Palais de Chaillot, Paris, France 24 mai 1957 | CONFERENCE
DE PRESSE DE M. P-H. SPAAKLe
vendredi 24 mai 1957, Palais de ChaiIlot, Paris XVIe. M.
SPAAK .......parce qu'il faut bien l'avouer, je ne crois pas avoirquelque chose
de sensationnel à vous dire, mais au moins, sur ce qu'il est absolument
nécessaire que, ayant pris mes fonctions de Secrétaire Général
il y a quelques jours, il est absolument nécessaire que je rende compte
à la Presse et fasse une petite conférence. Mais, après,
tout, en y réfléchissant, je trouveque c'est assez normal.
J'ai
essayé, mais certainement je ne serai pas arrivé à réaliser
mon espoir, j'ai essayé de deviner ce que vous pourriez me demander et
très probablement, la première question est"comment concevez-vous
votre tâche ?" Eh bien, la réponse à cette question est
celle-ci: c'est que pour moi, ma Charte c'est le rapport des Trois Sages et la
décision qui a été prise en décembre dernier lorsque
les Ministres des Affaires Etrangères ont examiné la situation du
NATO et estimé qu'il y avait lieu de tenter un nouvel effort pour donner
au NATO un support politique aussi solide que possible en tâchant de coordonner
la politique extérieure des différents pays qui composent le NATO.
Ce que je voudrais faire remarquer comme Secrétaire Général,
c'est que je pense que c'est là une tâche collective, c'est la tâche
qui appartient en réalité au Conseil Permanent. Je crois cependant
que le Secrétaire Général a quelques responsabilités
particulières et quelques devoirs propres et que s'il n'arrive pas à
accomplir cette oeuvre de coordination, il doit alors prendre lui-même ses
responsabilités, pallier les défauts de l'Organisation et tâcher
d'y remédier. On me demande quelquefois aussi quelle va être la
méthode que j'emploierai pour tâcher de réussir dans ma tâche.
Et là, ma réponse est encore plus décevante que toutes les
autres, parce que je suis forcé d'avouer que je n'ai pas de méthode.
En effet, je compte essayer de régler les problèmes chaque fois
suivant les éléments de la question et je pense qu'il faut se montrer
extraordinairement souple. Tout ce que je voudrais dire, c'est qu'à la
Chambre belge, dans mon discours d'adieu, j'ai été amené
à essayer de définir quelles étaient les qualités
que j'estimais |es plus essentielles chez un diplomate, et je les ai énumérées
dans l'ordre suivant: 1° comprendre le point de vue d'autrui
2°
avoir l'art du compromis
3° être discret, ce qui évidemment
ne me rendra peut-être pas très populaire vis à vis de
la presse,
4° être loyal, ce qui me rendra évidemment
populaire vis à vis de mes collègues.
Donc, je n'ai pas
de méthode, mais je crois qu'il y a là quatre qualités qu'il
faut essayer d'avoir et, si l'on peut les réunir et les appliquer, on a
je crois une bonne base pour essayer de régler les problèmes internationaux.
Je
voudrais faire remarquer que l'Organisation du Traité de Atlantique Nord,
le NATO, est une Organisation extrêmement souple et je crois que c'est une
bonne chose. C'est une Organisation tellement souple que lorsqu'au mois de décembre,
les Ministres des Affaires Etrangères, examinant les nouvelles tâches
qu'il y avait peut-être lieu de confier au Conseil au Secrétaire
Général, n'ont pas cru nécessaire de proposer un changement
quelconque dans l'Organisation existante. Et c'est une chose intéressante
de comparer ce quêtait le Traité de l'Atlantique Nord et ce qu'est
devenue la réalité. Et je crois qu'on peut dire que toute cette
réalité n'avait pas été prévue par les signataires
de 1948, non 1949 - on m'a toujours accusé dans mon pays de ne pas être
très précis, je crois qu'ils avaient raison - donc nous disons 1949.
C'était un Traité simple qui ne comportait pas beaucoup d'articles
et vous voyez tout ce qui en est sorti. Je suis convaincu que les auteurs n'avaient
pas prévu un Général en chef Commandant l'Europe Occidentale,
l'organisation militaire et tout cela est né des circonstances et créé
dans la réalité sans qu'il y ait de texte précis qui l'ait
prévu. L'appareil militaire est maintenant extrêmement important
et, sans être parfait, ila été cependant efficace. II faut
essayer maintenant dans le domaine politique de faire la même chose et je
crois que c'est possible dans le cadre de ce qui existe et de ce qui peut se développer.
Tout ceci je m'en rends compte, ce sont des généralités qui
probablement ne vous intéressent pas tellement et vous voudriez bien savoir
quelles sont les questions qui, à mon avis, sont actuellement les plus
importantes et les plus d'actualité. Eh bien, je pense que durant
les mois qui viennent, les questions qui retiendront surtout notre attention seront
des questions d'ordre militaire. Je crois que la situation pour les mois qui viennent
est dominée par le raccord que le Général Norstad a été
chargé de faire à la demande combinée de l'U.E.O et du Conseil
du NATO, par l'évolution du problème du désarmement qui comporte
toute une série d'idées subsidiaires, mais qui sont la conséquence
de la position que l'on peut prendre en matière de désarmement et
notamment cette question des zones démiIitéralisées qui maintenant
est si souvent posée dans les discussions. Il y a bien entendu aussi un
certain nombre de questions politiques, cependant je pense vraiment que c'est
autour de ces questions militaires que l'intérêt se concentrera dans
les mois qui viennent.
