Istanbul
18 septembre
1989
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L'
Avenir de l'Alliance
Discours
du Secrétaire générale, Manfred Wörner
prononcé à l'Université d'Istanbul
Quand j'étais étudiant, les relations Est-Ouest étaient
dominées par l'idéologie. Pendant une grande partie de ma
carrière politique, elles l'ont été par les armements
et les équilibres militaires. A présent que je suis secrétaire
général de l'OTAN, j'ai l'impression qu'elles sont de plus
en plus dominées par l'économie, ce qui signifie que c'est
vous, les jeunes mais talentueux représentants du monde des affaires
occidental, qui êtes aujourd'hui aux avant-postes des relations
Est-Ouest.
On fait appel à vous, à l'Est comme à l'Ouest, pour
que vous usiez de vos ressources et de votre connaissance de l'entreprise
afin de contribuer à la réussite des programmes de réformes
lancés à l'Ouest, de créer des sociétés
mixtes, d'investir dans les pays de l'Est, de rééchelonner
leur dette, de constituer des trusts privés, et caetera. Lorsque
vous observez les changements en cours à l'Est, j'imagine que vos
réflexions ne sont pas si différentes que cela de celles
des dirigeants politiques occidentaux. Pour vous aussi, après tout,
la situation est une étonnante mosaïque faite d'éléments
qui diffèrent d'un pays à l'autre. Certains Etats d'Europe
de l'Est ne tolèrent pratiquement aucune évolution, ne faisant
ainsi qu'aggraver les problèmes qui surgiront demain. D'autres
connaissent de grands bouleversements, mais ils semblent au moins vouloir
enfin affronter résolument leurs difficultés politiques
et économiques.
Alors, de quelle manière devons-nous réagir à ces
changements, nous, les hommes politiques, et vous qui appartenez au monde
des affaires ? Quelles peuvent être les conséquences de ces
changements pour les pays occidentaux, pour leurs objectifs politiques
et pour leurs intérêts commerciaux ? Certes, nous constatons
que les avantages sont très nombreux, même s'ils
81semblent n'exister qu'à long terme, mais nous constatons que
les risques sont très nombreux, eux aussi, et qu' ils ne se dessinent
déjà que trop nettement. Nous devons adopter une démarche
qui puisse nous faire profiter des avantages à long terme, tout
en nous permettant d'éviter les risques qui apparaissent dans l'immédiat.
Pour l'homme d'affaires ou le dirigeant politique, un investissement ou
le choix d'une ligne d'action ne peut être fructueux que dans une
situation stable et prévisible. Dès lors, comment pouvons-nous
faire en sorte que se produisent les changements nécessaires pour
que l'action menée à l'Est par les pays occidentaux porte
ses fruits, tout en pouvant compter sur la stabilité indispensable
pour que cette action ait le temps de faire sentir ses effets ? C'est
la question fondamentale.
Et ce n'est pas une question purement théorique! Vous n'avez qu'à
regarder ce qui se passe aujourd'hui en Europe de l'Est pour voir que
le communisme a échoué. Les dirigeants est-européens
n'ont plus de solutions à leurs problèmes. Leurs régimes,
pareils aux dinosaures surpris par les variations climatiques, sont de
plus en plus à la traîne des pays occidentaux. Les citoyens
d'Europe de l'Est ne sont plus disposés à tolérer
les carences du système - la montée des troubles sociaux
et ethniques le prouve. Et nombreux sont ceux qui pensent que ce système
ne peut pas être réformé, comme en témoigne
le nombre sans cesse croissant de ceux qui font tout pour fuir à
l'Ouest. Le marxisme ne permet pas de résoudre les problèmes
des sociétés industrielles modernes, tournées vers
les technologies de pointe. Si les pays de l'Est frappent aujourd'hui
à notre porte, c'est qu'ils ont besoin d'aide, d'inspiration et
de compétences. Nous ne pouvons rester dans la coulisse et assister,
sans rien faire, à une tragédie humaine. Nous avons le devoir
humanitaire d'aider tous les peuples qui aspirent à partager nos
valeurs. Ils savent en effet, comme nous l'avons appris, que seules la
démocratie et les forces du marché apportent la prospérité,
le dynamisme, la créativité, et le bonheur tout simplement.
