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Mise à jour: 20-Nov-2001 Revue de l'OTAN

Web edition
Vol. 49 - No. 3
Automne 2001
p. 10-12

L'volution des partenariats de l'OTAN

Conduire Cendrillon au bal

Robert E. Hunter (1) examine les potentialits du Conseil de partenariat euro-atlantique et propose qu'il joue un plus grand rle dans la scurit euro-atlantique.


Runion ministrielle: le Conseil de partenariat euro-atlantique pourrait apporter la scurit euro-atlantique une contribution ingalable ( © OTAN - 103KO)

A sa cration, en mai 1997, le Conseil de partenariat euroatlantique (CPEA) tait l'enfant pauvre de l'OTAN. Il ne disposait dj pas du pouvoir de prise de dcisions du Conseil de l'Atlantique Nord, qui est limit aux 19 pays membres de l'Alliance. Il n'avait initialement aucun rle dans la gestion des activits pratiques du Partenariat pour la paix, dont la composition est pratiquement analogue la sienne. Mme ses runions ministrielles semestrielles et ses sommets occasionnels comportent en gnral beaucoup plus de discours que de dbats sur des questions de fond. Et pourtant, cette sorte de Cendrillon est une institution qui pourrait apporter la scurit euro-atlantique une contribution ingalable.

Le CPEA est n presque par accident. Il a succd au Conseil de coopration nord-atlantique (CCNA), cr en 1991 pour faire entrer dans la famille OTAN au sens large — dans le cadre de "relations institutionnelles de consultation et de coopration sur des questions politiques et de scurit" — les Etats qui taient sortis du naufrage du Pacte de Varsovie et de l'Union sovitique. Cependant, il est apparu, dans la suite de la dcennie, que le CCNA avait quelque chose d'anachronique, dans la mesure o il reposait plus sur ce qu'avaient t ses membres n'appartenant pas l'Alliance que sur des aspirations pour l'avenir. Par ailleurs, il n'incluait pas officiellement la plupart des Etats ns du dmembrement de la Yougoslavie, ni les pays europens neutres et non aligns.

Il tait donc logique de refondre le CCNA pour repartir sur des bases nouvelles et permettre aux Etats qui n'taient ni d'anciens pays communistes ni d'anciens pays du Pacte de Varsovie d'en devenir membres part entire. Cette dmarche fut initie dans un discours prononc par Warren Christopher, alors Secrtaire d'Etat des Etats-Unis, Stuttgart, le 6 septembre 1996. Cette date marquait le 50e anniversaire d'une allocution historique de l'un de ses prdcesseurs, James Byrnes, et avait t appele le "discours de l'espoir" de par sa vision de l'Europe et de l'engagement des Etats-Unis aprs la Seconde guerre mondiale. Warren Christopher avait opt pour le thme d'une Nouvelle communaut atlantique et voulait une ide accrocheuse, que le Dpartement d'Etat s'empressa de lui fournir: transformer le CCNA en quelque chose de nouveau et l'appeler Conseil de partenariat atlantique. Les dtails furent laisss pour plus tard.

Alors que la nouvelle institution commenait prendre forme, le prfixe "euro-" fut ajout au nom propos. Les membres du CCNA et les autres pays europens qui appartenaient au Partenariat pour la paix furent invits participer, et des sondages furent raliss au sein de l'Alliance sur la question de savoir ce que devrait tre le CPEA et ce qu'il devrait accomplir. Les rsultats firent l'objet d'un accord lors de la fondation officielle du CPEA, la dernire runion du CCNA, tenue Sintra, au Portugal, le 30 mai 1997. Le CPEA centrerait son action sur des problmes tels que la gestion des crises, la matrise des armements, le terrorisme international, la planification de la dfense, l'tat de prparation aux situations d'urgence du domaine civil et aux catastrophes, la coopration en matire d'armements et les oprations de soutien de la paix. Et l'OTAN dclara que le CPEA allait fournir "le cadre permettant d'offrir aux pays partenaires, chaque fois qu'on le pourra, des possibilits accrues de prise de dcisions sur les activits auxquelles ils participent". On s'est toujours interrog sur le sens exact de "chaque fois qu'on le pourra".

