Revue de l'OTAN

Edition Web
No. 1 - Jan. 1997
Vol. 45 - pp. 12-14

L'opinion publique américaine, le Congrès et l'élargissement de l'OTAN

2e partie
Le Congrès va-t-il appuyer l'admission de nouveaux membres ?

Jeremy D. Rosner
Associé principal de la Dotation
Carnegie pour la paix internationale
à Washington


Jeremy D. Rosner
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L'OTAN étant sur le point de lancer des invitations officielles à certains Etats d'Europe centrale pour qu'ils entrent dans l'Alliance, la question de savoir si chacun des 16 alliés actuels va ratifier l'accession de ces nouveaux membres au Traité de l'Atlantique Nord va occuper le devant de la scène. Or aux Etats-Unis, la ratification est particulièrement difficile. Si un simple vote majoritaire au sein de corps législatifs régis par les partis suffit à la plupart des gouvernements alliés, les Etats-Unis doivent réunir les voix des deux tiers de son Sénat, connu pour son indépendance, et cela alors que vient d'être réélu un Président démocrate confronté à un Congrès républicain.

En raison notamment de cette situation, un certain nombre d'alliés risquent d'attendre, avant de poursuivre ce processus, de voir si la proposition est adoptée aux Etats-Unis. Ce qui peut signifier que le Sénat devra voter avant que l'actuel 105e Congrès n'ajourne ses travaux, probablement à la fin de l'été ou à l'automne 1998, si l'OTAN doit admettre les nouveaux Etats avant la date limite de 1999 - cinquantenaire de l'OTAN - récemment fixée par le Président Bill Clinton. Mais le Sénat va-t-il ratifier l'entrée de nouveaux membres?

Dans le cadre du Projet sur les comportements à l'égard de la communauté transatlantique, la Dotation Carnegie a organisé une série de tables rondes sur l'élargissement de l'OTAN avec des membres et de hauts fonctionnaires du Congrès. Ce qui ressort de ces entretiens ainsi que de l'analyse des positions adoptées par le Congrès sur cette question est identique aux résultats du sondage mentionnés dans le précédent article: un soutien large mais assez ténu, et si la ratification de l'élargissement de l'OTAN par les Etats-Unis est probable, certains éléments pourraient néanmoins la compromettre.

Plusieurs raisons portent à croire que le Congrès ratifiera l'élargissement de l'OTAN. La première est la suite de décisions favorables prises par le Congrès à ce sujet: en 1994, le Congrès a adopté la Loi sur la participation à l'OTAN qui autorise l'administration à fournir du matériel de défense en surplus et diverses autres aides aux futurs membres de l'OTAN. Lors de l'élection de 1994, les Républicains de la Chambre ont inclu l'élargissement de l'OTAN dans leur «Contrat avec l'Amérique», le manifeste qui contribua à l'accession au pouvoir de la première majorité républicaine depuis plusieurs décennies.

Et en 1996, au lendemain d'un vote qui a réuni plus de 80 pour cent des suffrages tant à la Chambre qu'au Sénat, le 104e Congrès a adopté la Loi en faveur de l'élargissement de l'OTAN, qui approuvait une fois encore le concept d'élargissement et accordait un montant de 60 millions de dollars pour aider les nouveaux membres à se préparer à leur participation à l'Alliance. Dans leur ensemble, ces mesures ont obtenu un soutien sans précédent du Congrès tant par les suffrages réunis que par l'appui des deux grands partis.

La deuxième raison pour laquelle la ratification est probable est d'ordre électoral. En effet, on compte près de 20 millions de personnes originaires d'Europe centrale aux Etats-Unis, dont la plupart sont concentrées dans 14 Etats qui représentent 194 voix de grands électeurs - plus que les deux tiers nécessaires pour avoir la majorité aux élections présidentielles. Or nombre de ces Etats, comme le Michigan, l'Ohio et le New Jersey, sont des pièces maîtresses sur l'échiquier politique américain. Ces forces électorales en jeu expliquent pourquoi tant le Président Clinton que le Sénateur Dole ont mis l'accent sur leur soutien à l'élargissement de l'OTAN durant la récente course à la présidence - cette question a d'ailleurs été au centre du seul grand discours sur la politique étrangère prononcé par le Président au cours de sa campagne. Les participants à nos tables rondes au Capitole ont souligné que l'importance accordée à cet électorat aide également à comprendre les récentes décisions du Congrès, dont l'inclusion de l'élargissement de l'OTAN dans le «Contrat avec l'Amérique» et les votes disproportionnés qui ont eu lieu cette année sur cette question à la Chambre et au Sénat.