Mais nous avons également intérêt à aider tous
ces peuples. La multiplication des échecs et l'accumulation du
désespoir provoqueraient des raz-de-marée qui pourraient
bien nous engloutir. Il importe donc que nous traitions ces questions
dès maintenant, ce qui nous laisse encore le temps d'évaluer
les diverses possibilités qui s'offrent à nous et de définir
résolument notre ligne de conduite.
Le défi que nous avons à relever aujourd'hui nous ouvre
cependant de grandes possibilités. Si nous faisons preuve de sagesse,
nous pourrons profiter de l'échec du communisme pour bâtir
une Europe nouvelle, plus juste, plus ouverte, plus humaine, plus pacifique,
une Europe où personne ne soit forcé d'accepter un statut
de citoyen de deuxième rang, car tous les peuples jouiraient de
la liberté, de l'autodétermination et de la prospérité.
Dans cette Europe-là, nos valeurs occidentales devront être
universelles, et non subir un coup d'arrêt arbitraire au beau milieu
de mon pays, l'Allemagne. Il ne suffit pas que M. Gorbatchev parle d'une
maison commune européenne comme si c'était une simple question
d'architecture physique. Ce qui compte, ce sont les règles que
l'on applique à l'intérieur de cette construction, l'esprit,
les valeurs. Elles seules, et non la forme extérieure de la maison,
peuvent rendre celle-ci habitable. C'est la raison pour laquelle je préfère
parler d'un "ordre européen de paix et de justice". Celui-ci
servirait nos intérêts à tous. L'universalité
de la démocratie, des droits de l'homme et des principes de l'économie
de marché donnerait une formidable impulsion à nos objectifs,
aussi bien dans le domaine des affaires que dans ceux de la culture, de
l'enseignement ou de la communication. Le changement et le progrès
sont indispensables pour la construction de cette nouvelle Europe, mais
ils ne sont pas suffisants. J'en reviens donc à ma question fondamentale
: comment pouvons-nous faire de la nécessité une vertu,
comment pouvons-nous faire d'un défi à relever une occasion
à saisir, comment pouvons-nous transformer progressivement la confrontation
en une coopération ?
La réponse n'est pas facile, mais tous ceux d'entre vous qui se
sont intéressés au dernier sommet de l'OTAN, au mois de
mai, savent que l'Alliance atlantique s'emploie sans relâche à
répondre à cette question et que nous donnons à l'Ouest
le leadership conceptuel dont il a besoin. Notre réponse consiste
à :
- offrir une coopération économique;
- définir une ligne d'action propre à restructurer fondamentalement
les relations politiques entre l'Est et l'Ouest;
- mettre en place un cadre de sécurité qui permettra
de stabiliser le rapport des forces entre l'Est et l'Ouest, à
un niveau beaucoup plus bas.
Examinons successivement chacun de ces éléments, en commençant
par notre proposition de coopération économique. Nous avons
offert aux réformateurs des pays de l'Est les fruits de nos sociétés
axées sur la rentabilité. Nous avons proposé de procéder
au rééchelonnement de leur dette et de leur fournir une
aide alimentaire pour qu'ils puissent résoudre leurs problèmes
immédiats et, s'agissant de leurs problèmes structurels
à long terme, nous avons également formulé diverses
propositions : accès plus facile aux technologies occidentales
ne pouvant être exploitées à des fins militaires,
formation de gestionnaires et de scientifiques, octroi de bourses pour
l'étude d'institutions démocratiques, échanges techniques,
ou encore contribution à la lutte contre la pollution. Nous avons
clairement indiqué que nous ne négligerions aucune possibilité
de coopération bénéfique.
Le cadre que nous offrons pour la stratégie occidentale vis-à-vis
de l'Europe de l'Est est clair et solide. Les idées qui ont été
avancées au sommet de l'OTAN sont déjà mises en pratique,
depuis plusieurs mois, par les pays de l'Alliance et par d'autres institutions
occidentales. Je peux donner comme exemples :
- la déclaration germano-soviétique de juin 1989, aux
termes de laquelle des places seront réservées dans les
universités et les écoles commerciales allemandes à
des responsables d'entreprise et à de jeunes chercheurs soviétiques,
les deux pays étant convenus aussi de procéder à
des échanges culturels et scientifiques;
- les initiatives que des pays occidentaux sont en train de prendre
en vue de réexaminer le problème de la dette qui pèse
sur la Pologne et sur la Hongrie;
- l'assistance que les Etats-Unis et les pays de la Communauté
européenne ont apportée à la Pologne et à
la Hongrie pour la création de trusts privés et pour la
lutte contre la pollution;
- 1'initiative qui a été prise au sommet des sept pays
les plus industrialisés, à Paris, en vue d'amener les
pays occidentaux à fournir tous ensemble, grâce à
la coordination assurée par la CEE, une aide alimentaire d'urgence
à la Pologne.
