot ou tard, par
une adhesion pleine et entiere aux institutions qui
incarnent la democratie et la securite. Il nous faut
d'ailleurs constater que les pays d'Europe centrale et
orientale sont nombreux a souhaiter devenir membres de
l'OTAN. Le principe de l'elargissement a deja ete admis
lors d'une reunion, debut 1994, des Chefs d'Etat et de
Gouvernement des pays de l'Alliance. Ce principe etant
admis, il doit cependant etre tempere par une reflexion
serieuse sur sa mise en oeuvre.
Notre Organisation est en effet fondee sur des engagements
fermes, ancres sur des structures politiques et militaires
complexes. Leur validite et leur efficacite doivent etre
maintenues pour que l'OTAN puisse continuer a remplir ses
fonctions. Nous avons donc decide de mettre en route une
etude interne visant a determiner comment l'OTAN peut
s'elargir en renforcant veritablement la securite
europeenne dans son ensemble, y compris la securite de la
Russie.
Cette etude - qui sera terminee avant la fin de cette
annee - visera a determiner les consequences politiques et
militaires d'un eventuel elargissement de l'OTAN. A ce
stade, les questions restent encore nombreuses. Comment
assurer aux nouveaux membres le benefice de l'Article 5 du
Traite de Washington? Cet article stipule que toute
attaque contre un des Etats de l'OTAN sera consideree
comme une attaque dirigee contre tous les Etats de
l'OTAN. En consequence, l'OTAN se portera au secours de
l'Etat attaque. Il s'agit d'une garantie essentielle dont
l'octroi a de nouveaux Etats ne peut etre fait a la
legere. La derniere chose que souhaiteraient les pays
candidats serait d'adherer a une Alliance qui ne pourrait
ou ne voudrait plus remplir ses fonctions essentielles de
defense collective. Autre question. Comment assurer
l'integration de ces candidats aux structures militaires
existantes de l'Alliance?
Comment s'assurer des resources necessaires a la
realisation de l'elargissement? Faudra-t-il enfin se
pencher sur une question institutionnelle?
L'Union Europeenne dispose deja dans certains cas d'un
vote a la majorite qualifiee alors que l'OTAN decide
uniquement par consensus. Sera-t-il possible
de continuer ainsi apres un eventuel elargissement?

          La selection des pays candidats et le calendrier
de leur adhesion sera seulement l'objet d'une discussion
lorsque cette etude sur l'elargissement sera terminee. Il
faudra tenir compte des valeurs de civilisation que
partagent les pays de l'OTAN. En outre, les pays candidats
ne devront pas uniquement apparaitre comme des pays
consommateurs de securite mais surtout comme des pays
contribuant a l'amelioration de la securite.
L'elargissement eventuel de l'OTAN devra eviter de creer
de nouvelles lignes de fracture en Europe ou d'isoler la
Russie. Au contraire, il devra renforcer substantiellement
la securite globale de l'Europe. Pour eviter tout
malentendu, il est important que ce processus se deroule
dans une relative transparence afin d'eviter la creation
de malentendu.

          Il faudra tout faire, je le repete, pour etablir
cette nouvelle architecture de securite en Europe avec la
Russie. Il importe donc d'autant plus d'instaurer avec la
Russie des relations etroites et constructives,
suffisamment ouvertes pour que nous puissions nous
exprimer franchement et suffisamment solides pour resister
lorsque, de temps a autre, les points de vue divergent.
Des relations de cette nature sont a notre portee. La
Russie s'est jointe au Partenariat en juin dernier et a
convenu aussi de developper avec l'OTAN un dialogue et une
cooperation renforces dans les domaines ou elle a des
contributions uniques et importantes a apporter. Il ne
faut pas dramatiser a l'extreme le fait que la Russie ne
soit pas encore prete a approuver les documents se
rapportant a la mise en oeuvre des activites de
partenariat et d'un dialogue renforce. Il est vrai que
nous n'avons pas ete en mesure de dissiper toutes les
suspicions que l'epoque de la Guerre froide a laissees
derriere elle. Mais plus nos consultations et notre
cooperation seront etroites - et j'espere qu'elles le
deviendront - moins on laissera de place pour la
mefiance et les malentendus. Les pays de l'Alliance ont la
ferme intention de cooperer et de dialoguer en toute
transparence avec la Russie. Mais il est bien sur
important que ce dialogue se realise dans les deux sens,
sans pour autant donner a Moscou un droit de regard ou de
veto sur l'avenir de l'Alliance. Ceci implique aussi chez
nos amis russes un souci net et clair de respecter les
droits de l'homme. J'attends d'ailleurs des autorites
russes qu'elles se decident au plus tot a mettre fin aux
violences contre les populations tchechenes et favorisent
un reglement pacifique de la question, permettant ainsi la
poursuite normale du processus de reforme politique et
economique, essentielle a l'avenir de la Russie. 

