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Mise à jour: 07-Nov-2000 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 48 - No. 2
Eté - Automne
2000
p. 16-19
 
 

Commander la KFOR

Le gnral Klaus Reinhardt voque la contribution de la KFOR au processus de paix au Kosovo et met en vidence les difficults auxquelles il faut encore sattendre.

Le gnral Klaus Reinhardt a t le deuxime commandant de la KFOR, doctobre 1999 avril 2000.


Une main secourable: au Kosovo, outre leur tche de maintien de la paix, les soldats de la KFOR aident reconstruire une socit en ruines.
(Nick Sidle Allied Mouse and Heartstone photo - 35Kb)

Lorsque les soldats de la paix dirigs par lOTAN sont entrs au Kosovo, en juin 1999, on craignait que des dizaines de milliers dAlbanais neussent t tus, et plus dun million de personnes avaient t chasses de chez elles ou avaient fui pour survivre. La capitale, Pristina, tait une ville fantme o tous les magasins taient ferms et o lon ne voyait dans les rues que quelques rares voitures. Les frontires extrieures et intrieures du Kosovo ntaient pas contrles, et il ny avait ni structures civiles, ni activit conomique, ni services administratifs, ni ordre public.

Aujourdhui, la plupart des Kosovars ont regagn leurs foyers. Les rues de Pristina sont pleines dautobus et de voitures et frquentes par une foule de gens qui sy sentent en scurit. Bars, restaurants et magasins ont rouvert. On voit un march florissant et de trs nombreuses choppes. Les gens sont bien habills et personne na lair affam. Les kiosques journaux sont garnis de quotidiens et hebdomadaires locaux non censurs, ainsi que de publications internationales. Les stations de radio sont libres de diffuser ce que les gens veulent entendre. Les Kosovars sont nombreux jouir de liberts qui leur taient refuses depuis des annes.

La Force du Kosovo (KFOR) a largement contribu aux progrs raliss dans bien des secteurs de la vie quotidienne de la province. Ayant reu pour principal mandat des Nations Unies de prvenir une reprise des hostilits, de scuriser la province et dassurer la scurit publique, la KFOR a galement t charge dapporter un soutien aux organismes civils de premier plan dans les domaines de laide humanitaire et de la reconstruction, ainsi que dans celui du rtablissement de la socit civile du Kosovo.

Un accord militaro-technique (MTA) a t ngoci au dbut du mois de juin avec les autorits militaires yougo-slaves afin dobtenir le retrait de leurs forces, et la KFOR en a supervis la mise en œvre. Jusquici, larme (VJ) et la police du Ministre de lintrieur (MUP) yougoslaves ne font planer aucune menace immdiate sur le Kosovo. Les troupes de la KFOR, comportant des contingents de 20 pays non OTAN, dont la Russie, sont tout fait capables de les empcher de rentrer au Kosovo par la force. De frquents exercices aident maintenir leur tat de prparation toute une srie de circonstances.

La KFOR a russi faire entrer en application lengagement concernant la dmilitarisation de lArme de libration du Kosovo et sa transformation en Corps de protection du Kosovo (KPC), organisme civil pour les situations durgence plac sous le contrle de lAdministration intrimaire des Nations Unies. Ses 5 000 membres ont fait serment dobir aux instructions des autorits lgales, de respecter les droits de lhomme et daccomplir toutes leurs missions sans aucun prjug ethnique, religieux ou racial. Le Corps de protection doit tre multiethnique, et il compte prsent des Bosniaques, des Rom et des Turcs, mais pas encore de Serbes.

Cest la premire fois quune force de gurilla a t dissoute et dsarme de cette faon. La KFOR reste pourtant attentive au risque dune reprise dhostilits, en suivant dun oeil particulirement vigilant la dangereuse situation quest en train de crer le mouvement rebelle albanais de lArme de libration de Presevo, Bujanovac et Medvedja dans le sud de la Serbie.