Troisièmement, les membres du Congrès qui défendent l'élargissement de l'OTAN bénéficieront de l'élan donné par un vote de ratification. En outre, lorsque le Sénat votera, cette initiative aura sans doute encore nettement progressé. Les chefs d'Etat des pays membres de l'OTAN auront donné le feu vert à l'élargissement et les négociations d'accession avec les membres potentiels auront été conclues. La Maison Blanche et les dirigeants alliés pourront ainsi faire valoir auprès des opposants au Sénat que «l'on ne peut pas revenir maintenant sur la parole donnée». De plus, il ne faut pas oublier que le projet de loi sur la ratification n'abordera pas directement nombre des questions les plus délicates que soulève l'élargissement, comme son coût et le déploiement éventuel de troupes américaines pour défendre les nouveaux pays membres. Le financement relève des projets de loi annuels sur la défense; et la protection des nouveaux pays membres contre des attaques n'est encore, à ce stade, qu'une hypothèse lointaine. Ainsi ces deux questions ne déchaîneront peut-être pas trop les passions durant le processus de ratification.

Une quatrième raison qui laisse penser que le Congrès votera la ratification est que l'opposition politique à cette idée semble diffuse et désorganisée. Alors que les partisans de l'élargissement au Capitole ont fait régulièrement progresser la question grâce au soutien d'une coalition ethnique nationale, ses détracteurs n'ont pu compter sur l'appui d'aucun grand groupe organisé et se sont divisés en plusieurs tendances, des libertaires qui souhaiteraient dissoudre l'OTAN aux libéraux et centristes soucieux de l'impact produit sur la politique russe, en passant par les conservateurs, qui craignent que l'entrée de nouveaux membres ne compromette la cohésion politique et la force militaire de l'Alliance. De surcroît, l'adversaire de l'élargissement le plus vigoureux et le plus influent au Sénat, le démocrate Sam Nunn, de Géorgie, prend sa retraite, de même que d'autres sénateurs sceptiques comme la républicaine Nancy Kassebaum, du Kansas, et le démocrate Bennett Johnston, de Louisiane.

Malgré ces éléments positifs, d'autres tendances laissent penser que la ratification de l'élargissement de l'OTAN par le Sénat est loin d'être assurée. Le premier signe inquiétant est que l'opinion du Congrès sur la question est très loin d'être arrêtée. Lors de l'une des discussions que nous avons organisées, un groupe de membres du Congrès a estimé que seuls cinq à dix pour cent de leurs collègues devaient avoir vraiment réfléchi à la question. Lors d'une discussion au mois de septembre, un membre du Congrès a déclaré qu'il ne se souvenait pas de son choix lors du vote de la résolution sur l'élargissement, en juillet (il avait voté pour). De plus, les participants à ces tables rondes ont souligné que les résolutions proposées ne faisaient intervenir que des formes de soutien assez générales, assorties d'aides financières modestes, et qu'elles n'impliquaient pas un grand risque politique. Il s'agissait, en quelque sorte, de votes «libres», et certains pensaient même que les votes très favorables enregistrés ne pouvaient être tenus pour fiables.

Plus généralement, sachant que la position du Congrès en matière de politique étrangère a été péremptoire, partisane et changeante au cours de ces dernières années, il ne serait pas impossible que l'actuel soutien à l'élargissement, large mais vague, s'évapore. Plus de la moitié des membres de l'actuel Congrès ont été élus après la fin de la Guerre froide, et leur relatif manque d'expérience dans le domaine de la politique étrangère a déjà eu des conséquences pour l'OTAN. Citons le cas d'un Républicain qui, en février 1995, a voté en faveur des dispositions du Contrat avec l'Amérique approuvant l'élargissement de l'OTAN. Or, à peine dix mois plus tard, quand le Président Clinton a proposé d'envoyer des troupes américaines en Bosnie, ce même parlementaire s'est insurgé contre l'idée que le déploiement était essentiel pour prouver la viabilité de l'OTAN, affirmant qu'il était temps d'organiser de décentes funérailles à l'OTAN. Dans certaines circonstances - par exemple, si les membres républicains du Congrès se mettaient à considérer l'élargissement moins comme une nécessité fondamentale et davantage comme une question partisane - il serait possible que nombre d'entre eux fassent marche arrière à leur tour.

