Edition Web
No. 5 - sept.-
oct. 1997
Vol. 45 - pp. 30-33

L'aprs-Madrid :
la vision d'Helsinki

Pauli Jrvenp

Directeur gnral adjoint, Dpartement de la politique de dfense,
ministre de la Dfense de Finlande


(18Kb)

A Paris, Sintra et Madrid, l'Alliance atlantique a jet les bases d'une nouvelle structure de scurit en coopration unissant l'OTAN, la Russie et des partenaires travers l'Europe. Si l'adhsion de la Finlande l'OTAN n'est pas l'ordre du jour actuel du pays, ce dernier intensifie nanmoins sa coopration politique et militaire avec l'Alliance. La Finlande procde en particulier une restructuration de ses forces de dfense en vue d'amliorer leurs capacits d'agir avec celles des pays de l'OTAN dans le domaine de la gestion des crises. Selon l'auteur, par sa participation directe la coopration paneuropenne en matire de scurit et son interoprabilit croissante avec les forces de l'OTAN, la Finlande renforce sa scurit sans aller jusqu' l'adhsion.


Au cours de la priode qui s'est coule entre le mois de mai et le dbut du mois de juillet, de solides bases ont t jetes en vue de btir une nouvelle structure de scurit europenne. De l'Acte fondateur entre l'OTAN et la Russie, sign Paris le 27 mai, au Conseil de partenariat euro-atlantique fond Sintra le 29 mai et l'invitation lance par l'OTAN trois pays, le 8 juillet Madrid, pour qu'ils entament des ngociations avec l'Alliance, chacun de ces vnements mrite d'tre reconnu comme une premire diplomatique. Ensemble, ils crent une occasion historique de forger une coopration de grande envergure, en Europe, dans le domaine de la scurit.

Maintenant que la poussire souleve par l'agitation de ces runions commence retomber, que nous rserve l'avenir?

Pour la Rpublique tchque, la Hongrie et la Pologne, les prochains mois seront consacrs des pourparlers avec l'OTAN qui doivent aboutir la signature des protocoles d'accession d'ici la runion des ministres des Affaires trangres de l'Alliance en dcembre 1997. Mais pour les autres, les pays qui dsiraient accder l'OTAN mais n'ont pas t invits dans le cadre de la premire phase, ou les partenaires qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas exprim le souhait de rejoindre l'Alliance? Pour eux, la question de l'aprs-Madrid se pose.

Dans l'optique d'Helsinki, l'largissement de l'OTAN marque le dbut, et non la fin, d'un long processus comportant des risques, mais aussi des occasions qui, esprons-le, dbouchera sur une stabilit et une scurit renforces dans toute l'Europe. En fait, l'extension de l'Alliance l'Europe centrale et orientale, quoique extrmement symbolique, n'est que le dtail d'un grand tableau. Peut-tre la dcision d'ouvrir les structures de l'OTAN aux partenaires souhaitant et pouvant la rejoindre a-t-elle t plus importante. En effet, elle contient en germe la cration d'une structure paneuropenne de scurit et de gestion des crises.

Un tabou lev

Du temps de la Guerre froide, les relations entre la Finlande et l'OTAN taient difficiles. D'une part, la Finlande tait clairement un pays ayant une longue tradition de dmocratie et d'conomie de march, par ailleurs dot d'une arme qui, contre toute attente, avait gagn une victoire dfensive, durant la Seconde Guerre mondiale, contre la superpuissance naissante de l'Union sovitique. D'autre part, elle restait attache une politique de neutralit - l'autre option tant l'intgration l'Est, et non l'Ouest - dans le cadre des implications politiques du Trait d'amiti, de coopration et d'assistance mutuelle de 1948 avec l'Union sovitique, ainsi que les restrictions sur son appareil militaire en vertu du Trait de paix de Paris de 1947, qui limitait davantage encore sa marge de manuvre. Pour de nombreux hommes politiques finlandais, l'OTAN tait taboue et, de ce fait, les contacts avec l'Alliance, quelque niveau que ce soit, taient rduits au minimum.

