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Mise à jour : 29 mai 2001 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 49 - No. 1 Printemps 2001
p. 24-27

Opinion

Les grandes esprances


Partenaires dans le maintien de la paix: la coopération OTAN-Russie dans les Balkans a été une expérience particulièrement positive.
( © NATO - 31KO)

Andreï Zagorski (1) évoque le dégel des relations OTAN-Russie et les raisons d'envisager l'avenir avec un mélange d'optimisme et de prudence.

Depuis la reprise du dialogue, au mois de mai de l'année dernière, les relations entre l'OTAN et la Russie se sont régulièrement améliorées. La réalité de sérieux progrès et du développement d'un programme d'activités en coopération a été démontrée aux réunions du Conseil conjoint permanent tenues au siège de l'OTAN en décembre 2000, où les Ministres alliés de la défense et des affaires étrangères ont rencontré leurs homologues russes, le maréchal Igor Sergeïev et M. Igor Ivanov. Cependant, les améliorations récemment enregistrées occultent des différences sous-jacentes entre les perceptions des Alliés et de la Russie concernant l'évolution de l'architecture de sécurité européenne et la nature du partenariat OTAN-Russie. Par ailleurs, les relations de la Russie avec l'Occident se jouant sur de multiples scènes, les perspectives du dialogue OTAN-Russie risquent d'être influencées par des développements extérieurs. C'est pourquoi il pourrait n'exister que des chances limitées de concilier les intérêts de Moscou et ceux de Bruxelles et d'établir un dialogue dynamique sur les questions de sécurité.

Après l'adoption d'un vaste programme de travail lors de la réunion ministérielle du Conseil conjoint permanent tenue à Florence en mai 2000, les relations OTAN-Russie ont connu un assez long processus de réadaptation, qui a été en grande partie mené à bien au début de l'année 2001. Le programme a été étendu à une large gamme de questions d'intérêt mutuel comprenant la coopération et la consultation en cours dans le domaine du maintien de la paix dans les Balkans, les débats en matière de stratégie et de doctrine, et la coopération concernant la maîtrise des armements, la prolifération, l'infrastructure militaire, les questions nucléaires et la défense au niveau des missiles de théâtre, ainsi que la reconversion du personnel militaire rendu à la vie civile et la recherche et le sauvetage en mer.

L'expérience pratique des soldats russes et alliés travaillant ensemble dans les opérations de maintien de la paix dirigées par l'OTAN en Bosnie-Herzégovine (Bosnie) et au Kosovo a été particulièrement positive. Par ailleurs, les officiers russes ont joué un rôle de plus en plus constructif dans la planification des opérations conjointes au Grand quartier général des puissances alliées en Europe. L'ouverture du Bureau d'information de l'OTAN à Moscou en février 2001, après un an de rudes négociations, constitue un autre signe visible de l'amélioration des relations entre l'Alliance et la Russie.

Moscou se montre habituellement peu prolixe dans ses déclarations officielles, mais elle a sensiblement changé d'attitude ces derniers mois. Son Ministre des affaires étrangères, M. Ivanov, connu pour sa réserve, a publiquement constaté que les succès enregistrés sur le plan pratique commencent à avoir des retombées sur d'autres plans et se traduisent par une amélioration des relations OTAN-Russie en général. Le maréchal Sergeïev lui-même a récemment semblé plus optimiste, en particulier lorsqu'il s'est félicité de l'existence d'une coopération plus étroite dans la planification des opérations conjointes. Cela dit, il a aussi averti que les relations n'étaient pas encore pleinement rétablies et qu'il restait à tourner la page du sombre chapitre des relations entre Moscou et Bruxelles marqué par la campagne aérienne de l'OTAN au Kosovo.

