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Mise à jour : 29 mai 2001 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 49 - No. 1 Printemps 2001
p. 30-33

Chronique Littéraire

Comprendre l'OTAN


Deux réussites et un échec
( © NATO)

Michael Rhle (1) passe en revue certains des meilleurs et des pires ouvrages rcemment consacrs l'Alliance.

Rdiger une monographie sur l'Alliance atlantique de l'aprs-Guerre froide tient de la gageure. Il s'agit en effet d'immobiliser une cible mouvante. Cependant, par rapport aux volumes dits, qui ne sont souvent qu'un rapide assemblage de documents de confrence de longueur et de qualit ingales, les monographies devraient au moins offrir les avantages de la cohrence et de la clart. Comme elles n'ont qu'un seul et unique auteur, la sauce ne devrait pas tre gte par le trop grand nombre de cuisiniers.


(Page de couverture)

Mais que se passe-t-il si le cuisinier n'a pas de recette? Tel est le cas de la monographie de Peter Duignan, boursier de l'Institution Hoover de Stanford, en Californie. Son ouvrage intitulé NATO: Its Past, Present, and Future (Hoover Institution Press, 2000) rappelle la célèbre phrase d'Ambrose Bierce, "Il y a trop loin de la dernière page de ce livre à la première". En fait, dans l'ouvrage de 150 pages de Duignan, il y a environ 150 pages de trop. Dès la page 9, nous apprenons que les objectifs de forces de l'OTAN, dont il est bien connu qu'ils ont été arrêtés à Lisbonne en 1952, l'auraient été à Boston. Nous apprenons aussi (page 61) que les puissances de l'OTAN se sont mises d'accord sur un élargissement en 1998, soit un an après le Sommet de Madrid de 1997. La "capitulation de Yalta" aurait eu lieu, non pas en 1945, mais en 1946 (page 71). A la page 78, une carte indique que l'OTAN fut créée en 1946, soit trois ans avant sa vraie date de naissance, et nous apprenons encore que la Slovénie, la Roumanie et l'Autriche seront probablement les prochains nouveaux membres de l'Alliance dans une prétendue "tranche 2003" (pages 115 et 118).

Lorsqu'il évoque l'adaptation de l'OTAN au lendemain de la Guerre froide, Duignan montre un manque de connaissances affligeant. Par exemple, s'appuyant sur des sources qui remontent à 1990 (!), il estime que l'UEO est appelée à jouer un plus grand rôle en matière de sécurité européenne — dans une sorte d'ignorance béate du fait que l'UEO a pratiquement été dissoute. Il paraît également croire que l'IESD est une institution, et non pas une politique. Il formule ainsi, pour les orientations futures, des propositions qui lui semblent s'imposer: "l'UEO devrait donc être encouragée à assumer une plus grande partie des responsabilités de l'OTAN et à travailler avec l'IESD à l'établissement d'un système de défense européen appuyé par l'OTAN. Il faut que l'UEO, "l'Euroforce" franco-britannique, l'OSCE et l'IESD se chargent de la plupart des fonctions que l'OTAN exerce en Europe dans le domaine du maintien de la paix et du règlement des conflits. Les activités extérieures à l'Europe devraient aussi être partagées si l'UE souhaite y participer" (page 119).

Cette déformation des réalités se poursuit sur toute la gamme des activités de l'OTAN. Sans doute ne peut-on en vouloir à l'auteur de ne pas savoir exactement ce qu'est le concept OTAN des Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM). Cependant, confondre les GFIM avec le Programme (mondial) d'aide militaire des Etats-Unis n'est guère pardonnable. Cela est également vrai de la transformation du Conseil conjoint permanent OTAN-Russie en "Forum OTAN-Russie", ou de l'affirmation selon laquelle les Soviétiques dissimulaient des missiles nucléaires à portée intermédiaire SS-20 en Allemagne de l'Est. Quant à son analyse de l'engagement de l'OTAN dans les Balkans, elle n'est guère plus brillante: Ibrahim Rugova, figure emblématique par excellence d'un acheminement pacifique du Kosovo vers l'indépendance, serait sûrement étonné d'apprendre qu'il était favorable à une autonomie du Kosovo au sein de la Yougoslavie.

Dans son tissu d'erreurs, Duignan montre au moins une certaine cohérence. Dans ses jugements politiques, en revanche, la cohérence disparaît totalement. Alors qu'il prend à partie les détracteurs de l'élargissement de l'OTAN en faisant valoir le bien-fondé de cet élargissement, il change d'avis dans la suite de son ouvrage, en avertissant le lecteur que "diluer" l'OTAN par l'admission de nouveaux membres pourrait compromettre son processus de prise de décisions (page 115). Dans la même veine, il soutient que la célèbre idée de Lord Ismay selon laquelle l'OTAN était un moyen d'"empêcher les Allemands de relever la tête" reste valable de nos jours, et pourtant, il change encore d'avis plus loin, en prétendant que "la direction de l'OTAN... devrait passer des Américains aux Européens dès le début du XXIe siècle" et que "l'Allemagne est un choix logique pour succéder aux Etats-Unis" (page 119).

L'effet de ces "montagnes russes" intellectuelles est encore aggravé par l'absence de structure (par exemple, le Comité sur les défis de la société moderne est évoqué sous la rubrique consacrée à l'élargissement de l'OTAN). Nous trouvons à la place des volte-face narratives entre le passé et le présent, entre des faits bricolés à partir du Manuel de l'OTAN et de rêveries personnelles, l'ensemble donnant l'impression que l'auteur ne sait pas vraiment ce qu'il veut dire. "Dire" est d'ailleurs le mot juste, car une grande partie de l'ouvrage semble avoir été confiée directement à un dictaphone.

