Edition Web
Vol. 46 - No. 3
Automne 1998
pp. 20-23

Monter dans le train en marche de l'OTAN

Andrs Simonyi

Chef de la Mission de la Rpublique de Hongrie auprs de l'OTAN


Alors que le processus de ratification touche son terme dans les seize Etats membres de l'OTAN et que, tout comme les deux autres pays invits, la Rpublique tchque et la Pologne, la Hongrie acclre les derniers prparatifs de son adhsion l'Alliance, M. l'Ambassadeur Simonyi donne ses impressions du point de vue du "statut spcial" dont bnficient la Hongrie et les deux autres pays au moment o ils se prparent se joindre l'OTAN, ce que l'Ambassadeur compare monter dans un train en marche.



M. l'Ambassadeur Simonyi ( gauche), de fort bonne humeur, aprs avoir prsent ses lettres de crance M. Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, en octobre dernier, en vue d'tablir la mission diplomatique de la Hongrie auprs de l'OTAN.
(Photo OTAN 55Kb)

Depuis ce jour historique de l'anne dernire, au Sommet de Madrid, o la Hongrie, de mme que la Rpublique tchque et la Pologne, a t invite devenir membre de l'Organisation du Trait de l'Atlantique Nord, nous travaillons sans relche afin de nous prparer cette adhsion. Nous voulons tre certains que, le moment venu, la Hongrie contribuera pleinement l'Alliance, tant sur le plan politique que militaire.

Depuis les profonds changements structurels intervenus en 1989, la Hongrie a connu trois lections dmocratiques. Or, la dmocratisation ne fait que se renforcer chaque changement de gouvernement. Je me permettrai, par ailleurs, de souligner qu'il n'y aura aucune solution de continuit dans les objectifs du nouveau gouvernement en matire de politique trangre, lesquels incluent les efforts en vue de l'intgration euro-atlantique et la priorit accorde l'instauration de relations de bon voisinage avec les pays qui nous entourent.

L'engagement en faveur de l'adhsion de la Hongrie l'OTAN n'est pas circonscrit au gouvernement et aux partis politiques reprsents au Parlement: il est partag par l'ensemble de la socit. C'est ce qu'a clairement dmontr le chiffre crasant de 85 pour cent des voix recueillies en faveur de l'adhsion l'Alliance lors du rfrendum organis sur ce thme, l'automne dernier. Ce pourcentage montre bien que le peuple hongrois soutient fermement le processus d'intgration euro-atlantique.

Depuis la signature des Protocoles d'accession de la Hongrie, de la Pologne et de la Rpublique tchque par les seize Ministres des affaires trangres de l'OTAN, en dcembre dernier, les trois pays "invits" bnficient au sein de l'Alliance d'un statut informel spcial, proche de celui d'"observateur". Ainsi, alors que nous accordons tous nos soins aux aspects pratiques de l'adhsion, nous avons t progressivement associs aux activits d'un nombre toujours plus grand de structures de l'Alliance, dont le Conseil de l'Atlantique Nord et ses organes subordonns, ainsi que les Grands commandements de l'OTAN. L'objectif vis est bien videmment d'tre en mesure d'apporter notre entire contribution l'Alliance, lorsque nos pays en deviendront membres, et d'y exercer tous les droits que l'adhsion nous confre.

Concernant les autres pays candidats, dont certains de nos voisins qui n'ont pas t invits dans le cadre du premier groupe, la Hongrie a fait savoir sans ambigut qu'elle est favorable ce que la porte de l'Alliance reste ouverte et ce que le processus d'largissement s'tende l'avenir d'autres pays capables et dsireux d'adhrer l'OTAN. Comme l'a dclar le Prsident amricain Bill Clinton aux dirigeants de la Rpublique tchque, de la Hongrie et de la Pologne au Sommet de Madrid, l'anne dernire: "La poursuite ventuelle de l'largissement dpendra dans une large mesure des rsultats de la premire srie d'adhsions. Si nous russissons rendre notre Alliance non seulement plus grande, mais aussi plus forte, tout en prservant sa cohsion, alors nous aurons cr une base solide en vue de la poursuite de l'largissement."

