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Updated: 12-Mar-2001 NATO Speeches

Budapest
22 novembre
1990

Discours au Parlement Hongrois

Discours du Secrétaire générale, Manfred Wörner

II y a encore dix-huit mois environ, la visite du Secrétaire général de l'OTAN à Budapest en qualité d'invité officiel du gouvernement hongrois eût semblé relever de la futurologie. Pourtant,nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'une Europe nouvelle, dans laquelle ce qui était naguère improbable paraît maintenant tout à fait naturel; cette Europe est réunie par une aspiration, sans entrave, à la liberté, à la démocratie et à la prospérité économique.

Située au coeur à la fois géographique et culturel de l'Europe, la Hongrie a joué un rôle crucial dans la réalisation de ce changement historique. Dès le début, il était clair que le peuple hongrois n'allait jamais s'incliner devant la loi du totalitarisme, ni accepter d'être isolé en permanence des autres Européens. En 1956, votre peuple s'est révolté avec bravoure contre l'oppression, et cette révolte a eu des conséquences tragiques. Dans les années qui ont suivi, vous vous êtes employés, plus prudemment, mais avec la même opiniâtreté, à changer le système de l'intérieur. La Hongrie a toujours été différente des autres pays communistes, car elle laissait transparaître l'image d'une société occidentale impatiente de se délivrer d'un corset rigide, mais finalement fragile.

Non seulement vous vous êtes libérés, mais vous avez apporté une contribution déterminante à la libération d'autres peuples. La décision de la Hongrie, vers la fin de l'été 1989, de braver la colère de ses alliés du Pacte de Varsovie en permettant aux Allemands de l'Est de rejoindre l'Occident a déclenché l'effondrement des régimes communistes en Europe centrale, puis en Europe orientale. Je suis persuadé que ce changement se serait inévitablement produit, tôt ou tard, mais la courageuse décision de la Hongrie a accéléré ce processus et l'a ainsi rendu plus pacifique qu'il n'aurait pu l'être dans d'autres conditions. Vous avez donc mérité la gratitude, non seulement du peuple allemand, mais de tous les Européens.

Il n'est, dès lors, guère étonnant que la Hongrie ait toujours été à l'avant-garde de ce que l'on appelle souvent "le retour à l'Europe". Elle a été le premier des pays d'Europe centrale et orientale à établir des liens avec l'OTAN et son organe parlementaire, l'Assemblée de l'Atlantique Nord, à entreprendre une démarche auprès de la Communauté européenne en vue d'y adhérer finalement, et à devenir membre à part entière du Conseil de l'Europe, ce qu'elle a fait il y a deux semaines. Vous avez aujourd'hui le souci d'appartenir à l'Europe, non seulement sur le plan des institutions, mais aussi dans les domaines économique et social. Nous savons tous que cela ne sera pas facile. La réforme ne va pas sans conséquences d'ordre social. Le rapprochement des niveaux de vie des deux moitiés de l'Europe exigera que les efforts soutenus que vous déploierez sur la voie de la réforme soient accompagnés d'une aide soutenue des pays occidentaux. Il nous faut veiller ensemble à ce que l'enthousiasme populaire et les espoirs mis dans l'avenir ne soient pas entamés par les dures épreuves que la transition implique inévitablement. Il est certain que le dynamisme qu'a montré votre gouvernement en établissant des liens intensifs avec les pays occidentaux, et en encourageant leurs industries et leurs entreprises à venir en Hongrie, est de bon augure pour votre succès final. Par ailleurs, les actions que l'Ouest a menées jusqu'ici montrent que vous pouvez compter sur notre soutien politique et sur une aide concrète de notre part, que ce soit au Groupe des 24, à la Communauté européenne ou à la nouvelle Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

Ce n'est pas, bien entendu, seulement dans les relations entre le gouvernement et le peuple que la Guerre froide est terminée. Nous voyons aussi dans les rapports entre nations un nouvel esprit de coopération, un désir commun de ne pas être prisonnier des craintes et des suspicions auxquelles se sont heurtées toutes les précédentes tentatives de création d'une famille de nations européenne. Je dirais même que l'Europe n'a jamais eu une occasion aussi tangible de sortir du cycle infernal de la paix et de la guerre et de créer un ordre durable de paix et de prospérité. Notre génération a le privilège de voir s'offrir à elle cette occasion, unique dans l'Histoire, de prendre un nouveau départ.