Il y a lieu de se montrer à la fois optimiste et prudent. Le programme de travail du Conseil conjoint permanent de 2001 est presque aussi large que celui qui existait à la fin de l'année 1998, période où les relations OTAN-Russie paraissent avoir connu une lune de miel. Cela ne suffit pourtant pas à justifier l'espoir de voir naître un authentique partenariat, car il semble plutôt s'agir de déterminer les points qui seront à l'ordre du jour d'un processus de négociation à venir. La route qui s'ouvre va être difficile. Il faut des mois, voire des années, pour s'entendre sur les choses les plus simples. Les très longues négociations qui ont finalement conduit à l'ouverture du Bureau d'information de l'OTAN et celles qui se poursuivent en vue de l'établissement d'une Mission de liaison militaire de l'OTAN à Moscou montrent qu'il existe toujours entre les deux parties des divergences de vues quant à la façon d'organiser la sécurité européenne. Ces divergences n'ont pas été surmontées dans le rapprochement intervenu depuis la crise du Kosovo. Elles datent en fait d'avant cette crise. On élude ainsi la question de savoir si l'OTAN et la Russie ont bien suffisamment avancé dans le domaine des mesures de confiance, qui a été au centre des activités de ces derniers mois, pour jeter les bases d'un vrai partenariat.

La signature de l'Acte fondateur OTAN-Russie, en 1997, et la création du Conseil conjoint permanent ont été perçues par l'élite russe comme visant à limiter les dégâts dans le contexte de la première vague de l'élargissement de l'Alliance vers l'est. En premier lieu, Moscou cherchait à empêcher un déploiement ultérieur d'armes nucléaires, l'extension de l'infrastructure militaire de l'Alliance et le stationnement de troupes de l'OTAN dans les nouveaux Etats membres d'Europe centrale. Pour leur part, les pays de l'OTAN tendaient à considérer l'Acte fondateur comme entrant dans un marché conclu pour amener la Russie à mieux accepter l'élargissement de l'Alliance.

Pourtant, l'Acte fondateur lui-même était plus ambitieux. Il y était dit que "Le Conseil conjoint permanent offrira un mécanisme de consultation, de coordination et, dans toute la mesure du possible, là où il y aura lieu, de décision conjointe et d'action conjointe sur les questions de sécurité d'intérêt commun". On y lit ensuite que "L'OTAN et la Russie ont pour objectif commun d'identifier et d'exploiter le maximum de possibilités d'action conjointe". Malheureusement, le processus de décision conjointe envisagé ne s'est pas concrétisé. Le dialogue n'est pas allé au-delà des consultations régulières, et il a perdu beaucoup de son utilité première après le lancement de la campagne aérienne du Kosovo. Ne voulant pas partager la responsabilité d'une action qu'elle ne pouvait ni approuver ni empêcher, Moscou a préféré quitter tout simplement la partie

La situation s'est clairement améliorée depuis lors. La participation des officiers russes à la planification des opérations conjointes est devenue nettement plus importante ces derniers mois, et l'OTAN consulte plus largement la Russie avant de prendre ses décisions. Moscou n'a aucun droit de veto, mais ses positions et ses préoccupations sont dûment écoutées. Certes, une telle coopération fonctionne pour le moment, mais qu'en adviendrait-il si des questions plus controversées étaient en jeu, comme ce fut le cas en mars 1999?

La première visite à Moscou de Lord Robertson en qualité de Secrétaire général de l'OTAN, au mois de février 2000, avait pour but de relancer les relations OTAN-Russie. Lord Robertson et le Président russe Vladimir Poutine sont alors convenus que l'OTAN et la Russie devaient "poursuivre des échanges approfondis sur une vaste gamme de questions de sécurité qui leur permettront de relever les défis qui se poseront à l'avenir et de faire de leur coopération mutuelle une pierre angulaire de la sécurité européenne." Cependant, les deux parties ont encore des conceptions sensiblement différentes de la sécurité européenne, et cette divergence s'est accentuée depuis la crise du Kosovo. De même, si une déclaration commune faite à l'issue de la réunion ministérielle du Conseil conjoint permanent de décembre 2000 salue les progrès accomplis et réaffirme l'engagement de construire, dans le cadre du Conseil conjoint permanent, un partenariat fort, stable et égal, Bruxelles et Moscou ont toujours des points de vue différents quant aux fins d'un tel partenariat.

Les pays membres de l'OTAN voient dans l'Alliance l'élément central et le bras armé le plus efficace de tout système de sécurité européen. Ils demeurent prêts à améliorer la coopération avec la Russie et avec les autres pays partenaires sous des formes permettant de renforcer le rôle unique de l'OTAN en matière de sécurité coopérative. Dans ce contexte, le Conseil conjoint permanent est considéré, ainsi que l'a indiqué Lord Robertson, comme l'un des plus importants arrangements institutionnels apparus après la fin de la Guerre froide.