Toutefois, l'Alliance a bien précisé également que
des conditions rigoureuses s'attacheraient à de tels programmes
d'assistance. Les forces communistes qui s'accrochent encore au pouvoir
en Europe de l'Est doivent, à tout le moins, se garder d'entraver
le développement naturel de la démocratie. Elles ont même
intérêt à favoriser ce processus. Elles doivent choisir
une fois pour toutes entre le beurre et les canons, et créer les
conditions propres à attirer les investissements occidentaux. En
effet, aucun investisseur privé - je suis sûr que vous le
confirmerez tous - ne se tournera vers des pays dont l'économie
n'offre que des perspectives limitées en matière de croissance,
d'innovation et de libre entreprise, et aucun gouvernement occidental
ne dégagera d'importantes ressources au profit de systèmes
économiques planifiés bureaucratiques et inefficaces. Le
but de la contribution que les pays occidentaux apportent à la
perestroïka n'est pas de sauver le communisme, mais de lui permettre
de se transformer pacifiquement en un système plus pluraliste,
plus créatif et plus dynamique - lui permettre de réussir
ce que vous appelez, dans le monde des affaires, un "atterrissage
en douceur". A ce sujet, je dois cependant lancer une mise en garde.
La bonne volonté et l'argent des Occidentaux ne suffiront pas à
donner la prospérité à l'Est. Et ce n'est pas du
jour au lendemain que seront réalisées de très grandes
améliorations. Notre réussite dépend de la capacité
des dirigeants de l'Est de faire aboutir leurs réformes. Et là,
si forte que soit notre détermination à les aider, nous
devons regarder la réalité en face. Après quatre
années de perestroïka, l'économie soviétique
stagne toujours : les études de l'OTAN font apparaître une
faible hausse seulement de la production, une multiplication des goulets
d'étranglement au niveau de l'offre, une accélération
de l'inflation et une augmentation des déficits budgétaires.
De nombreuses incertitudes planent également sur l'avenir économique
de la Pologne et de la Hongrie. Montrons-nous donc optimistes, mais soyons
aussi réalistes. Et avant tout, tenons-nous en sagement aux résultats
!
Quoi qu'il en soit, l'Alliance aidera les pays qui souhaitent sincèrement
se rapprocher de nous et épouser nos valeurs. Nous n'essayons pas
de créer un quiproquo. Nous insistons sur le fait qu'il est de
l'intérêt des régimes eux-
84mêmes de promouvoir une réforme politique et économique.
Une assistance de gouvernement à gouvernement peut apporter une
amélioration dans l'immédiat, mais seule l'ouverture de
ces sociétés, la séparation des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire, l'abolition des mécanismes de
planification centrale et la réceptivité à l'égard
des idées et des influences de l'extérieur donneront à
l'Europe de l'Est le stimulant dont elle a besoin pour réduire
l'écart avec l'Ouest.
Notre ligne d'action, néanmoins, ne s'articule pas uniquement
autour des changements économiques. Récemment, nous avons
vu, en Chine, ce qui se passe lorsqu'une réforme économique
est entreprise au sein d'un système rigide à parti unique
et que les aspirations du peuple ne correspondent pas vraiment aux intentions
des dirigeants. En particulier, l'Alliance ne tolérera pas que
les droits de l'homme soient bafoués. On ne peut que se féliciter
de la libéralisation qui s'est opérée en Hongrie,
en Pologne et en Union soviétique; il faut qu'elle se poursuive,
mais elle ne doit pas masquer les sombres agissements dont se rendent
coupables d'autres pays d'Europe de l'Est. Je veux parler des trois cent
mille personnes - au moins - d'origine turque qui ont dû quitter
la Bulgarie, des villages qui ont été rasés en Roumanie,
des manifestations pacifiques qui ont été brutalement réprimées
en Tchécoslovaquie, ou encore des pressions que l'Allemagne de
l'Est a exercées sur les autorités hongroises pour les dissuader
de laisser des milliers de réfugiés est-allemands passer
en République fédérale. Ceux-ci veulent quitter leur
pays non parce que les denrées alimentaires, les emplois et les
logements font défaut, mais parce que ces choses ne sont rien sans
la liberté et l'espoir. Le respect des droits de l'homme n'est
pas seulement un devoir moral : c'est le fondement de tout progrès
social. Les régimes qui violent ces droits ont, finalement, plus
à craindre de leur peuple que des pays occidentaux.