C'taient l des objectifs ambitieux, et, ds sa cration, le CPEA dcida d'institutionnaliser toute une gamme de runions visant en assurer la ralisation. Il s'agissait de runions mensuelles des ambassadeurs, de runions semestrielles des ministres des affaires trangres et de la dfense et de runions occasionnelles des Chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi que de runions " 16 (aujourd'hui 19) + 1" des Allis et de chacun des Partenaires. Depuis lors, le CPEA s'est efforc de marquer de son empreinte toute une srie d'activits allant de la recherche des moyens de contribuer la matrise des armes lgres et de petit calibre l'organisation d'exercices concernant les plans civils d'urgence avec le Centre euro-atlantique de coordination des ractions en cas de catastrophe.

Le CPEA pourrait videmment faire beaucoup plus. Cependant, il n'a toujours pas le pouvoir de prendre des dcisions. Ce pouvoir est jalousement gard par le Conseil de l'Atlantique Nord, en grande partie parce que les Allis ont des obligations et des responsabilits spciales en vertu du Trait de Washington, la charte fondatrice de l'OTAN, et assument l'essentiel de l'organisation et du financement des activits du CPEA. Pourtant, en 1999, les Allis ont commenc faire participer les membres du CPEA l'tude de la faon dont les pays partenaires prendraient part aux "oprations ne relevant pas de l'Article 5", c'est--dire aux oprations qui ne sont pas lies la dfense collective. Le but tait de faire participer les pays partenaires, dans certaines limites, aux consultations politiques et aux prises de dcisions, la planification oprationnelle et aux dispositions de commandement ayant trait aux futures oprations diriges par l'OTAN auxquelles ils prendraient part.

Etant donn l'importance grandissante du Partenariat pour la paix, une telle dmarche tait tout fait logique. Parmi les nouveaux dveloppements figuraient l'tude de questions intressant les pays partenaires dans le cadre de l'Initiative de l'OTAN sur les capacits de dfense, la cration d'un Processus de planification et d'examen largi et adapt — en partie afin d'amliorer l'interoprabilit des forces et les capacits — ainsi que des consultations sur les crises et d'autres questions politiques et lies la scurit. Le Plan d'action du CPEA pour 2000-2002 couvre aussi les consultations et la coopration concernant les affaires rgionales, s'agissant notamment de l'Europe du sud-est et du Caucase, ainsi que les questions lies au Pacte de stabilit, initiative de l'UE visant tablir un cadre international global destin favoriser la construction d'une stabilit long terme dans l'Europe du sud-est.

Malgr les progrs ainsi accomplis, on n'a pas encore exploit toutes les possibilits offertes par le CPEA. Or, il existe deux raisons de l'aider tirer pleinement parti de ses potentialits. Premirement, quel que soit le nombre des pays qui seront invits se joindre l'Alliance au Sommet de Prague de l'anne prochaine, certains des candidats vont rester sur le bord de la route. Il est essentiel que le CPEA donne ces pays le net sentiment d'appartenir la famille OTAN au sens large. Deuximement, plusieurs pays du CPEA, notamment dans le Caucase et en Asie centrale, n'ont gure de chances de rejoindre un jour l'OTAN. Le CPEA pourrait nanmoins les aider aussi se sentir plus en scurit et en confiance.

Donner au CPEA de vritables pouvoirs de prise de dcisions, au-del de la capacit d'aider l'laboration des dcisions du Conseil de l'Atlantique Nord, n'est pas actuellement au programme de l'Alliance. Cependant, mesure que les Partenaires montreront qu'ils sont capables d'assumer des responsabilits supplmentaires, cette question devrait faire l'objet d'un rexamen. Il est certain qu'intgrer davantage les activits des Partenaires dans celles de l'Alliance devrait tre le prochain objectif immdiat. A cet gard, on peut d'ores et dj distinguer plusieurs possibilits.

