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Updated: 09-Jan-2002 | NATO Speeches |
Conférence de
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Discoursde M. Spaak, Secrétaire Général de l'OTANMonsieur le Président, Messieurs, le sujet que je dois traiter ce matin m'est devenu un sujet familier. L'OTAN, son passé, son présent, son futur, les problèmes qui se posent à notre réflexion dans le cadre de l'Alliance atlantique, c'est un sujet de discours quasi quotidien pour moi. La question qui se posait à moi, pendant ces derniers jours, c'était de savoir comment, devant une audience comme celle-ci, je présenterais mon exposé. Je me suis dit que la manière qui pourrait sans doute être la plus utile, serait de suivre le rapport de votre Commission de la défense qui a eu dans la presse une très large publicité qui soulève pas mal de commentaires et pas mal de discussions et qui fera sans doute, je le suppose, le centre d'un examen parmi vous, et j'ai pensé qu'en suivant l'ordre des questions, tel qu'il était posé dans ce rapport, je pourrais peut-être, à la fois faire un exposé clair et contribuer au succès de votre uvre. Le rapport Général Galmeyer et dont je crois Monsieur le Président Gilson prend aussi la responsabilité est un rapport très franc, très direct et si vous me le permettez, je compte être dans mes commentaires aussi franc et aussi direct car s'il y a dans ce rapport un grand nombre de points que je trouve excellents, il y en a, je veux le dire tout de suite que je trouve moins bons et même, si vous me le permettez, il y a un certain nombre d'observations qui me paraissent erronées ou injustes et je crois qu'il faut profiter d'une circonstance comme celle-ci pour dire toute sa pensée. Premier point, un appareil de défense commune ne peut être construit dans l'absolu, mais il doit être élaboré, au contraire, comme outil d'une politique commune. Sur cette affirmation, est-il besoin de le dire, je suis d'accord autant qu'on peut l'être. La nécessité de donner à l'Organisation de l'Alliance atlantique une base politique et même économique est une nécessité qui n'a jamais échappé à personne, ni surtout aux négociateurs et aux signataires du Traité atlantique. Cette nécessité d'une base élargie, élargie dans le sens qu'elle ne serait pas purement militaire était clairement, est clairement indiquée au moins dans deux articles du Traité, l'article 2 et l'article 4. En ce qui concerne la base politique, au début de l'année passée, en 1956, vous vous en souvenez certainement, les ministres des affaires étrangères avaient chargé trois des leurs que l'on a appelés plus tard, et je pense avec raison, les trois Sages de l'OTAN de faire un rapport dans lequel ils indiquaient précisément comment les bases politiques de l'Alliance pouvaient être renforcées. Et vous savez combien cette idée qui est juste s'est révélée plus juste encore à l'occasion des évènements qui se sont déroulés l'année dernière dans le Moyen Orient. Vous savez quelle crise a traversée l'Alliance atlantique au moment des évènements de Suez, quand on s'est aperçu, avec un peu de stupeur et un peu d'anxiété aussi, que dans un moment qui était grave, la France et la Grande-Bretagne se trouvaient d'un côté et les Etats-Unis de l'autre si bien, que c'est sans difficultés que les conclusions, cependant audacieuses des trois Sages, ont été acceptées par les Ministres des affaires étrangères unanimes, lors de leur réunion de décembre de l'année dernière. Et messieurs, bien que je suppose que la plupart d'entre vous a lu ce rapport et connait les conclusions, puisque nous parlons dans une Assemblée qui, aujourd'hui, est publique, je crois qu'il n'est pas mauvais de rappeler par-dessus vos têtes, si vous me le permettez, de le dire aussi à ceux qui s'intéressent à ces problèmes, combien les conclusions des trois Sages étaient précises, et, je le répète, combien elles étaient audacieuses en ce qui concerne la nécessité d'une base politique, d'une politique commune au sein de l'Alliance atlantique. Les trois Sages disaient, en effet, "l'essentiel est qu'en toute occasion et circonstance, les pays membres s'interrogent sur les intérêts et besoins de l'Alliance avant d'agir ou même de se prononcer. S'ils n'en ont pas le désir et la volonté, toutes les résolutions, recommandations ou déclarations du Conseil ou des Comités du Conseil resteront sans grande valeur. Supposons cependant que cette volonté et ce désir existent réellement, le Comité soumet à l'agrément du Conseil les principes et méthodes ci-après, en matière de consultation politique:
Les pays membres devraient s'efforcer de tenir compte dans leur politique nationale des intérêts et des vues que les autres pays et surtout les pays les plus directement en cause auraient fait valoir lors de consultations OTAN quand bien même aucune communauté de vue ou entente n'aurait été enregistrée au Conseil". Messieurs, comme je l'ai dit souvent, ceci est une véritable charte, ceci est la charte sur laquelle le Secrétaire général de l'Organisation atlantique entend travailler et ce sont les principes qui ont été énoncés par les trois Sages, et, je le rappelle, adoptés à l'unanimité par les quinze pays de l'Alliance, qui forment aujourd'hui les règles essentielles de l'action du Secrétariat en ce qui concerne une politique commune. Maintenant, Messieurs, il ne faut pas nous le dissimuler, cette idée d'avoir, je n'ose pas encore dire, une politique commune, c'est un objectif qui est peut-être trop audacieux, mais d'avoir déjà une politique étrangère coordonnée parmi les quinze pays de l'Alliance, il ne faut pas nous le dissimuler, c'est dans l'histoire de la diplomatie, une véritable révolution qui commence. Ne pensez-vous pas que je n'exagère pas lorsque j'affirme que le fait, pour les grands pays d'avoir eu une politique, ou d'avoir une politique étrangère, nationale individuelle et, j'ajoute en m'en excusant un peu, souvent égoïste, a été, au cours des siècles, la marque la plus évidente de la souveraineté nationale, que