Examen mdical: la KFOR assure lessentiel des soins de sant, dont plus de 1 000 consultations par jour..
(Photo Nick Sidle Allied Mouse and Heartstone - 28Kb)

Lautre responsabilit majeure de la KFOR consiste crer un environnement sr dans lequel toutes les communauts du Kosovo - les minorits serbe, bosniaque, rom et turque, ainsi que les Albanais puissent retrouver une vie normale. Lune des priorits a t donne au dminage, les mines constituant un danger pour les hommes, les femmes et les enfants de toutes origines ethniques. Les artificiers ont dbarrass des mines et autres engins explosifs 1 700 kilomtres de routes, plus de 1 200 coles et 16 000 maisons ou btiments publics.

Cependant, le principal dfi a t de contenir les tensions eth-niques et de sattaquer la criminalit. Chaque jour, deux tiers des soldats de la KFOR effectuent de 500 750 patrouilles, montent la garde sur plus de 550 emplacements cls et oprent plus de 200 points de contrle des vhicules. Au cours de lanne dernire, le nombre des actes criminels graves, tels que les pillages, les enlvements et les incendies volontaires, a baiss de faon spectaculaire, et celui des meurtres est tomb dune cinquantaine dactes de vengeance par semaine une moyenne de cinq - chiffre infrieur celui que lon enregistre dans beaucoup de capitales occidentales.

A Mitrovica, point chaud des tensions ethniques, la KFOR compte jusqu 11 compagnies charges de la scurit des diffrentes communauts. Des zones de confiance ont t cres sur les deux rives de lIbar afin de rduire les tensions et dencourager les familles dplaces rentrer chez elles. A Mitrovica, comme dans lensemble du Kosovo, le problme est de convaincre la population quil ny aura pas de partition et quune coexistence pacifique peut sinstaurer entre les deux principales communauts.

La police civile reste toutefois un sujet de proccupation. Les dlits de droit commun et le crime organis fleurissent dans un vide partiel du pouvoir local qui ne sera combl quaprs les lections municipales prvues pour le courant de cette anne. Il est urgent de pouvoir disposer dun plus grand nombre de policiers des Nations Unies et de policiers kosovars, ainsi que de linfrastructure qui leur est ncessaire. En attendant que la communaut internationale fournisse les moyens requis, les soldats de la KFOR doivent combler eux-mmes les lacunes du systme, en accomplissant des tches auxquelles ils ne sont pas forms.

La KFOR a galement jou un important rle de soutien par laide quelle a apporte la communaut internationale dans les actions humanitaires et les efforts de reconstruction. Ds le dpart, dtroites relations de travail ont t tablies entre la KFOR - en particulier son personnel de coopration civilo-militaire - et lquipe des Nations Unies. Un vaste programme a immdiatement t lanc en vue de fournir la population une aide alimentaire, des abris et des installations dhbergement temporaires en prvision de lhiver. Grce ces mesures, personne nest mort de faim ou de froid au Kosovo malgr les rigueurs de lhiver dernier, et le Programme alimentaire mondial, qui avait dabord d assurer le ravitaillement de 900 000 personnes, a pu rduire lampleur de ses oprations, la population devenant plus souvent capable de rpondre elle-mme ses besoins essentiels.

Dans le cadre des activits de reconstruction, les soldats de la KFOR ont construit ou rpar 200 kilomtres de routes, six ponts et plusieurs voies de contournement, ce qui a contribu faire diminuer les embouteillages et faciliter lacheminement de laide humanitaire. Des lments du gnie ont remis en tat le rseau ferroviaire, en effectuant les travaux ncessaires sur 200 kilomtres de voies et en reconstruisant deux ponts. A Pristina, laroport a galement t remis en tat et rouvert laviation civile.

Pour prendre le cas dun seul secteur, la KFOR a travaill avec la population locale la construction de 1 600 maisons, fourni des abris 17 000 personnes, contribu au rtablissement des commodits de base telles que llectricit, leau, le chauffage et les systmes de communication, et aid assurer les soins mdicaux essentiels, avec une moyenne quotidienne de plus de 1 000 consultations, ainsi que les hospitalisations durgence, les programmes dimmunisation et les services de transport en ambulance et dvacuation par voie arienne.