Gestion des crises: pour le moment, la plupart des consultations tenues l'OTAN en cas de crise le sont essentiellement au Conseil de l'Atlantique Nord. Or, mme dans ce cas, l'Alliance se trouve handicape par le fait qu'il lui manque la comptence d'un gouvernement souverain. Le rle jou par l'OTAN pour contribuer la gestion des crises — comme celle de l'ex- Rpublique yougoslave de Macdoine (2) — est en grande partie limit des tches spcifiques que les Etats membres confient au Secrtaire gnral. En Bosnie-Herzgovine (Bosnie) et au Kosovo, par exemple, l'OTAN a t appele mener des actions militaires sans avoir particip directement aux dmarches diplomatiques qui avaient prcd son intervention. On ne peut attendre du CPEA qu'il acquire une comptence que le Conseil de l'Atlantique Nord lui-mme ne possde pas, mais on ne saurait oublier que certains de ses membres ont une grande exprience, et sont proches, des zones qui posent le plus de problmes l'OTAN, en particulier dans les Balkans. Le CPEA devrait donc devenir un cadre de premire importance pour ce qui est de trouver aux crises des solutions viables, au lieu de rester simplement une instance informer des rsultats des dlibrations du Conseil de l'Atlantique Nord.

Les Balkans: le CPEA se montre dj actif dans l'Europe du sud-est, et notamment dans une grande partie de l'ex- Yougoslavie, qui reprsente un dfi particulier pour la communaut internationale. Lors du Sommet que l'Alliance a tenu charg, sous les auspices du CPEA, de promouvoir la coopration rgionale. Au cours d'une runion du CPEA au niveau des ambassadeurs qui s'est droule en juillet 2000, la Bulgarie a annonc la cration du Groupe directeur sur la coopration en matire de scurit en Europe du sud-est (SEEGROUP), dans le cadre duquel tous les pays de la rgion peuvent se runir pour changer des informations et des points de vue sur les projets et les initiatives visant stimuler et appuyer la coopration pratique entre les membres. Depuis le changement de gouvernement intervenu Zagreb au dbut de l'anne 2000, la Croatie a commenc se rapprocher de l'Alliance. Dans un premier temps, elle a, au mois de mai de la mme anne, adhr la fois au CPEA et au Partenariat pour la paix, et elle participe aujourd'hui activement au SEEGROUP. Alors que le nouveau gouvernement dmocratique de Belgrade s'ouvre l'OTAN, le CPEA devrait jouer un rle de premier plan s'agissant d'aider l'volution de la Rpublique fdrale de Yougoslavie et sa rintgration dans la communaut internationale.

A mesure que l'OTAN continuera d'admettre de nouveaux membres, et le CPEA et le Partenariat pour la paix prendront naturellement un caractre diffrent, et aussi des orientations diffrentes

Gestion des diffrends et des conflits "hors zone": beaucoup d'autres rgions prsentant des sujets de proccupation pour les Allis incluent ou jouxtent des Etats membres du CPEA. Jusqu'ici, ce dernier n'a gure eu l'occasion de chercher jouer un rle de mdiateur en vue d'attnuer ou d'liminer les tensions et les conflits entre ses membres dans le Caucase et en Asie centrale. Cependant, l'Alliance et, en particulier, le CPEA ne devraient pas reculer devant cette possibilit, ni admettre l'ide qu'il faut ncessairement, dans ce domaine, recourir en priorit des accords ad hoc ou quelque autre instance (telle que l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe). Le leadership sera important, de mme que la prise de conscience par les intresss du fait que le CPEA peut offrir une valeur ajoute en tant que grande institution de scurit europenne, ne de l'OTAN, qui peut tre saisie des diffrends et des crises caractre rgional de faon lgitime et productive. Seule l'exprience permettra d'atteindre cet objectif, aprs que le CPEA aura choisi de s'occuper d'une ou de plusieurs de ces situations et aura tabli un prcdent positif l'appui de son rle potentiel.