          Mesdames, Messieurs, notre Alliance, depuis la
fin de la Guerre froide, a eu egalement un deuxieme defi
majeur a relever, celui d'assumer des nouvelles taches se
rapportant a la gestion des crises dans l'Europe elargie.
La disparition d'un monde bipolaire a provoque le reveil
de conflits frontaliers et de rivalites
ethnico-nationalistes. Malheureusement, la diplomatie
preventive et la gestion des crises n'ont pas toujours
suffi a eviter qu'eclatent des conflits armes. La
communaute internationale a deja paye un prix tres lourd
dans l'apprentissage de cette gestion des crises: je songe
bien sur au Rwanda, a la Somalie et a l'ancienne
Yougoslavie. L'envoi de forces de protection et le
soutien d'efforts de negociation - sous le mandat
politique de l'ONU ou de la CSCE - sont essentiels pour
endiguer et arreter ces conflits. C'est la que la notion
de securite globale pour l'Europe est le plus durement
mise a l'epreuve.
Et c'est la ou les efforts de notre Alliance, a l'appui
d'un nouvel ordre de securite, ont donne lieu a de
profonds malentendus.

          Plus qu'aucun pays ou aucun autre groupe de
pays, l'Alliance dispose de l'experience, des moyens
militaires et je dirais presque d'un savoir-faire qui
permettent de conduire des operations militaires complexes
requises pour la gestion efficace d'une crise. Mais ces
moyens militaires ne sont, en eux-memes, pas suffisants.
Ils ne s'inscrivent qu'en soutien de strategies
diplomatiques et politiques. C'est dans ce contexte que
l'OTAN a offert de mettre ses ressources, pour la premiere
fois, a la disposition des Nations Unies pour contribuer a
la mise en oeuvre de certaines resolutions du Conseil de
Securite relative a l'ancienne Yugoslavie. Ce qui m'amene
a parler de la Bosnie, non pour presenter des
justifications a l'inefficacite de la communaute
internationale, mais pour indiquer plus clairement ce que
sont les limites dans lesquelles l'OTAN a la possibilite
d'agir.

          La Bosnie constitue un cancer pour l'Europe et
pour les organisations qui ont ete amenees a s'en occuper.
Des le debut,  aucun pays n'a envisage serieusement
l'option militaire pour  mettre fin a la crise. L'Union
europeenne a ainsi essaye, en vain, de regler
pacifiquement le conflit issu de l'eclatement de
l'ancienne Yougoslavie. Reconnaissons, en passant, que
l'Union Europeenne, surtout au debut de cette tragedie, a
ete entravee par des divergences internes. Ensuite, le
Conseil de securite resolution apres resolution,
a tente, avec un succes limite, de soutenir les
negociations de paix, d'endiguer ce conflit et d'apporter
une aide humanitaire aux victimes. Ce sont aujourd'hui
les pays constituant le Groupe de contact qui sont saisis
de la gestion politique de la crise. Depuis le debut du
conflit, tous se sont efforces de lui trouver une
solution pacifique; aucun pays, je le repete, ne songe
serieusement a l'eventualite d'un reglement impose par la
force.

          L'OTAN n'a toujours agi qu'en soutien de
strategies elaborees essentiellement ailleurs. En tant que
telle, elle n'a jamais participe a la negotiation ou au
choix de ces strategies. Je voudrais vous rappeler
brievement quelles sont ces missions que l'OTAN execute
actuellement. Elle assure d'abord, en cooperation avec
l'UEO, la surveillance maritime de l'embargo commercial
impose a la Serbie ainsi que de l'embargo sur les armes
impose a tous les Etats de l'ancienne Yougoslavie. Elle
fait ensuite respecter l'interdiction de survol de
l'espace aerien bosniaque, privant de la sorte les
Serbes de leur avantage aerien. Elle fournit, a la demande
expresse de la FORPRONU, un soutien aerien rapproche aux
soldats de l'ONU, c'est a dire une protection aerienne des
casques bleus lorsqu'ils seraient attaques dans
l'accomplissement de leur mandat. Elle contribue enfin,
depuis le mois d'aout 1993, a proteger les zones de
securite des Nations Unies.  A cette fin, l'OTAN
aide au respect de zones d'exclusion des armes lourdes
autour des villes de Sarajevo et de Gorazde. L'OTAN reste
prete, a la demande de l'ONU, d'etendre cette exclusion
des armes lourdes aux autres zones de securite en Bosnie. 

