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Mise à jour: 16-Feb-2000 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 47 - No. 3
Automne 1999
p. 16-19

La sécurité, gage d'un avenir meilleur pour le Kosovo, grâce à la KFOR

Lieutenant Général Sir Mike Jackson
Commandant de la Force internationale de sécurité au Kosovo (COMKFOR)


(Photo KFOR PIO - 38Kb)

Dans les jours qui ont suivi l'acceptation par Belgrade de l'accord de paix et la suspension de la campagne aérienne alliée, la force pour le Kosovo (KFOR) dirigée par l'OTAN a entamé son déploiement, afin de sécuriser la province en vue du retour des réfugiés. Le général Jackson, commandant de la KFOR, décrit le déploiement rapide et synchronisé des plus de 40.000 soldats de la KFOR, en provenance de 39 pays, et les défis auxquels ils sont confrontés pour aider à restaurer l'ordre, à reconstruire l'infrastructure ravagée du Kosovo et à accélérer son retour à la normalité.

La KFOR est entrée au Kosovo à partir de l'ex-République yougoslave de Macédoine (1) le 12 juin («Jour J»). Elle se composait d'une force de 20.000 hommes, répartis en six brigades: quatre brigades dirigées par la France, l'Allemagne, l'Italie et les Etats-Unis respectivement, ainsi que deux brigades du Royaume-Uni. Dans les six jours qui ont suivi, tous les éléments avancés avaient pénétré au Kosovo, dans le cadre d'une opération ayant exigé une compétence et un professionnalisme considérables de la part des officiers et des soldats du QG de la KFOR et des brigades multinationales.

De redoutables défis attendaient la KFOR à son arrivée au Kosovo. Les forces armées yougoslaves étaient toujours présentes en grand nombre. L'Armée de libération du Kosovo (UCK) était, elle aussi, présente, en armes et bien visible. Des combats étaient toujours en cours. Près d'un million de personnes avaient fui le Kosovo. Celles qui étaient restées craignaient quotidiennement pour leur vie. L'eau et l'électricité étaient rares. Les habitations étaient détruites, les routes minées, les ponts effondrés, les écoles et les hôpitaux incapables de fonctionner. Il n'y avait plus d'émissions de radio ni de télévision. Toute vie normale était en suspens dans la région.

La priorité immédiate consistait à veiller à ce qu'aucun vide sécuritaire ne puisse se développer entre les forces en retraite et celles qui arrivaient, un vide qui aurait pu être comblé par l'UCK ou tout autre groupe armé. En onze jours, l'opération aboutit à l'objectif annoncé: le retrait des forces yougoslaves du Kosovo et leur remplacement par la KFOR, seule force militaire légitime aux termes de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Tout cela s'était déroulé dans un environnement instable et en rapide mutation, où chaque mouvement était épié et enregistré par les médias du monde entier.

Les événements qui ont conduit au Jour J


Des membres de la 4 me brigade blinde reoivent un accueil enthousiaste lors de leur entre Urosevac. Ils font partie de la premire vague de soldats britanniques de la KFOR ayant pntr au Kosovo le Jour J, cest- -dire le 12 juin.
(photo Reuters - 55Kb)

Il est utile de retracer brièvement les événements qui ont conduit à ce Jour J où une action militaire tactique sur le terrain a soudainement pris le pas sur une apparente impasse stratégique. Toute percée semblait de plus en plus irréalisable au début du printemps et nous en étions venus à sérieusement envisager la possibilité d'opérations hivernales.

Fort heureusement, au cours des dernières semaines du mois de mai - alors que la campagne aérienne de l'OTAN se poursuivait et que les pays alliés renforçaient leur présence militaire dans l'ex-République yougoslave de Macédoine -, le président finlandais Martti Ahtisaari, l'envoyé de l'Union européenne, et l'envoyé russe Viktor Tchernomyrdine ont continué leurs navettes diplomatiques entre Moscou, Helsinki et Belgrade. Les termes d'un accord de paix élaboré par le G8 (2) ont été présentés au président Slobodan Milosevic le 2 juin, et ratifiés le lendemain par le Parlement serbe et le gouvernement fédéral yougoslave.

Pour la KFOR, cette ratification a été rapidement suivie par des journées d'intenses discussions avec des représentants des Forces armées (VJ) et du Ministère de l'intérieur (MUP) yougoslaves, à Blace et à Kumanovo, sur la frontière entre la Serbie et l'ex-République yougoslave de Macédoine. Ces discussions ont abouti le 9 juin à un Accord technico-militaire (ATM), établissant en détail ce qui devait être en fait la «relève» des forces yougoslaves battant en retraite par les troupes de la KFOR prenant leur place.

Un jour plus tard, le 10 juin, le Conseil de sécurité des Nations Unies adoptait la résolution 1244, officialisant la mission de la Présence de sécurité internationale fournie par la KFOR sous la direction de l'OTAN, et de la Présence civile internationale ou MINUK (Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo).

Synchronisation du déploiement avec le retrait serbe


LAccord technico- militaire est sign le 9 juin, par le gnral Jackson et des reprsentants des Forces armes (VJ) et du Ministre de lintrieur (MUP) yougoslaves, dans une tente dresse Kumanovo, sur la frontire entre la Serbie et lex-Rpublique yougoslave de Macdoine (1)
(photo Reuters - 42Kb)

L'ATM prévoyait un retrait échelonné de toutes les forces yougoslaves du Kosovo vers la Serbie, depuis trois zones déterminées, et par quatre points de sortie désignés (voir carte). Ce retrait devait s'achever dans les onze jours, tout en étant parfaitement synchronisé avec l'avance des troupes de la KFOR. Les Yougoslaves ayant demandé un délai de 24 heures supplémentaires, la VJ a obtenu deux jours pour procéder à ses préparatifs et au retrait de ses troupes logistiques avant l'entrée de la KFOR, à cinq heures du matin, le 12 juin.

Le Jour J, la brigade d'encadrement française (BEF) franchissait la frontière juste au nord de Kumanovo. Sa tâche consistait à occuper la partie orientale de la Zone 1 autour de Gnjilane, jusqu'à sa relève par la brigade américaine, puis à progresser vers le nord, jusqu'à Kosovska Mitrovica, et à se muer en brigade multinationale (BMN) Nord. Cette brigade intègre désormais des troupes belges, danoises, russes et des Emirats arabes unis (EAU).

La 12ème brigade de Panzers allemande, disposant déjà d'une batterie d'artillerie néerlandaise sous son commandement, a avancé pour sa part sur deux axes. Empruntant le premier axe, elle a remonté la Route FOX vers le nord du Kosovo en direction de ce qui devait constituer l'emplacement de son quartier général final, à Prizren. Le second axe, emprunté par un bataillon, traversait l'Albanie en un large mouvement enveloppant vers le sud-ouest, pour pénétrer au Kosovo par le poste frontière de Morina, déjà bien connu pour avoir constitué l'un des principaux points de sortie des réfugiés kosovars albanais expulsés. Cette brigade porte désormais le nom de BMN (Sud), dispose d'un quartier général fourni par l'Allemagne et intègre des troupes autrichiennes, allemandes, néerlandaises, turques et russes.

La 4ème brigade blindée du Royaume-Uni a été rejointe juste avant le Jour J par la 5ème brigade aéroportée britannique, apportant ainsi des forces supplémentaires particulièrement bienvenues à la KFOR. Le Jour J, la 5ème aéroportée - composée d'un bataillon de parachutistes et un autre de Gurkhas - s'est déployée par hélicoptères, afin de prendre le contrôle du défilé de Kacanik, vital du point de vue stratégique, sur la Route HAWK. Des éléments de cette brigade, avec leur quartier général, ont fait ultérieurement mouvement vers l'aérodrome de Pristina. La 4ème brigade blindée a été ainsi en mesure de se déployer vers l'avant, jusqu'au point le plus au nord de la Zone 1, et de prendre le contrôle de Pristina, la capitale de la province. Le Royaume-Uni continue à fournir le cadre de ce qui constitue désormais la BMN (Centre). Avec son quartier général à Pristina, elle intègre des troupes canadiennes, tchèques, finlandaises, norvégiennes et suédoises.

Une fois les brigades britanniques et allemandes fermement installées sur leurs positions, la brigade Garibaldi italienne a traversé le défilé de Kacanik, en direction de l'ouest dévasté du Kosovo. Cette brigade constitue désormais le noyau de la BMN (Ouest) et se compose de forces italiennes, espagnoles et portugaises. Son quartier général est établi à Pec et est chargé de la surveillance de la frontière montagneuse avec l'Albanie et le Monténégro.

La brigade américaine articulée sur la Task Force Falcon (TFF) a fait mouvement vers l'est du Kosovo le deuxième jour de l'opération, afin de commencer à relever la BEF qui devait progresser vers le nord, dans la Zone III. Les Etats-Unis forment désormais le noyau de la BMN (Est), qui comprend un quartier général de brigade américain à Gnjilane et des forces américaines, grecques, polonaises, russes et ukrainiennes.

Le 20 juin, à 17h25, le retrait total des forces yougoslaves était confirmé, soit plus de six heures avant le délai imparti.

Une participation russe bienvenue


(131Kb)

Tout le monde sait aujourd'hui que les éléments avancés des troupes britanniques se sont retrouvés face à des soldats russes à l'aéroport de Pristina, les Russes ayant traversé la Serbie au départ de la Bosnie. Cette présence a suscité naturellement une attention considérable de la part des médias et des milieux politiques, sans pour autant avoir un quelconque effet sur l'opération.

A la suite de l'accord d'Helsinki du 18 juin, une unité des forces aériennes russes s'est vu confier la responsabilité conjointe du fonctionnement de l'aéroport avec un contingent de l'OTAN, responsable des mouvements aériens. Ces deux forces relèvent de l'autorité du Directeur de la KFOR pour les opérations aériennes au Kosovo. Officiellement ouvert au trafic militaire le 26 juin, l'aéroport de Pristina accueille désormais des vols militaires et humanitaires.

L'essentiel du contingent russe est déployé dans les régions de Kosovska Kamenica avec la BMN (Est) sous commandement américain, de Srbica avec la BMN (Nord) sous commandement français, et de Malisevo et d'Orahovac, avec la BMN (Sud), sous commandement allemand. Les troupes russes font partie intégrante de la KFOR et nous saluons chaleureusement leur participation, eu égard au rôle diplomatique essentiel joué par la Russie dans la recherche d'une solution au conflit.

L'engagement de l'UCK à remettre ses armes

Dix minutes après minuit, le 21 juin ou «Jour K» - juste après l'achèvement du retrait yougoslave -, au quartier général tactique de la KFOR dans la proche banlieue de Pristina, Hashim Thaci, le commandant en chef de l'UCK, signait l'Engagement de démilitarisation et de transformation que j'ai accepté, au nom de l'OTAN, en qualité de COMKFOR. Cet engagement, qui consacre la volonté de l'UCK de se conformer aux exigences de démilitarisation énoncées dans la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, traduit également les aspirations de l'UCK à jouer un rôle au Kosovo. Il a ouvert la voie à une démilitarisation totale, désormais accomplie.

Le 21 septembre, l'UCK a cessé d'exister. Certains de ses membres sont réintégrés dans la société, au titre d'un programme de réinsertion conçu pour offrir aux anciens soldats les compétences nécessaires à un emploi dans la vie civile. D'autres se joignent aux recrues de toutes les communautés pour former le Service de police du Kosovo. Nombre des anciens membres de l'UCK restants devraient, par ailleurs, se joindre à un nouveau corps de protection civile pluriethnique, le Corps de protection du Kosovo, appelé à jouer un rôle important dans les tâches de reconstruction de la région.

Au moment où je rédige ces lignes, la KFOR se trouve au Kosovo depuis quinze semaines et des changements spectaculaires sont intervenus au cours de cette période. Le Kosovo est à présent très différent de ce qu'il était lorsqu'il nous a accueilli le 12 juin. La VJ et le MUP se sont retirés, et la KFOR a pris leur place. La démilitarisation de l'UCK s'est déroulée conformément aux termes de l'engagement. Plus important encore, sans nul doute: au cours des premières semaines qui ont suivi l'arrivée de la KFOR, près de 750.000 personnes sont revenues au Kosovo pour reconstruire leurs foyers et renouer avec une vie normale, témoignant ainsi massivement de leur confiance dans la KFOR et les effets de la présence internationale au Kosovo.

L'arrivée de la KFOR a également coïncidé avec un rééquilibrage relativement brutal des forces. Le climat était extrêmement instable. L'avance de la KFOR et le retrait des forces yougoslaves ont été soigneusement synchronisés, afin d'éviter tout vide militaire. Il n'empêche qu'il n'a guère été simple de combler le vide laissé par le départ de l'administration civile.

La transfert de pouvoir à l'Autorité civile des Nations Unies

La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies conférait l'entière responsabilité du Kosovo à la KFOR jusqu'à l'arrivée de l'Autorité civile des Nations Unies. Si la KFOR a cherché en tout premier lieu à restaurer la sécurité et l'ordre public, il était vital qu'elle commençât à reconstruire l'infrastructure détruite de la province et qu'elle ouvrît la voie à un retour rapide à la normalité. Les troupes de la KFOR ont débarrassé des régions entières des mines et des munitions non explosées, en accordant la priorité aux écoles, aux hôpitaux et aux autres bâtiments publics. Les ponts et les émetteurs de la radio endommagés pendant le conflit ont été réparés. Grâce aux ingénieurs militaires, la principale centrale électrique «Kosovo A» est à nouveau opérationnelle, et la plupart des lignes de chemin de fer sont rouvertes à la circulation des trains.

Dans chacune des zones dévolues aux différentes brigades, des soldats sont chargés de réparer les ambulances et les camions des pompiers, d'organiser la collecte des déchets et, d'une manière générale, de remettre en état tous les services publics vitaux. Comme le rigoureux hiver propre aux Balkans s'approche à grands pas, la priorité est accordée aux réparations dont doivent bénéficier les villages de montagne. Ce sont autant de tâches qui n'incombent pas habituellement à des militaires. Toutefois, comme l'a révélé, à Pâques, la crise provoquée par l'afflux de réfugiés dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, les organisations internationales ont besoin de temps pour entamer leur action et les militaires constituent souvent la seule organisation capable de fournir l'appui indispensable aux premiers stades d'une situation d'urgence.

Mais l'Autorité civile des Nations Unies, la MINUK est à présent en place. Elle se compose de quatre piliers:

  • un pilier humanitaire, confié au HCR;
  • une Administration civile, sous la houlette des Nations Unies;
  • la mise en place d'institutions, assurée par l'OSCE; et
  • la reconstruction, qui incombe à l'Union européenne.

Cette Autorité civile a commencé à prendre le relais de la KFOR dans de nombreux domaines et, en particulier, la police de la MINUK commence à assumer des responsabilités de maintien de l'ordre public dans la région de Pristina. L'existence de forces de police civiles est essentielle dans toute société démocratique et la constitution du Service de police du Kosovo, composé de membres recrutés au niveau local, permettra de franchir une étape supplémentaire à cet égard.

"La fortune sourit aux audacieux"

La phase de manœuvres militaires de l'opération est à présent terminée. La tâche n'a pas été aisée, mais les officiers et soldats de la KFOR l'ont accomplie avec beaucoup de professionnalisme, une grande compétence et beaucoup de persévérance. Plus de 40.000 soldats de la KFOR, en provenance de 39 pays, sont actuellement déployés au Kosovo. Ils continuent à assurer la sécurité de l'environnement au sein duquel les Kosovars peuvent espérer bâtir un avenir meilleur.

Il ne fait aucun doute que de nouveaux défis nous attendent, dans la mesure où le Kosovo aspire à devenir une société authentiquement démocratique, ouverte et libre. L'arrivée de l'hiver est proche et il reste beaucoup à faire. En octobre, je passerai le relais au général Klaus Reinhardt, mon successeur à la tête de la KFOR. Le chapitre suivant de l'histoire du Kosovo s'écrit actuellement. J'espère qu'il aura une fin heureuse: Audentis Fortuna Iuvat.

Notes:

  1. La Turquie reconnat la Rpublique de Macdoine sous son nom constitutionnel
  2. Le Groupe des sept pays les plus industrialiss, plus la Russie