Enfin, une question qui m'est souvent posée
par les journalistes qui m'interrogent, c'est de savoir si mon arrivée
au NATO signifie un abandon de l'Europe. On dit même que certains, qui avaient
confiance dans ma fidélité européenne, croient que le fait
que je m'occupe maintenant d'une Organisation Atlantique est une manifestation
de découragement en ce qui concerne l'Europe. Je tiens à dire
qu'il n'en est absolument rien. Je crois que les idées européennes
ont beaucoup progressé ces dernières années. Si, comne je
l'espère, les Parlements ratifient dans les mois qui viennent, le Traité
sur le Marché Commun, sur l'Euratom, d'année 1957 aura été
une bonne année, une année décisive dans l'histoire de l'Europe.
Cependant, je tiens à affirmer que dans mon esprit il n'y a jamais eu ni
dissociation ni encore moins opposition entre l'Europe et la Communauté
Atlantique; c'est pourquoi une Europe forte devait avoir notamment comme effet
d'être un Organe tel que l'Union de l'Alliance Atlantique.
Je
crois en effet qu'il était nécessaire d'unir entre elles toutes
les nations occidentales et je crois que l'Alliance Atlantique, entre autres fonctions,
a comme fonction et peut-être comme fonction essentielle d'être précisément
le bouclier de cette Europe qu'on essaie de former. Je crois donc qu'il n'y a
aucune opposition et si j'ai choisi pour un certain temps la voie Atlantique,
c'est parce que je pense, j'en fais l'aveu très sincèrement, qu'en
ce qui concerne l'Europe et les questions d'organisation administrative et les
questions tout particulièrement techniques qui vont se poser, je n'étais
pas particulièrement qualifié pour continuer à m'en occuper"
Voilà, Messieurs, ce que j'avais à dire sur ma prise de fonction
et sur les idées que je me fais de celle-ci. Je suis prêt maintenant
à passer à la partie vraiment intéressante de cette réunion
et, après vous avoir dit ce que, moi, je pense de certaines choses, je
vais essayer de répondre aux questions que vous voudriez me poser"
Question (traduction) Etant donné votre séance récente
avec les Parlementaires de l'OTAN, comment envisagez-vous le développement
et révolution futures de cet ensemble parlementaire ? M. SPAAK Je
vais le répéter en français pour être bien sûr
: Je crois que vous me demandez mon avis sur l'importance des Parlementaires
qui s'occupent de NATO. C'est çà.
M. SPAAK Eh bien
moi, je crois qu'il faut établir une très bonne collaboration entre
le Secrétariat Général et toute l'Organisation du NATO et
ses Parlementaires. Je ne crois pas qu'il faille, en tous les cas pour le moment
je fais une réserve quant à donner à cette conférence
du NATO une forme plus officielle qu'elle n'a pour le moment, aussi longtemps
qu'on ne peut pas faire des assemblées qui ont de véritables pouvoirs,
il faut être très prudent dans le caractère officiel qu'on
leur donne. Nous avons trop fait ces dernières années l'expérience
des assemblées consultatives pour croire que c'est une tout à fait
bonne formule. Mais je crois qu'associer les Parlementaires à notre travail,
leur expliquer ce que nous faisons, discuter avec eux de certaines questions,
c'est une bonne chose. Et, en ce qui me concerne j'essaierai de collaborer de
la manière la plus intime avec le groupe des Parlementaires du NATO, et
quand ils feront leur conférence cet automne, je compte prendre dans cette
conférence toute la part qu'ils voudront bien me donner. Question:
M. le Président, je voudrais me permettre de vous poser deux questions,
l'une de détail au sujet d'un mot que vous avez utilisé en parlant
du principal problème qui va vous préoccuper,: avez-vous dit, dans
les prochaines semaines. Vous avez parlé du désarmement et de zones
démilitarisées. Est-ce que vous entendez ce terme de façon
exacte, en ce qu'il signifie, ou bien sous des formes différentes que pourrait
prendre un accord entre les Puissances qui s'occupent actuellement de ces questions
à Londres. Là-bas en effet, il semble que l'on ne par le pas de
zones démilitarisées, mais de zones d'inspection particulières
et délimitées. M. SPAAK Et bien, j'ai voulu employer l'expression
parce que j'étais sûr que si je n'en parlais pas on m'en parlerait,
et mon Dieu, j'ai pensé qu'il valait encore mieux prendre les devants.
