Revue de l'OTAN

Edition Web
No. 3 - Mai-
Juin. 1997
Vol. 45 - pp. 8-11

Une OTAN évolutive

Roland Smith

Directeur de la sécurité internationale
au ministère britannique
des Affaires étrangères


Smith
(27Kb)

Les décisions qui seront prises à l'occasion du sommet de Madrid auront une influence fondamentale sur l'avenir de l'Alliance. Certaines d'entre elles, telles que l'admission de nouveaux membres, suscitent déjà des controverses. Mais elles ne devraient pas créer de surprise car elles sont le résultat du processus d'adaptation engagé au sommet de Londres en 1990. Cette adaptation implique d'importantes réductions des niveaux de force, une révision de la stratégie et une coopération militaire et politique avec les anciens adversaires de l'Alliance. Madrid constituera une nouvelle étape de ce processus qui, assurément, se poursuivra au-delà de ce sommet.

Avant 1990, la stratégie de l'Alliance visait à faire face à une attaque subite et massive déclenchée par l'Union soviétique et ses alliés du Pacte de Varsovie. Elle était basée sur la dissuasion et le secret. Elle nécessitait un solide dispositif de défense, composé d'importantes forces ayant un haut niveau de préparation et situées à proximité des frontières de l'OTAN avec les pays du Pacte de Varsovie. En outre, elle envisageait la possibilité qu'une attaque conventionnelle majeure conduise rapidement à une riposte nucléaire.

Le sommet de Londres a changé tout cela. Les chefs d'Etat et de gouvernement sont convenus de la nécessité de transformer l'Alliance pour l'adapter au nouvel environnement de sécurité. Il en résulta la publication, au sommet de Rome en 1991, du Concept stratégique.

Le Concept stratégique a été un tournant dans la façon de penser de l'Alliance. Il rappelle qu'à l'évidence, l'OTAN ne menace personne. Partant de l'hypothèse de la disparition effective du risque d'attaque globale, il a eu, entre autres conséquences essentielles, de mettre fin à une planification de l'Alliance exclusivement centrée sur cette menace.

Mais le Concept stratégique n'a pas seulement modifié l'objet de la planification militaire. Il a reconnu que le nouveau paysage sécuritaire européen augmentait grandement les possibilités d'atteindre les objectifs fondamentaux de l'OTAN par des moyens politiques. Ces objectifs étaient simplement, selon les termes du Traité de Washington, d'assurer la stabilité et le bien-être dans la région de l'Atlantique nord et de contribuer au développement de relations internationales pacifiques et amicales.

Il n'y a aucune contradiction entre ces objectifs et notre volonté de maintenir l'efficacité militaire de l'Alliance. En effet, une approche collective de la planification militaire à l'intérieur de l'OTAN favorise la transparence et la confiance entre les Alliés et décourage une nouvelle nationalisation de la défense, qui serait risquée et coûteuse. Par ailleurs, elle signifie qu'en cas de besoin (comme en Bosnie) l'OTAN peut fournir une force multinationale.

L'approche générale définie par le Concept stratégique a été progressivement développée et intensifiée depuis le sommet de Rome. La stratégie de l'OTAN, tout en continuant à vouloir réduire les risques de conflit et à s'appuyer sur une confiance mutuelle accrue, mise davantage sur des mesures politiques telles que l'instauration de la confiance, le dialogue et la coopération. Le processus de coopération avec les anciens adversaires a été officialisé avec la création du Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) en 1991, et s'est encore renforcé avec le lancement du Partenariat pour la paix (PfP) en 1994. De plus, depuis un certain temps déjà, l'OTAN s'efforce de nouer des relations particulières avec la Russie et l'Ukraine.

L'Alliance s'est également attachée à promouvoir des négociations en vue d'actualiser le Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) et a présenté à Vienne des propositions détaillées et constructives. Les décisions ministérielles sur l'aptitude de l'OTAN à soutenir les opérations de maintien de la paix de l'OSCE et de l'ONU et les missions éminemment réussies de la SFOR et de l'IFOR en Bosnie ont confirmé sa volonté nouvelle d'assumer des tâches de gestion des crises ne relevant pas de l'Article 5, tout en conservant son engagement principal en matière de défense territoriale.

Des niveaux de forces réduits

Tout cela implique un engagement ferme de maintenir la stabilité et la sécurité à des niveaux de forces beaucoup moins élevés qu'auparavant. C'est pourquoi une restructuration de grande envergure a été entreprise.

  • Depuis 1990, les dépenses de défense des pays de l'OTAN ont baissé de 22 %. Le personnel militaire a été réduit de 24 %, les forces terrestres de 35 %, les principales unités navales de 32 % et les escadrilles aériennes de combat de 41 %.