Nous sommes tout fait conscients de la responsabilit qui nous incombe pour que ce processus d'adhsion soit un succs absolu et sans rserve. Avec le temps, les pays invits, tout comme ceux de l'OTAN, acquerront une exprience considrable des aspects pratiques de l'intgration et auront une vision plus claire des rformes ncessaires. Et, chose importante, c'est avec grand plaisir que nous partagerons ce prcieux acquis avec les pays qui rejoindront l'Alliance aprs nous. Certes, nous ne pouvons garantir que les processus de rforme et d'adhsion en seront moins difficiles, mais les candidats venir pourront sans nul doute tirer des enseignements de notre exprience et viter ainsi de devoir "rinventer la roue".


Rappel des dbuts du processus



M. Gyula Horn ( gauche), Premier Ministre sortant de la Hongrie, flicitant son successeur, M. Viktor Orban, lors de discussions sur le changement de gouvernement, le 23 juin, aprs la victoire du parti de M. Orban aux lctions lgislatives du mois de mai. (Au fond, le Prsident Arpad Goncz ouvre la session inaugurale du nouveau Parlement.)
(Photos AP 48Kb)
e me souviens trs bien de la dception qui a envahi la Hongrie en 1992, quand nous attendions en vain l'annonce selon laquelle les nouvelles dmocraties pourraient bientt adhrer l'Alliance. Cette attente fut pnible, parce que nous tions exclus de cette "famille" depuis si longtemps dj. Mais avec le recul, je comprends mieux: au dbut des annes 90, la menace qui avait toujours plan s'estompait rapidement et, du point de vue de l'Alliance, un largissement immdiat ne s'imposait nullement. L'OTAN et l'ensemble de l'Europe n'taient pas prtes et, soyons francs, la Hongrie ne l'tait pas non plus. Il nous fallait encore donner une base solide nos institutions dmocratiques et nos structures conomiques et financires, qui taient en pleine volution, ainsi qu' la rforme de nos forces armes. Bien entendu, l'adhsion renforce ces institutions, mais il ne faut jamais oublier que chaque membre a une part de responsabilit dans le maintien de la force de l'Alliance. Son largissement ne doit ni l'affaiblir ni entamer sa cohsion.

Le processus menant notre adhsion l'OTAN a commenc lorsque nous avons rejoint le Conseil de coopration nord-atlantique (CCNA), en dcembre 1991. Un peu plus de deux ans plus tard, il s'est poursuivi par notre entre au sein du Partenariat pour la paix, puis il a encore t renforc par la cration du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA), qui s'est substitu au CCNA en mai 1997. Ces institutions coopratives contribuent largir la famille atlantique et, en mme temps, elles sont des instruments utiles pour se prparer l'adhsion l'Alliance. Comme le fit un jour remarquer un diplomate alli, "Vous finirez par trouver votre place au sein de l'OTAN de faon tout fait naturelle", et c'est ce qui est en train de se passer.

En dpit de ses lacunes, le CCNA a constitu un important instrument de familiarisation avec le fonctionnement de l'OTAN, et en particulier de comprhension de l'intensit des relations transatlantiques, du processus de prise des dcisions politiques et des rapports entre les structures politiques et militaires de l'Alliance. Trs tt, les contacts personnels que nous avons nous avec des membres du Conseil de l'Atlantique nord, du Secrtariat international et des autorits militaires de l'OTAN nous ont permis de mieux valuer les tches de ces organes, ce qui a fortement contribu l'tablissement d'une relation de travail fonde sur la confiance.

Notre participation au CCNA et, plus tard, au Conseil de partenariat euro-atlantique, nous a galement donn un aperu d'un processus dont je suis maintenant rgulirement tmoin et qui permet aux pays membres de l'OTAN d'uvrer ensemble la ralisation d'un consensus. Pour prserver la cohsion et l'efficacit de l'organisation, il faut parvenir un bon quilibre entre les intrts nationaux et les intrts communs au sein de l'Alliance.