de leur demander de renoncer à ce qui est une longue habitude, à ce qui est tradition pour certains pays plusieurs foirs séculaire, c'est vraiment leur demander quelque chose de tout à fait nouveau. Mais, je veux dire aussi aux petits pays que l'acceptation de ces principes implique pour eux une nouveauté. Je pense que je ne serai désagréable vis à vis de personne en le disant, que pour beaucoup de pays moyens, que pour beaucoup de pays petits, la politique étrangère n'a jamais été une politique mondiale. Je parlerai du pays que je connais le mieux, je parlerai de la Belgique, je crois pouvoir dire qu'au sens exact du mot, un pays comme la Belgique, par exemple, n'a jamais eu vraiment une politique propre dans le Moyen Orient. Elle considérait que c'était des problèmes qui se posaient, mais dont la responsabilité appartenait à ceux qui dirigent la politique mondiale. Elle les suivait avec intérêt, mais ne se sentait pas responsable de la politique qu'il fallait mener dans le Moyen Orient. Aujourd'hui, par ce qui a été dit par les trois Sages d'abord, par la dernière phrase du rapport, dans son paragraphe I, du rapport que je commande, il est fait allusion à la nécessité pour l'OTAN d'adopter une politique mondiale, ce qui implique pour les petits pays ou pour les pays moyens des responsabilités tout à fait nouvelles auxquelles ils vont devoir s'adapter et, pour eux aussi, cela représente quelque chose de complètement différent de ce qu'ils ont l'habitude de faire. Je m'empresse aussi, je crois devoir le faire, de souligner cette expression "une politique mondiale", c'est ce que les rapporteurs semblent réclamer c'est peut-être ce que vous confirmerez. Messieurs, est-ce que vous vous rendez compte qu'en faisant celà, et je crois que vous avez raison de le faire, tout du moins c'est mon avis personnel, si je place tout de suite une parenthèse en répétant ce que je suis forcé de répéter très souvent pour le moment, je suis le Secrétaire d'une organisation internationale de quinze pays, et quand je parle dans des assemblées comme celle-ci, je parle uniquement en mon nom personnel, car je ne suis pas absolument sûr que les idées que je vais exprimer, mais quand vous réclamez une politique étrangères commune mondiale, je suppose que vous vous rendez bien compte que vous élargissez considérablement les cadres de l'Alliance atlantique telle qu'elle avait été prévue car, à son origine l'Alliance atlantique était un pacte régional, un pacte très clairement délimité dans ses frontières géographiques et dont le rayonnement, si je puis dire, était un rayonnement particulier et non pas un rayonnement général. Certains d'entre vous, certainement les rapporteurs, me semble-t-il, réclament maintenant une politique mondiale et moi, personnellement, je pense qu'ils ont raison, car je crois que les évènements de ces derniers temps et encore les évènements d'aujourd'hui, ont démontré que c'était une vue de l'esprit, mais une vue fausse de l'esprit que d'affirmer que quinze pays pouvaient être des alliés très unis au nord d'un certain parallèle, au point d'avoir quelquefois des politiques isolées et des politiques contradictoires. Il y a lieu de remarquer que la crise que l'Alliance atlantique a connue l'année dernière au moment des évènements du Moyen Orient était la conséquence d'évènements qui se passaient en dehors du cadre géographique primitivement fixé par le Pacte atlantique. Tout ceci a dû nous ouvrir les esprits et par conséquent, je crois personellement que les rapporteurs ont raison quand ils plaident pour une politique étrangère coordonnée et quand ils mettent les puissances de l'OTAN devant cette obligation d'avoir une politique étrangère coordonnée non seulement dans le cadre géographique de l'Alliance, mais une politique étrangère coordonnée mondiale, ce qui implique naturellement, je le répète et je le souligne avec force, de grands changements dans la politique internationale des grands, mais aussi des moyens et des petits pays de l'Alliance. Messieurs, où en sommes-nous? Le rapport dit que les résultats ne sont peut-être pas encore tout à fait suffisants. Il s'agit donc de nous livrer à un examen critique de ce qui s'est passé dans ces derniers mois. Je voudrais tout d'abord indiquer que je ne pense pas, dans une matière comme celle-là, qu'on puisse s'attendre à des résultats spectaculaires. On ne fait pas une politique étrangère commune ou coordonnée d'un seul coup. En réalité, ce que nous acceptons d'essayer, c'est une nouvelle méthode et, par conséquent, il faudra plusieurs épreuves, il faudra plusieurs cas précis pour voir si la méthode est effective, si elle est efficace, si elle donne de bons résultats, ou si, au contraire, elle conduit à un échec. Eh bien, demandons-nous ce qui s'est passé depuis six mois, je reconnais que c'est très personnel, mais c'est la date à laquelle j'ai pris mes fonctions. Je disais donc qu'il y avait quatre pays d'Occident représentés au sous-comité à Londres et qui, s'ils voulaient faire des propositions complètes sur le désarmement, devaient nécessairement consulter leurs partenaires et leurs alliés de l'Alliance Atlantique, car ces propositions devaient nécessairement toucher aux intérêts de la plupart des pays européens. Des pourparlers se sont engagés entre les 4 à Londres et les 15 à Paris. Nous avons tenu à Paris de multiples réunions et je crois que nous avons fait la démonstration que la machine de l'Organisation Atlantique, que la machine de l'OTAN, était suffisamment souple pour pouvoir suivre des pourparlers internationaux et que, à aucun moment, notre Organisation et nos discussions ici à Paris n'ont retardé le travail que les 4 faisaient à Londres. La conclusion a été celle-ci: lorsque à la fin du mois d'Août les 4 ont proposé leur plan de désarmement - en ce qui me concerne je le trouve raisonnable tout en étant audacieux - les 4 à Londres ne parlaient pas en leur nom seul mais ils parlaient au nom de l'alliance atlantique toute entière qui avait réussi à prendre une position