De son côté, Moscou voudrait voir se créer une architecture de sécurité paneuropéenne assurant une égale protection à tous les pays, et elle s'est toujours employée à promouvoir le rôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le nouveau Concept de politique étrangère de la Russie, dont le texte a été signé par le président Poutine le 28 juin 2000, souligne la nécessité d'améliorer et d'approfondir la coopération avec l'Alliance et reconnaît l'importance du rôle que l'OTAN joue dans la sécurité européenne. Mais les termes en sont aussi inhabituellement explicites s'agissant des problèmes que l'OTAN pose à Moscou: "Les positions actuelles de l'OTAN aux plans politique et militaire ne coïncident pas avec les intérêts de la Fédération de Russie en matière de sécurité, et leur sont même contraires dans certains cas." Il y a là, pour l'essentiel, une allusion aux dispositions du Concept stratégique de l'OTAN de 1999, qui n'excluent pas des opérations "hors zone" coercitives sans mandat explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies, et à l'éventualité d'une deuxième vague d'élargissement de l'OTAN, surtout si des parties de l'ex-Union soviétique sont en cause.

La Russie souhaite donc considérer l'Alliance, non pas comme l'élément central du dialogue sur la sécurité européenne, mais comme l'un des divers partenaires devant intervenir dans un tel dialogue. Le Conseil conjoint permanent offre un cadre dans lequel les positions de la Russie concernant les problèmes de sécurité peuvent être exprimées, mais il ne donne pas à Moscou le pouvoir d'exercer une influence directe sur les événements. C'est pourquoi le Ministre russe des affaires étrangères, M. Ivanov, même s'il a salué les progrès récemment enregistrés dans la coopération, a dit que le rôle du dialogue mené au Conseil conjoint permanent se limitait à celui d'"un important moyen d'échanger des informations et d'étudier certains problèmes".

Ces divergences de perspectives font que la Russie et l'Alliance ont, pour le dialogue OTAN-Russie, des objectifs différents. L'année dernière, Moscou a privilégié les échanges de vues sur des questions telles que les doctrines militaires, le développement de l'infrastructure militaire, la défense au niveau des missiles de théâtre et la coopération scientifique et technologique. Pour sa part, l'Alliance a mis l'accent sur l'importance d'une coopération pratique dans des secteurs comme celui de la réforme militaire et s'est efforcée d'inciter la Russie à prendre davantage part aux activités du Partenariat pour la paix. Ces objectifs ne sont cependant pas inconciliables: le programme de travail du Conseil conjoint permanent de 2001 couvre tous les domaines ainsi envisagés, ainsi qu'un certain nombre d'autres. Toutefois, si les divergences sous-jacentes ne sont pas surmontées, il sera plus problématique d'arriver à des progrès substantiels pour ce qui est des questions les moins faciles à régler.

Les divergences de perspectives font que la Russie et l'Alliance ont, pour le dialogue OTAN-Russie, des objectifs différents

En attendant, il reste possible d'avancer dans les domaines où il est plus aisé de s'entendre. En plus de la fructueuse coopération qui s'est établie sur le terrain entre les éléments de la KFOR et de la SFOR au Kosovo et en Bosnie (même si le bien-fondé en est contesté en Russie chaque fois que les choses semblent aller mal dans les Balkans), on peut constater d'autres succès dans des domaines tels que la recherche et le sauvetage en mer et la reconversion des officiers dégagés des cadres. Il convient cependant de ne pas sous-estimer l'importance des formes plus modestes de collaboration pratique, ni celle de l'ouverture d'un Bureau d'information de l'OTAN ou de la démarche visant à établir une Mission de liaison militaire de l'OTAN à Moscou. S'il devient un jour réalisable, un partenariat authentique ne pourra être que le fruit de tels projets.

Pourtant, comme l'a montré le passé récent, les fluctuations que connaissent les relations OTAN-Russie peuvent se révéler de courte durée et facilement souffrir de tensions résultant de développements survenus hors du cadre du Conseil conjoint permanent. Il est possible que la coopération pratique en termes d'entreprises à participation mixte n'ait pas le temps d'arriver à maturité et d'avoir des retombées positives. Un bref aperçu des principales préoccupations de la Russie permettra de mieux comprendre combien les intérêts de Moscou et ceux de Bruxelles risqueront d'être difficiles à concilier.