Nous, les membres de l'Alliance, sommes résolus à saisir cette occasion. Certes, et même avec tous les changements auxquels nous assistons, les craintes et les suspicions du fond des âges, les images stéréotypées et les idées fausses ancrées dans la mémoire populaire ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Il est cependant possible d'en triompher. La participation active de la Hongrie à l'Initiative pentagonale et l'intérêt qu'elle montre pour la réalisation d'une stabilité régionale par un nouveau dialogue avec la Yougoslavie et d'autres pays voisins attestent qu'il est bel et bien possible de jeter des ponts surmontant les vieilles divisions. Nous avons à présent une chance de consacrer notre énergie, notre imagination et nos ressources financières à l'édification de ces sociétés démocratiques à économie de marché qui, nous le savons, sont pacifiques par nature, et nous offrent ainsi la meilleure garantie d'une stabilité, d'une sécurité et d'une prospérité durables.

Je suis venu à Budapest aujourd'hui porteur d'un message très simple. Il s'agit d'un message que nous adressons en fait avec une égale conviction à tous nos anciens adversaires, qui sont désormais nos partenaires. Nous vous offrons notre amitié. Nous souhaitons coopérer avec vous. Le temps de la confrontation est révolu. Il faut enterrer l'hostilité et la méfiance du passé. Nous devons travailler ensemble. C'est de cette façon seulement que nous pourrons édifier la Maison commune européenne, ou la Confédération européenne, ou le Nouvel ordre européen - peu importe le nom qu'on lui donne. Nous savons tous ce que nous entendons par là : une Europe de la démocratie, des droits de l'homme et du partenariat, dans laquelle le tout renforce les parties et les parties renforcent le tout. Nous devons avancer ensemble; sinon, nous serons condamnés à reculer séparément.

Il existe une voie qui nous conduit, au-delà de la confrontation, vers une Europe entière et libre :

  • par l'édification de nouvelles structures de coopération, d'une nouvelle architecture européenne qui englobe chacun de nous;

  • par des négociations sur la maîtrise des armements en vue de réduire au maximum nos arsenaux et d'accroître la stabilité et la confiance mutuelle;

  • par une coopération entre nous dans tous les domaines - politique, économique, scientifique, culturel.

Nous devons considérer d'un oeil nouveau nos objectifs et nos tâches. C'est ce que notre Alliance atlantique a fait, et continuera de faire. Lors du Sommet que nous avons tenu à Londres au début du mois de juillet, nous avons décidé de modifier notre Alliance de la façon la plus profonde depuis sa création, il y a quarante et un ans. Un système de confrontation n'offre pour nous aucun intérêt. Car l'OTAN a un rôle nouveau, encore plus important, à jouer : celui de pilier d'un ordre de coopération européen nouveau et pacifique. Dans le cadre d'un tel ordre, la puissance militaire jouera un rôle moindre; elle sera moins prépondérante, ne sera dirigée contre aucune menace ni aucun ennemi potentiel en particulier et aura pour vocation de fournir des assurances contre les risques et de prévenir la guerre.

Comment l'OTAN a-t-elle changé, me demanderez-vous? Quelles mesures concrètes avons-nous prises?