La stratégie de l'Alliance vis-à-vis de l'Europe de l'Est
repose donc sur un postulat très simple : plus loin les pays de
l'Est iront sur la voie de la réforme et de la libéralisation,
plus nous serons disposés - et aptes - à agir. Pourtant,
nous ne voulons pas nous limiter à la recherche d'une formule de
sauvetage pour l'Europe de l'Est. Et j'en arrive ainsi au deuxième
volet de notre stratégie pour les années quatre-vingt-dix
: la restructuration des relations politiques Est-Ouest - de façon
fondamentale et permanente. Les vieux antagonismes idéologiques
doivent céder le pas à la compétition pacifique;
la confrontation doit céder le pas à la coopération.
Et, s'il est vrai que nous pouvons faire beaucoup, sur le plan économique,
pour aider l'URSS et ses alliés, il est tout aussi vrai que l'une
et les autres doivent faire beaucoup sur le plan politique :
- ramener la taille de leurs forces armées à un niveau
qui exclue toute menace pour les pays de l'Alliance, et conclure avec
nous des accords de maîtrise des armements qui rendent cette restructuration
immuable;
- abattre le mur de Berlin et honorer dans leur intégralité
les obligations qu'ils ont souscrites en matière de droits de
l'homme aux termes de l'Acte final d'Helsinki;
- s'abstenir de contrecarrer les desseins des pays neutres - telle l'Autriche
- qui souhaitent se rapprocher de l'Ouest;
- nous rejoindre dans la lutte contre le terrorisme international, le
trafic des stupéfiants et la pollution;
- nous aider à prévenir une prolifération des armements
particulièrement dangereux - comme les armes nucléaires
ou chimiques - jusque dans les foyers de tension de notre planète;
- enfin, oeuvrer avec nous au règlement des litiges régionaux
dans lesquels l'Est et l'Ouest risquent de se voir entraîner directement.
Le sauvetage économique de l'Europe de l'Est prendra du temps.
Mais, ce nouveau type de coopération Est-Ouest à l'échelle
du globe peut démarrer dès aujourd'hui et porter ses fruits
demain. Une fois de plus, il y va de l'intérêt des deux camps,
car bon nombre des problèmes inscrits à cet ordre du jour
leur sont communs. Je fonde, quant à moi, de grandes espérances
sur cette nouvelle forme de relation entre l'Est et l'Ouest, à
laquelle le président Gorbatchev a fait, lui aussi, allusion. Ces
derniers temps, l'Union soviétique s'est montrée disposée
à exercer une médiation dans certains conflits régionaux,
à jouer un rôle plus constructif aux Nations Unies, à
se soumettre aux normes juridiques internationales et à condamner
divers actes de terrorisme dirigés contre l'Ouest. Nous engagerons
directement les Soviétiques à consolider cette coopération
mondiale, qui donnera naissance à la confiance et à la stabilité
propres à promouvoir nos relations économiques.
Enfin, il nous faut parler du troisième volet de la stratégie
de l'Alliance, à savoir, la construction d'un cadre de sécurité
avec un moindre niveau d'armements, un cadre qui soit plus stable, un
cadre qui rende pratiquement impossible une guerre future sur notre continent.
Depuis trop longtemps, quarante ans!, nous vivons une situation marquée
par le déséquilibre militaire. Les forces soviétiques
projettent leur ombre sur l'Europe; elles qui ont perpétué
la division de notre continent, en restreignant la souveraineté
des nations d'Europe de l'Est et d'Europe centrale, elles qui nous donnent
toutes les raisons de nous méfier des intentions de l'URSS à
l'égard de l'Ouest.
L'Alliance n'aura de cesse qu'elle n'ait transformé cette situation.