commune. C'était inconstestablement sur un sujet important un résultat qui peut, je crois, être qualifié de succès. Mais exerçant mes facultés critiques, je suis forcé de reconnaitre que c'est un succès qui tout en étant encourageant n'est pas définitif, car en cette matière du désarmement, on peut différer sur certains problèmes et sur certaines méthodes mais les intérêts fondamentaux de tous les pays étant les mêmes, les controverses ne peuvent jamais être difficiles à aplanir. Il y avait là, cependant, un encouragement, un premier succès, qui doit être pris en considération. Nous nous sommes trouvés quelques semaines plus tard devant les évènements du Moyen Orient. Et là également, je puis vous dire que les méthodes qui ont été indiquées par les trois Sages comme les méthodes qui doivent être appliquées, l'ont été au sein de l'Organisation Atlantique. Nous avons consacré plusieurs séances à l'examen de la situation, les faits nous ont été communiqués, les différents pays ont contribué à la discussion en expliquant comment ils voyaient eux la situation, des échanges de vues extrêmement fructueux, je le crois, ont eu lieu, car les positions ne sont pas toujours les mêmes, et les interprétations même des faits sont quelquefois différentes, nous avons ainsi suivi jour par jour, pourrais-je dire, semaine par semaine, l'évolution des évènements, nous sommes allés, entre nous, un peu plus loin, nous avoins essayé de voir s'il n'y avait pas la possibilité d'établir dans le Moyen Orient une politique commune positive, et si je ne puis pas dire, car je veux être complètement sincère, si je ne puis pas dire que le résultat est un succès à cent pour cent, car il est extrêmement difficile d'établir en commun une politique définitivement positive dans le Moyen Orient, je crois cependant que le résultat dans son ensemble a été heureux car il n'y a eu cette année, à la suite des évènements dans le Moyen Orient, aucune crise de l'Alliance atlantique et je crois pouvoir affirmer qu'une telle hypothèse peut, aujourd'hui, être écartée de nos préoccupations. Si bien que nous avons fait sur ce second évènement une expérience nouvelle, une expérience qui a bien réussi, et j'espère qye dans les capitales, que dans toutes les capitales, on commence tout doucement à se rendre compte que cette politique de consultations préalables, de discussions franches, loyales et complètes entre tous les alliés, au lieu d'être une complication supplémentaire dans la vie diplomatique, rend, en fin de compte, les choses plus aisées et plus sûres. De sorte que, sur ce point, les résultats sont positifs. Ils ne sont pas définitifs, mais ils sont très certainement encourageants, et je ne puis qu'approuver et appuyer les rapporteurs dans leur désir de voir ces méthodes se poursuivre et s'améliorer. Le deuxième point, le deuxième paragraphe du rapport, est consacré à l'organisation militaire, et je lis, je trouve la méthode excellente, puisqu'il y a en-tête de chaque paragraphe un résumé qui permet de bien faire comprendre la question en discussion. Les rapporteurs disent: "la menace militaire soviétique ne peut pas être parée seulement au moyen de bombes nucléaires, dont l'emploi au moment opportun reste douteux, et n'est, en tout cas, pas à la discrétion de l'OTAN, cette menace doit aussi être contrebalancée par des forces terrestres et aériennes suffisantes, un bouclier de trente divisions équipées d'armes tactiques nucléaires et soutenues d'une force aérienne appropriée, ceci reste pour le prochain avenir le minimum à atteindre pour la sauvegarde de l'Europe Occidentale". A mon avis, il y a dans ce paragraphe, un certain nombre de choses excellentes, il y en a d'autres qui, à mon sens, à mon avis personnel, sont un peu plus douteuses, et j'ai peur que la question telle qu'elle est présentée à votre Assemblée, ne soit peut-être pas suffisamment précise et en même temps suffisamment nuancée. Messieurs, durant tous ces derniers mois et probablement une année, ou même peut-être une année ou deux, on a commencé à parler, à se lancer dans le monde, l'idée qu'il pouvait y avoir deux sortes de guerres: uune petite guerre, et une grand guerre. Je dois avouer que cette façon d'envisager les choses ne me plait guère à moi personnellement. Je crois qu'elle est dangereuse, et si vous me permettez de le dire, d'un point de vue peut-être plus élevé, je ne suis pas tout à fait sûr que cette façon d'envisager les choses soit tout à fait morale, surtout si on arrive à cette conclusion qu'il faut surtout s'opposer aux grandes guerres et, qu'après tout, les petites guerres sont des choses que les hommes peuvent envisager et accepter. Je dis que du point de vue moral, j'ai beaucoup de peine à me rallier à une conception comme celle-là. Et, dès 1954 ou 1955, lorsque nous avons fêté le 10ème anniversaire des Nations Unies, je me suis permis de dire, dans un discours à San Francisco, que pour moi la guerre était criminelle non pas au moment où la millionième personne était blessée ou tuée, mais que la guerre était criminelle à partir du moment où le premier innocent était tué par une action injuste. Donc, du point de vue moral, je n'aime pas la distinction entre grande et petite guerre, et j'ai beaucoup de peine, en ce qui me concerne personnellement, à accepter l'idée qu'il y a des guerres qui sont légitimes et auxquelles nous devrions nous résoudre avec une conscience appaisée. Mais je n'aime pas cette distinction non plus, je dois le dire fortement, et je la crois dangereuse au sein de l'Alliance atlantique du point de vue politique; car la question qui se pose est celle-ci: Qui décidera si une guerre est une grande guerre ou une petite guerre? J'ai l'impression que nous risquons de tomber dans une situation qu'il est trop facile de prévoir, c'est que généralement on, et quand je dis "on" cela vise à peu près tout le monde, on aura le désir d'affirmer qu'une guerre est petite chaque fois que dans cette guerre on n'aura pas pris part soi-même et qu'une guerre est grande quand on interviendra