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Mise à jour: 20-Nov-2001 Revue de l'OTAN

Web edition
Vol. 49 - No. 3
Automne 2001
p. 13-15

Chronique Littéraire

La nouvelle question macdonienne

Christopher Bennett (1) passe en revue les ouvrages rcemment consacrs la dernire partie de l'ex-Yougoslavie connatre la violence ethnique.

En 1991, alors que la fdration yougoslave tait en train d'clater, deux des dirigeants de ses rpubliques ont men un combat d'arrire-garde pour empcher cet clatement: Alija Izetbegovic et Kiro Gligorov, respectivement Prsidents de la Bosnie-Herzgovine (la Bosnie) et de la Rpublique yougoslave de Macdoine. Les deux hommes craignaient que les consquences d'une dsintgration de la Yougoslavie ne soient particulirement lourdes pour leurs rpubliques. C'est pourquoi, le 3 juin 1991, ils ont prsent au reste de la fdration leur propre modle de compromis pour les relations entre les rpubliques. Malheureusement, cette audacieuse initiative de la onzime heure n'a donn aucun rsultat, et la guerre a commenc en moins d'un mois. Dix mois plus tard, la Bosnie a sombr dans un conflit qui confirmait les pires craintes d'Izetbegovic. En revanche, malgr d'innombrables prdictions de catastrophe, l'ex-Rpublique yougoslave de Macdoine(2) est parvenue viter une effusion de sang et des violences similaires pendant prs de dix ans.

Cette capacit de survie du nouveau pays a surpris beaucoup d'analystes. Au moment de la dsintgration de la Yougoslavie, la Macdoine tait pauvre, ethniquement divise, militairement faible, dpourvue d'accs la mer et entoure de voisins qui lui taient traditionnellement hostiles. Au dbut du XXe sicle, la question macdonienne avait hant les grandes puissances europennes, dont l'action diplomatique n'avait pas russi empcher un conflit particulirement sanglant. Au cours des Guerres balkaniques qui suivirent, et dont l'ampleur et la sauvagerie consternrent les observateurs de l'poque, la Macdoine gographique limite au nord par les monts de Skopska Sredna Gora et de Sar Planina, l'est par les massifs de Rila et de Rhodope, au sud par la cte genne de la rgion de Salonique, l'Olympe et le Pinde, et l'ouest par les lacs d'Ohrid et de Prespa fut arrache la domination ottomane et divise en trois parties, entre la Bulgarie, la Grce et la Serbie. Par ailleurs, au cours de l'entre-deux-guerres, des terroristes macdoniens opraient bien au-del des Balkans. En fait, mme la fin du XXe sicle, le nouvel Etat suscitait encore de nombreuses controverses au sujet de ses frontires, de sa langue, de son histoire, de son drapeau, voire de son nom. Si un pays avait jamais paru en voie de dsintgration, c'tait bien celui-l.


Des publications qui viennent propos

Sans doute est-il invitable que les prophties les plus sombres aient t et restent au premier plan de l'analyse faite par les mdias de la situation de l'ex-Rpublique yougoslave de Macdoine (2). Aprs tout, prdire qu'un pays va survivre en paix ne retient gure l'attention de la presse. Pourtant, pendant la majeure partie des annes 90, le nouvel Etat a su faire mentir les plus pessimistes. Il a ngoci le dpart pacifique de l'Arme populaire yougoslave de son territoire. Il a survcu un embargo conomique limit, aux retombes des sanctions internationales contre le Montngro et la Serbie, et la perte de ses marchs en d'autres endroits de l'ex-Yougoslavie. De plus, il s'est joint toute une srie d'organisations et de programmes internationaux, dont le Partenariat pour la paix et le Plan d'action pour l'adhsion de l'OTAN, en vue de renforcer au maximum sa scurit. C'est ainsi qu' la diffrence d'autres parties de l'ex-Yougoslavie, dont les souffrances au cours de la dernire dcennie ont inspir une multitudes d'ouvrages, l'ex-Rpublique yougoslave de Macdoine(2) a largement chapp la curiosit des chercheurs. En fait, seuls trois ouvrages (en langue anglaise) lui ont t consacrs ces dernires annes.

