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Mise à jour: 30-May-2000 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 48 - No. 1
Printemps/Eté
2000
p. 4-8

La DCI: une rponse la Rvolution dans les affaires militaires mene par les Etats-Unis

Elinor Sloan,
Direction des analyses stratgiques du Quartier gnral de la Dfense nationale du Canada

L'Initiative sur les capacits de dfense (DCI) tait initialement destine remdier l'cart technologique grandissant entre les Etats-Unis et leurs allis de l'OTAN. Cependant, depuis son lancement, en avril 1999, elle a t largie de manire inclure les lments de doctrine et d'organisation des oprations militaires futures, tels que la ncessit de pouvoir dployer des forces mobiles et aptes soutenir des oprations prolonges. Dans ce cadre plus vaste, la DCI va au-del des initiatives prises de longue date, comme le Programme de normalisation de l'OTAN, et vise rpondre la Rvolution dans les affaires militaires mene par les Etats-Unis. Son succs est essentiel au renforcement du pilier europen de l'OTAN et au maintien de la viabilit militaire et politique de l'Alliance.

La Rvolution dans les affaires militaires (RMA) peut tre dfinie comme un changement majeur dans l'art de la guerre sous l'effet de l'application novatrice de technologies nouvelles qui, combines aux modifications spectaculaires de la doctrine militaire et des concepts oprationnels et organisationnels, transforment fondamentalement le caractre et la conduite des oprations militaires. (1) Les nouvelles technologies militaires lies la RMA font intervenir les munitions guidage de prcision pour des frappes chirurgicales, les vols furtifs pour de plus grandes projections de puissance, les systmes volus de renseignement, de surveillance et de reconnaissance pour une meilleure identification du champ de bataille, et les systmes volus de commandement, de contrle, de communications et d'informatique pour une plus large matrise des thtres d'oprations.


Un chasseur bombardier F-16 amricain s'approche d'un avion-citerne KC 135 pour se ravitailler au-dessus de l'Albanie, au cours de la campagne arienne du Kosovo.
(photo Belga - 9Kb)

En matire de doctrine, les principaux dveloppements portent sur l'interoprabilit entre units et les oprations multinationales, la guerre ctire, le combat distance faisant appel aux frappes chirurgicales et des forces terrestres numriquement moins importantes, plus rapidement mobiles et plus souples, mais conservant un grand pouvoir de destruction. Au plan de l'organisation, les changements sont centrs sur un passage des grandes armes des forces professionnelles de plus petite taille, mieux formes et bnficiant d'importants investissements, commandes par une structure de prise de dcisions plus dcentralise et adaptables aux tches spcifiques accomplir.

La RMA est rgie par un certain nombre de facteurs:

  • les avances ralises dans les technologies militaires, notamment en ce qui concerne les ordinateurs, les tlcommunications, les capteurs et les munitions guidage de prcision, avances elles-mmes entranes par la rvolution informatique du secteur civil;
  • les rductions des budgets de la dfense, qui ont provoqu des diminutions spectaculaires de l'importance numrique des forces armes dans les pays occidentaux depuis la fin de la Guerre froide;
  • la ncessit de mettre alors l'accent sur les amliorations qualitatives, de manire compenser les rductions d'effectifs;
  • un environnement stratgique qui, contrairement celui de la Guerre froide, est caractris par des menaces et des risques imprvisibles de nature rduire presque nant les dlais de mobilisation;
  • la ncessit, dans ces conditions, de disposer de forces aptes rpondre rapidement une large gamme de scnarios conflictuels rgionaux;
  • enfin, le fait que les pertes sont plus difficilement acceptes dans les pays occidentaux.

Lcart grandit au niveau des technologies et des capacits

L'opration Allied Force mene au Kosovo et alentour au printemps de 1999 a montr que les membres europens de l'OTAN ne disposent que de capacits limites dans plusieurs domaines lis la RMA. La puissance de feu dploye tait amricaine plus de 70 pour cent. Seuls quelques Allis europens possdaient des bombes guides par laser, et seul le Royaume-Uni a pu fournir des missiles de croisire. (2) A peine 10 pour cent des appareils europens peuvent effectuer des bombardements de prcision (3) , et, parmi les membres europens de l'OTAN, seule la France a t en mesure de contribuer de faon significative aux oprations de bombardement haute altitude menes de nuit. (4) Seuls les Etats-Unis ont pu envoyer des bombardiers stratgiques et des avions furtifs permettant d'amliorer la projection de puissance. Les Allis europens manquaient aussi gravement d'appareils de reconnaissance et de surveillance.