  • Tous les systèmes nucléaires de l'Alliance à lanceur terrestre ont été supprimés d'Europe et toutes les armes nucléaires de l'Alliance ont été retirées des bâtiments de surface. Les seules armes nucléaires basées à terre encore présentes en Europe sont les bombes présentes dans des aéronefs à double capacité; elles ne représentent que 20 % des stocks d'armes détenus en 1990.

  • Les forces nucléaires stratégiques des Etats-Unis ont été diminuées d'un tiers conformément à l'Accord START I, et seront réduites de deux tiers conformément à START II. Le Royaume-Uni est en train d'éliminer ses bombes nucléaires à vecteurs aériens. D'ici l'an prochain, les forces nucléaires britanniques comprendront 20 % d'ogives en moins ayant une puissance explosive diminuée de presque 60 % par rapport aux années 70.

  • Les deux tiers des forces en position avancée en Allemagne ont été rappelées et le nombre d'avions de combat qui s'y trouvaient a été réduit de 70%. Les forces américaines stationnées en Europe sont passées de 300 000 à environ 100 000 hommes.

En 1990, l'essentiel de nos forces pouvait s'engager dans des opérations de combat dans un délai extrêmement court (90 % des forces terrestres, 70 % de l'aviation de combat et 75 % des principaux navires de guerre pouvaient réagir en deux jours ou moins). Aujourd'hui, le délai d'intervention de près de la moitié de nos forces est de plus de trente jours.


Une coopération militaire et politique renforcée


Udovenko & Solana
"Depuis un certain temps déjà, l'OTAN s'est engagée à développer des relations particulières avec la Russie et l'Ukraine." M. Javier Solana, Secrétaire général (à droite) accompagnant M. Guennadi Oudovenko, ministre des Affaires étrangères d'Ukraine, à la réunion à "16+1" du Conseil de l'OTAN le 20 mars.
(Photo OTAN 43Kb)
Par ailleurs, les activités de l'Alliance comportent désormais un important volet d'ouverture à des pays de toute l'Europe: le Partenariat pour la paix est une formidable réussite. Vingt-sept Partenaires sont actuellement activement engagés dans une coopération pratique avec l'Alliance et un grand nombre d'entre eux sont allés plus loin en participant au processus de planification et d'examen du PfP (PARP). L'OTAN encourage activement la réforme dans certains domaines essentiels tels que le contrôle démocratique des forces armées et elle prépare les Partenaires à collaborer aux missions de maintien de la paix et autres opérations de gestion des crises.

Le sommet de Madrid poursuivra ce processus en invitant certains Partenaires à rejoindre l'Alliance et en confirmant le renforcement du PfP et l'initiative d'établir une nouvelle structure de coopération que nous souhaitons appeler "Conseil de partenariat euro-atlantique" (CPEA). L'un des objectifs de cette nouvelle structure est d'étendre les possibilités offertes aux partenaires de consulter l'OTAN sur tout l'éventail des problèmes de sécurité - à la fois politiques et militaires - et de se préparer avec l'Alliance aux futures opérations de gestion de crises.

Bien entendu, une coopération militaire et politique renforcée nécessite plus que la simple création de nouvelles structures. Nous devons utiliser celles-ci pour forger une nouvelle culture de l'engagement, pour montrer que les membres d'une OTAN élargie se consulteront et tiendront véritablement compte des préoccupations des autres. J'espère que le CPEA permettra aux Partenaires de s'impliquer davantage dans les affaires quotidiennes de l'Alliance. Après tout, il faut voir les choses pour y croire.

La décision d'admettre de nouveaux membres dans l'Alliance a suscité bon nombre de critiques. Elles sont, selon moi, mal venues, car l'Alliance a procédé avec prudence. Cinq ans se seront sans doute écoulés entre l'annonce de l'intention de l'OTAN en janvier 1994 et l'adhésion effective des nouveaux membres. En outre, ce processus est traité ouvertement par l'OTAN, qui a publié en 1995 une importante étude sur l'élargissement.

L'élargissement est essentiel car il est la parfaite illustration du type d'OTAN que nous désirons. Avec la disparition du rideau de fer et le succès du PfP et des autres initiatives de partenariat comment pourrions-nous fermer la porte à des candidats aptes - surtout à des pays auxquels le droit de choisir leurs accords de sécurité a été refusé pendant des décennies? La composition de l'Alliance n'a rien de surnaturel ou d'immuable et plusieurs élargissements ont déjà eu lieu auparavant. Sa composition actuelle est le reflet d'une époque révolue et les circonstances ont changé. L'élargissement ne constituera une menace pour personne. Il peut bien au contraire, avec le temps, aider à renforcer la stabilité et la sécurité dans l'Europe tout entière.