          Quoiqu'on puisse en dire, L'OTAN s'est acquittee
de ces missions avec celerite et efficacite, et tout en
tenant compte des exigences diplomatiques et de la
securite des casques bleus au sol. Toutefois, je reconnais
que ces taches n'ont pas ete sans susciter des
frustrations. Je tiens, a cet egard, a rappeler que la
plupart des interventions aeriennes de l'OTAN, surtout
celles concernant les frappes aeriennes, etaient et
restent soumises a la double cle de l'OTAN et de l'ONU.
Pour toute action de l'OTAN, il faut donc que l'ONU
prenne l'initiative ou accepte une demande formulee par
l'OTAN. Il est impossible a l'OTAN de decider toute seule.
J'ai donc parfois partage la frustration qui a du etre la
votre ces dernieres semaines, car on ne pouvait intervenir
malgre les humiliations imposees aux casques bleus, les
defis lances a la communaute internationale et les
violences contre les populations civiles.
Il serait cependant trop facile de jeter la pierre a
l'ONU. Cette organisation a aussi une mission delicate a
remplir dans un contexte epineux et en tenant compte de la
securite des casques bleus. Ceux-ci sont, en effect,
particulierement vulnerables aux represailles des parties.
Le probleme est ailleurs. Il reside, plus
fondamentalement, dans la contradiction entre une
operation destinee essentiellement a maintenir la paix
avec l'accord des parties et la presence de moyens
militaires pouvant, a tout moment, etre paralyses par
une partie. Il nous faudra tirer une lecon de cette
experience, pour menager a l'avenir la credibilite a la
fois de l'ONU et de l'OTAN. Une autre lecon a tirer de
cette crise sera la necessite d'intervenir au plus tot
dans un conflit, c'est a dire lorsque le cout militaire et
politique de cette intervention reste encore abordable. Il
ne faut pas se cacher que l'OTAN et les Nations Unies ont
des cultures et des approches differentes. Ces differences
ont parfois ete exagerees par la presse. Nous nous
attelons a les surmonter et a renforcer une meilleure
comprehension reciproque. Ceci est facilite par la volonte
reelle des deux organisations de contribuer a la recherche
d'une solution pacifique et durable. 
Il n'y a d'ailleurs pas d'autres issues pour nous que de
continuer a cooperer ensemble.  Laissez-moi, pour terminer
sur la question Yougoslave, vous rappeler que l'OTAN reste
prete a mettre  en oeuvre un eventuel plan de paix,
lorsque celui-ci aura ete approuve par toutes les parties.

          Venons-en maintenant a la troisieme tache que
j'ai esquissee : le soutien de l'OTAN a l'identite
europeenne de defense et de securite.

          L'eventail elargi des taches qu'assume
aujourd'hui l'OTAN necessite des changements dans le
fonctionnement de l'Alliance. Cela signifie tout d'abord
qu'il nous faut tenir compte des developpements qui
affectent le partenariat transatlantique. Je songe
notamment au mouvement vers l'Union europeenne et, dans ce
contexte, au renforcement de l'UEO. Comme Europeen, je
suis convaincu de la necessite d'approfondir l'integration
europeenne. L'Europe a besoin d'une veritable politique
exterieure et de securite communes, allant bien au-dela de
ce qui a ete timidement esquisse a Maastricht.
L'etablissement d'une politique de defense, avec l'UEO en
meme temps comme instrument d'execution et comme pilier
europeen de l'OTAN, constituera une evolution logique. Il
y a la une occasion unique de donner a notre relation
transatlantique un fondement nouveau, qui aura pour
premisse la prise en charge par les Europeens d'une plus
grand part de responsabilites dans les questions de
securite. 

          Voir dans l'OTAN et dans l'UEO des organisations
concurrentes, comme certains le font encore, procede d'une
mauvaise conception. En effet, le developpement des
relations entre ces deux organisations est place sous le
signe de la transparence et de la complementarite. D'une
part, seule l'OTAN nous apporte le lien transatlantique
qui garantit le maintien de la contribution politique et
militaire de nos Allies nord-americains a la securite
europeenne. Il serait illusoire, voire imprudent, de
croire que l'Europe est aujourd'hui a meme d'assurer seule
et dans tous les cas de figure sa defense. D'autre part,
l'UEO est a la fois le pilier europeen de l'OTAN et la
composante de defense de l'Union europeenne. Ayant
moi-meme ete ministre au sein du gouvernement belge, je
puis vous affirmer que, dans aucuns pays de l'OTAN, les
contribuables n'accepteraient l'inutile duplication des
depenses qu'entrainerait l'edification, en Europe, de
nouvelles structures militaires separees. 