  • Nous réduisons nos budgets de la défense et le niveau de nos forces;

  • nous réexaminons nos structures de forces et modifions notre stratégie militaire;

  • nous abaissons le niveau de préparation de nos unités d'activé, en réduisant les normes d'entraînement et le nombre des exercices;

  • nous tablons moins sur les forces nucléaires en Europe, et nous nous orientons vers un dispositif où celles-ci seront véritablement des armes de dernier recours et la garantie ultime de la paix; nous avons proposé à l'Union soviétique l'élimination de toutes les ogives d'artillerie nucléaire présentes sur ce continent;

  • nous avons aussi offert de négocier sur les forces nucléaires à courte portée en Europe et, maintenant qu'un traité sur les FCE a été signé, nous avons l'intention d'aller de l'avant dans un avenir très proche; le Groupe consultatif spécial de notre Alliance a commencé ses travaux pour élaborer un mandat en vue de ces pourparlers;

  • par ailleurs et, encore une fois, maintenant qu'un accord sur les FCE a été conclu, nous avons l'intention de passer immédiatement à de nouvelles négociations dans le prolongement de cet accord, notamment sur des mesures de limitation des effectifs en Europe.

Ces changements interviendront à mesure que les forces soviétiques quitteront le territoire de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, comme l'URSS l'a déjà accepté, ainsi que le territoire de la partie de l'Allemagne qui constituait l'ancienne RDA, au cours de la période de transition allant jusqu'en 1994 qui suit l'unification allemande. Ces changements dépendront également de la mise en oeuvre d'un traité sur les FCE qui offrira à tous les Etats participants de solides garanties contre l'agression et l'intimidation militaires. En outre, l'Alliance atlantique n'entend pas éliminer les tensions par la seule réduction des armements : elle veut aussi, pour cela, accroître la confiance et la transparence. D'où nos efforts pour obtenir un accord significatif sur des MDCS à temps pour le Sommet de Paris la semaine dernière. L'Ouest poursuivra ses efforts, d'ici au Sommet d'Helsinki en 1992, pour faire adopter des MDCS encore plus ambitieuses qui rendront nos activités militaires entièrement transparentes et réduiront les possibilités de surprise ou de déploiements de forces inhabituels. Nous continuons de tout mettre en oeuvre pour obtenir la conclusion d'un accord sur le régime du "Ciel ouvert", domaine dans lequel la Hongrie a aussi joué un rôle de pointe. Nous proposons l'ouverture de nouvelles discussions sur la stratégie et la doctrine militaires. Nous souhaitons avant toute chose que la sécurité soit débattue et définie en commun.

Aucun pays ne peut aujourd'hui assurer sa sécurité à lui seul ou en s'isolant de ses voisins. Les pays qui recherchent une sécurité absolue par leurs propres moyens ne font que créer l'insécurité autour d'eux. Nous ne devons donc jamais ramener la sécurité européenne au niveau purement national. La
véritable sécurité ne peut, au contraire, s'obtenir que par la coopération et le partage.

Il ne faut pas en déduire, évidemment, que l'OTAN ou un pays européen quelconque doivent rester sans défense. Nous vivons, en effet, dans un monde fait d'incertitudes, qui comporte de nombreux risques et facteurs d'instabilité. L'actuelle crise du Golfe nous le rappelle on ne peut plus clairement. Elle ne s'apparente pas aux précédents conflits régionaux où seuls les intérêts de quelques pays étaient directement en cause; il ne s'agit pas davantage d'une crise dont le pétrole est l'enjeu exclusif ni même essentiel. Si notre principal objectif commun - qui doit nécessairement être le retrait complet des forces irakiennes du Koweït et la libération de tous les otages - n'est pas atteint, c'est l'ensemble de la communauté internationale qui se trouvera exposé à un grave danger. Danger d'une nouvelle crise de l'énergie, où le renchérissement des produits pétroliers menacera le développement économique de nombreux pays, et le vôtre en particulier, certainement; mais aussi danger du précédent créé par un pays, grand et puissant, qui annexe avec cynisme un pays voisin plus petit; danger, plus inquiétant encore, d'une agression victorieuse qui ne manquera pas de nourrir les ambitions de dictactures qui ont de plus en plus accès aux technologies de destruction massive.