soi-même. Or, Messieurs, il y a là une idée qui pourrait détruire l'esprit de solidarité sur laquelle l'Alliance atlantique est basée. Chaque pays de l'Alliance atlantique a droit aux mêmes garanties; la sécurité collective qui est prévue comme moyen essentiel dans l'Alliance atlantique est une sécurité qui ne connaît nulle interprétation, nulle exception, et n'importe quel pays de l'Alliance, s'il était attaqué, doit être défendu avec tous les moyens que l'Alliance a à sa disposition. Par conséquent, sur la notion grande et petite guerre, je me permets de vous le dire, soyez prudents et, à mon avis, il n'y a pas lieu de l'accepter comme une distinction raisonnable et bonne. Ceci, cependant, ne détruit pas l'affirmation militaire qui se trouve inscrite dans le paragraphe 2. Et je crois, comme le rapporteur, qu'il est indispensable aujourd'hui que l'Alliance atlantique soit, à la fois, ce qu'il appele dans son langage "le bouclier et le glaive". Je voudrais insister pour que nous n'écrivions jamais une phrase qui puisse faire croire à un adversaire éventuel que nous aurions une hésitation à employer, si c'était nécessaire, le glaive. Car je reste, moi, de l'avis qui était exprimé par M. Churchill, il y a longtemps déjà, c'est que, aussi paradoxale, aussi illogique que ça puisse être, c'est en grande partie à l'existence de la bombe atomique et des moyens de destruction massive que nous devons la paix relative dans laquelle nous vivons depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Et il y a une chose, Messieurs, que je vous demande - c'est de ne pas faire ce que disait un jour un officier à qui l'on avait expliqué les horreurs possibles de la guerre de demain, et qui s'écriait, en prononçant un des mots que je trouve les plus extraordinaires de notre temps: "Il faut ramener la guerre à l'échelle humaine." Non, Messieurs, ce n'est pas ce qu'il faut faire. Il ne faut pas ramener la guerre à l'échelle humaine, il faut empêcher la guerre d'éclater. Et je serais véritablement, en ce qui me concerne, profondément bouleversé si l'effort de ma génération avait consisté à ramener la guerre à l'échelle humaine et si tout notre effort avait consisté à ramener le monde aux conditions de 1914 ou de 1939 qui ont permis à deux guerres mondiales d'éclater. Car il y a, dans l'opinion publique, et dans l'esprit de certains, un singulier déplacement de choses qui est en train de s'opérer, à force de penser aux horreurs de la guerre future; à mon avis on oublie trop les horreurs de la guerre passée, et à force d'entendre parler de la puissance destructrice de la bombe atomique et des armes de destruction massive, on dirait véritablement qu'à propos de la guerre de 1939, les hommes se sont battus avec des pistolets et qu'il n'y a jamais eu d'armes de destruction massive qui aient été employées. Je voudrais qu'on me dise, à quel moment une arme est de destruction massive et pourquoi un bombardement qui cause, en une seule nuite, 1500, 2000 ou 3000 morts parmi les populations civiles, vieillards et enfants, n'est pas une arme de destruction massive. Alors, je vous en supplie, devant le problème du désarmement: ne bougeons pas, ne démordons pas les thèses que nous avons défendues; le désarmement doit être général, et le désarmement doit être contrôlé; il ne faut pas, absolument pas, à aucun prux, que l'effort de désarmement aboutisse, je le répète encore une fois, à rendre une guerre possible. Tout ceci dit, nous devons maintenir ce bouclier et nous devons maintenir ce glaive pour un ensemble de raisons que je crois bonnes, nécessaires et j'ajoute suffisantes, sans qu'il nous faille essayer de l'expliquer par d'autres raisons qui me paraissent moins bonnes. Nous devons maintenir le bouclier parce que, quelle que soit la forme que la guerre prendra, même si elle prend la forme d'une attaque aérienne, massive et destructive, il est clair, je crois - je suis souvent obligé de dire: "je crois", car sur les théories, sur les hypothèses de ce qui pourrait être le troisième guerre mondiale, il me semble qu'il y a encore beaucoup de doutes et beaucoup d'opinions divergentes - je disais donc, je crois, quelles que soient la surprise de la guerre et les forces de destruction mises en jeu la guerre ne se terminera pas en quelques jours, et que si nous n'avions pas un bouclier, étant donné que très certainement un adversaire éventuel n'a pas, lui, renoncé à ses armes dites conventionnelles déclassées, nous risquerions dans les premiers jours d'une guerre, d'être envahis et de connaitre toutes les difficultés et toutes les horreurs d'une occupation. Je crois qu'il faut aussi que les bases de lancement soient efficacement protégées pour un certain nombre de jour et que ce serait une grave erreur du point de vue militaire que de permettre à des raids ennemis de s'emparer des pays et de détruire une organisation militaire qui a été soigneusement préparée. Et enfin je trouve qu'il y a, quelle que soit l'hypothèse à laquelle on se raccroche ou que l'ont croit la plus juste, je crois qu'il faut que nous soyons d'accord pour affirmer qu'il faut donner à nous autorités militaires la possibilité de repousser une attaque avec les moyens adéquats; et quand je dis les moyens adéquats, ça veut dire de ne pas les forcer, nos autorités militaires, à employer des armes de destruction massive, sur une échelle définitive et généralisée si le danger auquel nous avons à faire face ne nécessite pas ces deux terribles alternatives. Je dis ça, bien qu'à mon avis, je ne crois pas beaucoup - je tiens à vous le dire, avec toutes les prudences nécessaires, car je reconnais que nous sommes dans le domaine des hypothèses - je ne crois pas beaucoup, dans tous les cas en ce qui concerne l'Europe à des attaques partielles, je crois que si un jour un pays quelconque de l'Europe Atlantique devait être attaqué, de la Norvège à la Turquie, si un jour l'ennemi devait se présenter à nos frontières même en faisant semblant de limiter son attaque à un coup de main, ou limiter son attaque à ce