Maintenant que l'Europe a chang, tout cela aussi a chang. Les limitations prvues par ces deux traits n'ont plus cours - le premier n'existant plus et les clauses militaires du second ayant t annules - ce qui lve totalement les interdits qui frappaient les relations avec l'Alliance occidentale. La contribution de l'OTAN la scurit europenne durant la priode de la Guerre froide est d'ailleurs pleinement reconnue. D'o l'importance de la rfrence faite par le Prsident Martti Ahtisaari, le 9 juillet dernier, deuxime jour du Sommet de Madrid, aux dcennies de la Guerre froide, o "nous avons russi viter la guerre par la dissuasion et l'endiguement".



M. Martti Ahtisaari, Prsident de la Finlande (deuxime partir de la gauche), et Mme Tarja Halonen, ministre des Affaires trangres (au centre), la table du Conseil lors de la runion au sommet avec les partenaires sous l'gide du CPEA Madrid, le 9 juillet.
(Photo OTAN - 42Kb)
Sur le plan concret, la Finlande coopre dj de nombreuses faons avec l'OTAN. Elle a souscrit au programme de Partenariat pour la paix (PPP) en mai 1994, au processus de planification et d'examen du PPP (PARP) en fvrier 1995, et a particip ds le dbut aux oprations de l'IFOR et de la SFOR conduites par l'OTAN en Bosnie-Herzgovine. Elle s'est dclare intresse par l'envoi d'officiers dans les Elments d'tat-major des partenaires qui devraient tre tablis au sein des commandements de l'OTAN, depuis le SHAPE jusqu'aux quartiers gnraux sous-rgionaux, y compris dans les futurs quartiers gnraux des Groupes de forces interarmes multinationales (GFIM). En outre, la Finlande participe au dialogue intensifi avec l'OTAN depuis mai 1996 et est devenue membre du Conseil de partenariat euro-atlantique ds sa cration. Enfin, elle tudie l'invitation lance par l'Alliance ses partenaires, Madrid, en vue d'tablir une mission diplomatique l'OTAN. Alors, on pourrait se demander pourquoi, avec un tel ventail de moyens de cooprer dj mis en place, nous n'optons pas pour l'adhsion pleine et entire l'Alliance.

Pourquoi ne pas adhrer l'OTAN?

La rponse finlandaise est double. Premirement, les Finlandais ne se sentent pas menacs, militairement, dans l'Europe d'aujourd'hui. Comme l'indique le Livre blanc du gouvernement sur la dfense, prsent au Parlement le 17 mars 1997: "La Finlande ne fait l'objet d'aucune menace militaire susceptible de ncessiter, pour la prvenir ou la repousser, des garanties de scurit fournies par une alliance militaire."(1)

Deuximement, les dirigeants finlandais ont une conscience aigu des implications de leurs dcisions sur la stabilit rgionale. Selon le Prsident Ahtisaari, "en tant pleinement intgrs dans l'Union europenne mais en demeurant militairement non allis, nous contribuons un processus de changement contrl dans la plus grande stabilit dans la partie septentrionale de notre continent."(2)

C'est pourquoi la position finlandaise sur la question de l'adhsion l'OTAN est un refus clair et net, mme s'il n'est pas forcment dfinitif. Il s'agit plutt d'un "pas maintenant", la Finlande souhaitant se rserver la possibilit d'adhrer dans l'avenir. Les responsables de la politique trangre du pays ont rsolument soulign le droit de tout pays faire ses propres choix dans le domaine de la scurit, y compris celui de vouloir ou non intgrer des alliances militaires. Dans le mme esprit, nous nous sommes flicits de l'engagement pris par l'Alliance Madrid de laisser la porte ouverte et d'accueillir ultrieurement de nouveaux membres.

Mais ni l'ouverture de l'OTAN ni le choix par un pays donn de sa ligne politique vis--vis de l'Alliance ne sont des fins en soi. Ce sont des moyens de parvenir une fin, c'est dire une stabilit et une scurit accrues pour toute l'Europe. Le Sommet de Madrid ayant mis en place les structures ncessaires, il s'agit maintenant de voir comment nous pouvons raliser cet objectif.