Quant au Partenariat pour la paix, si nous avons d'abord pens qu'il risquait de porter atteinte au processus d'largissement, nous avons nanmoins t un des premiers pays y souscrire. Un large ventail d'institutions politiques et militaires hongroises ont uvr dans le cadre du PPP, qui s'est impos comme un lment durable de l'architecture de scurit europenne. Il a donn nos gnraux, officiers et sous-officiers, ainsi qu' nos experts civils en matire de dfense, l'occasion de mieux connatre l'Alliance et ses procdures travers une coopration militaire concrte et des exercices conjoints. Il nous a galement aids mieux valuer l'adaptation ncessaire de l'appareil militaire hongrois pour qu'il puisse passer intgralement sous contrle civil et dmocratique.

J'ai toujours t convaincu que la russite de l'opration dirige par l'OTAN en Bosnie-Herzgovine tait en grande partie due au Partenariat pour la paix. En effet, il aurait t beaucoup plus difficile de mettre en place une coalition internationale aussi large sans les acquis du PPP. L'indispensable confiance mutuelle dans les capacits de chacun s'est instaure au fil des nombreux mois de coopration pratique intense qui ont prcd la dcision de l'OTAN de crer l'IFOR puis la SFOR pour la Bosnie.


La coopration et les rformes militaires


Chars T-72 hongrois en manoeuvre Tata, Hongrie, en mars dernier.
(Photo Reuters 72Kb)

Je suis sergent dans les forces de rserve et mon exprience militaire directe est donc limite. Cependant, ces cinq dernires annes, j'ai pris un trs grand plaisir travailler avec les cadres militaires de l'Alliance et les commandants hongrois. Entre 1993 et 1998, les forces armes de notre pays ont suivi un difficile processus de rforme. Fin 1997, nous tions parvenus au terme de la premire phase, d'ordre quantitatif, de ce processus et nous avions ramen les effectifs de nos forces armes de 160 000 prs de 55 000 hommes. En outre, nous avons renouvel et simplifi la structure de commandement en vue de la rendre plus efficace et d'amliorer sa compatibilit avec celles des pays de l'OTAN.

La seconde phase a t entame fin 1997 et elle a pour objectif d'apporter des changements d'ordre qualitatif. Elle inclut le rexamen complet de notre stratgie de dfense et la modernisation technique des forces armes. Nous procdons, cet gard, dans le plein respect du processus de planification de la dfense de l'OTAN, par tablissement d'objectifs de forces indicatifs.

L'interoprabilit est une de nos grandes priorits et, de ce point de vue, notre participation l'IFOR et la SFOR nous a normment apport. Cependant, une des exigences fondamentales de l'interoprabilit est la capacit de communiquer dans l'une des deux langues officielles de l'Alliance - l'anglais ou le franais - objectif qui sera difficile atteindre dans la majeure partie de nos forces armes. Tout cela constitue une tche considrable, que nous poursuivrons bien au-del de l'adhsion.

D'aprs mon exprience personnelle, l'un des aspects spcifiques concerne l'acquisition des matriels. Pour tre efficace, une arme doit tre dote des matriels appropris, tant en vue des oprations envisages sous l'Article 5 (dfense collective) que des oprations dpassant le mandat de ce dernier (soutien de la paix). Mais lorsque les ressources sont limites, il importe de n'acqurir que les matriels adquats, en tablissant les priorits qui s'imposent. En ce qui concerne les mthodes d'acquisition, les conseils et le soutien que nous a apports l'OTAN ont t inestimables. Je tiens prciser que jamais, durant le processus d'accession de la Hongrie, nous n'avons subi la moindre pression de l'OTAN concernant l'acquisition de matriels militaires. Bien au contraire, le message de l'Alliance a t que l'achat de nouveaux matriels devait passer aprs la rforme des structures, l'ducation et l'entranement. La Hongrie n'est pas la merci des marchands!


Le train en marche de l'OTAN

Se prparer adhrer l'OTAN, c'est en quelque sorte essayer de monter dans un train en marche, car tandis que nous mettons en uvre des rformes, l'Alliance elle-mme ne cesse d'voluer. En Hongrie, le processus de rforme, de modernisation et d'adaptation est un processus dynamique qui sera sans cesse poursuivi, y compris aprs l'adhsion l'OTAN.