qu'on pourrait appeler une petite guerre, je crois que le jour où nous assisterions en Europe à cela, c'est que l'ennemi aurait pris la décision et la responsabilité de la guerre totale. Mais enfin, il est peut-être inutile de discuter ce qui est toujours aujourd'hui du domaine des hypothèses, reconnaissons que le plan militaire, tel qu'il est proposé, un bouclier et un glaive est un plan qui parait raisonnable et efficace, mais bien entendu, Messieurs, reconnaissons aussi que le problème militaire ainsi posé va soulever un problème économique et financier d'une énorme importance. Car en réalité, ce que ce simple paragraphe nous demande, c'est de dire notre certitude qu'il faut aujourd'hui avoir deux sortes d'armées: l'armée conventionnelle cependant équipée avec des nucléaires tactiques, et au-delà de cette armée-là, une armée dont l'essentiel se trouve être dans les armes nucléaires stratégiques. Jusqu'à présent, je suis, comme vous le voyez, en grande partie d'accord avec les Rapporteurs. Le troisième paragraphe de ce rapport m'a paru assez bizarre. Je ne le crois pas tout à fait bon, et laissez-moi vous le dire, très sincèrement mais très fermement, je le trouve, sans que je puisse expliquer pourquoi, totalement injuste en ce qui concerne les autorités militaires de SACEUR. Messieurs les Rapporteurs tranchent un peu vite une question extrêmement délicate que l'on discute à l'OTAN très sérieusement depuis longtemps et sur laquelle, je le reconnais, il est difficile de prendre une position définitive, parce qu'il y a presque autant d'arguments pour que d'arguments contre. Et peut-être les Rapporteurs sont-ils trop audacieux en apportant d'une manière tout à fait ferme et décisive une solution au problème de savoir si vraiment le Standing Group de Washington doit quitter Washington et venir en Europe. Il y a, Messieurs, dans le fonctionnement militaire de l'Alliance quelque chose qui m'a toujours frappé; je ne suis pas sûr que ce soit parfait, nous avons comme vous le savez un commandant en chef en Europe, qui est le commandant en chef de SACEUR, et dont l'autorité militaire supérieure est le Standing Group, mais je le signale, le Standing Group n'est pas un organisme international. C'est l'addition d'un Général américain, d'un Général britannique et d'un Général français ou d'un Amiral ou d'un Commandant de l'Air. C'est donc un organisme où sont représentées troins nations mais qui n'est pas vraiment international. Je crois qu'il y a, je me permets de vous le signaler avant que vous ne preniez des décisions trop rapides, je crois qu'il y a un très grand intérêt à ce que les autorités supérieures de l'Alliance Atlantique gardent un contact extrêmement étroit avec l'organisation militaire américaine, et par conséquent, il faut bien réflêchir avant de décider que ce Standing Group devrait quitter les Etats-Unis pour venir en Europe. Mais vraiment ce que je ne peux pas comprendre et permettez-moi de vous le dire, ce que je ne peux pas admettre, c'est les trois lignes et demie qui terminent ce paragraphe: le stationnement de cette direction à Paris tiendrait aussi SACEUR dans les limites de ses compétences qui sont d'ordre militaire et non politique, limites souvent dépassées en l'absence de la haute direction militaire du centre politique de l'Europe. Je ne veux pas savoir qui cela vise. Je veux seulement dire que les pays de l'Europe ont un avantage énorme dans le fait qu'il y a un général américain qui est le commandant des forces européennes et qui, très certainement, dans toutes les questions qui concernent la défense de l'Europe chez SACEUR a été pour l'Europe un point d'appui absolument indispensable. Si quelque chose n'est peut-être pas parfait, - nous allons voir dans un instant en qui les critiques sont justifiées - si quelque chose d'utile a pu être fait, c'est à ce Commandant Suprême en Europe que nous le devons en grande partie du point de vue militaire que le chef de SACEUR s'appele Eisenhower, Ridgway, Grunther ou Norstad et à mes yeux je considère comme une chose assez grave qu'un document auquel on a donné une immense publicité et sur lequel il est possible de faire des commentaires, contienne une observation aussi sévère que celle que je viens de lire et qui, à mes yeux, est complètement injuste. Le paragraphe suivant a trait aux Parlementaires et à votre activité. Messieurs, comme j'ai eu l'occasion de le dire à votre Comité Directeur, je suis complètement et entièrement derrière vous. Et je crois à la nécessité d'un groupe comme celui-ci. Je crois, étant un ancien parlementaire restant fidèle à l'esprit de la démocratie, qu'il est absolument indispensable qu'une entreprise aussi importante que l'Alliance Atlantique, aussi importante dans le domaine politique, aussi importante dans le domaine militaire, et je l'espère aussi importante demain dans le domaine économique, soit dans une certaine mesure contrôlée par une opinion publique parlementaire et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider à organiser vos réunions et pour développer dans la meilleure façon possible, dans des discussions, vous le voyez d'ailleurs, que j'accepte tout à fait franches et que je veux tout à fait sincères, la discussion entre les Parlementaires et le Secrétariat Général de l'Organisation Atlantique. Cependant, il faut bien que nous le constations, nous sommes, si j'ose dire, devant une difficulté organique. Je sais que les Parlementaires qui sont ici sont des Parlementaires éminents dans leur pays. Je les vois relativement nombreux, je les souhaiterais plus nombreux encore mais enfin pour le moment c'est tout de même un groupe et ceci, au contraire, ne retire rien à votre mérite, c'est un groupe officieux. Est-ce que vraiment il est possible de traiter un groupe officieux tout à fait comme les rapporteurs le demandent. C'est une question que je soumets à votre appréciation et à votre discussion. J'ai une autre hésitation, c'est que, ici, en Europe, nous commençons à avoir une certaine expérience des Parlements internationaux