Il est donc crucial, non seulement pour le Koweït, et pour la paix au Moyen-Orient, mais aussi pour notre action commune qui vise à instaurer un ordre international plus durable et plus juste au lendemain de la Guerre froide, que la coalition internationale contre l'Irak l'emporte. Nous espérons vivement - nous l'escomptons même avec confiance - que les sanctions imposées par les Nations Unies à l'encontre de l'Irak seront suivies d'effets. Tous les pays de l'Alliance sont déterminés à préserver leur solidarité, et nous mettrons tout en oeuvre pour unir toujours plus nos efforts à ceux de l'Organisation des Nations Unies, qui a retrouvé son efficacité comme garant du droit international et de la stabilité à l'échelle mondiale. Je salue la ferme attitude que la Hongrie a adoptée face à la crise, quoi qu'il en coûte à son programme de réforme économique, et je ne doute pas que nous pourrons continuer d'oeuvrer ensemble pour prouver à l'Irak - et à tous les autres belligérants potentiels - que l'agression brutale est vouée à l'échec.

Ainsi, à la lumière de la crise du Golfe, il nous apparaît encore plus clairement que notre Alliance doit maintenir une défense solide, et nous n'en attendons pas moins des autres pays. L'OTAN conservera en Europe une combinaison de forces conventionnelles et nucléaires qui sera l'ultime garant de la paix. Notre but est cependant clair : nous voulons réduire les forces armées en Europe à un niveau minimum, de telle sorte qu'aucun pays ne doive plus en menacer d'autres pour se sentir en sécurité. Il est possible d'arriver à un dispositif militaire qui offre les meilleures assurances de sécurité mutuelle.

Notre Alliance en a d'ailleurs fait l'expérience positive avec sa structure de défense intégrée; qui, parmi vous, pourrait sérieusement imaginer que seize Etats souverains et démocratiques décident un jour de lancer une attaque ou de la soutenir? A l'intérieur de notre Alliance, l'approche collective de la défense a permis d'effacer définitivement de vieux antagonismes, par exemple entre la France et l'Allemagne. C'est donc une approche que nous chercherons à promouvoir ailleurs, à la fois par les mécanismes de la CSCE et par un dialogue actif entre l'OTAN et tous les pays d'Europe centrale et orientale. Constituant ainsi un modèle de défense collective qui a fait ses preuves, la structure militaire intégrée de l'OTAN peut donc être pour vous, indirectement, un facteur de sécurité.

Notre objectif est une Europe dans laquelle l'agression ou la menace militaires deviendront matériellement impossibles et politiquement dénuées de sens. A la réunion au sommet de l'OTAN, nous sommes allés résolument de l'avant pour mettre en place les structures propres à garantir cette sécurité de l'Europe.

D'abord, nous voulons instaurer un nouveau dialogue avec votre pays et tous les autres membres de l'Organisation du Traité de Varsovie, que vous décidiez de rester ou non dans cette organisation. Nous avons invité le président Gorbatchev à prendre la parole devant le Conseil de l'Atlantique Nord, à Bruxelles; j'ai eu le plaisir de lui transmettre personnellement cette invitation à Moscou, au mois de juillet, et il l'a volontiers acceptée. Monsieur le ministre des affaires étrangères Jeszenszky s'est rendu à l'OTAN en juin dernier, où nous avons également reçu le 18 juillet Monsieur Antall, premier chef d'Etat et de gouvernement d'un pays de cette région à être notre hôte à Bruxelles. La promptitude de cette réponse de la Hongrie aux initiatives lancées dans notre Déclaration de Londres n'a pas manqué de nous impressionner.

Nous avons en outre proposé l'établissement de contacts diplomatiques permanents avec l'OTAN, proposition à laquelle la Hongrie a répondu tout aussi favorablement. Nous comptons également multiplier les contacts et les échanges militaires aussi bien que diplomatiques. Nous avons négocié et adopté une déclaration commune de non-agression par les pays membres de l'Alliance atlantique et ceux de l'Organisation du Traité de Varsovie.