Les résultats des élections de 1996 aux Etats-Unis apportent encore une autre raison de penser que l'élargissement de l'OTAN pourrait être conflictuel. Alors que la majorité républicaine à la Chambre des représentants a diminué, les Républicains ont gagné deux sièges au Sénat. De plus, le départ à la retraite d'un nombre record de 15 sénateurs a contribué à la formation d'un Sénat dont beaucoup des membres les plus expérimentés et les plus modérés en matière de politique étrangère ont été remplacés par des membres qui ont des positions plus extrêmes et une connaissance beaucoup moins approfondie de ces questions. D'où les signaux contradictoires enregistrés au cours des deux semaines qui ont suivi les élections - le Président de la Chambre, Newt Gingrich, parlant d'une coopération étroite avec la Maison Blanche sur les affaires intérieures, mais le Sénat émettant des vues contrastées sur la politique étrangère, le Président de la commission des relations extérieures, Jesse Helms, a mis le Président en garde quant au choix du prochain Secrétaire d'Etat, et l'exposé au Sénat sur l'extension possible du déploiement américain en Bosnie s'est déroulé dans une atmosphère houleuse.

Enfin, plusieurs préoccupations de fond pourraient réduire le soutien politique du Congrès à mesure que progresse le débat sur l'élargissement de l'OTAN. Comme l'a fait remarquer Steven Kull plus haut, l'opinion publique s'inquiète du coût de l'élargissement et des garanties nucléaires, et ces préoccupations risquent de commencer à se faire sentir au Capitole. Cependant, lors des derniers votes de politique étrangère au Congrès, l'opinion générale d'un public qui s'intéresse peu à la politique étrangère a eu moins d'impact que les opinions d'élites ou de groupes dissidents qui savent se faire entendre. C'est l'une des raisons pour lesquelles les Nations unies, qui continuent d'avoir la faveur du public, font régulièrement l'objet de violentes critiques au Capitole. On pourrait réellement craindre pour la ratification de l'élargissement si certains groupes d'élites actifs et influents se mobilisaient contre celle-ci, ou si des dissensions apparaissaient entre les différentes composantes de la coalition pro-élargissement. Le problème du dispositif de forces pourrait bien devenir une source de conflit, étant donné que ceux qui se déclarent le plus préoccupés par la question de la Russie exigeront sans doute des préparatifs militaires relativement poussés tandis que ceux qui sont plus attachés à l'intégration européenne réclameront peut-être un allégement du niveau des forces et des dépenses.

En définitive, le facteur qui décidera du sort de la ratification de l'élargissement de l'OTAN aux Etats-Unis sera probablement la Maison Blanche. Avec un Congrès qui s'exprime plus fermement depuis la fin de la Guerre froide, les grandes initiatives en matière de politique étrangère n'ont en général réussi que lorsqu'elles bénéficiaient du soutien actif du Président en personne. Jusqu'à maintenant, d'après les conversations que nous avons eues au Capitole, les membres du Congrès paraissent déçus par la faiblesse du niveau et de l'intensité des tentatives de rapprochement de la Maison à ce sujet. Beaucoup pensent que l'exécutif n'a pas essayé, jusqu'à présent, de faire du Congrès un véritable partenaire de l'entreprise de l'élargissement.

Les élections américaines étant terminées et l'OTAN se préparant à décider des Etats qui seront invités à rejoindre l'Alliance, le Congrès sera plus vigilant à l'égard du Président Clinton et de ses conseillers. Après avoir fait de cette question l'un des thèmes de sa campagne de réélection, le Président peut faire valoir à tort ou à raison que le peuple l'a mandaté pour poursuivre l'élargissement de l'Alliance et, vu son engagement personnel à ce sujet jusqu'ici, il faut s'attendre à ce que telle soit sa démarche. Si, en fait, le soutien de l'administration Clinton à l'élargissement de l'OTAN est actif et bipartite, et s'il fournit de bons arguments au Congrès lorsqu'il s'agit de prendre des décisions majeures, alors il est probable que ce projet continuera de bénéficier d'un soutien solide chez les républicains comme chez les démocrates et que le Sénat réunira en sa faveur les deux tiers des votes nécessaires.


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