et nous savons à quels dangers sont soumis les Assemblées parlementaires qui n'ont pas de pouvoir. Messieurs, je suis coupable en partie, je me frappe la poitrine, j'en ai créé une; nous avons fait le Conseil de l'Europe, nous avons cru bien faire, nous avons fait une Assemblée Consultative, je ne crois pas et pas à cause de l'Assemblée Consultative, à cause je n'hésite pas à le dire ici, comme je l'ai dit partout publiquement par conséquent, je puis dévoiler mes idées, à cause du Conseil des Ministres lui-même, l'Assemblée Consultative du Conseil de l'Europe n'a pas donné tout au moins tout ce qu'on espérait, quelle que fut sa bonne volonté et quelles qu'aient été les possibilités que les Ministres auraient pu trouver dans cette bonne volonté. Mais nous savons aujourd'hui, nous le savons tous, tous ceux qui travaillent à l'organisation européenne depuis quelques années, qu'il est très difficile de faire vivre et de faire bien fonctionner une Assemblée parlementaire qui n'a pas de pouvoir. Et la question qui se pose aujourd'hui est de savoir d'abord si les gouvernements et les pays seraient disposés à créer officiellement une Assemblée parlementaire de l'Alliance atlntique et à supposer, ce que je ne sais pas, que les gouvernements soient d'accord pour faire une chose comme celle-là, quels pourraient être exactement les pouvoirs et les responsabilités propres qu'on devrait lui donner. Je me borne ici à poser des questions. En marge du rapport, je n'ai mis aucun mot, mais j'ai mis un grand point d'interrogation parce qu'il y a un emsemble de questions que se posent mais que très certainement une organisation comme la vôtre pourrait par ses discussions aider à éclaircir. Le paragraphe suivant, ou plutôt les 3 paragraphes suivants, émettent des idées, je suis heureux de pouvoir à nouveau marquer mon accord complet avec les Rapporteurs, des idées par elles-mêmes sont excellentes, parce que toutes tendent à renforcer la collaboration militaire et économique de l'Organisation atlantique. Cependant, le premier de ces paragraphes comporte à nouveau une certaine critique vis à vis des autorités militaires en disant qu'elles n'ont pas fait assez pour organiser sur des bases communes, pour intégrer davantage les forces européennes. Messieurs, est-ce que vous êtes bien sûrs que ce sont les militaires qu'il faut rendre coupables de la chose? Vous êtes des parlementaires, vous avez tous votre mot à dire dans vos Parlements respectifs. Est-ce que vous êtes vraiment prêts à donner à l'OTAN les pouvoirs qui sont reclamés dans ce paragraphe du rapport? C'est une réalité. Une réalité que l'on peut déplorer, et que pour ma part, je déplore. C'est que, en matière militaire, malgré l'alliance, les pays ont gardé une souveraineté presque totale dans leur organisation. Vous dites qu'il faut mieux organiser les divisions, mieux les intégrer, mieux les arranger. Mais Messieurs, est-ce que vous êtes prêts, par exemple, à accepter une recommandation de l'autorité militaire qui dirait: Pour organiser de telle façonmes divisions, j'ai besoin d'un service militaire minimum. Est-ce que vous accepteriez que ce soit cette recommandation militaire qui fasse la loi nationale? Messieurs, j'en parle avec une grande objectivité maintenant. Je vois une chose, c'est que tous les partis d'opposition, quels qu'ils soient, ont toujours au moins un point de leur plateforme électorale, la même, qui est la réduction du service militaire. J'ai d'ailleurs un peu peur si nous avons encore trois ou quatre élections de voir réduit à rien le service militaire dans les pays libres et je m'adresse à tous les hommes politiques qui sont tous plus ou moins coupables et si j'étais encore un homme politique je serais forcé de me frapper la poitrine. Ils sont tous plus ou moins coupables de vouloir en cette matière garder une liberté d'action que j'appelerai une électorale absolument complète. Avant d'accuser les militaires de ne pas avoir fait assez, il faut savoir si les civils leur ont donné les pouvoirs qui seraient nécessaires pour faire cette organisation commune et cette intégration. Mais cette observation première étant faite, je m'empresse de dire, Messieurs, que l'idée me paraît juste. Et moi j'ai le sentiment - j'ai même la conviction - que nous allons devoir faire dans le cadre de l'OTAN un effort d'organisation commune et je ne parle pas encore de la distribution des armes nucléaires ou de la recherche scientifique ensemble. Je parle de l'organisation militaire. Je crois personnellement que nous allons devoir faire un effort beaucoup plus grand que celui que nous faisons aujourd'hui si nous voulons éviter au sein de l'Alliance une véritable débâcle. Ce que je vais dire est peut-être imprudent, mais je vais le dire tout de même: il y a un certain nombre d'idées qui étaient contenues dans la Communauté Européenne de Défense et qui avaient été acceptées par cinq pays au moins sur six, qui étaient des idées justes, des idées d'organisation auxquelles je crois aujourd'hui, on ne peut plus échapper si l'on veut éviter ce que, à l'OTAN, nous appelons les réactions en chaîne. Il ne faut pas, Messieurs, qu'il y ait une confrontation perpétuelle des situations. Il ne faut pas que, lorsque un pays usant de sa souveraineté, et ne transgressant pas les règles fondamentales de l'OTAN, prend une décision de modification de son système militaire, les autres pays sautent sur l'occasion pour dire: "Puisque vous l'avez fait, nous pouvons faire la même chose". Et c'est une chaîne sans fin, lorsqu'un a commencé les autres le suivent et lorsque les autres l'ont fait, le premier recommence. Si cela continue ainsi, je n'ai pas à vous le cacher, la situation deviendra grave. Et dès maintenant, je puis l'affirmer, la distance qu'il y a, le fossé qu'il y a entre les demandes des militaires et ce que les gouvenements semblent aujourd'hui disposés à leur accorder, ce fossé est grand et ne cesse de s'élargir. Et ceci, par un juste placement des responsabilités ne doit pas être porté au débit des