La préoccupation fondamentale, que la crise du Kosovo a nettement mise en évidence, porte sur la forme de l'ordre mondial futur et la position que doit y occuper la Russie. Le fait que l'OTAN ait paru défier l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, où la Russie jouit du statut de membre permanent et d'un droit de veto, et qu'il se révèle difficile de donner à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe le caractère d'une organisation de sécurité collective régionale efficace place Moscou devant un choix délicat. Il lui faut, soit accepter une coopération plus étroite avec l'OTAN, soit risquer une nouvelle érosion de son statut de grande puissance, même si ce statut représente l'héritage de l'ancien monde bipolaire et ne peut plus s'appuyer sur un solide potentiel, mis à part son arsenal nucléaire. Les prochaines décisions concernant l'élargissement de l'OTAN et la Défense nationale antimissile (NMD) vont probablement perturber les relations de la Russie à la fois avec l'OTAN et avec les Etats-Unis, étant donné qu'elles seront perçues comme de nouveaux défis pour le statut de la Russie dans l'ordre mondial.

En ce qui concerne l'élargissement, les milieux officiels russes ne cessent de confirmer l'opposition de Moscou, particulièrement quant à une éventuelle adhésion à l'OTAN des Etats baltes. Les considérations militaires sont sans doute moins importantes que le fait qu'une OTAN future ayant des membres dans presque toute l'Europe et des liens étendus jusqu'au Caucase et à l'Asie centrale dans le cadre du Partenariat pour la paix compromettrait les chances de toute autre institution de jouer un rôle accru en matière de sécurité au niveau paneuropéen. Moscou n'aurait alors pratiquement plus d'autre choix qu'une coopération plus étroite avec l'OTAN.

Quant à la défense antimissile, la Russie redoute de voir son statut de puissance nucléaire mondiale menacé si les Etats-Unis ne voulaient ou ne pouvaient pas trouver un compromis sur les modalités de leur projet de NMD et sur l'avenir du Traité ABM. Ces préoccupations sont avivées par le fait qu'elle s'attend à ce que, sous l'Administration Bush, la politique étrangère des Etats-Unis devienne de plus en plus unilatérale. Moscou craint que cela n'amoindrisse le rôle des Nations Unies et n'ait aussi des incidences négatives sur la coopération des Etats-Unis avec la Russie, ce qui risquerait de limiter ses possibilités de négociation dans le cadre du dialogue OTAN-Russie.

Jusqu'ici, Moscou semble adopter une approche plus unilatérale et se montrer déterminée à préserver sa liberté de choix et d'action. En même temps, elle marque sa volonté de poursuivre une coopération ad hoc à la fois avec l'OTAN et avec les Etats-Unis dans les domaines où il n'existe pas de conflit d'intérêts, tout en mettant constamment l'accent sur la suprématie des Nations Unies et le respect du droit international. Si la Russie devait se révéler incapable de s'opposer activement aux développements dont elle estime qu'ils porteraient atteinte à son statut de grande puissance, il est probable qu'elle aurait davantage tendance à se retirer sous sa tente en politique internationale.

On peut penser que les décisions clés concernant l'élargissement et la NMD qui pourraient avoir une incidence majeure sur les relations OTAN-Russie seront prises dans un avenir assez proche. Cela laisse peu de temps au développement des "échanges approfondis" convenus entre le président Vladimir Poutine et Lord Robertson. Les deux parties ont depuis longtemps l'habitude de s'affronter dans d'âpres négociations. Si aucun résultat n'est obtenu à brève échéance, et si aucun progrès n'est réalisé dans l'élimination des divergences fondamentales, le dialogue entre Moscou et Bruxelles risque de stagner, et l'orientation future des relations OTAN-Russie pourrait être le jouet de développements extérieurs.

  1. Andre Zagorski est le Directeur du "Networking Early Warning Systems Project" de l'"EastWest Institute" de Prague, et ses crits sur la Russie et les problmes de scurit font l'objet d'une large diffusion.