Exploiter pleinement le CPEA

Une solution consiste exploiter pleinement les possibilits offertes par le Conseil de partenariat euro- atlantique (CPEA). Il pourrait servir de forum de discussion sur des problmes concrets de prvention des crises, y compris sur de nouvelles mesures de gestion des crises. Il pourrait peut-tre mme devenir, outre une instance d'examen des questions rgionales, un cadre dans lequel pourraient tre traites des oprations de gestion des crises du type des missions de l'IFOR/SFOR.

Le Document de base du CPEA prsente une longue liste des domaines sur lesquels allis et partenaires peuvent se consulter, de la matrise des armements et de la prolifration la politique et la stratgie de dfense. Il convient cependant de s'interroger sur le degr de communication entre l'Alliance et ses partenaires des informations ncessaires pour traiter un sujet donn. Il faut galement que les partenaires puissent tirer pleinement parti du CPEA en soumettant son attention des problmes de scurit nationale et europenne.

L'interaction entre le Conseil de l'Atlantique Nord, le CPEA et le Conseil conjoint permanent OTAN-Russie sera indispensable. Il sera galement essentiel que ce dernier fonctionne dans la plus grande transparence. Il n'est pas ncessaire que les partenaires puissent y entrer par la porte, mais ils doivent disposer d'une fentre par laquelle observer ce qui s'y passe. Du point de vue des partenaires, l'ouverture sera le test-cl de la russite du Conseil OTAN-Russie.

Tandis que le CPEA favorisera l'interoprabilit politique, le programme de PPP renforc constituera un moyen de poursuivre l'objectif d'interoprabilit militaire "en rendant la diffrence entre les statuts d'alli et de partenaire presque imperceptible".(3) Certaines proccupations ont toutefois t exprimes concernant l'intrt que l'OTAN continuera de porter au PPP maintenant que la premire phase d'largissement est engage. La Dclaration de Madrid s'efforce trs clairement de dissiper ces craintes. En renforant le rle que jouent les partenaires dans les dcisions relatives au PPP et dans sa planification, et en amliorant l'oprationnalit du PPP, l'OTAN offre ses partenaires une relle possibilit d'tre associs plus troitement aux questions lies au PPP.

Il serait nanmoins possible de faire encore davantage. Il pourrait y avoir un meilleur ajustement entre les procdures de planification interne de l'Alliance et la participation des partenaires. Ainsi, les contributions volontaires des partenaires pourraient tre couples aux objectifs de forces que s'est fixes l'OTAN ds la phase initiale de la planification d'oprations ne relevant pas de l'Article 5. Pour cela, les partenaires devraient tre associs aussi tt et aussi troitement que possible au systme des plans de dfense de l'OTAN, y compris en ce qui concerne les orientations ministrielles et les objectifs de forces. Une autre faon de resserrer les liens entre l'OTAN et ses partenaires consisterait inviter des responsables politiques des pays partenaires participer aux exercices de gestion des crises de l'Alliance.

Le principe directeur devrait tre que si un pays souhaite et peut contribuer des oprations de gestion des crises ne relevant pas de l'Article 5, il devrait aussi pouvoir prendre part toutes les phases de planification et de prparation de ces oprations, ainsi qu' la prise de dcisions.

L'interoprabilit militaire


Forces finlandaises participant l'exercice Nordic Peace '97 dans le nord de la Norvge, en mai dernier.
(Photo Forces de dfense de la Finlande - 38Kb)

Bien entendu, le mcanisme central de ralisation de l'interoprabilit militaire continue d'tre le processus de planification et d'examen. La participation finlandaise au PARP, tout comme d'autres efforts en coopration avec l'OTAN, a t conditionne par notre politique scuritaire de rester hors de toute alliance militaire en conservant nanmoins une dfense nationale crdible. Elle ne nous a nanmoins nullement empchs de nous associer aux cycles du PARP. Lors de la premire phase, la plupart de nos objectifs d'interoprabilit ont t atteints. La seconde srie d'objectifs, qui couvre 1997-1999, est bien plus ambitieuse et a davantage d'incidences sur l'amlioration de l'interoprabilit. Elle porte sur l'interoprabilit dans le domaine du commandement, du contrle des oprations et des tlcommunications, et notamment pour les units terrestres que la Finlande a dsignes, sur la liste du PARP, comme des forces disponibles pour des oprations multinationales de gestion des crises.