Ltroite coopration qui sest instaure entre la KFOR et lAdministration intrimaire des Nations Unies a jou un rle essentiel dans le rtablissement de nombreux aspects de la vie quotidienne au Kosovo et dans la mise en place de structures civiles. Il y a eu, dabord et surtout, la dcision de combler le vide laiss par le retrait des Yougoslaves en matire de gouvernement et dadministration en crant des structures administratives intrimaires communes ouvertes tous les groupes ethniques. Comme dans le cas de tant dinitiatives lances au Kosovo, la difficult a tenu au fait que les dirigeants serbes se sont, au dpart, montrs peu disposs participer au fonctionnement de ces structures. On peut cependant nourrir certains espoirs aprs la dcision courageuse prise par le Conseil national des Serbes, au mois davril, denvoyer des observateurs au Conseil administratif intrimaire et au Conseil transitoire du Kosovo.

Luniversit de Pristina a rouvert ses portes, et la plupart des lves des enseignements primaire et secondaire ont repris le chemin de lcole. La KFOR a aid reconstruire des btiments, et elle escorte professeurs et coliers dans les zones o les tensions ethniques demeurent vives. Au niveau des mdias et des tlcommunications, les projets locaux ont t facilits par le transport arien de matriel, lrection dantennes et la reconstruction des principaux emplacements dmission et de relais. LOrganisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE), qui est charge de la dmocratisation des mdias, reoit une aide lui permettant dtablir une base de donnes des metteurs autoriss et dorganiser la gestion des frquences.

Aprs des dbuts lents et hsitants, lappareil judiciaire dispose maintenant des juges et des procureurs dont il a besoin pour le fonctionnement des tribunaux. Ces magistrats se sont montrs la hauteur de leur tche dans les affaires ne comportant pas de fort lment ethnique. Il reste cependant ncessaire de recourir des juges et des procureurs internationaux pour les causes plus complexes, et beaucoup reste faire dans le domaine de la rforme judiciaire.

Laccroissement de la stabilit et de la scurit au Kosovo a permis lesprit dentreprise de la population dexploitations ont t dtruites durant le conflit, ce qui a oblig les agriculteurs aller chercher un emploi en ville.

Parmi les grands projets figure linitiative visant faire revivre le complexe minier et mtallurgique de Trepca, en dclin aprs des annes dabandon et de sous-investissement. Un soutien international a t obtenu pour cette rsurrection, qui pourrait gnrer de nombreux emplois et des revenus dont le Kosovo a grand besoin. La KFOR a largement particip aux phases dvaluation et de planification stratgique du projet, et elle assure quotidiennement la scurit des divers emplacements du complexe, dont beaucoup se trouvent de part et dautre de la ligne de partage des ethnies.

La KFOR a galement fourni des gardes, des hlicoptres de transport et des vhicules descorte blinds pour faciliter la distribution de plus de 80 millions de Deutsche marks (USD 40 millions), au titre dun programme daide financire durgence lanc en dcembre dernier pour faire redmarrer lconomie en labsence de fonctionnement des institutions bancaires. A prsent, on voit apparatre peu peu les lments de base dun secteur financier.

Au cours de lanne dernire, la communaut interna-tionale a permis la ralisation dimportants progrs. Il reste cependant beaucoup faire, et plusieurs problmes pineux vont encore devoir tre rsolus. Mes successeurs vont avoir fort faire pour que puissent tre runies les conditions de scurit qui sont indispensables si lon veut que la dmocratie et la tolrance prennent racine au Kosovo et que lensemble de sa population connaisse la paix et la prosprit.

Il reste claircir la question de savoir ce que sera finalement le statut du Kosovo. Aux termes de la Rsolution 1244 du Conseil de scurit des Nations Unies, le Kosovo sera une province jouissant dune autonomie substantielle au sein de la Rpublique fdrale de Yougoslavie. Mais quentend-on exactement par l ? Pour la trs grande majorit de la communaut albanaise, tout retour de la province sous lautorit de la Serbie serait inacceptable. Mme Ibrahim Rugova, considr comme le plus modr des dirigeants albanais, a clairement dclar: lindpendance est invitable, et jespre tre lu premier Prsident dun Kosovo indpendant. Il faudra convaincre les Albanais quils pourront, quoi quil advienne, vivre en coexistence pacifique avec les Serbes et tous les autres groupes minoritaires dans une province autonome.