Les œuvres de piètre qualité sont légion, mais il y a ici quelque chose de tragique. Après tout, Duignan est un partisan convaincu de l'Alliance atlantique. Il a manifestement voulu défendre l'engagement des Etats-Unis en Europe, et il est bien triste qu'il ait échoué de façon tellement lamentable dans son plaidoyer pour une si noble cause.


(Page de couverture)

Cependant, on peut aussi faire valoir de façon convaincante que l'OTAN n'a rien perdu de son utilité, comme le montre l'ouvrage de David Yost intitulé NATO transformed (United States Institute of Peace Press, 1998). Bien que publié il y a près de trois ans, c'est-à-dire avant la campagne aérienne du Kosovo, il se situe toujours parmi les meilleures monographies consacrées à cette question. S'appuyant sur des recherches minutieuses, Yost conduit le lecteur à travers toute l'histoire de l'OTAN durant la Guerre froide avant d'analyser l'adaptation de l'Alliance après cette guerre, adaptation marquée par le passage de la seule défense collective à un mélange de défense collective et de sécurité collective.

Yost indique très clairement les points qui lui paraissent avoir un caractère névralgique. Il craint qu'en se lançantdans la sécurité collective, l'OTAN ne risque de compromettre à la fois les capacités et la cohésion nécessaires à sa fonction essentielle de défense collective. D'où son analyse assez longue de l'idée de la sécurité collective et de ses embûches. En fait, étant donné la difficulté de soutenir l'actuel engagement militaire de l'OTAN dans les Balkans, les mises en garde de Yost doivent être prises au sérieux. Les problèmes bien connus de la campagne de l'OTAN au Kosovo donnent sans doute même encore plus de crédibilitéaux avertissements de Yost concernant l'entrée de l'Alliance sur la pente savonneuse d'un élargissement excessif. Mais est-il vraiment si important d'arriver à des concepts d'une totale clarté sur le point de savoir ce qu'"est" l'OTAN? Ne devrions-nous pas nous occuper davantage de ce que l'OTAN "fait" — et fait bien? La défense collective est sans doute un concept moins complexe que la sécurité collective, mais l'OTAN peut-elle réellement se permettre de consacrer son temps à des subtilités alors qu'il y a le feu dans les Balkans? D'ailleurs, Yost reconnaît lui-même que les Alliés n'ont guère d'autre choix que de suivre une double stratégie consistant à répondre aux aspirations en matière de sécurité collective dans la mesure où les possibilités pratiques et la prudence le permettent tout en maintenant leur dispositif et leur doctrine de défense collective. On ne peut donc s'empêcher de soupçonner que sa longue analyse de la sécurité collective a peut-être quelque chose d'assez théorique. Cependant, Yost la présente de façon si parlante et si instructive qu'elle vaut amplement la peine d'être lue. Ceux que ne rebutera pas le volume de 430 pages en apprendront plus sur l'OTAN d'aujourd'hui que dans tout autre ouvrage consacré au même sujet.


(Page de couverture)

L'une des victimes de la campagne de l'OTAN au Kosovo a été le 50e anniversaire de l'Alliance. La tragédie qu'ont vécue les Balkans au printemps 1999 n'a guère laissé le temps de réfléchir au premier demi-siècle de l'OTAN. Le fait que l'Alliance l'ait finalement emporté au Kosovo justifiait certainement l'annulation de tel ou tel événement commémoratif. Pour ceux qui, néanmoins, s'intéressent à l'histoire de l'OTAN, l'ouvrage de Lawrence S. Kaplan intitulé The Long Entanglement: NATO's First Fifty Years (Praeger, 1999) sera une véritable mine d'or. Il s'agit, non pas, d'une monographie, mais d'un recueil de 12 essais écrits sur près de deux décennies. L'ensemble reste toutefois d'une grande cohérence, et les quelques chevauchements et répétitions qu'il comporte inévitablement n'ont qu'une importance secondaire.

Kaplan est historien, de sorte que le lecteur ne doit pas s'attendre à trouver dans son ouvrage beaucoup d'analyses du présent ou de l'avenir de l'OTAN. D'ailleurs, chaque fois qu'il traite de problèmes d'actualité, il devient vague et évasif. De plus, comme l'implique le titre, Kaplan centre largement son étude sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pourtant, rien de tout cela ne diminue la valeur du recueil. En vérité, l'attention portée au passé constitue un bon antidote aux "experts" qui croient que le monde a commencé avec la fin de la Guerre froide, en 1989. Kaplan fait aussi mentir ceux qui disent que l'histoire est toujours nécessairement ennuyeuse. Par exemple, son essai intitulé NATO: A Counterfactual History présente des idées qui méritent réflexion sur la voie dans laquelle l'Europe se serait peut-être engagée si l'OTAN n'avait jamais été créée. Même si le lecteur ne suivra sans doute pas Kaplan dans toutes ses extrapolations concernant "ce qui se serait passé si...", ce chapitre est à lui seul aussi intéressant que l'ensemble de l'ouvrage.

Yost et Kaplan ont réalisé des travaux très sérieux sur l'OTAN et les relations transatlantiques. Cependant, leurs ouvrages s'adressent plus aux passionnés de l'OTAN qu'à la moyenne des lecteurs. Le "premier livre" sur l'OTAN reste à écrire. L'étudiant en relations internationales qui cherche une monographie assez courte et facile à lire doit encore attendre.


  1. Michael Rhle est Chef de la Section plans politiques et rdaction de discours de la Division des affaires politiques de l'OTAN.