Ensuite, nous poursuivons le processus de maîtrise des armements avec vigueur et détermination. Si nous avons tant poussé à la conclusion d'un accord sur la maîtrise des armements conventionnels, c'est parce que nous savions qu'il permettrait aux anciens adversaires des deux alliances de se débarrasser du syndrome de la confrontation. L'aboutissement de notre effort constitue donc la première étape indispensable vers l'édification d'une Europe entière et libre. Cet accord jettera les bases de la coopération et de la confiance mutuelle grâce auxquelles nous pourrons construire une paix durable en Europe. Il sera le fondement solide sur lequel devra nécessairement reposer le nouvel ordre européen si l'on veut en assurer la pérennité.

Le processus de maîtrise des armements conventionnels, combiné avec des pourparlers sur les forces nucléaires à courte portée et avec un accord sur des mesures de confiance supplémentaires, donnera à tous les pays européens la garantie que le changement et le renouveau ne porteront atteinte aux intérêts légitimes de personne en matière de sécurité. Ceci est particulièrement important dans le cas de l'Union soviétique. On peut comprendre que ce pays craigne de se voir exclu de l'Europe nouvelle, et il subit les effets du changement d'une manière particulièrement aiguë. Il est donc essentiel que nous nous servions du processus de maîtrise des armements pour convaincre l'Union soviétique qu'elle n'a rien à craindre, mais au contraire tout à gagner d'un processus de changement dont elle est d'ailleurs l'un des principaux initiateurs et qu'elle peut aider à conduire vers sa destination naturelle : une Europe entière et libre.

Enfin et surtout, lorsque nous envisageons le long terme, la CSCE s'impose à notre esprit. Ma visite à Budapest a lieu le lendemain même de la réunion au sommet de la CSCE, à Paris. Cette réunion a marqué un instant décisif de l'histoire de notre continent. Ses résultats seront autant d'éléments clés dans cette architecture européenne future de paix et de coopération : signature d'un traité sur les forces conventionnelles en Europe, adoption d'un premier ensemble de mesures de confiance et de sécurité, prise en compte des résultats des pourparlers "2+4" sur l'unité allemande, déclaration commune sur les relations pacifiques entre les membres de l'OTAN et ceux de l'Organisation du Traité de Varsovie, et aussi ouverture de diverses perspectives nouvelles que recouvre le terme "institutionnalisation" du processus de la CSCE, avec, en l'espèce, des consultations régulières de haut niveau entre les gouvernements des Etats membres, des conférences-bilans de la CSCE tous les deux ans, un secrétariat léger, un centre pour la prévention des conflits et une assemblée parlementaire de l'Europe.

De toute évidence, le sommet de la CSCE a bien répondu aux aspirations ambitieuses que nous formions à son sujet en annonçant ces différentes initiatives dans notre Déclaration de Londres, au mois de juillet dernier. Nous avons reconnu que, pour la CSCE, le bilan des quinze années écoulées depuis la publication de l'Acte final d'Helsinki avait été exceptionnellement positif. Mais on peut aussi en attendre plus que le simple accomplissement de son rôle traditionnel de gage du respect des droits de l'homme et de l'accroissement de la transparence militaire. En effet, depuis les réunions de Bonn et de Copenhague qui se sont déjà tenues cette année, tous les Etats participant au processus de la CSCE vont pour la première fois pouvoir partir d'une même base convenue de valeurs démocratiques et de règles du marché. C'est pourquoi, en préparant le sommet de Paris, nous avons mis l'accent sur les moyens de renforcer les principes d'Helsinki et de leur donner un contenu plus concret, avec par exemple la reconnaissance du droit à des élections libres et loyales, l'engagement de maintenir la primauté du droit, des directives pour la coopération dans les domaines de l'économie et de l'environnement et l'attribution à la CSCE d'un rôle dans la recherche de solutions à certains des problèmes que pose le passage à des économies de marché performantes. En demandant très tôt son adhésion au Conseil de l'Europe, point sur lequel elle a obtenu satisfaction, la Hongrie a démontré qu'elle attache la même importance que les membres de notre Alliance à ces valeurs.

