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Mise à jour: 30-May-2000 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 48 - No. 1
Printemps/Eté
2000
p. 23-26

La Charte dIstanbul de lOSCE pour la scurit europenne

Professeur Victor-Yves Ghebali
Institut de hautes tudes internationales de Genve

Lors de leur runion au sommet tenue Istanbul en novembre 1999, les dirigeants des 54 Etats participant l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe ont sign la Charte de scurit europenne. Cette charte trouve son origine dans un dbat lanc en mars 1995, en grande partie pour apaiser les proccupations de la Russie concernant l'largissement de l'OTAN vers l'Est sur l'tablissement d'un Modle de scurit commun et global pour l'Europe du XXIe sicle. Au dpart, le dbat tait assez abstrait, et il a vite stagn. Cependant, il a ensuite t relanc, en dcembre 1997, quand les Ministres, runis Copenhague, se sont mis d'accord sur l'laboration de ce nouveau document traitant de la scurit paneuropenne. Victor-Yves Ghebali analyse la porte de la Charte et son intrt pour les relations entre l'OTAN et l'OSCE.

La Charte de scurit europenne de l'OSCE n'est peut-tre pas vraiment rvolutionnaire, mais elle ne doit pas non plus tre considre comme une simple coquille vide. Elle passe en revue les nouveaux risques et dfis pour la scurit sur le continent europen dans l'environnement stratgique de l'aprs-Guerre froide, raffirme certains principes gnraux de base et prvoit le renforcement des capacits oprationnelles de l'OSCE dans les domaines de la prvention des conflits, de la gestion des crises et du relvement aprs un conflit. Enfin, dans la Plate-forme pour la scurit cooprative qui y est annexe, la Charte propose une srie d'arrangements visant le resserrement des liens et de la coopration entre l'OSCE et d'autres institutions internationales, qui avec les directives oprationnelles destines donner l'OSCE plus d'efficacit intressent directement le nouveau rle de l'OTAN en Europe.

Les principaux lments de la Charte

Risques et dfis: Les Etats membres de l'OSCE comptaient d'abord dresser une liste complte des risques et dfis existant pour la scurit en Europe. Ils ont peu peu constat que cela ne serait pas faisable, tant donn la difficult d'tablir une nette distinction entre les menaces externes et internes qui se prsentent dans un environnement de scurit en volution. C'est pourquoi la Charte se limite numrer un certain nombre de risques pour la scurit, dont le terrorisme international, l'extrmisme violent, la criminalit organise, le trafic de drogues, la dissmination des armes de petit calibre et armes lgres, les graves problmes conomiques, la dgradation de l'environnement et l'instabilit dans le bassin mditerranen et en Asie centrale.


Au cours de la crmonie d'ouverture du Sommet de l'OSCE dIstanbul, l'allocution du Secrtaire gnral des Nations Unies, M. Kofi Annan, est prsente sur un cran gant, le 18 novembre 1999.
(Photo Belga - 13Kb)

Elle n'voque pas expressment les droits en matire de scurit des Etats qui ne font pas partie d'une alliance militaire. Elle ne mentionne pas non plus la question du dploiement possible d'armes nuclaires dans des Etats prsent non dots de telles armes. Dans les deux cas, la Charte n'a pas rpondu aux attentes de Moscou. Par ailleurs, elle raffirme sans ambigut le droit naturel de chaque Etat participant de l'OSCE de choisir ses propres arrangements de scurit, y compris les traits d'alliance. A la demande de la Russie, la Charte souligne toutefois que Dans le cadre de l'OSCE, aucun Etat, aucun groupe d'Etats ou aucune organisation ne peut revendiquer une responsabilit premire dans le maintien de la paix et de la stabilit dans l'espace de l'OSCE. Mais on lit ensuite, dans la mme disposition: ni considrer une quelconque partie de cet espace comme relevant de sa sphre d'influence ce qui est une allusion vidente au concept russe de l'tranger proche.

Structures de l'OSCE: Contrairement aux dsirs des Russes, la Charte n'a pas renouvel le mandat du Comit du modle de scurit spcifiquement cr pour l'laboration de la Charte de scurit. Et surtout, elle a exclu d'envisager un remaniement institutionnel, les gouvernements considrant, une crasante majorit, que l'OSCE ne doit pas s'carter de sa souplesse et de son pragmatisme traditionnels. Pour les prises de dcisions de l'OSCE, la rgle du consensus a t maintenue, mais il a t dcid d'amliorer les procdures dcisionnelles du Conseil permanent, qui sont notoirement insatisfaisantes. Ainsi, pour des raisons d'urgence, la consultation n'impliquait les petites Dlgations qu'au tout dernier moment, lorsque les dcisions du Conseil permanent taient sur le point d'tre officiellement adoptes. Un nouvel organisme informel, composition non limite, va maintenant tenir des runions en tant que comit prparatoire du Conseil permanent.