Mais il y a d'importants points d'ordre pratique à considérer. La capacité de l'OTAN à absorber et intégrer de nouveaux membres n'est pas illimitée. Un élargissement excessif pourrait affaiblir l'Alliance et la rendre moins efficace, ce qui ne serait positif ni pour ses membres actuels ni pour ceux à venir. Il conviendra de bien y réfléchir au moment de dresser la liste des invités lors du sommet de Madrid.

L'établissement de relations particulières avec la Russie et l'Ukraine est un autre point capital à l'ordre du jour de Madrid. La signature d'accords avec ces pays constituera l'aboutissement d'une politique arrêtée en 1995. Des dispositions particulières en matière de consultation, répondant tout spécialement aux besoins de ces deux pays, se justifient du fait de leur taille et de leur importance stratégique. Aucun de ces aménagements ne saurait porter atteinte au Conseil de partenariat euro-atlantique ou au PfP renforcé. Mais il importe que nous réussissions à établir un véritable échange avec ces deux pays majeurs.

Une nouvelle structure de commandement

Le sommet de Madrid ne traitera pas uniquement de l'adaptation externe. Nous espérons que les chefs de gouvernement approuveront la révision de la structure de commandement de l'OTAN, qui scellera la réorganisation militaire engagée avec le Concept stratégique. L'actuel système de commandement doit être ajusté aux réalités nouvelles. Cela signifie une structure plus souple et transparente, qui conservera les meilleurs aspects de la précédente tout en intégrant des nouveautés. Elle doit être capable de supporter des innovations telles que les Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), qui seront des éléments essentiels de la future capacité de gestion des crises de l'OTAN. Nous souhaitons réduire les 65 quartiers généraux actuels de l'OTAN à environ un tiers de ce nombre. Et nous espérons que le sommet marquera la pleine participation de la France et de l'Espagne à la structure militaire intégrée, ce qui mettrait tous les Alliés à égalité.

La révision de la structure de commandement sera ainsi une occasion d'ajuster l'organisation militaire de l'Alliance aux exigences de nos nouvelles missions, de nos nouvelles aspirations et - le moment venu - de nos nouveaux membres. L'objectif global est de mettre en place une structure efficace et rentable, dont la taille sera adaptée aux exigences de sécurité actuelles.

L'IESD dans l'OTAN

La décision prise à Berlin de bâtir l'Identité Européenne de Sécurité et de Défense à l'intérieur de l'OTAN dérive de cette évolution. Madrid devrait être une étape importante de l'élaboration d'accords visant à mettre les forces de l'OTAN à la disposition de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) pour des opérations conduites par les Alliés européens. Nous devons nous assurer de l'efficacité des modalités de mise à disposition de ces forces et veiller à tester ce concept à travers des exercices. L'UEO doit démontrer qu'elle est apte à prendre ces forces en charges et à les diriger efficacement.

L'UEO devra pour cela avoir pris de solides dispositions de consultation militaire et de prise de décisions politiques et elle devra être en mesure de coopérer étroitement avec l'OTAN et l'Union européenne. En outre, pour fonctionner, ces accords doivent obtenir le soutien de tous les Alliés. L'UEO doit par conséquent rester un organisme autonome dont tous les membres de plein droit appartiennent également à l'OTAN.

Cet objectif justifie tout à fait l'effort considérable qui est entrepris. Dans les circonstances actuelles, il est juste que les Européens démontrent que financièrement et institutionellement qu'ils sont prêts à prendre davantage en charge leur propre sécurité, qu'ils disposent des moyens militaires nécessaires pour progresser en ce sens et enfin qu'ils ont l'intention de prendre cette tâche au sérieux.

Un organisme vivant

Cette étude montre l'étendue des changements intervenus depuis 1991 sur la voie tracée par le Concept stratégique. Madrid constituera une nouvelle étape importante de cette évolution. Et il ne fait aucun doute que le processus d'adaptation se poursuivra après ce sommet. L'OTAN est l'un des organismes internationaux qui a parfaitement assimilé l'idée selon laquelle il faut constamment évoluer pour rester adapté. Le principe de l'investissement commun dans la sécurité collective restera crucial pour l'OTAN. Avec l'établissement du Conseil de partenariat euro-atlantique, une Alliance élargie et - nous l'espérons - la signature d'accords avec la Russie et l'Ukraine, Madrid marqueront une nouvelle étape fondamentale dans l'évolution de l'OTAN. Mais le processus d'adaptation continuera, car l'OTAN est un organisme vivant.


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