Notre Alliance s'emploiera à favoriser le bon déroulement du processus de la CSCE et l'aidera à exercer une influence stabilisatrice sur le processus paneuropéen dans son ensemble. Nous encouragerons activement l'adoption d'autres mesures destinées à rendre ce processus encore plus efficace à l'avenir.

Je voudrais cependant, si vous me le permettez, faire une mise en garde s'agissant de la CSCE. Certains considèrent en effet que la CSCE est appelée à se substituer aux organisations de sécurité existantes, à brève échéance pour les uns, à longue échéance pour les autres. Je m'abstiendrai de parler de l'Organisation du Traité de Varsovie, dont le maintien dépend naturellement du libre choix de ses membres. Mais je tiens à souligner que l'OTAN, pour ce qui la concerne demeurera un pilier essentiel sur lequel la CSCE devra fonder sa réussite.

La CSCE peut certainement accroître la sécurité. Mais elle ne saurait remplacer l'Alliance atlantique. Elle n'a pas les moyens de prendre des sanc-tions, ni d'en assurer l'application. Les intérêts de chacun de ses membres, leurs structures sociales et leurs systèmes de valeurs resteront, du moins dans l'avenir prévisible, trop divers pour qu'ils puissent, selon toute probabilité, agir collectivement afin de préserver la sécurité en cas de crise. Cela ne diminue en rien l'importance de la CSCE comme cadre de l'instauration de la confiance et de la promotion de la coopération. Elle peut, par exemple, contribuer au règlement pacifique de différends surgissant entre Etats à la suite de problèmes concernant des minorités nationales. De fait, nous voyons déjà à quel point ceux-ci peuvent engendrer l'instabilité en Europe centrale et orientale. A cet égard, l'introduction dans les textes de loi des engagements sur les droits de l'homme contenus dans l'Acte final d'Helsinki peut marquer un réel progrès. Dans le même temps, nous allons, car nous le pouvons, élaborer des mesures de confiance et développer des échanges d'informations qui nous permettront de vivre ensemble dans une plus grande harmonie. Mais, en dernière analyse, la CSCE ne tiendra ses promesses que si elle est complémentaire d'une Alliance atlantique forte, sur laquelle elle puisse se reposer. Elle aura, par conséquent, des chances de succès d'autant plus grandes si nous n'y mettons pas, dès le départ, des espoirs irréalistes.

L'existence d'une nouvelle Alliance atlantique forte et cohérente est de l'intérêt de la Hongrie tout autant que de n'importe quel autre pays européen, et ce fait est peut-être plus explicitement reconnu dans votre pays que dans beaucoup d'autres pays d'Europe centrale et orientale. Elle permet le changement dans la stabilité et maintient le lien transatlantique avec les Etats-Unis d'Amérique et le Canada, ce qui est indispensable à la paix, comme à la liberté et à la sécurité de l'ensemble de l'Europe.