Dimension humaine: Il convient de mentionner ici un dveloppement normatif qui concerne la question des minorits nationales. Au paragraphe 19 de la Charte, les gouvernements des pays de l'OSCE reconnaissent, de faon inattendue, que le respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant une minorit nationale, constitue, non pas seulement une fin en soi, mais aussi une manire de renforcer l'intgrit territoriale et la souverainet des Etats. Ils reconnaissent galement que l'un des moyens de prserver et de promouvoir l'identit ethnique, culturelle, linguistique et religieuse des minorits nationales l'intrieur d'un Etat existant est d'accorder ces minorits une certaine autonomie.

Renforcer les capacits oprationnelles de lOSCE

La Charte considre les capacits oprationnelles de l'OSCE sous quatre angles diffrents: les oprations sur le terrain, les oprations de maintien de la paix, les oprations de police et le concept d'Equipes d'assistance et de coopration rapides (REACT).

Les oprations sur le terrain sont montes cas par cas, et le plus souvent sous la forme de missions long terme. Avec le Haut Commissaire pour les minorits nationales, ce sont l les instruments qui ont permis l'OSCE de se tailler un crneau dans le domaine de la gestion des conflits depuis les annes 90. La Charte prsente la premire liste complte (et non restrictive) des tches prvues pour les oprations sur le terrain: aide et avis d'experts dans tous les secteurs de comptence de l'OSCE; appui technique spcialis la primaut du droit et aux institutions dmocratiques et maintien et rtablis-sement de l'ordre public, bons offices et mdiation dans les situations conflictuelles; surveillance de la mise en œvre des accords de paix, de la conduite des lections et du respect des engagements de l'OSCE; relvement aprs un conflit.

Le maintien de la paix au niveau paneuropen est apparu comme sujet controverse au sein de l'OSCE au dbut des annes 90 et il a gard ce caractre. Les Etats-Unis ont fait valoir que si l'OSCE n'est pas quipe militairement pour le maintien de la paix, elle a un rle politique utile jouer dans le soutien des oprations entreprises par d'autres organisations (c'est--dire l'OTAN). En revanche, la Russie a affirm que les textes existants fournissent une base qui permet l'OSCE de mener des oprations de maintien de la paix si de telles oprations sont pralablement approuves par une rsolution des Nations Unies. Adoptant une position mdiane, l'Union europenne a considr que la question ne devrait pas tre aborde en partant d'une perspective de choix entre ces deux formules opposes.

Le paragraphe 46 laisse toutes les options ouvertes. Il confirme que l'OSCE peut, au cas par cas et par consensus, dcider de jouer un rle dans le maintien de la paix, notamment un rle de premier plan lorsque les Etats participants estiment qu'elle est l'Organisation la plus efficace et la plus approprie. En mme temps, il prvoit que l'OSCE pourrait dcider de dfinir le mandat d'oprations de maintien de la paix menes par d'autres et solliciter l'appui d'Etats participants de mme que d'autres organisations pour runir les ressources et comptences voulues, et qu'elle pourrait offrir un cadre permettant de coordonner ces efforts. Cependant, un examen plus approfondi de certaines des autres dispositions de la Charte - en particulier de celles qui traitent des oprations de police et du concept de REACT montre qu'en fait, l'accord a t ralis partir de la position des Etats-Unis, qui vise sauvegarder le rle nouveau et prpondrant de l'OTAN dans le maintien de la paix par des moyens militaires en Europe.

En ce qui concerne les oprations de police, le paragraphe 44 engage sans rserve les gouvernements renforcer le rle de l'OSCE concernant les activits relatives la police civile en tant que partie intgrante des efforts de l'Organisation dans le domaine de la prvention des conflits, de la gestion des crises et du relvement aprs un conflit. Le fait de limiter l'OSCE ce type de fonction qui consiste fournir des services de formation, rformer les forces paramilitaires, empcher la police de se livrer des activits discriminatoires, etc. correspond clairement au point de vue des Etats-Unis concernant la division idale du travail: un rle militaire pour l'OTAN et un rle civil pour l'OSCE.


Boris Eltsine, alors Prsident de la Russie ( gauche), rencontre son homologue amricain, Bill Clinton, au cours du Sommet de l'OSCE dIstanbul.
(Photo Belga - 14Kb).