militaires, mais doit être plutôt porté, je ne dirai même pas au débit des gouvernements, mais peut-être au débit des Parlements qui font sur les gouverments, si souvent en cette matière, une pression extrêmement forte. Voilà, me semble-t-il, comment la question se pose et où se placent exactement les responsabilités et si vous acceptiez des idées comme celles qui sont exprimées dans le rapport et qui, à mon avis, sont des idées justes, vous ne pourriez les accepter, Messieurs, qu'en n'en ayant mesuré et compté les conséquences et vous rendant compte que cela implque dans votre vie interne des changements extrêmement importants que vous devriez expliquer et faire triompher devant vos opinions publiques. Les deux derniers points touchent alors au problème qui est sans doute le problème crucial du moment, la meilleure organisation militaire et la collaboration plus grande dans tous les domaines de production et de recherches scientifiques. Messieurs, le rapport que nous avons devant les yeux était écrit avant le communiqué de Washington, et par conséquent, il faut rendre hommage à la perspicacité, à l'intuition correcte des auteurs du rapport qui, avant même que le Spoutnik ait décrit dans l'atmosphère son périple, et avant même que le Président des Etats-Unis et le Premier Ministre de Grande-Bretagne se soient réunis, avaient déjà indiqué la nécessité d'un effort meilleur. Messieurs, cette pensée aujourd'hui ne peut plus être interprétée en dehors de ce qui s'est passé durant ces derniers mois. On a beaucoup parlé et on parle beaucoup du Spoutnik, on en dit du bien, on en dit du mal, moi je veux dire tout de suite que je considère le Spoutnik comme un très grand allié et que je suis extrêmement reconnaissant aux Russes de l'avoir lancé. Messieurs, c'est un fait, les démocraties ont besoin de temps en temps d'être réveillées. Nous nous endormons facilement et nous nous endormons pour de bonnes raisons, pour d'assez bonnes raisons, nous aimons notre confort, nous aimons les arts, nous aimons tous les plaisirs de l'esprit, et c'est dans une certain mesure la marque et la gloire de notre civilisation, mais pour avoir du confort et pour se donner aux loisirs et aux arts, il ne faut pas être préoccupés tout le temps par l'effort militaire. Je ne veux pas un seul instant diminuer ce que les Russes ont fait, je serais vraiment ridicule, je crois que c'est un très grand succès, un très grand succès scientifique et je crois qu'il démontre d'une manière évidente que dans de nombreux domaines, la science russse est aujourd'hui à un niveau très élevé. Ceci dit, Messieurs, je dois cependant à mon tour souligner ce qui a été dit si bien dans quelques articles, mais pas assez, c'est que ces succès, dans le domaine scientifique, obtenus par les Russes le sont au détriment du standing de vie de la population, et c'est une situation devant laquelle nous ne nous trouvons pas, nous, en Occident; nous ne pouvons pas choisir entre le standing de vie et les progrès scientifiques, il nous faut faire les deux. Suivant une formule que je répète beaucoup ces derniers temps, nous ne pouvons pas choisir entre le Spoutnik et la machine à laver... nous devons des deux côtés faire un effort. Mais, il ne faut pas nous le dissimuler, cet effort est double. Je crois, et maintenant, je me trouve en excellente compagnie, pousque le Président des Etats-Unis et le Premier Ministre de la Grande-Bretagne l'ont affirmé, et, quand je dis je crois, je ne dis pas vraiment ce que je pense, je suis profondément convaincu, depuis longtemps déjà, que ce double effort, ce double effort de maintien et du standing de vie qui est indispensable dans la démocratie et ce progrès constant dans notre défense nationale et dans notre recherche scientifique, il n'y a plus aucun pays de l'Occident qui est capable de le faire tout seul, et quand je dis aucun pays de l'Occident, je pense même aux plus puissants et aux plus riches. Si nous voulons faire les deux choses, nous devons nous unir et nous devons collaborer. Messieurs, le Commnuniqué de Washington sera peut-être, un jour, un document historique dans l'Histoire de l'Occident. On ne sait si un document est historique que quelques années après sa publication, quand on a vu ce que les hommes étaient capables de mettre derrière les mots. Quand nous avons fait à Messine un communiqué dans lequel nous avons déclaré, il y a deux ans et demi, que le but commun de la politque étrangère des six pays de la Communauté était la créationn d'un marché commun, sur le moment, ça n'a pas du tout eu l'air d'être historique, car personne n'a cru que c'était une réalité, et le communiqué a paru ou a passé presque inaperçu. Le communiqué de Messine sera cependant historique parce que deux et ans et demi après, nous avons réussi à faire le marché commun. La question qui se pose aujourd'hui à nous, c'est de savoir si, derrière les mots du Communiqué de Washington, nous allons dans les mois qui viennent être capables de placer une réalité. Il faut pour cela, Messieurs, que les mots du Communiqué de Washington ne soient pas les mots que l'on prononce du bout des lèvres, mais soient l'expression d'une conviction absolument sincère et pas seulement de la part des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne mais avec une force égale de tous les pays membres de l'OTAN. Et la phrase essentielle de ce rapport est une phrase qui semble avoir étonné beaucoup de gens, mais qui ne m'a pas étonné tellement personnellement ou qui n'a pas étonné beaucoup de mes amis qui ont travaillé à l'intégration de l'Europe parce que c'est une chsoe que nous avons dit cent fois ou peut-être mille fois dans le cadre de l'intégration européenne; mais ce qui est important c'est qu'aujourd'hui, deux grands partenaires, deux puissants partenaires de l'Alliance Atlantique l'affirment en termes solonnels. Il n'y a plus de solutions pour les problèmes militaires et économiques pour les pays de l'OTAN pris individuellement, c'est seulement dans l'interdépendance que nous pourrons assurer