Aux négociations de Vienne, nous avons avancé une proposition
qui, si elle est acceptée, se traduira par la réduction,
puis, avec le temps, par l'élimination des moyens sur lesquels
l'Est peut compter pour lancer des attaques par surprise ou des opérations
offensives de grande envergure. Notre proposition vise à établir
une parité numérique, s'agissant des grandes catégories
de matériels militaires : chars, véhicules blindés
de transport de troupes, artillerie, avions et hélicoptères.
Certes, l'instauration d'un équilibre plus sûr exige que
l'on opère des réductions dans les arsenaux eux-mêmes,
mais celles-ci ne suffiront pas à garantir la stabilité
que nous recherchons : elles doivent être accompagnées d'une
modification des structures et des comportements militaires. C'est pourquoi
l'Alliance travaille dur à une proposition connexe qui est de nature
à amener de tels changements. Nous demanderons notamment :
- une limitation des dotations en équipements des unités
d'activé (de telle sorte qu'il y ait davantage de matériels
dans les dépôts);
- des restrictions touchant aux exercices et aux activités hors
garnison;
- des échanges d'informations;
- des vérifications "poussées" et continues.
Je veux souligner que notre quête d'une stabilité militaire
accrue n'a rien d'utopique. L'Alliance a demandé qu'un accord sanctionne
ses propositions d'ici un an, et, à en juger par la souplesse avec
laquelle les Soviétiques ont récemment accueilli nos positions,
ce délai semble pouvoir être tenu.
L'OTAN avance. Il ne faut pas voir en elle une coalition militaire acharnée
au maintien du statu quo, mais bien une alliance politique qui s'efforce
de le transformer. Ce statu quo, nous avons été contraints
de l'accepter durant quarante longues et pénibles années,
mais nous ne nous y sommes jamais résignés. Bien sûr,
ce ne sont pas les armes qui déclenchent les guerres, mais il ne
suffit pas d'en diminuer le nombre ou de les faire disparaître à
jamais pour que règne la paix. La paix, on ne peut la construire
que sur la liberté, l'égalité des chances, la justice
sociale, dans une Europe dont tous les citoyens bénéficient
des avantages et exercent les responsabilités inhérents
à la démocratie. Vous êtes de jeunes entrepreneurs.
Vous croyez dans le marché libre. Votre dynamisme et votre confiance
vous autorisent à dresser les plans les plus audacieux. Tel est
l'état d'esprit qui a permis à l'Europe occidentale de renaître
des ruines et des cendres de la deuxième guerre mondiale. Il est
désormais appelé à jouer un rôle décisif
dans le retour de la prospérité en Europe de l'Est. Notre
stratégie politique, qui consiste à provoquer le changement
et à en assumer les conséquences, peut préparer le
terrain sur lequel vous vous engagerez. Notre démarche, qui fait
alterner ouvertures et défis, constitue une façon d'aller
de l'avant tout à la fois hardie et raisonnable. Combinant le poids
de l'Europe occidentale et celui de l'Amérique du Nord, l'OTAN
peut, à elle seule, influer sur le dénouement de l'angoissante
question posée par le futur de l'Europe. Quelle que soit sa puissance,
aucun des deux continents, pris isolément, ne détient les
ressources matérielles, le pouvoir politique ou l'aptitude nécessaires
à la sauvegarde de la sécurité internationale, clé
du succès. Si nous demeurons unis, nous verrons les autres se rapprocher
de nous. Si nous sommes divisés, ce sera le contraire.
L'OTAN contribue d'une autre manière - toute aussi importante
- à l'aboutissement de cette entreprise : elle peut préserver
la stabilité au milieu des turbulences internationales. Car, le
changement véritable n'intervient jamais dans le calme plat, sinon
dans la tempête. Il y a quarante ans de cela, l'Europe occidentale
n'a pu entamer son redressement économique avant que la situation
politique, à l'intérieur de ses frontières comme
à l'étranger, se fût apaisée.