Les membres europens de l'OTAN prennent des mesures pour rpondre la RMA. Ils prvoient d'accrotre leur force de frappe de prcision et leur potentiel d'avions furtifs, et d'amliorer leurs capacits concernant la connaissance et la matrise du champ de bataille, au cours des prochaines annes, et ils adoptent comme principes directeurs la mobilit des forces et la projection de puissance pour la transformation de leurs dispositifs militaires. L'OTAN elle-mme a men une action visant adapter sa structure de commandement militaire conjointe l'environne-ment de scurit de l'aprs-Guerre froide et a dvelopp le concept de Groupes de forces interarmes multinationales en vue de pouvoir mieux rpondre aux risques et aux menaces qui psent aujourd'hui sur la scurit.


Un hlicoptre Puma de l'Arme de terre franaise est sorti d'un avion de transport Antonov, de fabrication russe, sur l'aroport de Petrovac, Skopje, dans l'ex-Rpublique yougoslave de Macdoine*, le 8 dcembre 1998.
* La Turquie reconnat la Rpublique de Macdoine sous son nom constitutionnel.
(photo Belga - 8Kb)

Pourtant, en dehors de ces mesures, l'Europe n'intgre pas les technologies de pointe dans ses systmes militaires assez rapidement pour combler un cart technologique grandissant entre les forces amricaines et les forces europennes. Cet cart est apparu au moins depuis la Guerre du Golfe, mais il a t mis en vidence de faon spectaculaire par l'opration que l'OTAN a mene en 1999 au Kosovo et alentour. L'Amrique avait une telle supriorit en matire de systmes informatiques qu'elle a eu du mal communiquer avec ses allis. Ceux-ci ont galement connu des problmes lorsqu'il s'est agi pour eux de procder ensemble des dploiements et l'identification des objectifs, ainsi que d'assurer la compatibilit des armements. (5) Les Allis europens n'avancent pas non plus assez vite dans la restructuration de leurs dispositifs militaires. Mme si l'Union europenne compte prs de deux millions de personnes en uniforme, contre 1,45 million aux Etats-Unis, elle n'a pu faire appel, pour son intervention au Kosovo, qu' la moiti du nombre ncessaire de soldats de mtier suffisamment forms et quips.

L'cart grandissant est d en partie aux importantes rductions opres dans les budgets de la dfense des pays de l'Europe occidentale. Depuis la fin de la Guerre froide, les membres de l'OTAN ont rduit leurs dpenses de dfense d'environ 25 pour cent en termes rels. La contribution des Allis europens reprsente ainsi moins du tiers des dpenses d'quipement de l'ensemble de l'OTAN. Mais c'est surtout la faon dont les crdits rests disponibles sont utiliss qui explique l'ampleur de l'cart. Les Etats-Unis dpensent peu prs deux fois et demie plus pour la recherche et le dveloppement que tous les autres membres de l'OTAN runis, et ils se sont employs plus rsolument introduire des innovations rvolutionnaires dans la technologie des logiciels, des communications, des capteurs et de la logistique afin de compenser les rductions de personnel et d'quipement. Il s'ensuit que si les pays europens dpensent environ les deux tiers des sommes que les Etats-Unis consacrent la dfense, [ils] sont trs loin d'en avoir les deux tiers des capacits. (6)

La viabilit future de lAlliance en jeu

L'cart entre les Etats-Unis et leurs allis europens en matire de technologies et de capacits comporte un certain nombre d'incidences. La plus immdiate rside dans le fait que les militaires europens ne pourront bientt plus oprer aux cts des Amricains cause de leur arriration technologique. Des problmes de compatibilit se sont poss l'Alliance depuis sa cration, mais, aujourd'hui, les avances ralises par les Etats-Unis dans les domaines des communications, du traitement des donnes et des armes guidage de prcision sont sur le point d'clipser totalement ce qu'ont accompli les Allis europens et mettent en question la possibilit de voir les deux parties travailler ensemble. (7)