Il faudra aussi veiller ce que les lections munici-pales prvues pour cet automne soient libres et quitables, et encourager toutes les communauts y participer - jusquici, les Serbes paraissent dcids les boycotter. LOSCE est en train dorganiser linscription des lecteurs, et la KFOR va aider la police des Nations Unies assurer la scurit des bureaux de vote et des urnes. Il semble malheureusement quil existe dj de premires manœvres visant intimider les lecteurs, qui sont invits choisir entre se rallier tel ou tel parti politique et risquer de perdre leur emploi.

Il y a enfin la question de savoir comment organiser un retour des rfugis progressif, sans prcipitation ni inhumanit, dans des conditions de totale scurit, comme le recommande le Haut Commissaire des Nations Unies pour les rfugis, Mme Sadako Ogata. Les pays htes occidentaux sont nombreux rclamer un rapatriement bref dlai. Cependant, les Albanais vont sans doute moins craindre de rentrer chez eux que les Serbes. Sil se produisait cette anne, un afflux de rapatris pse-rait aussi davantage sur les maigres ressources disponibles dans la province, tout en faisant augmenter le nombre des chmeurs et en plaant la KFOR devant de redoutables dfis en matire de scurit.

La rsolution de la communaut internationale davancer dans cette voie et de fournir les ressources ncessaires va dpendre largement des Kosovars eux-mmes. Le Secrtaire gnral de lOTAN, Lord Robertson, leur a dit trs clairement: Vous tes tous responsables de la construction de votre avenir. LOTAN ne risque pas la vie de ses soldats pour voir leurs efforts emports par le courant dans les eaux de lIbar. Si les assassinats et lpuration ethnique ne sarrtent pas, laide financire des donateurs sarrtera.... Notre intention nest pas de crer simplement un pays uniethnique de plus dans lEurope du sud-est.

Le changement dans la continuit


Passation de pouvoirs: le gnral Klaus Reinhardt ( gauche) serre la main du gnral Juan Ortuo ( droite), en prsence du gnral Wesley Clark, alors SACEUR.
(Photo OTAN - 32Kb)

Aprs six mois de commandement de la KFOR, le gnral Klaus Reinhardt a transmis ses pouvoirs au gnral Juan Ortuo, en avril, ce qui illustre le renforcement du rle de lEurope dans le domaine de la scurit. Le gnral Ortuo, de nationalit espagnole, commande lEurocorps, force europenne o sont reprsents cinq pays.

Issu dune initiative franco-allemande, lEurocorps est aujourdhui compos de soldats belges, luxembourgeois et espagnols, ainsi que de militaires franais et allemands. Jusquau mois doctobre, le quartier gnral de lEurocorps constituera le noyau de celui de la KFOR, avec lappoint de personnels envoys par dautres pays contribuant cette Force.

Les relations entre lEurocorps et lOTAN reposent sur un accord conclu en 1993 entre les Chefs dtat-major de la dfense franais et allemand et le Commandant suprme des forces allies en Europe (SACEUR). Cet accord stipule que lEurocorps sadaptera aux structures et procdures de lOTAN, ce qui permettra une rapide intgration dans lOTAN en cas de conflit.

En vertu du systme de rotation semestrielle de son commandement, la KFOR a dabord t dploye sous le commandement du Corps de raction rapide (ARRC) du Commandement alli en Europe (CAE). A la tte de ce Corps se trouvait le gnral britannique Sir Mike Jackson, qui a, en octobre 1999, transmis ses pouvoirs au gnral Reinhardt, des Forces terrestres allies du Centre Europe (LANDCENT).

Le gnral italien Carlo Cabigiosu, des Forces allies du Sud Europe (AFSOUTH) a t dsign pour prendre le commandement de la KFOR en octobre 2000. Les commandants de la KFOR relvent tous du SACEUR, qui, depuis le mois de mai, est le gnral amricain Joseph Ralston.