Le concept de REACT, qui a t labor par les Etats-Unis et adopt par l'OSCE, apporte une nouvelle confirmation de cette ide. Il engage les gouvernements mettre en place, au niveau national comme celui de l'OSCE, les moyens ncessaires pour crer des quipes possdant de larges comptences dans le secteur civil, que l'OSCE pourrait dployer pour contribuer la prvention des conflits, la gestion des crises et au relvement aprs un conflit. Le paragraphe 42 indique que le concept de REACT a t mis au point pour permettre l'OSCE d'aborder les problmes avant qu'ils ne dgnrent en crises et de mettre en place rapidement la composante civile d'une opration de maintien de la paix ou de dployer rapidement des oprations de grande envergure ou spcialises, si ncessaire.

Les REACT doivent devenir oprationnelles pour la fin de juin 2000 et auront gnralement pour effet de spcialiser l'OSCE dans des oprations caractre essentiellement civil. Afin de rpondre aux besoins de la planification et de la conduite de plus vastes oprations de l'OSCE sur le terrain, y compris celles qui feront appel aux ressources des REACT, le paragraphe 43 prvoit la cration d'un Centre d'oprations dans le cadre du Centre de prvention des conflits de l'OSCE.

Un armistice interinstitutionnel

La Plate-forme pour la scurit cooprative qu'a inspire l'UE, et qui est annexe la Charte, part du principe qu'aucun Etat ni aucune institution internationale n'est capable d'affronter par ses propres moyens et de faon isole les risques et dfis de l'environnement de l'aprs-Guerre froide. Elle offre une sorte de contrat de partenariat aux institutions de scurit se renforant mutuellement, sur la base des leurs avantages comparatifs, de la complmentarit, d'une synergie pragmatique, de la transparence et de relations non hirarchiques. Ce contrat est ouvert aux institutions dont les membres cooprent entre eux ( titre individuel aussi bien que collectif) librement et en toute transparence, adhrent aux principes et aux engagements de l'OSCE ainsi qu' son concept d'un espace de scurit commun exempt de lignes de division, et honorent leurs engagements dans les domaines de la matrise des armements, du dsarmement et des mesures de confiance et de scurit (MDCS).


Un soldat yougoslave en patrouille dans les rues de Bukos, 60 km au nord de Pristina, sous l'oeil d'un observateur du cessez-le-feu de l'OSCE install dans une jeep,
23 fvrier 1999.
(Photo Belga - 11Kb)

La coopration entre institutions pourrait s'exercer sous diffrentes formes: agents de liaison ou points de contact, reprsentation rciproque aux runions appropries, changes rguliers d'informations, missions conjointes d'valuation des besoins, dtachements d'experts, organisation en commun de projets et d'oprations sur le terrain, activits de formation conjointes, etc. Afin de ragir des crises spcifiques, l'OSCE s'offre galement servir de cadre souple pour la coopration.

L'objectif ultime de la Plate-forme est de dvelopper une culture de coopration institutionnelle visant viter la duplication des efforts et le gaspillage des ressources. Le Secrtaire gnral de l'OSCE est ainsi charg d'tablir un rapport annuel sur l'interaction entre les institutions internationales dans l'espace de l'OSCE.

En un sens, la simple existence de la Plate-forme revt une importance plus grande que son contenu. Devant la concurrence effrne qui tait devenue la caractristique des activits des institutions de scurit depuis l'effondrement du Communisme, en particulier lors des premires phases du conflit survenu dans l'ex-Yougoslavie, la Plate-forme propose une sorte d'armistice interinstitutionnel. Aucune de ses dispositions n'est contraire aux intrts ou aux pratiques de l'OTAN. Elle reprsente dans une large mesure une codification de la fructueuse coopration tablie entre l'OTAN et l'OSCE pour la surveillance conjointe de la situation au Kosovo, aprs la rencontre, en octobre 1998, entre l'Envoy spcial des Etats-Unis, Richard Holbrooke, et le Prsident yougoslave, Slobodan Milosevic.

Une Organisation profil bas, mais en expansion

Pour l'OSCE, 1999 n'a pas seulement t l'anne de la signature de la Charte de scurit europenne. Le Document de Vienne de 1994 sur les MDCS a t actualis avec succs aprs trois annes d'intenses ngociations. Le Trait de 1990 sur les forces armes conventionnelles en Europe a t adapt de manire reflter les changements apports par la fin de la Guerre froide, et sign par 30 Etats participants de l'OSCE malgr les tensions entre la Russie et les Occidentaux lies d'abord au Kosovo, puis la Tchtchnie. Une mission OSCE de 700 agents internationaux et de plus de 1000 employs locaux a t mise sur pied au Kosovo et travaille troitement avec l'OTAN, et des responsabilits spciales ont t assumes dans le cadre du Pacte de stabilit pour l'Europe du sud-est.

Mme si l'OSCE n'est pas parvenue mettre fin au conflit de Tchtchnie o la Russie ne tient manifestement aucun compte de certaines des obligations souscrites Istanbul ces dveloppements positifs tmoignent de l'expansion du rle oprationnel dune Organisation qui garde un profil bas.