L'cart pourrait aussi provoquer une nouvelle tension au sein de l'Alliance, dont la cohsion ne saurait qu'en souffrir. Une telle tension pourrait apparatre si les forces armes europennes devaient, faute de l'action ncessaire, avoir de plus en plus assumer les tches dangereuses, qui font appel d'importants effectifs et risquent de se traduire par d'assez lourdes pertes, alors que les Etats-Unis fourniraient la logistique, les transports, le renseignement et la puissance arienne que permettraient leurs technologies de pointe. L'cart pourrait aussi susciter des problmes de partage des charges et aviver les ressentiments mutuels en accroissant la dpendance de l'Europe par rapport aux Etats-Unis en matire de scurit, alors mme que l'on attend des Europens qu'ils fassent plus pour assurer leur propre scurit.

Et surtout, l'cart dans le domaine des technologies et des capacits pourrait finalement marginaliser l'importance politique et militaire de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Si la diffrence de capacits n'a pas empch la russite des oprations menes en Bosnie-Herzgovine ou au Kosovo, beaucoup d'experts considrent que les militaires europens ne pourraient tre que de peu de secours dans un conflit plus difficile grer. L'ironie de la chose, c'est que plus grave est la menace pour les intrts communs des Etats-Unis et de l'Europe, moins il y a de chances de voir une vritable coalition amricano-europenne y rpondre. Pour les Etats-Unis, le soutien politique et militaire qui continuera d'tre accord l'Alliance dpendra finalement de l'aptitude de leurs allis europens apporter une contribution valable des oprations menes conjointement. Ainsi, loin de remplacer l'OTAN, le renforcement des capacits militaires de l'Europe est essentiel la viabilit future de l'Alliance.

Compte tenu de ces ralits, en suite la crise du Kosovo, les dirigeants europens ont redonn vie leur engagement de construire une Identit europenne de scurit et de dfense (IESD) bien relle. En juin 1999, ils ont dsign M. Javier Solana, alors Secrtaire gnral de l'OTAN, pour diriger cette action au poste, nouvellement cr, de Haut Reprsentant pour la Politique trangre et de scurit commune de l'Union europenne. Ils ont aussi dcid la fusion de l'Union de lEurope occidentale (UEO) avec l'Union europenne (UE) pour la fin de l'an 2000, ainsi que la transformation du Corps europen en une force de raction rapide. Au Sommet d'Helsinki, en dcembre 1999, les dirigeants de l'UE se sont mis d'accord sur la cration, pour 2003, d'un corps de raction rapide de 50 60 000 hommes plac sous le contrle direct de l'Union europenne.

En dpit de ces mesures, la plupart des analystes et des dcideurs considrent que le renforcement de l'IESD dpendra moins des changements institutionnels que de la modernisation des forces de manire rpondre aux exigences du nouvel environnement de scurit international. Sans un accroissement des capacits, l'ESDI est un concept vide de sens. Cela implique en partie que certains membres de l'UE affectent la dfense des crdits plus importants. Mais cela implique surtout que la plupart des membres consacrent leurs budgets de la dfense des postes de dpense diffrents.

Combler lcart grce la DCI

C'est ici que l'Initiative sur les capacits de dfense (DCI) l'un des rsultats les plus marquants du Sommet de l'OTAN tenu Washington en avril 1999 a un rle essentiel jouer. Cette initiative a pour objectif de faire en sorte que l'Alliance puisse mener efficacement des oprations correspondant toute la gamme de ses missions actuelles et, ventuellement, futures d'une rponse aux catastrophes humanitaires des oprations d'imposition de la paix et des combats de forte intensit pour la dfense du territoire de l'Alliance.