Vhicule tout terrain chenilles NASU, de fabrication finlandaise, lors d'un entranement hivernal.
(Photo FDF - 37Kb)
Pour l'heure, elles se composent de trois bataillons, dont un bataillon du gnie. De surcrot, quatre navires sont galement classs disponibles pour des oprations de gestion des crises. Ce n'est le cas d'aucune unit arienne, mais la participation de membres de l'arme de l'air des activits du PPP est prvue pour la prochaine priode du PARP.

Le Livre blanc du gouvernement finlandais sur la dfense (1997) prconise vivement le renforcement de l'interoprabilit en vue de participer la gestion de crises internationale. Le programme de dfense de 1998 2002 introduit une modification structurelle dans les forces de dfense finlandaises, puisque le total des forces mobilises sera rduit de 540 000 430 000 hommes tandis que le nombre d'units principales, les brigades, passera de 27 22. Trois d'entre elles, soit une pour chaque grande zone de commandement militaire, seront quipes comme brigades de dploiement rapide. L'une des trois sera tout spcialement destine des tches de gestion de crises internationale et forme et quipe en consquence. Cette formation a d'ailleurs dj commenc, puisque la premire compagnie a particip Nordic Peace 97, exercice dans l'esprit du PPP qui a eu lieu en mai 1997 dans le nord de la Norvge. L'ensemble de la brigade sera oprationnelle en l'an 2000.

Le Livre blanc sur la dfense indique galement que "la cration de capacits d'accueil de moyens d'assistance doit tre prise en compte dans la transformation de la dfense finlandaise", au cas o nos ressources ne suffiraient pas pour dfendre le pays.(4) Quoique l'existence de tels moyens d'assistance soit incertaine, le dveloppement de l'interoprabilit avec l'OTAN amliore sans nul doute, le cas chant, la capacit finlandaise de recevoir et de dployer de l'assistance.

Une structure de scurit durable

Une structure de scurit europenne nouvelle et durable est en cours de cration. Ses lments fondamentaux - l'OTAN, la Russie et les partenaires - seront tous lis les uns aux autres par le biais du CPEA. Dans ce cadre, le PPP et le PARP permettront de mettre au point des modalits concrtes de coopration politique et militaire, et en particulier d'amliorer l'interoprabilit militaire.

Si l'OTAN n'est pas la seule organisation de scurit en Europe, elle est certainement la premire d'entre ses semblables. Dans le cadre de la coopration militaire euro-atlantique, l'OTAN est, comme l'a fait remarquer Ingemar Drfer, la lingua franca du monde d'aujourd'hui: si vous ne parlez pas cette langue, on ne vous comprendra pas.(5)

A l'heure actuelle, la Finlande n'a aucun problme de scurit que son adhsion l'OTAN pourrait aider rsoudre. Cependant, mme en ne cherchant pas accder l'Alliance, elle n'a pas non plus exclu cette possibilit tout jamais. Une coopration troite et constructive avec elle est en bonne position sur le calendrier de la Finlande. Une telle coopration favorise les capacits europennes de gestion des crises, mais aussi l'interoprabilit militaire de la Finlande, et indirectement, elle renforce donc la scurit du pays.


Notes

  1. "L'volution de la scurit europenne et la dfense finlandaise", Rapport du Conseil d'Etat au Parlement le 17 mars 1997, p.52.

  2. Allocution du Prsident Martti Ahtisaari devant l'Assemble de l'Union de l'Europe occidentale, le 3 juin 1997.

  3. Robert Hunter, Ambassadeur des Etats-Unis l'OTAN, cit dans Strategic Survey 1996-97, IISS, 1997, p. 118.

  4. Rapport du Conseil d'Etat au Parlement, 17 mars 1997, p. 52.

  5. Ingemar Drfer, "Satsa p NATO, inte Baltikum", Dagens Nyheter, 10 juillet 1997, p. A4.


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