Mise à jour: 21-Jan-2000 | Revue de l'OTAN |
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L'OTAN devrait-elle prendre l'initiative de la formulation d'une doctrine en matière d'intervention humanitaire?
Ove Bring,
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L'intervention de l'OTAN au Kosovo visait à
mettre un terme à la purification ethnique dans la province et
à assurer le retour en toute sécurité des Kosovars
albanais. Cette intervention a eu pour conséquence la mise en conflit
de principes fondamentaux régissant les relations internationales
- souveraineté des Etats, non recours à la force et respect
des droits de l'homme -, ce qui a suscité un débat public
d'une considérable ampleur. L'auteur fait valoir la nécessité
urgente de formuler une doctrine en matière d'intervention humanitaire,
en s'appuyant sur la norme internationale qui s'affirme peu à peu
et qui accorde la préséance à la protection des droits
de l'homme sur la souveraineté dans certaines circonstances. Il
recommande en outre que l'OTAN prenne l'initiative en la matière.
La campagne de bombardement alliée contre des cibles stratégiques
en République fédérale de Yougoslavie s'est déroulée
sans que l'OTAN avance le moindre argument juridique pour justifier son
attitude. Lorsqu'un groupe d'étudiants suédois en droit
international de l'université de Stockholm a rendu visite, en avril
1999, au siège de l'OTAN à Bruxelles, ils se sont entendu
dire qu'il n'existait pas de position arrêtée de l'Alliance
en la matière, mais qu'il appartenait aux gouvernements et capitales
des pays membres participants de procéder à une évaluation
de la situation au regard du droit international et de fournir la ou les
justifications considérées comme pertinentes.
Chasss du Kosovo par les Serbes, des rfugis kosovars albanais sont parvenus jusqu la ville frontalire de Kukes, dans le nord de lAlbanie, do ils sont achemins plus au sud pour leur scurit par les forces de maintien de la paix de lOTAN, le 25 mai. (photo AP - 46Kb) |
D'un point de vue politique et juridique, cette réponse n'était
pas satisfaisante à l'époque, pas plus qu'elle ne l'est
aujourd'hui, alors que la campagne de l'OTAN a atteint son objectif consistant
à établir une présence internationale au Kosovo pour
protéger les droits de l'homme dans la province. En tant qu'organisation,
l'OTAN, ou ses membres agissant de concert, devraient - au profit de la
communauté internationale - exposer les raisons qui ont justifié
cette action collective, que l'histoire considérera probablement
comme un cas d'intervention humanitaire.
Tout groupe d'Etats qui s'écarte du principe fondamental de non
recours à la force énoncé dans la Charte des Nations
Unies (1) doit s'attendre à devoir justifier
sa position du point de vue juridique. La question est de savoir si l'action
de l'OTAN doit être considérée comme illégale
ou comme:
Il est de l'intérêt de l'OTAN (et, à mon sens, de
la communauté internationale dans son ensemble) que le point de
vue de l'illégalité ne l'emporte pas. Quelle que soit la
manière dont l'action de l'OTAN puisse être expliquée
- comme entorse au droit, intervention conforme au droit ou élément
contribuant à l'évolution progressive du droit -, la communauté
internationale n'a reçu à ce jour aucune réponse
claire. En fournissant une telle réponse, l'OTAN pourrait influencer
l'état du droit. Elle y a déjà contribué dans
la pratique, mais il lui reste à énoncer le principe moteur.
La «diplomatie silencieuse» représente une méthode
inadéquate dans ce cas, parce qu'elle risque de donner l'impression
que l'OTAN considère elle-même son action comme illégale
et que - même si elle a mené avec succès une «guerre
juste» - elle n'est pas prête à livrer la bataille
intellectuelle en vue de l'établissement d'un ordre international
davantage centré sur les droits de l'homme, qui intègre
le concept d'intervention humanitaire.
La plupart des spécialistes du droit international reconnaîtront
que, sous sa forme actuelle, la Charte des Nations Unies ne permet pas
de justifier le bombardement de la Yougoslavie, étant donné
que cette action ne reposait pas sur une décision du Conseil de
sécurité aux termes du chapitre VII (2)
de cette Charte, pas plus qu'elle n'était menée dans un
souci de légitime défense collective aux termes de l'article
51 de celle-ci. Or, il s'agit là des deux seules justifications
du recours à la force qui sont actuellement prévues en droit
international.