La DCI est spcifiquement conue pour les domaines o l'Alliance doit dvelopper ses capacits militaires afin de pouvoir rpondre efficacement aux genres de dfis auxquels elle risque de se voir confronte dans les annes et les dcennies venir. L'Initiative est centre sur l'amlioration de l'interoprabilit entre les forces des Etats membres et vise accrotre les capacits militaires de l'OTAN dans les domaines de la dployabilit et de la mobilit des forces allies, de leur soutenabilit et de leur logistique, de leur surviabilit, de leur capacit de prise partie efficace et de leurs systmes de commandement, de contrle et d'information.

Ces domaines correspondent aux principaux lments de la Rvolution dans les affaires militaires concernant les technologies, la doctrine et l'organisation:

  • La dployabilit exige surtout d'investir dans les transports ariens et maritimes et de rorganiser les forces en units plus petites et plus rapidement mobiles, quipes d'armes plus lgres mais gardant (souvent avec un guidage de prcision) un grand pouvoir de destruction.
  • La soutenabilit dpendra en partie de l'application des technologies de pointe aux activits logistiques.
  • La prise partie efficace exige toute une gamme de systmes d'armes volus lis la RMA, depuis les munitions guidage de prcision et les systmes de surveillance et de reconnaissance tous temps jusqu'aux hlicoptres d'attaque et aux avions furtifs. Elle implique galement que ces systmes soient interoprables entre les diffrentes forces, afin de faciliter les oprations conjointes et interarmes qui sont d'une importance fondamentale pour la RMA.
  • La surviabilit demande des actions visant protger les forces contre l'utilisation ventuelle d'armes de destruction massive.
  • Enfin, des systmes de commandement, de contrle et d'information volus, interoprables et dployables constituent des lments cls de la RMA et sont indispensables un renforcement des capacits militaires.

Une initiative essentielle pour lAlliance


Reflet d'un marin amricain sur un cran radar du Centre de communications et de contrle de l'USS Philippine Sea, au cours de la campagne du Kosovo
27 mars 1999.
(photo Reuterstrack - 15Kb)

La dployabilit, la soutenabilit, la prise partie efficace, la surviabilit et le commandement et le contrle ne sont pas seulement les principaux domaines viss par la DCI; ils correspondent aussi aux lments cls de la RMA. En fait, la DCI peut tre considre comme le schma directeur suivre pour rpondre la RMA. Elle revt ds lors une importance capitale, non seulement pour l'amlioration des capacits militaires des forces europennes et le renforcement du pilier europen de l'OTAN, mais aussi pour le maintien de la viabilit militaire et politique de l'Alliance de l'Atlantique Nord.

Il reste voir si l'Initiative sur les capacits de dfense sera ou non couronne de succs. Cependant, une chose est certaine : si elle ne se traduit pas finalement par des amliorations concrtes dans la composante europenne du dispositif de forces de l'OTAN, la viabilit long terme du lien transatlantique souffrira de pressions croissantes d'un Congrs des Etats-Unis de plus en plus sceptique quant la volont de l'Europe de suivre le rythme de la Rvolution dans les affaires militaires.

Note:

  1. Andrew Marshall, Directeur de l'Office of Net Assessment du Dpartement de la dfense des Etats-Unis, cit par Benjamin S. Lambeth dans The Technology Revolution in Air Warfare, Survival (printemps 1997), p.75.
  2. Les forces ariennes de la Belgique, du Royaume- Uni, du Canada, de la France, de l'Italie, des Pays-Bas, de l'Espagne et des Etats-Unis ont utilis des bombes guides par laser au cours de l'opration mene au Kosovo.
  3. Armies and Arms, The Economist, 24 avril 1999.
  4. Joseph Fitchett, US Seeks More Defense Technology Cooperation with Europeans, International Herald Tribune, 14 juin 1999.
  5. Colin Clark, Campaign in Kosovo Highlights Allied Interoperability Shortfalls, Defense News , 16 aot 1999, p.6.
  6. Lord Robertson, cit par Tom Buerkle dans NATO Picks Briton as its Next Leader, International Herald Tribune, 5 aot 1999.
  7. Marc Rogers, Driving the Alliance: NATO Follows the US Lead, IDR Special Report, 1er dcembre 1998, p.3.