C'est l'Alliance qui a brandi le bouclier à l'abri duquel les
peuples ont pu, dans un climat de confiance enfin rétablie, recommencer
à faire des projets et à investir dans leur avenir. L'espace
de stabilité créé par l'Alliance s'étend désormais
à travers toute l'Europe et s'ouvre à tous, alliés
et pays neutres confondus. Il sera d'autant plus nécessaire que
nos partenaires de l'Est entrent dans une période plus troublée
qui rendra leurs réactions moins prévisibles. Nous continuons
d'habiter à deux pas d'une superpuissance indisciplinée
et surarmée. Loin de nous l'idée de la soupçonner
en permanence, ou de fonder nos plans sur les pires scénarios.
Pourtant, les faits sont là, et nous ne pouvons les effacer d'un
simple coup de baguette magique :
- même si nous atteignons nos objectifs immédiats en matière
de maîtrise des armements, l'URSS conservera une puissance militaire
énorme. A ce jour, rien n'indique que ce pays consacre moins
d'argent à sa défense ou produise moins d'armes nouvelles;
- nous n'avons pas non plus de preuve que les Soviétiques comptent
se retirer d'Europe de l'Est. Leur présence militaire dans cette
partie du monde restera impressionnante, en dépit des réductions
unilatérales auxquelles ils peuvent procéder, et quand
bien même les négociations de Vienne sur les forces conventionnelles
en Europe déboucheraient sur des résultats positifs;
- l'URSS reste aux mains d'une oligarchie dont l'action échappe
encore à tout contrôle démocratique; les maîtres
du Kremlin, qui ne veulent pas renoncer au communisme, ne sont pas des
pacifistes, et ils peuvent changer d'avis.
M. Gorbatchev parle d'une Europe où l'équilibre des forces
cédera la place à "un équilibre d'intérêts".
Perspective séduisante qui, toutefois, repose entièrement
sur la définition que l'Union soviétique donne de ses propres
intérêts en Europe : sont-ils compatibles avec notre sécurité
? Respectent-ils le droit naturel des populations d'Europe centrale et d'Europe
de l'Est à l'autodétermination ? Peuvent-ils favoriser - et
non entraver - une coopération Est-Ouest fructueuse ?
Nous devons maintenir une défense sûre. Elle convaincra
les dirigeants soviétiques qu'il ne serait pas aisé d'en
revenir à la diplomatie de la guerre froide, et que la seule solution
réaliste consiste à procéder à une réforme
intérieure et à s'adapter aux conditions extérieures.
Mais, parce qu'elle est réduite à son niveau minimal et
qu'elle est dépourvue de tout caractère provocateur, cette
défense ne peut empêcher le changement politique à
l'Est, ni la réunification de l'Europe, qui aura lieu tôt
ou tard.
C'est donc de vigilance que nous avons encore besoin. Foin des espérances
démesurées et des attitudes suffisantes, qui risquent d'engendrer
un désarmement structurel et unilatéral auquel nous devons
nous opposer. Les unes et les autres sont les ennemies d'une véritable
maîtrise des armements etnourrissent le sentiment trompeur qu'il
est possible de faire des économies. Or, la maîtrise des
armements n'est pas destinée à faire faire des économies;
elle est destinée à accroître la sécurité.
Il n'y a pas de protection bon marché, mais les sacrifices financiers
à consentir sont bien minces, si l'on songe aux risques auxquels
nous nous verrions confrontés sans une telle protection. Tout homme
- ou femme - d'affaires sait qu'il faut se prémunir contre n'importe
quelle menace, aussi improbable qu'elle puisse paraître, et qu'il
y a lieu de réinvestir une partie des bénéfices pour
garantir la croissance et le succès de l'entreprise. n en va de
même pour l'Alliance. Si nous laissons se rouiller notre solide
outil de défense, nous ferons deux paris hasardeux : que les Soviétiques
seront toujours bien intentionnés, et que des accords parfaits
de maîtrise des armements apporteront une solution à tous
nos problèmes de sécurité. Mais nous compromettrons
- ce qui est tout aussi grave - notre stratégie politique vis-à-vis
de l'Europe de l'Est en enlevant l'échafaudage autour de la maison
avant que le ciment n'ait pris.
J'ai confiance dans la perspicacité des Occidentaux : ils sauront
reconnaître ces pièges et les éviter. De même,
je suis persuadé que nous aurons le courage et le dynamisme voulus
pour saisir les grandes occasions qui s'offrent à nous. Protégés
par l'Alliance atlantique, nos peuples sont plus créatifs, nos
économies plus prospères, et nos sociétés
plus ouvertes et plus productives.

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