Il n'en demeure pas moins que nombre de ces mêmes spécialistes
conviendront également qu'une tendance existe aujourd'hui, au sein
de la communauté internationale, en faveur d'un meilleur équilibre
entre la sécurité des Etats, d'une part, et la sécurité
des populations, de l'autre (comme l'a également recommandé
la Commission Carlsson-Ramphal sur la gouvernance globale (3)
dans son rapport «Notre voisinage global» en 1995).
Des déclarations récentes de M. Kofi Annan, Secrétaire
général des Nations Unies s'inscrivent également
dans cette tendance. S'adressant à la Commission des droits de
l'homme à Genève, le 7 avril - au début de la campagne
de bombardement de l'OTAN - et faisant référence au «sentiment
universel d'indignation» suscité par la répression
exercée contre les Kosovars albanais par le régime de Milosevic,
il a déclaré: «On constate l'émergence lente,
mais inexorable, je pense, d'une norme internationale contre la répression
violente des minorités, qui aura et doit avoir la préséance
sur les questions de souveraineté.» Kofi Annan a ajouté
que la Charte des Nations Unies ne devrait «jamais conforter ni
[être] une source de justification» pour «les coupables
de violations flagrantes et révoltantes des droits de l'homme».
La question de la protection des droits de l'homme acquiert une importance
croissante. Il convient toutefois de donner un sens concret à cette
protection. Les principales menaces pour la sécurité dans
le monde actuel ne se trouvent pas dans les relations entre Etats, mais
sont constitués par les menaces que les gouvernements eux-mêmes
font peser sur leurs propres citoyens. Le droit international s'adapte
lentement à cette évolution, en établissant de nouvelles
structures globales et régionales de maintien de la paix et d'imposition
de celle-ci. L'énoncé de nouvelles doctrines relatives à
l'utilisation de ces structures contribuerait à l'évolution
progressive du droit.
Le pouvoir de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité
est remis en question sous sa forme actuelle. Lors de la guerre de Corée
(1950-53), la majorité occidentale de l'époque au sein des
Nations Unies refusa d'admettre que l'action du Conseil de sécurité
pût être bloquée et influencée par le recours
au veto de l'Union soviétique, alors que la paix était menacée
ou violée. La résolution «S'unir pour la paix»,
adoptée par l'Assemblée générale des Nations
Unies en novembre 1950 permettait à une majorité qualifiée
de l'Assemblée d'assumer la responsabilité du maintien de
la paix et de la sécurité internationale lorsque le Conseil
de sécurité s'avérait incapable ou non disposé
à le faire.
Lors de la crise du Kosovo - alors que la Russie et la Chine menaçaient
d'opposer leur veto à toute résolution du Conseil de sécurité
en faveur d'une intervention -, l'OTAN aurait pu faire appel à
l'Assemblée générale dans le cadre du mécanisme
«S'unir pour la Paix» pour obtenir l'approbation de son intervention
armée. Comme le débat sur le Kosovo n'avait pas entraîné
de division nord-sud (une proposition russe hostile à l'OTAN avait
été rejetée au Conseil de sécurité
le 26 mars 1999 par l'Argentine, le Bahrein, le Brésil, le Gabon,
la Gambie et la Malaisie, notamment), une majorité qualifiée
soutenant et légitimant l'action de l'OTAN aurait été
tout à fait possible.
On parle souvent de «processus» en matière de droit
et de «processus social mondial» en matière de droit
international. Ce dernier intègre les pratiques concrètes
des Etats, d'autres positions des gouvernements, les attentes de différents
groupes et les exigences de valeurs formulées par différents
acteurs de la communauté mondiale, dont les organisations intergouvernementales
(OIG) et non gouvernementales (ONG). L'issue de ce processus est influencée
par l'autorité qu'exerce les participants et les arguments persuasifs
qu'ils font valoir. Les sessions à venir de l'Assemblée
générale des Nations Unies et d'autres enceintes internationales
offriront aux différents pays l'occasion d'accepter ou de rejeter
les démarches visant à légitimer ou à critiquer
l'intervention au Kosovo. Dans l'intérêt de l'évolution
progressive du droit international, l'OTAN et/ou ses principaux pays membres
devraient participer à ce processus en énonçant une
doctrine en matière d'intervention humanitaire, afin de tenter
de donner objectivement un sens au passé au profit de l'avenir.
Sadressant la Commission des droits de lhomme Genve, le 7 avril, M. Kofi Anan, Secrtaire gnral des Nations Unies, exprime le sentiment universel dindignation suscit par la rpression exerce contre les Kosovars albanais par le rgime yougoslave. (photo Belga) |
On peut comprendre que les responsables de l'OTAN se soient jusqu'à
présent montrés réticents à envisager l'Alliance
comme une organisation internationale aux termes du chapitre VIII (4)
de la Charte des Nations Unies, par crainte de voir une telle catégorisation
comporter des obligations supplémentaires dans le contexte des
Nations Unies. Cette crainte n'est toutefois pas fondée. Le chapitre
VIII consacre la légitimité et l'utilité des organisations
et des accords de sécurité régionaux, mais n'impose
aucune obligation autre que celles qui incombent déjà aux
Etats dans le cadre de la Charte des Nations Unies (notamment aux termes
du chapitre VII). En tant qu'organisation d'autodéfense collective,
l'OTAN se doit de reconnaître qu'elle constitue une organisation
de sécurité régionale dans le sens de la sécurité
collective énoncée par le chapitre VIII, qui pourrait servir
de base pour définir son action au Kosovo comme un cas d'intervention
humanitaire.
De la sorte, et bien qu'elle n'ait pas été autorisée
par le Conseil de sécurité comme l'exige l'article 53 du
chapitre VIII, l'action entreprise au Kosovo pourrait être considérée
comme un précédent d'intervention humanitaire collective
(et pas unilatérale), menée par une organisation à
l'issue d'un processus de prise de décision collective. Ce précédent
pourrait en outre se caractériser comme un refus de la passivité
face à une crise humanitaire, ouvrant ainsi la voie à une
réflexion sur la nécessité pour le droit international
de se relier à la moralité internationale. Il est en effet
difficilement admissible qu'une population en danger immédiat de
génocide soit abandonnée à son sort.
La «Déclaration sur les relations amicales» (1970)
de l'Assemblée générale réaffirmait «un
devoir de coopérer» dans le cadre du système établi
par la Charte. Une interprétation moderne de ce principe devrait
obliger les Etats à faire tout leur possible - y compris recourir
à une action armée en dernier ressort - pour éviter
une crise humanitaire. Un «devoir d'ingérence» impliquant
le recours à la force (tel qu'invoqué par le Ministre français
des affaires étrangères Roland Dumas en relation avec les
Kurdes irakiens en 1991) face à des crises de ce genre est difficilement
concevable. Mais la communauté internationale devrait percevoir
un «devoir d'agir», même dans des situations où
le Conseil de sécurité est paralysé par un veto.
Le droit international moderne devrait réserver une possibilité
d'intervention aux organisations régionales lorsque la volonté
politique en ce sens et la capacité militaire existent. Si le besoin
s'en fait sentir, il faudrait exciper du précédent «S'unir
pour la paix» pour soumettre la question à l'Assemblée
générale, afin d'obtenir l'approbation des Nations Unies
en dehors du cadre du Conseil de sécurité.
Le 10 juin, les membres du Conseil de scurit des Nations Unies approuvent le plan de paix pour le Kosovo, la Chine seule prfrant sabstenir. (photo Reuters - 61Kb) |
Comme l'ont précisé un certain nombre de juristes (5),
toute intervention impliquant le recours à la force, en l'absence
d'une autorisation du Conseil de sécurité, doit être
soumise à de strictes conditions, définies dans le cadre
d'une nouvelle doctrine en la matière. Les exigences ci-après
devraient être satisfaites:
On observe un vaste mouvement d'opinion au sein de la communauté
internationale en faveur de l'intervention dans les cas de violations
flagrantes et systématiques des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. Des actes de ce type sont inacceptables cinquante années
après l'adoption de la Déclaration universelle des droits
de l'homme.
La formulation d'une doctrine en matière d'intervention humanitaire représenterait un aboutissement juridique souhaitable de la crise du Kosovo et constituerait un immense pas en avant pour l'ordre international. Les pays de l'OTAN devraient prendre l'initiative de cette entreprise méritoire, en recensant les questions à traiter et en les soumettant aux enceintes internationales appropriées.