Mais,
ce que je veux dire maintenant c'est ceci : c'est que toute cette discussion est
une discussion fort intéressante mais votre question même le prouve,
assez dangereuse, parce que je trouve qu'elle n'est pas suffisamment clarifiée
et que l'on emploie cette expression dans des sens fort différents; et
ce que je crois, c'est qu'au sein du NATO avant de faire sur cette question des
discours publics et de prendre position individuellement, nous devrions essayer
d'établir très clairement d'abord si nous en voulons et puis ce
que nous voulons exactement, en pensant à toutes les conséquences
possibles et, à mon avis, 11 y en aura beaucoup.
J'ai simplement
voulu indiquer, par conséquent, que je pensais que cette sorte de question
devrait certainement être discutée dans les temps qui viennent, en
fonction du problème de nos armements, et en fonction aussi des questions
de désarmement qui sont discutées à Londres, Question
: Ça s' applique, Monsieur le Président, également à
une éventuelle prise de position du Gouvernement américain ? M.
SPAAK Monsieur, si vous voulez bien relire le document que j' appelle ma charte
personnelle, c'est-à-dire le rapport des Trois, et le communiqué
de décembre, vous constaterez que tous les Ministres ont dit qu'il fallait
faire de grands efforts pour s'informer mutuellement autant que possible, et qu'il
fallait aussi faire des efforts pour se consulter et pour ne pas prendre de position
unilatérale qui pourrait gêner les autres membres de l'Alliance.
Moi, j'interprète ma charte de la manière suivante, que ses bons
principes s'appliquent pour toutes les questions et pour tout le monde. Question: Monsieur
le Président, si vous permettez, je voulais vous demander ceci : vous avez
mentionné ce problème principal des mois à venir, est-ce
que vous pourries mentionner d'autres problèmes qui seraient moins importants
que celui-ci, mais qui; quand même, ont de l'importance pour l'opinion européenne?
M. SPAAK Je dois d'ailleurs vous prévenir que j'ai préparé
ma réponse... Question Pour préciser la question de mon confrère
: au cours d'une récente interview d'un magazine américain, vous
avez évoqué la possibilité que l'OTAN, par votre entremise"
pourrait être appelée à se pencher d'une façon plus
précisé sur le problème de Chypre qui intéresse évidemment
un certain nombre de membres de l'OTAN, trois en tous cas, directement et, par
conséquent, l'OTAN toute entière, et vous avez même ajouté,
ce que vous venez de dire en réponse à M...... à savoir:
aucune question n'est considérée comme étant en dehors de
l'OTAN si elle intéresse l'Organisation elle-même, et vous avez à
ce propos évoqué très discrètement, en tenant compte
du fait que c'est un problème qui est du ressort primordial de la France,
c'est-à-dire le problème algérien. Pourriez-vous préciser
sur ces deux points vos intentions éventuelles, en tous cas votre pense
actuelle. M. SPAAK Eh bien, Monsieur, je ne suis pas pris au dépourvu
et, pour Chypre, j'ai bien préparé ma réponse, et elle tient
tout entière dans une phrase célèbre, qui se résume
ainsi : "Y penser toujours, n'en parler jamais, tout au moins publiquement".
(rires)
Pour l'Algérie, je voudrais qu'il n'y ait pas de malentendu
et je crois que ce que j'avais déclaré à ce journal américain
avait été soigneusement pesé, mais, si on le reproduit, il
faut le reproduire tout entier. J'ai bien dit que naturellement la question d'Algérie
était une question extrêmement importante qui devait tous nous préoccuper,
mais que c'était une question qui était essentiellement et complètement
entre les mains du Gouvernernent français et que, par conséquent,
il n'y avait pas d'initiative à prendre pour l'OTAN en cette matière.
Question: Et pour Chypre ? Y a-t-il une initiative à prendre
? M. SPAAK Y penser toujours, n'en parler jamais. Je trouve ça
une réponse admirable, moi, je ne sais pas comment vous n'êtes pas
satisfaits d'elle.... Avant, on disait ça de la question d'Alsace-Lorraine,
C'est tellement bien.. "Y penser toujours et n'en parler jamais" et
j'ajoute là quelque chose de moi dans la phrase : "publiquement".
On ne disait pas "publiquement". Et regardez tout ce que vous pouvez
faire autour de ce "publiquement". Je ne voudrais pas vous exciter...
Question: Monsieur le Président, peut-on vous demander quelle
est votre première impression sur les propositions de M. Ollenbauer qui
sont dirigées nettement contre le Pacte Atlantique ? M. SPAAK La
première impression est d'abord une impression qui, je dois l'avouer, est
une impression personnelle et terrible, parce qu'il demande la disparition du
Pacte Atlantique. Vous comprenez que ça me touche terriblement, après
le moment où j'ai pris mes fonctions. C'est une première impression
très dure. Et je dois vous avouez alors que c'est à peu près
tout ce que j'ai compris, parce que la dépêche de presse que j'ai
lue ne me permet vraiment pas de me faire une idée précise sur ses
propositions. Je n'ai lu qu'une dépêche de presse et je n'oserais
vraiment pas me prononcer sur la valeur du Plan. Tout ce que j'ai compris, c'est
que c'était la fin de l'OTAN, et par conséquent, une grave question.
Question: Simplement quelque chose à propos de Chypre. M.
SPAAK On répète la même chose et on brode.

|