          La solution au probleme des ressources limitees
qui peuvent etre consacrees a l'edification des nouvelles
structures de defense de l'Europe doit donc etre
recherchee dans une utilisation ingenieuse des ressources
existantes qui evite les doubles emplois tout autant que
la concurrence. L'OTAN s'attache actuellement a definir un
concept - dans notre jargon, il s'agit de groupes de
forces interarmees multinationales - qui permette a
l'Union de l'Europe occidentale de faire appel a des
capacites militaires de l'Organisation atlantique
pour des operations menees par l'UEO en application de la
politique exterieure et de securite commune de l'Union
Europeenne. Un tel arrangement ne se superposera pas au
role de l'OTAN dans la securite europeenne mais en sera
complementaire. De plus, en pretant ainsi ses moyens a
l'UEO, l'Alliance apporterait un soutien tangible a une
politique etrangere et de securite commune qui est en
train de prendre forme au sein de l'Union europeenne. Il
va de soi, neanmoins, que toute action de cet ordre menee
par une partie des Allies devrait toujours recevoir
l'accord de tous les Etats membres.

          Mesdames, Messieurs, j'ai deja dit que l'OTAN
n'est pas seule a intervenir dans la recherche d'un
nouveau regime de securite pour l'Europe. Il est clair
que, pour que nous puissions reussir, il faut que d'autres
institutions jouent aussi leur role. L'Union europeenne
constitue sans conteste un instrument essentiel de cette
politique. Par le biais de ses "accords de cooperation", 
de ses programmes d'assistance economique et, a terme, par
sa politique d'elargissement, elle aide les nouvelles
democraties, a l'est, dans la difficile periode de
transition politique et economique qu'ils traversent. Le
Conseil de l'Europe constitue un cadre utile de discussion
sur les aspects culturels et humains du processus
d'integration europeenne. Enfin, la CSCE, maintenant
devenue l'OSCE, se transforme peu a peu en une
organisation regionale de securite plus forte et plus
efficace, surtout dans le domaine de la diplomatie
preventive. Ce sont la des signes encourageants, meme
s'ils ne forment pas encore a eux tous une strategie
concertee. Les organisations internationales doivent
continuer a cooperer a la gestion de ces defis sans
jamais negliger d'expliquer et d'interesser les opinions
publiques a leurs actions. Un manque d'information et de
transparence pourrait en effet compromettre la portee et
le sens de nos efforts. Or, il ne faut pas s'y tromper,
sans la volonte des populations europeennes, tous nos
desseins resteraient steriles.

          En derniere analyse, cependant, tous ces efforts
ne pourront aboutir que si nous nous rappelons que la
securite a toujours un prix. Un prix politique, financier,
voire humain. Nous ferions une erreur impardonnable en
considerant que la securite et la paix sont maintenant
definitivement acquises. La securite dans l'Europe de
l'apres-Guerre froide exige la volonte politique de
s'engager, et le courage de tenir ses engagements, meme
dans des circonstances defavorables. Elle exige aussi que
l'on comprenne bien que, si les nouveaux imperatifs de
securite globale sont peut-etre differents, ils ne
seront pas necessairement moins astreignants que les
anciens, tant sur le plan politique que sur le plan
financier. Essayer de mettre sur pied une defense
collective "a moindres frais", c'est jouer bien
imprudemment avec l'evolution politique de ce continent.
La securite globale et la defense collective ne sont
pas contradictoires mais complementaires. Un pays qui
negligerait son ecot a la defense collective ne pourra pas
serieusement contribuer a renforcer les efforts visant a
etablir une nouvelle architecture de securite. La securite
dans une Europe unie et pour une Europe unie exige que
nous, Europeens, prenions plus et non moins de
responsabilite pour notre avenir.

          Mesdames, Messieurs, l'Alliance atlantique est
l'une des enceintes ou cette responsabilite trouve son
expression la plus eclatante. Au-dela des divergences
conjoncturelles, les seize Etats membres travaillent dans
un etat d'esprit constructif et animes d'une volonte
commune de poursuivre ce que les generations precedentes
ont construit ces quarante dernieres annees. Notre
Alliance a prouve qu'il est possible de creer une
communaute de valeurs transatlantiques qui depasse les
interets etroits des Etats-nations, de part et d'autre de
l'ocean. Elle a ainsi pose les fondations qui nous
permettent de batir un veritable systeme de securite
globale auquel les deux grands centres de puissance du
monde, je pense ici aux Etats Unis et a l'Union
Europeenne, peuvent donner tout le poids necessaire. Le
chemin qui mene a un tel systeme de securite collective ne
nous epargnera ni les tatonnements, ni les difficultes
institutionnelles, ni parfois les deconvenues. Mais c'est
un chemin qui merite bien d'etre suivi car il n'y a pas
"d'annee zero" pour l'Europe. Aucune autre generation ne
s'est jamais trouvee devant de telles possibilites et les
generations suivantes ne nous pardonneraient pas de ne pas
avoir ete a la hauteur des changements et des espoirs du
temps present. 

          Je vous remercie de votre attention.