L'un des critres essentiels de l'adhsion, sur lequel la Hongrie travaille assidment depuis ces dernires annes, concerne les relations de bon voisinage. Notre pays est parvenu renouer les liens historiques qui l'unissaient la plupart de ses voisins, ce qui va dans le sens des intrts des pays et des peuples concerns de toute la rgion, mais aussi de ceux de l'ensemble de l'Europe. Toutefois, ce n'est pas parce que l'OTAN ou l'Union europenne le dcrte qu'il convient d'instaurer des relations de bon voisinage; si ces relations doivent tre renforces, c'est parce qu'elles sont une condition pralable l'dification des nations et la paix et la stabilit en Europe.

Parmi les autres lments essentiels du travail d'adaptation engag dans notre pays, il convient de noter l'important effort dploy pour parvenir un vritable contrle dmocratique et civil des forces armes. De nos tout premiers contacts avec l'OTAN jusqu'au processus qui a abouti notre invitation y adhrer, l'un des objectifs importants de notre coopration avec l'Alliance a t d'assurer le contrle dmocratique de l'institution militaire. L'OTAN a clairement signifi, parfois sur le mode amical, parfois plus directement, que c'est l l'un des critres majeurs respecter. L'Alliance tient s'assurer que les forces armes ne mettront jamais en pril les institutions dmocratiques de ses Etats membres. Dans le mme temps, le meilleur moyen de veiller ce que l'argent des contribuables soit utilis bon escient est de garantir le contrle dmocratique des forces armes grce la vigilance du Parlement.

L'tablissement d'un vritable contrle dmocratique et civil est un processus de longue haleine; il ne peut se faire en un jour. En effet, il ne s'agit pas seulement d'instaurer des structures. Nous avons appris, en travaillant avec l'Alliance, que civils et militaires doivent travailler de concert et que ce sont les dirigeants politiques civils, reprsents par le Conseil de l'OTAN, qui ont le dernier mot. Les militaires donnent leur avis, mais ils doivent s'incliner devant la dcision politique finale.

Parfois, au cours de ce processus de prparation, nous avons reu de l'Alliance des messages bien intentionns mais nanmoins durs, et il est arriv que nos discussions suscitent des ractions motionnelles. Les rsultats n'en sont pas moins l. Nous avons galement appris, au cours de ces mois, qu'il nous faut toujours rechercher des solutions hongroises en harmonie avec nos traditions, nos points de vue et nos intrts. Autrement dit, il n'est pas ncessaire de copier les autres. Ce n'est pas la conformit absolue de la solution adopte, mais la cohrence des principes qui compte. Il n'y a pas de rponse unique, mais un grand nombre de modles utiles dont nous pouvons nous inspirer.


La dernire ligne droite

Les six premiers mois de notre "statut spcial" ont constitu une phase d'apprentissage trs intensive. Nous avons cr une mission totalement intgre au sige de l'OTAN et faisons tout notre possible pour saisir les occasions qui nous sont offertes un rythme acclr. Voici quelques-uns des enseignements que nous pouvons d'ores et dj tirer: la qualit prime sur la quantit, la prcision sur la rapidit. L'association progressive de mes collgues et de moi-mme la vie quotidienne de l'Alliance est une tche ardue et sans rpit. Nous ne sommes cependant jamais laisss nous-mmes, ni traits comme des enfants.

Nous avons appris qu'il faut adopter les bonnes attitudes politiques, militaires, culturelles et humaines. Il faut aussi mettre en place les structures qui s'imposent, dotes du personnel appropri. Il doit s'agir de professionnels ayant une juste conception du monde, capables de communiquer dans l'esprit voulu et en mesure de manier l'une des deux langues officielles de l'Alliance. Enfin, il faut sans cesse faire preuve d'exigence vis--vis de l'OTAN et de soi-mme.

La rforme est un processus long terme, qui est encore loin d'arriver sa conclusion. Toutefois, quand nous aurons ralis le juste quilibre entre stabilit et changement, obstination et souplesse, notre pays apportera sans nul doute bien davantage la nouvelle OTAN qu'il ne lui prendra. C'est en tout cas dans cet esprit que nous entendons, dans les prochains mois, poursuivre les prparatifs menant au statut de membre de plein droit.


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