Faire participer la Russie: dans certains cas, la cration d'un tel rle de gestion des diffrends et des conflits pour le CPEA, entre ses propres membres, sera plus facile et plus productive — par exemple s'agissant de soutenir ou mme de remplacer le Groupe de Minsk sur le Haut-Karabakh, rgion que se disputent l'Armnie et l'Azerbadjan — si l'on peut convaincre la Russie de jouer un plus grand rle. Dans la priode qui va prcder le Sommet de Prague, o des Etats d'Europe centrale pourront tre invits se joindre l'OTAN, l'Alliance devra en tout cas faire des ouvertures Moscou pour lui montrer que l'OTAN ne reprsente pas pour la Russie un dfi stratgique ou politique et ne cherche pas l'isoler. Jusqu'ici, la Russie a choisi de jouer un rle relativement passif au sein du CPEA et du Partenariat pour la paix, et elle a t peu dispose tirer pleinement parti des possibilits du Conseil conjoint permanent, cadre des consultations et de la coopration OTAN-Russie. L'OTAN s'efforce dj de convaincre la Russie qu'elle a toute sa place dans un concept largi de la scurit europenne et que ses intrts fondamentaux en Europe sont compatibles avec ceux de l'OTAN. En fait, s'il tait possible de donner corps aux penses du prsident Vladimir Poutine concernant une future entre de la Russie dans l'OTAN, moins pour l'ide en elle-mme que pour les opportunits plus larges qu'elle offrirait, le CPEA pourrait devenir pour Moscou un prcieux moyen de cooprer avec l'OTAN. Il pourrait ainsi complter le Conseil conjoint permanent, la Russie tant alors mieux place qu'aujourd'hui pour faire entrer dans le jeu d'autres pays du CPEA sans qu'ils craignent de la voir exercer une influence excessive sur leurs choix stratgiques et politiques. Le CPEA pourrait ds lors devenir un mcanisme permettant plus facilement la Russie d'accepter un largissement de l'OTAN des pays proches de ses frontires.

Le CPEA, la PESD et les relations UE-OTAN: l'OTAN a tabli des relations avec l'Union europenne alors que cette institution se dote d'une Politique europenne en matire de scurit et de dfense (PESD). Ce processus est loin d'avoir abouti, et, selon moi, l'harmonie lui fait cruellement dfaut. L'un des moyens de chercher surmonter les divergences est de mettre en concordance les instances des deux organisations, notamment par des runions conjointes du Conseil de l'Atlantique Nord et du nouveau Comit de l'Union europenne pour les affaires politiques et de scurit (PSC) aux niveaux des ambassadeurs et des ministres. Etant donn que l'Union europenne comme l'OTAN admettent de nouveaux membres d'Europe centrale et sont par ailleurs trs directement intresses par cette rgion, que toutes deux sont engages dans les Balkans, que toutes deux ont tabli des relations spciales avec la Russie et l'Ukraine, et que toutes deux font porter une partie de leurs activits sur le Caucase et l'Asie centrale, ces runions conjointes devraient aussi inclure des consultations parallles entre le CPEA et le PSC. Cela pourrait galement amener la Politique trangre et de scurit commune de l'Union europenne se tourner davantage vers l'extrieur. Quoi qu'il en soit, l'Union europenne et l'OTAN ont des programmes largement analogues, mme si elles abordent la plupart des questions non lies la dfense sous des angles diffrents. Dans l'action mene pour faire tomber les barrires artificielles qui existent depuis si longtemps entre ces deux institutions, le CPEA pourrait jouer un rle particulirement utile.

Enfin, il importe de se rappeler qu' mesure que l'OTAN continuera d'admettre de nouveaux membres, et le CPEA et le Partenariat pour la paix prendront naturellement un caractre diffrent, et aussi, certains gards, des orientations diffrentes. Avec la poursuite de l'largissement de l'OTAN, le rapport numrique entre Partenaires et Allis au CPEA voluera progressivement en faveur de ces derniers. La composition "hors Alliance" du CPEA sera de plus en plus domine par des pays situs l'est de la Turquie. Il y a donc tout lieu de centrer l'action du CPEA sur le rglement des diffrends et des conflits, ainsi que sur la coordination avec l'Union europenne et d'autres institutions, afin d'aider les pays du Caucase et de l'Asie centrale dans leur dveloppement politique et conomique, de mme que dans la rforme de leurs forces armes.

Pour ce qui est de l'avenir, la vision d'une "Europe entire et libre" ne pourra se concrtiser que si l'on donne la "scurit" son sens le plus large. Le CPEA a beaucoup offrir cet gard et pourrait devenir un prcieux instrument politique et de scurit avec des attributions dpassant largement son mandat initial.


  1. Robert E. Hunter est Conseiller principal la RAND Corporation et a t Ambassadeur des Etats-Unis auprs de l'OTAN de 1993 1998.
  2. La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel