Edition Web
Vol. 46 - No. 4
Hiver 1998
pp. 4-7

Qui dit scurit balte dit scurit europenne

Algirdas Saudargas

Ministre des affaires trangres de Lituanie




M. Saudargas, la Confrence de Vilnius sur l'intgration euro-atlantique, en septembre dernier.
(Photo ELTA 34Kb)
La Lituanie joue un rle de premier plan, s'agissant de faire progresser la coopration rgionale dans la zone de la mer Baltique et de renforcer les liens avec les institutions euro-atlantiques. Ainsi, travers sa prsidence du Conseil des Etats de la Baltique, elle s'efforce de promouvoir la confiance entre voisins baltes et mne campagne en faveur de l'assistance la rgion russe de Kaliningrad. D'aprs M. Saudargas, ces efforts rgionaux doivent tre synchroniss avec les entreprises paneuropennes, parce que la scurit et la stabilit dans la zone de la mer Baltique sont indissociables de la scurit dans l'ensemble de l'Europe.

Depuis qu'elle a recouvr son indpendance, en 1991, la fin de la Guerre froide, la Lituanie s'est efforce d'assurer la stabilit et la coopration dans la rgion de la Baltique. Nous avons su mettre en uvre des rformes conomiques et politiques et n'avons aucun conflit frontalier ou problme de minorits important. Nous avons favoris ou lanc des partenariats bilatraux et multilatraux dans la rgion et tablissons une relation constructive avec la Russie, notamment dans la rgion de Kaliningrad.

Il nous parat tout fait normal que dans ce climat de confiance et de bonne volont, la Lituanie dsire prendre part au progrs europen, y compris l'intgration en cours dans les domaines de l'conomie, de la politique et de la scurit. La rgion de la Baltique fait partie intgrante de l'Europe et de la nouvelle structure de scurit europenne qui se dessine. Nous restons optimistes quant nos chances d'adhrer l'Union europenne (UE) et l'OTAN, perspective qui, elle-mme, nous incite poursuivre les rformes et mettre en place des initiatives de coopration rgionale.


De la coopration balte la coopration europenne

La rgion de la mer Baltique est une zone gographique o existent des liens culturels et conomiques troits et, depuis des sicles, un fort sentiment d'identit. En mme temps, elle a connu une histoire mouvemente, au cours de laquelle de grandes puissances europennes ont rgulirement essay d'exercer sur elle une influence stratgique et idologique, au mpris de ses droits fondamentaux. Les petits pays de la rgion ont excessivement souffert de l'occupation et de l'oppression rptes de leurs grands voisins. L'hritage de ce sicle, et surtout celui de la Guerre froide, a t particulirement lourd pour la rgion de la mer Baltique.

Il nous apparat clairement qu'en cette re nouvelle, la confiance et la scurit dans la zone de la Baltique ne peuvent tre isoles des efforts visant renforcer la scurit de l'Europe tout entire. Il n'y a pas de scurit des seuls Etats baltes, et il ne peut y avoir de scurit europenne sans les Etats baltes. Nous partageons tous le mme espace de scurit, et nous devons tous respecter les mmes principes fondamentaux, noncs dans la Charte des Nations Unies et les documents de l'OSCE.

Cette indivisibilit se fonde sur une histoire europenne commune, sur des valeurs dmocratiques partages et sur un mme dsir de rendre l'Europe plus stable, plus sre et plus prvisible. Les types de dfis rencontrs dans la rgion de la Baltique - comme dans toute l'Europe -ncessitent une coopration l'chelon rgional, europen et transatlantique.

Il est vrai qu'aucune menace militaire immdiate ne pse sur la rgion, mais l'immigration clandestine, le crime organis, le trafic de drogue et les problmes lis l'environnement constituent de grands dfis. Ce sont l les menaces relles, qui n'ont rien de vague ou d'hypothtique, que nous devons combattre, comme le pensent d'ailleurs nos concitoyens. Un sondage d'opinion ralis en Lituanie, en Lettonie et en Estonie au mois de mars par la filiale Baltic Surveys de la socit Gallup a rvl que les populations sont plus immdiatement proccupes par les menaces intrieures que par celles d'origine extrieure. Pour une vaste majorit des habitants de ces trois pays, la criminalit et la corruption constituaient le premier danger pour la stabilit. L'autre grande inquitude exprime par les personnes interroges tait - ce qui n'a rien de surprenant - l'instabilit rgnant en Russie.

L'volution vers l'intgration au niveau rgional et paneuropen a aid faire face ces problmes. Nous sommes convaincus que la transparence, la confiance et le dialogue dans la rgion de la mer Baltique doivent tre encourags et renforcs dans le large cadre des institutions euro-atlantiques existantes, comme l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE), le Conseil de l'Europe, l'Union europenne, l'OTAN et le Conseil de partenariat euro-atlantique, et des organisations rgionales comme le Conseil des Etats de la Baltique.

Outre sa collaboration avec les institutions paneuropennes, la Lituanie joue un rle de premier plan dans les activits de coopration rgionale. Je pense notamment notre partenariat stratgique avec la Pologne, la coopration trilatrale entre les Etats baltes, la coopration nordico-baltique "5 +3" (1), la participation active au Conseil des Etats de la Baltique (CEB) et enfin - dernier point mais non le moindre - l'initiative BALTSEA, qui vise coordonner l'assistance aux Etats baltes dans le domaine de la scurit et de la dfense. Ces diverses formes de coopration rgionale, auxquelles s'ajoute notre relation constructive avec la Russie, constituent d'importantes contributions la stabilit dans l'ensemble de la zone euro-atlantique.


Le Conseil des Etats de la Baltique


Algirdas Saudargas ( gauche) et Ceslovas Stankevicius ( droite), Ministre de la dfense de la Lituanie, accompagnant Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, lors de sa visite Vilnius en juin dernier.
(Photo ELTA 49Kb)

Depuis le mois de juin dernier, la Lituanie assume la prsidence du CEB, qui est un des plus importants organismes rgionaux uvrant pour la stabilit dans la zone de la Baltique. Cr Copenhague en mars 1992, le CEB comprend onze Etats, l'Allemagne, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, l'Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Norvge, la Pologne, la Russie et la Sude - ainsi que la Commission europenne. Il se runit une fois par an au niveau des Ministres des affaires trangres, et sa prsidence change chaque anne. Pendant les intersessions, les travaux sont assurs par la Commission des hauts responsables, assiste par le Secrtariat du CEB Stockholm. Il s'agit d'un forum rgional unique, capable de promouvoir les relations de bon voisinage, la stabilit politique, la dmocratisation et l'volution sociale dans la rgion de la mer Baltique.

Le CEB a une grande valeur politique et un potentiel d'action considrable sur ce plan. Nous sommes convaincus qu'il peut aider l'introduction de changements positifs dans notre rgion et favoriser la stabilit et la confiance chez nos voisins de la Baltique, objectifs qui figurent parmi les premires priorits de la Lituanie en matire de politique trangre. Pour ma part, je m'efforce de marquer notre prsidence du CEB par une intensification de la coopration concrte dans la rgion.

Les premires priorits du CEB incluent la coopration conomique rgionale (notamment la promotion des investissements et le soutien aux petites et moyennes entreprises), le dveloppement des infrastructures des secteurs de l'nergie et des transports, et la coopration dans les domaines des affaires intrieures, des questions juridiques et de la scurit civile. Elles incluent galement l'agriculture, l'nergie, la pche, la sylviculture, l'industrie et le tourisme. La Prsidence lituanienne continuera de soutenir les efforts de coopration sous-rgionaux et transfrontaliers dploys sur tous ces plans. Il est aussi essentiel que soit assure la poursuite de l'engagement de l'UE dans ce type de coopration sous-rgionale, en particulier travers des projets de cofinancement.



Les Chefs de gouvernement du Conseil des Etats de la Baltique posant pour les photographes la runion au sommet de Riga, en Lettonie, en janvier 1998.
(Photo ELTA 78Kb)
De surcrot, les rformes conomiques, politiques et sociales dans les pays accdant l'Union europenne assurent un environnement favorable une coopration pratique plus pousse dans le cadre du CEB. Le rapprochement entre la rgion de la mer Baltique et l'UE a eu une incidence positive sur la coopration entre tous les pays de la rgion et est hautement apprci. Dans ce contexte, il importe de poursuivre l'initiative "Dimension Nord" de l'Union europenne mene en direction de la rgion de la Baltique, particulirement dans les secteurs o les activits de l'UE et celles du CEB sont complmentaires - l'environnement, le commerce, les transports et l'nergie.

S'il est vrai que les arrangements institutionnels pourraient contribuer promouvoir la coopration et la confiance, bien d'autres moyens non administratifs doivent aussi tre pris en compte, comme les contacts entre personnes. En tant que responsables politiques, nous devons nous rappeler que les relations entre Etats sont avant tout des relations entre les citoyens de nos pays. C'est pourquoi il importe de faire participer le plus grand nombre possible de groupes diffrents au processus de renforcement de la confiance. Des vnements tels que les sminaires, les confrences, les tables rondes et les autres runions informelles rassemblent des participants de pays diffrents, qui ont souvent des points de vue diffrents. La Lituanie en a organis plusieurs, auxquels ont assist des experts, des hauts fonctionnaires et des parlementaires de la rgion.

Les relations entre lgislateurs sont, elles aussi, importantes pour ce processus. Dans de nombreux cas, comme ceux de la coopration avec la Pologne et avec la rgion russe de Kaliningrad, des parlementaires lituaniens jouent un rle majeur, voire prpondrant, dans l'tablissement de contacts personnels et de rapports institutionnels troits avec leurs homologues de ces deux pays voisins.


Les relations avec la Russie



M. Valdas Adamkus, Prsident de la Lituanie ( gauche), accueilli par Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, son arrive au sige de l'OTAN en avril dernier.
(Photo OTAN 33Kb)
La Lituanie a dploy des efforts concerts pour que la Russie prenne part la rflexion sur la scurit rgionale. La crise que connat actuellement la Russie tmoigne d'une certaine vulnrabilit de la rgion et souligne la ncessit d'encourager une coopration pratique et une solidarit accrues avec nos voisins russes.

Le Prsident de la Lituanie, M. Valdas Adamkus, a indiqu que la participation constructive des rgions russes de Kaliningrad et de Saint-Ptersbourg au plus large rseau de la coopration dans la zone de la Baltique est une des priorits de notre Prsidence du CEB. La Lituanie se flicite vivement de l'implication active de la Fdration de Russie dans le CEB et espre que la coopration engage dans les domaines de la politique, de l'conomie, des affaires sociales, de l'ducation, de l'environnement et de la justice se poursuivra de faon positive.

La Lituanie attache une importance particulire l'inclusion de la rgion de Kaliningrad dans le cadre du CEB et l'laboration de projets de l'UE dans cette zone. Nous pensons que si le niveau de dveloppement social et conomique y est plus lev, le processus d'intgration dans la rgion de la Baltique s'en trouvera renforc. En rponse de nombreuses demandes manant d'institutions, d'organisations et de collectivits locales de la rgion de Kaliningrad, nous avons accord cette dernire une aide humanitaire d'un montant de 5 millions de Litas (soit US$ 1,25 million). La premire livraison de mdicaments l'association mdicale de la rgion a eu lieu en septembre dernier. En tant que Prsident du Conseil des Etats de la Baltique, j'invite les autres pays membres du CEB encourager leurs rgions cooprer plus troitement avec celles de la Fdration de Russie et rpondre aux sollicitations des autorits locales.

La Lituanie a galement salu l'engagement du Prsident russe de rduire de 40 pour cent les forces terrestres et navales de son pays dans la rgion de Kaliningrad. Cela constitue un grand pas vers le renforcement de la confiance mutuelle et des relations de bon voisinage entre nos pays. De notre ct, nous avons invit des observateurs russes prendre part l'exercice militaire Baltic Challenge 98, qui s'est droul en juillet dernier, et pris diverses autres mesures visant favoriser la transparence. Nous avons aussi lanc une interaction entre les organismes locaux chargs des situations d'urgence dans le domaine civil.

Dans une dclaration de politique gnrale de mars dernier sur les relations avec la Russie, le prsident Adamkus a appel un renforcement des activits menes en coopration pour lutter contre l'immigration clandestine, le crime organis au niveau international et les menaces pour l'environnement. La signature d'un "accord de radmission" visant amliorer les procdures aux frontires et mieux rguler le flux de demandeurs d'asile aiderait rsoudre ces problmes. Le prsident Adamkus a galement soulign qu'il importe de promouvoir les contacts conomiques dans le secteur priv ainsi que le dialogue et la coopration entre les organisations non gouvernementales et les parlementaires des deux pays.

Les mesures de confiance et de scurit (MDCS), de mme que la mise en place de capacits d'autodfense et de mesures de matrise des armements, joueront elles aussi un rle important s'agissant de promouvoir la scurit et la stabilit dans toute la rgion. Le prsident Adamkus a soulign que la Lituanie est prte, sur une base de rciprocit, informer tous les Etats de l'OSCE intresss de ses mouvements de troupes, mme s'ils n'atteignent pas le seuil de notification spcifi dans le Document de Vienne de 1994. Nous avons en outre pris l'initiative d'offrir nos voisins des possibilits supplmentaires en matire d'inspection et de vrification de nos donnes militaires. Cela constitue, selon nous, une importante contribution un accroissement de la transparence et de la confiance entre les pays de la rgion.

Aprs les initiatives du prsident Boris Eltsine, l'anne dernire, sur le renforcement des mesures de confiance, y compris son offre de garanties de scurit unilatrales, un certain nombre de propositions et d'ides ont circul au sujet de projets rgionaux visant promouvoir la confiance et la scurit dans toute la rgion de la Baltique. Nous partageons le point de vue des autres Etats baltes et des Etats-Unis selon lequel il faudrait continuer d'laborer et de mettre en uvre, sur une base bilatrale et au sein des organisations rgionales, des propositions destines intensifier la coopration dans les domaines de l'conomie, des affaires sociales et de l'environnement.


Qui dit scurit balte dit scurit europenne

Toutes ces mesures sont essentielles pour la rgion de la mer Baltique, qui bnficie d'ores et dj d'une trs grande stabilit. Nous devons nanmoins rester attentifs plusieurs questions: la coopration rgionale et sous-rgionale entre les Etats de la Baltique, la participation de la Russie la cration d'une rgion de la Baltique libre des problmes de scurit et, autre point important, l'intgration ultime de la Lituanie, ainsi que de la Lettonie et l'Estonie, dans les institutions europennes et transatlantiques. Il ne peut y avoir de scurit balte seule, ni de scurit europenne sans les Etats baltes. Il n'y a qu'une scurit europenne, indivisible, pour tous. La Lituanie continuera de jouer son rle, tant au niveau rgional qu'au niveau paneuropen, pour que soit renforce la scurit commune de toute l'Europe.


Notes

  1. Le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvge et la Sude, plus les trois Etats baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie.


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