Le meilleur est sans aucun doute Who are the Macedonians? (Hurst & Co, 2000), de Hugh Poulton. Il s'agit d'une histoire concise mais complte de la Macdoine et de ses peuples au sens le plus large, que devrait lire quiconque s'intresse ou souhaite aider au rglement de la crise que connat aujourd'hui l'ex- Rpublique yougoslave de Macdoine(2). Poulton est l'auteur de nombreux crits sur les Balkans et les questions relatives aux minorits, et il a travaill dans ces domaines en tant que chercheur pour Amnesty International, l'Article 19 et le Groupement pour les droits des minorits. Il a aussi, non seulement publi ces dernires annes plusieurs ouvrages originaux, mais prsent un groupe de rock, les Walking Wounded, dont beaucoup de chansons ont t inspires par la dernire dcennie de conflits dans les Balkans.

Who are the Macedonians? retrace l'histoire des nombreux peuples qui habitent ou ont habit la Macdoine gographique de l'Antiquit jusqu' nos jours. Cet ouvrage analyse en mme temps la formation des identits nationales modernes, et en particulier le systme dit des milleti, qui rgissait les sujets ottomans dans le cadre de leur communaut religieuse, le millet. Il y a l un point important, car c'est le systme des milleti qui a permis aux terres ottomanes de connatre un tel brassage ethnique et qui explique le lien actuel entre la religion et l'ethnicit.

Poulton tudie les revendications territoriales qui opposaient les divers peuples habitant la Macdoine gographique lorsque celle-ci faisait encore partie de l'Empire ottoman et l'action mene par chacun de ces peuples lorsqu'il tait en mesure de faire aboutir ces revendications. Dans une analyse relativement brve mais pleine de perspicacit, il montre comment les Etats-nations issus de la dsintgration de l'Empire ottoman ont t en grande partie les produits de l'puration ethnique, des perscutions et de la rpression. Il examine aussi le cas de la tristement clbre Organisation rvolutionnaire intrieure macdonienne (ORIM), dont les activits terroristes de l'entre-deux-guerres refltaient la frustration nationale cre par l'absence d'un Etat slave macdonien et s'tendaient bien au-del des Balkans. Dans la suite de son ouvrage, Poulton analyse l'volution d'une identit nationale slave macdonienne dans la Yougoslavie de Tito, la cration d'un Etat indpendant aprs l'clatement de la Yougoslavie et les relations entre Slaves macdoniens et Albanais de souche. Il fait observer qu' la diffrence de la Bosnie, il n'y a eu qu'un brassage minimal entre groupes ethniques. Il cite mme un sondage d'opinion de 1974 qui montrait que 95 pour cent des chefs de famille slaves macdoniens et albanais de souche et 84 pour cent des chefs de famille turcs de souche refusaient de laisser leurs fils pouser quelqu'un d'une autre nationalit; en ce qui concerne le mariage des filles, les pourcentages taient encore plus levs.

La mfiance et l'animosit qui rgnent entre les Slaves macdoniens et les Albanais de souche remontent une poque antrieure la cration d'un Etat indpendant. En fait, Poulton dcrit les mesures "nomalthusiennes" des annes 80 qui visaient restreindre le taux de natalit dans la communaut des Albanais de souche. Ces mesures comprenaient l'obligation pour les familles de payer les soins mdicaux dispenss tout enfant n aprs les deux premiers, ainsi que la suppression des allocations familiales pour les enfants qui viendraient s'y ajouter. En 1989, un amendement apport la constitution a dfini la rpublique comme un "Etat-nation form par le peuple macdonien", alors que la dfinition prcdente tait "un Etat compos du peuple macdonien et des minorits albanaise et turque". Cet amendement refltait l'inquitude grandissante des autorits slaves macdoniennes devant le nationalisme albanais et les risques d'clatement de la Yougoslavie. Il tait cependant invitable qu'un nationalisme slave macdonien plus aff irm induise lui-mme une raction similaire des Albanais de souche. En 1991, ceux-ci ont boycott le rfrendum sur l'indpendance de la rpublique, et, en 1992, ils ont organis leur propre scrutin sur une autonomie. Depuis lors, les questions des symboles nationaux et des droits des minorits sont restes proches de la surface de la vie politique et ont resurgi aprs la campagne mene par l'OTAN au Kosovo.