Cependant, même une institution aussi solidement établie et aussi capable d'adaptation que l'OTAN ne peut supporter à elle seule la charge d'assurer la coopération, la prospérité et le progrès pacifique dans toute l'Europe. Heureusement, il y a encore, pour cela, la Communauté européenne. C'est l'autre composante essentielle de notre cadre institutionnel occidental, et elle connaît, elle aussi, un processus de changement et de renouveau dans l'action qu'elle mène pour parvenir à une union toujours plus étroite entre ses membres. Si l'OTAN fournit le moyen de défense crédible et rassurant que représente son système intégré et préserve le lien transatlantique, la Communauté européenne apporte le dynamisme, la créativité et la base d'une interdépendance économique toujours plus fructueuse. Avec une CSCE dotée d'un rôle accru et un Conseil de l'Europe à la participation élargie, une Alliance atlantique forte et une Communauté européenne forte sont les conditions préalables pour une Europe de progrès et de prospérité. Et l'émergence future d'une identité européenne en matière de défense dans le cadre de notre Alliance liera plus étroitement encore ces institutions entre elles. Si l'une quelconque de celles-ci n'était pas intégrée à l'architecture globale, elle perdrait beaucoup de sa stabilité et de son efficacité. En conséquence, aucune ne peut réussir sans les autres. Il nous faudra à l'avenir rendre ces institutions plus complémentaires et plus largement imbriquées, de façon que, même si elles ont chacune leurs fonctions spécifiques, elles puissent toutes prolonger l'action des autres.

A un moment où se transforme l'ensemble du système international, aucun gouvernement, aucune alliance ne peut parfaitement maîtriser les puissantes forces qui rendent le changement inévitable. Mais, en oeuvrant ensemble, nous pouvons orienter ce changement de manière que, à son terme, il n'y ait pas de perdants, et que tous gagnent. Je suis infiniment plus optimiste à cet égard maintenant qu'il y a accord sur l'appartenance d'une Allemagne unie à notre Alliance. Cette solution est de nature à accroître la stabilité pour tous. Elle ouvre la voie à l'élimination de la division et à l'établissement d'un partenariat entre l'Europe occidentale et les pays ayant récemment engagé un processus de démocratisation, partenariat qui sera un facteur clé dans la modernisation économique et sociale de ces pays.

En bref, l'OTAN voit son rôle futur comme la mise en place, dans toute l'Europe, de nouvelles structures de coopération qui rendront à jamais impossible le retour à une situation semblable à celle de la Guerre froide. Nous voulons travailler avec vous à la gestion des deux tâches cruciales qui s'imposent à l'Europe d'aujourd'hui :

  • promouvoir un changement constructif;

  • assurer la stabilité pour que ce changement puisse se dérouler dans des conditions optimales, avec un moindre risque de retours en arrière et de revirements.

Il n'est guère besoin que je souligne ici, à Budapest, les bénéfices qu'apportera la coopération entre nous. Le 21ème siècle nous placera devant de nouveaux défis, dont certains pourraient menacer notre survie encore plus gravement que ne l'avait fait près d'un demi-siècle de Guerre froide. Vous savez comme nous l'effet de déstabilisation que peuvent avoir des phénomènes tels que la toxicomanie, la famine, l'accroissement de la démographie et la prolifération de technologies militaires potentiellement dévastatrices dans le Tiers-monde. Ainsi, une Europe dynamique, composée de pays industriellement avancés et technologiquement interdépendants, est essentielle non seulement pour notre prospérité matérielle, mais aussi pour notre sécurité et pour la stabilité dans nos propres pays et à l'extérieur. Sans une telle cohésion, l'Europe pourrait bien être la victime de ces problèmes planétaires; ensemble, nous pourrons contribuer à les résoudre.

Bien que la Hongrie regarde vers l'Ouest, Budapest a toujours été pour nous, Occidentaux, la porte de l'Europe de l'Est. La visite que je fais aujourd'hui symbolise une ère nouvelle; mais elle représente aussi une invitation concrète à mettre en commun nos ressources et notre ingéniosité pour bâtir un monde nouveau, un inonde de coopération où aucun d'entre nous ne se sente menacé. Nous ne pouvons nous dérober à la responsabilité que cette occasion unique nous impose. La Hongrie, qui a tant apporté à notre culture politique et intellectuelle européenne, est un partenaire clé dans l'édification d'une Europe nouvelle et d'un ordre mondial marqué par plus de justice et plus d'égalité. Faisons donc d'aujourd'hui le début de cette nouvelle relation entre nous, et employons-nous à préparer cet avenir meilleur avec confiance et imagination.

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