notre sécurité et notre salut. Alors, Messieurs, toute la question commence comme cela - est-ce que vous le croyez? Si vous ne le croyez pas, ce n'est pas la peine de continuer à faire des discours, et ce n'est pas la peine surtout de donner aux gens des espérances et de nourrir des illusions si nous devons dans quelques semaines ou dans quelques mois dégonfler ces ballons. Si vous le croyez vraiment, si les gouvernements le croient vraiment, Messieurs, la question est résolue. Vous me trouvez peut-être exagérément enthousiaste et optimiste. Je vais vous dire pourquoi je crois qu'elle résolue. Je suis maintenant convaincu que quand il y a une volonté politique décidée il n'y a pas de problème technique dont on ne puisse pas trouver la solution. Si les hommes politiques de l'Occident croient à l'interdépendance, quelles que soient les difficultés du problème, les techniciens vont se mettre à l'ouvrage et, animés par cette volonté politique, ils trouveront la solution. Messieurs, moi personnellement, je crois que c'est là qu'est la voie la plus simple, c'est là qu'est la sagesse. J'ai dit que nous avions deux travaux importants, deux problèmes importants se posaient à nous: le maintien du standard de vie - je ne saurais assez répéter combien c'est essentiel car c'est la vraie protection de l'Occident contre le Communisme; mais aussi, bien entendu, la défense nationale et, enfin, un problème qui est presqu'aussi important et presqu'aussi difficile à résoudre, c'est l'aide aux pays les plus pauvres et les moins développés. Pour faire cela, je le dis, il faut se mettre ensemble. Je voudrais, Messieurs, vous dire que cette collaboration me paraît possible et qu'elle me paraît raisonnable. Je ne vois pas, à l'heure actuelle, ce qui pourrait l'empêcher. Certes, nous devons changer un tas de choses qui existent aujourd'hui, mais un tas de choses qui sont mauvaises et qui sont une manifestation éclatante d'une perte de temps, d'une perte d'argent, d'une dispersion des efforts dans le monde occidental. J'ai résumé ma pensée dans une phrase que j'ai décidé de répéter autant de fois qu'il faudrait depuis que je sais que Lénine et Napoléon se sont trouvés d'accord pour dire que la répétition était la seule forme de l'éloquence. Je n'ai plus aucune humiliation à me répéter sans cesse. Messieurs, voici la formule que je vous propose et à laquelle je vous demande de réfléchir: Le prestige des pays occidentaux n'est pas lié au fait pour eux de réinventer ce que les Etats-Unis ont déjà découvert. Et la sécurité des Etats-Unis ne sera pas mise en danger si les Etats-Unis confient à leurs amis des secrets que leurs ennemis connaissent déjà. Si cette phrase est juste, Messieurs, et je suis profondément convaincu qu'elle l'est, tout le reste va aller, je ne dirais pas de soi et sans difficulté mais tout le reste est possible. Je ne voudrais vous donner qu'un seul exemple. J'ai assisté ici au début de mes fonctions à une magnifique fête d'aviation, et j'ai vu un escadron français d'avions, un américain, un anglais et un italien, qui faisaient dans les airs des prouesses splendides. Je ne suis pas un technicien, mais j'ai eu l'impression qu'ils faisaient tous la même chose, et qu'ils la faisaient tous aussi bien. Et j'ai entendu dire un pilote qu'il est tellement content et tellement fier, il vole sur son matériel national. Et je m'incline bien entendu devant cette fierté, devant ce prestige comblé, mais je voudrais que quelqu'un me dise un jour après avoir fait l'addition, ce que cela a coûté de faire les recherches et de produire les mêmes appareils aux Etats-Unis, en France, en Grande Bretagne, et en Italie. Et je voudrais que quelqu'un ose me dire que nous ne dépensons pas d'argent à des choses inutiles alors que nous manquons d'argent pour faire ce qui est absolument essentiel. Si nous voulons continuer comme cela à faire tous la même chose, et à recommencer les uns après les autres tout ce qui a été déjà inventé ou découvert dans l'Occident, Messieurs, nous serons alors, un jour, forcés de choisir entre la machine à laver et le Spoutnik et comme, par les règles mêmes de notre démocratie, nous ne pourrons pas sacrifier la machine à laver, nous serons forcés de sacrifier notre recherche économique et notre progrès scientifique et nous deviendrons petit à petit tous ensemble des puissances de second ordre. C'est ce que nous disons déjà depuis longtemps dans l'Europe, heureusement il semble que l'Europe commence à l'avoir compris, il faut maintenant le faire comprendre à l'Organisation Atlantique toute entière. Elargir la défense de la civilisation occidentale aux lieux et au-delà des cadres de l'Europe, et l'appliquer aux cadres de l'alliance atlantique. Je crois vraiment Messieurs, que la séance du 16 décembre sera une séance, une réunion extrêmement importante et je crois que nous pouvons réussir, je crois que nous pouvons réussir parce qu'il me semble qu'il y a des idées, de bonnes idées, qui sont souvent latentes. Les gens sentent, et moi j'ai toujours eu confiance dans l'instinct des peuples. Les gens sentent instinctivement que c'est dans cette voie là qu'il faut aller, mais nous n'avons pas toujours, ou l'audace, ou la clairvoyance ou la possibilité de réaliser ce que nous voulons, et les bonnes idées vivent longtemps en sommeil et en léthargie. Et tout d'un coup, il y a quelque chose qui arrive, quelque chose que nous n'avions pas prévu, quelque chose que nous n'avions pas voulu, il arrive un événement qui cristallise l'idée, et qui tout à coup la fait vivante, et la rend possible. Dans le monde d'aujourd'hui, ce qui a cristallisé cette nécessité de la collaboration occidentale c'est le lancement du satellite russe, nous devons l'accepter. Messieurs, je vous le dis avec toute ma gravité et avec toute ma conviction. L'histoire avance, l'histoire évolue, avec ses périls et avec ses chances. Notre devoir à nous, c'est d'éviter les périls, mais notre devoir à nous c'est de saisir les chances.
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