Poulton est galement l'un des auteurs de The New MACEDONIAN QUESTION (Palgrave, 2001), collection d'essais publie sous la direction de James Pettifer. Son chapitre, Non-Albanian Muslim Minorities in Macedonia, est aussi instructif que son ouvrage prcdemment cit et parle des Macdoniens slaves musulmans, sous les noms de Torbesi, de Pomaks, de Goran et Poturs, de Turcs, de Rom et, assez tonnamment, d'"Egyptiens", les Rom ayant t nombreux choisir ce nom lors des derniers recensements, en raison de la connotation dfavorable qu'ils pensaient tre attache au leur.

The New MACEDONIAN QUESTION comporte de trs nombreuses contributions, dont celles d'auteurs albanais, bulgares, grecs, slaves macdoniens, russes et serbes, ainsi que d'analystes des Balkans appartenant l'Europe de l'Ouest. C'est ce qui fait sa force, mais aussi sa faiblesse, car, mme s'il comporte plusieurs chapitres d'excellente qualit, l'ouvrage se prsente sous une forme extrmement ingale. De plus, le fait que chacun des auteurs ait t laiss libre de sa terminologie et de son style cre chez le lecteur une certaine confusion. Outre le chapitre de Poulton, les deux contributions de Pettifer The new Macedonian Question et The Albanians in western Macedonia after FYROM mritent certainement d'tre lues. Il en est de mme du premier chapitre, d la regrette Elisabeth Barker et initialement publi en 1949, qui, selon Pettifer, "expose les vues traditionnellement progrecques du Foreign Office". Par ailleurs, le chapitre d'Evangelos Kofos intitul Greek policy considerations over FYROM independence and recognition est particulirement instructif. Dans l'ensemble, toutefois, The New MACEDONIAN QUESTION se rvle dcevant parce que l'ouvrage ne correspond pas vraiment son titre et traite en grande partie de ce que la plupart des lecteurs considreraient comme une question macdonienne plus ancienne.

En revanche, l'ouvrage d'Alice Ackermann intitul Making Peace Prevail: Preventing Violent Conflict in Macedonia (Syracuse University Press, 2000) voque le pass trs rcent. Cela dit, un critique peu charitable pourrait le rejeter. Le deuxime chapitre, consacr la diplomatie prventive, fait penser une revue littraire rdige pour une thse de doctorat. L'analyse des "succs" et des "checs" de la diplomatie prventive, qui oppose les ractions internationales aux diffrends entre la Hongrie et la Slovaquie et entre l'Estonie et la Russie aux ractions internationales au conflit entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda et aux guerres lies la dissolution de la Yougoslavie, semble comparer des pommes et des poires. Quant l'analyse de la dsintgration de la Yougoslavie, qui s'inspire par trop des crits controverss de Susan Woodward et contient plusieurs erreurs factuelles (mineures), elle n'est pas exempte de faiblesses. Il reste que toute personne souhaitant comprendre le conflit actuel devrait lire cet ouvrage.

La force de l'uvre bien intentionne d'Alice Ackermann rside dans la recherche originale que l'auteur a consacre aux efforts dploys par la communaut internationale pour empcher un conflit. Cette recherche comporte des analyses des activits du Groupe de travail sur les communauts et minorits ethniques et nationales de la Confrence internationale sur l'ex-Yougoslavie, de l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe et de son Haut Commissaire pour les minorits nationales, de la Force de dploiement prventif des Nations Unies et de certaines organisations non gouvernementales, dont "Search for Common Ground" et l'"Ethnic Conflict Resolution Project". Ce qui ressort trs clairement, c'est que le travail acharn et mconnu d'un certain nombre d'organisations et de responsables traitant de questions essentiellement identiques celles qui sont aujourd'hui les premires l'ordre du jour a bel et bien contribu la survie du jeune pays dans les premires annes. Les Macdoniens de toutes ethnies doivent esprer que les mdiateurs internationaux actuels auront autant de patience, de tact et de russite que leurs prdcesseurs.


  1. Christopher Bennett est le Rdacteur en chef de la Revue de l'OTAN et l'auteur de "Yugoslavia's Bloody Collapse" (New York University Press).
  2. La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel