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Mise à jour: 20-Nov-2001 Revue de l'OTAN

Web edition
Vol. 49 - No. 3
Automne 2001
p. 24-25

Interview

Martti Ahtisaari, mdiateur international

En juin 1999, alors qu'il tait Prsident de la Finlande, Martti Ahtisaari a persuad Slobodan Milosevic, alors Prsident de la Yougoslavie, d'accepter les conditions mises par l'OTAN la fin de la campagne arienne du Kosovo. Arriv au terme de son mandat, en 2000, il a prsid diverses organisations s'occupant de la prvention des conflits, t inspecteur indpendant des dpts d'armes de l'IRA en Irlande du Nord et fond une association charge de faciliter son action au niveau international.

Revue de l'OTAN: au cours de la dernire dcennie, l'environnement de scurit euro-atlantique est devenu pratiquement mconnaissable. Quelles sont, aujourd'hui, les plus grandes menaces pour la scurit?
Martti Ahtisaari: au lendemain des tragiques attentats de New York et de Washington, la menace du terrorisme et la lutte contre ce flau sont videmment au premier plan des proccupations de tous. En fait, il y a l un bon exemple de la faon dont les nouvelles menaces pour la scurit peuvent gravement affecter un systme scuritaire qui est encore largement l'affaire des Etats. Beaucoup des menaces les plus redoutables revtent aujourd'hui une dimension mondiale. En plus du terrorisme, elles comprennent la corruption, le crime organis, le trafic de drogues et la prolifration des armes de petit calibre. En revanche, la plupart des conflits arms actuels ont lieu, non pas entre des Etats, mais l'intrieur de certains Etats, avec des violations systmatiques des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Le schma que l'on retrouve le plus souvent est celui d'un effondrement des structures de l'Etat et d'une mobilisation politique des populations pour des raisons d'appartenance ethnique et religieuse. Les moyens traditionnellement employs pour grer les diffrends internationaux sont sans valeur en de pareils cas.


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RO: que pourrait-on faire de plus pour renforcer la scurit dans la zone euro-atlantique?
MA: dans l'ensemble, ces nouvelles menaces sont telles qu'il est extrmement difficile aux gouvernements d'y ragir de faon efficace. A l'vidence, de tels problmes ne peuvent tre rsolus sans une vritable coopration internationale. Il est donc indispensable, avant tout, d'amliorer nos formes de coopration et d'change d'informations.

RO: le Conseil de partenariat euro-atlantique est devenu un important cadre de dialogue sur les questions de scurit. Comment voyez-vous son volution dans les annes venir?
MA: le CPEA offre un cadre trs utile pour la consultation et le dialogue politiques de haut niveau entre les Partenaires et les Allis. Aprs les attentats terroristes perptrs aux Etats-Unis, je pense qu'il existe, dans ce cadre, des possibilits de coopration encore plus grandes. Cela dpend largement de la manire dont la situation sera gre, mais je vois, pour le CPEA, de grandes possibilits de coopration transatlantique entre les Etats-Unis, l'Europe et la Russie.

RO: actuellement, l'OTAN et l'Union europenne envisagent toutes deux de s'largir. Quels problmes potentiels prvoyez-vous?
MA: d'un point de vue organisationnel, l'largissement de l'OTAN est plus facile raliser. Dans le cas de l'Union europenne, il est clair que nous devons examiner la fois les processus de prise de dcisions et les institutions elles-mmes. Je prconise l'largissement de l'Union europenne depuis de longues annes, et j'y vois donc plus de possibilits que de problmes. Je comprends aussi les pays qui souhaitent se joindre l'OTAN. Ils veulent avant tout voir rgner un climat pacifique leur permettant de promouvoir des traditions dmocratiques, le respect des droits de l'homme et le rgne du droit. Pour eux comme pour les membres actuels de l'Organisation, il s'agit de faire en sorte, au cours des annes venir, que le processus d'largissement soit une russite.

RO: vous avez une ide trs prcise du rle que Slobodan Milosevic a jou dans les conflits ns de la dissolution de la Yougoslavie. Comment un mdiateur ngocie-t-il avec quelqu'un de son acabit?
MA: j'ai rencontr Slobodan Milosevic pour la premire fois quand je prsidais le groupe de travail sur la Bosnie-Herzgovine la Confrence internationale sur l'ex-Yougoslavie, Genve. J'ai exerc ces fonctions d'aot 1992 octobre 1993. Cependant, mon curriculum vitae vous montre que mes interlocuteurs ont presque toujours t des personnalits assez difficiles. Dans l'Afrique du Sud d'avant la dmocratisation, par exemple, nous avons d ngocier avec des gens qui n'taient pas particulirement bien disposs. Cette exprience a t utile lorsqu'il s'est agi de traiter avec Slobodan Milosevic. Il importe toutefois de se rappeler que Viktor Tchernomyrdine et moi-mme ne ngociions pas avec Slobodan Milosevic. Nous lui prsentions simplement une offre qui faciliterait l'arrt des bombardements, la condition qu'il engage le gouvernement yougoslave respecter certains principes.

RO: quelle sera l'importance du procs de Slobodan Milosevic?
MA: avant notre visite Belgrade, Slobodan Milosevic savait qu'il avait t mis en accusation. Je pense pourtant qu' l'poque, il n'imaginait pas qu'il serait un jour envoy La Haye. La question n'a d'ailleurs pas t voque au cours de nos entretiens. Je crois que, d'une faon gnrale, il importe que tous les dirigeants politiques prennent conscience du fait qu'ils ne peuvent chapper la justice s'ils commettent de telles exactions. C'est peut-tre l la meilleure forme de diplomatie prventive.

RO: les divers processus de paix mens dans les Balkans sont-ils sur la bonne voie, ou la communaut internationale devrait-elle changer de tactique?
MA: Je considre toujours le cas des Balkans la lumire de ce que nous avons appris ailleurs en Europe. Prenez, par exemple, le processus d'unification de l'Allemagne. Lorsque ce processus a t entam, mes amis allemands disaient qu'il s'tendrait sur une gnration. Pourtant, j'ai rcemment rencontr l-bas des gens qui y travaillaient, selon lesquels il faudrait sans doute attendre jusqu' deux gnrations. Au-del des solutions administratives, il s'agit d'une volution d'ordre psychologique. Si le processus ncessite une ou deux gnrations en Allemagne, il sera certainement plus long dans les Balkans. Aussi longtemps que la communaut internationale sera prte y maintenir une prsence pendant 10 20 ans, nous pourrons fixer des objectifs de mise en uvre court terme et faire avancer le processus. Le dfi est cependant norme. Selon de rcents sondages d'opinion, quelque 62 pour cent des Bosniaques de 14 30 ans aspiraient quitter le pays. Il reste manifestement beaucoup faire. Cela dit, nous avons aussi beaucoup fait, et beaucoup appris. Nous commenons mettre en place des institutions qui fonctionnent. Des lections ont lieu rgulirement. Les gens apprennent respecter les processus dmocratiques. Par ailleurs, on voit des autochtones arriver la tte des principales institutions, ce qui est bien prfrable la formule consistant confier la direction du processus la communaut internationale, en laissant aux gens du pays le seul soin de critiquer notre action.

RO: au cours de la dernire dcennie, la communaut internationale a investi des milliards et des milliards de dollars dans l'ex-Yougoslavie. Existe-t-il des moyens plus efficaces et plus opportuns de grer les conflits, ou d'y parer, que vous pourriez prconiser?
MA: l'un des enseignements de l'exprience acquise par la communaut internationale dans les Balkans est l'importance qui s'attache la cration d'un cadre conceptuel de fonctionnement et l'analyse de toutes les actions et de toutes les politiques. En l'absence d'un tel cadre, nous risquons un gaspillage pur et simple de notre argent. Il est donc extrmement important de financer certains des groupes de rflexion qui travaillent sur ces questions en Europe. Ces dix-huit derniers mois, j'ai lu plusieurs tudes trs intressantes ralises dans le cadre de l'Initiative concernant la stabilit europenne, laquelle, en tant que prsident de l'"East-West Institute", j'ai collabor pour un projet d'valuation des programmes du Pacte de stabilit. Il faut que de telles tudes soient portes la connaissance d'un public beaucoup plus large.

RO: depuis la fin de votre mandat, vous avez travaill sur un certain nombre d'initiatives visant amliorer les ractions internationales aux crises. Quelles sont-elles, et comment pourraient-elles apporter une contribution?
MA: j'ai lanc trois activits dans le cadre de mon association, l'Initiative sur la gestion des crises. Premirement, je m'emploie amliorer l'utilisation de la technologie de l'information dans la gestion des crises. Ayant moi-mme dirig une mission internationale complexe en Namibie de 1989 1990, je sais combien il aurait t utile que je puisse mettre au service de l'ensemble de l'opration une technologie dont on ne disposait pas l'poque. D'ailleurs, lorsque je dirigeais une administration aux Nations Unies, j'ai rform les applications de la technologie de l'information. La technologie permet de mettre facilement les gens en contact, de partager l'information et d'conomiser du temps et de l'argent. Deuximement, je m'emploie amliorer les ractions du secteur civil aux crises. Si l'on compare l'tat de prparation des militaires celui des civils dans le domaine de la gestion des crises, on constate une norme diffrence. Les militaires disposent de schmas d'entranement bien tablis, et aucun d'eux n'est affect une mission de maintien de la paix sans une formation pralable. On ne peut pas en dire autant des civils. Au sein de l'Union europenne, il nous faut constituer un groupe de civils ayant suivi une formation spciale aux oprations de gestion des crises. Tous devraient recevoir un enseignement commun, et les programmes devraient tre plus adapts aux diffrentes professions. Si un tel projet peut se concrtiser, nous serons mieux en mesure de traiter les crises. Troisimement, j'ai fait avancer l'ide d'un portail pour la gestion des crises sur l'internet permettant de mettre en contact les analystes, les responsables des prises de dcisions, les journalistes et les autres parties intresses par la gestion des crises en vue de leur fournir les outils ncessaires la production, la diffusion et l'accumulation des connaissances dans ce domaine. Un tel portail pourrait aussi, je l'espre, permettre de procder activement aux changes de vues ncessaires.