Revue de l'OTAN

Edition Web
No. 6 - Nov. 1996
Vol. 44 - pp. 7-12

La responsabilité accrue de l'OSCE en matière de sécurité en Europe

Flavio Cotti
Conseiller fédéral, Chef du Département fédéral des Affaires étrangères de la Confédération suisse, Président de l'OSCE


Flavio Cotti
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L'OSCE offre à tous les états situés entre Vancouver et Vladivostok un forum pour la coopération en matière de sécurité. L'adhésion aux valeurs communes que sont la démocratie, les principes de l'Etat de droit ainsi que la protection des droits de l'homme et des minorités est le fondement de cette coopération. Par les actions de médiation du Haut Commissaire pour les minorités nationales et l'engagement de missions de longue durée sur place, elle s'efforce notamment de régler les conflits de minorités. Depuis 1992, l'OSCE est aussi devenue opérationnelle dans les domaines de la diplomatie préventive et de la prévention des conflits. Les tâches qui lui ont été confiées dans le cadre de la mise en oeuvre de l'Accord de paix pour la Bosnie-Herzégovine et les moyens d'action dont elle dispose, notamment dans le conflit tchétchène, sont autant de preuves que l'OSCE a gagné en importance.

Connue auparavant sous le nom de Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à l'instar d'autres organisations de sécurité, s'est engagée avec courage et détermination sur la voie d'un ajustement à la nouvelle donne politique qui règne depuis 1989. En effet, depuis la signature en 1975 de l'Acte Final de la CSCE, ou Acte final d'Helsinki, plus de vingt années ont passé durant lesquelles le visage de l'Europe a complètement changé. La séparation en deux blocs, la confrontation de deux systèmes antagonistes et les luttes idéologiques exacerbées appartiennent désormais au passé. Forte des valeurs communes que sont la démocratie, les droits de l'homme, l'Etat de droit, la liberté économique, la justice sociale et la protection de l'environnement, l'Europe s'est engagée sur la voie de la coopération et du partenariat.

Dans cette évolution, la CSCE a joué un rôle important. En instaurant un lieu de dialogue et en créant des règles de comportement s'appliquant à la fois aux relations entre états et au comportement de chaque état envers ses citoyens, elle a progressivement occupé des créneaux où la coopération a pu l'emporter sur la confrontation. Elle a ainsi contribué à développer la notion de responsabilité partagée de tous les états dans un espace commun de civilisation européenne.

Orientation vers des activités opérationnelles

L'éclosion des libertés fondamentales et des droits de l'homme dans les pays autrefois communistes a été assombrie par l'éclatement de conflits, anciens et nouveaux. Sur fond d'instabilité sociale et économique, les guerres, le non-respect des libertés fondamentales, les violations des droits de l'homme, le nationalisme agressif, le racisme, la xénophobie et les tensions interethniques ont pu se développer. Voilà les nouveaux dangers qui pèsent aujourd'hui sur la paix, la sécurité et le bien-être du continent européen. La communauté internationale est appelée à relever le défi et à réagir avec fermeté et détermination à l'émergence de cette nouvelle barbarie.

Face à ces nouveaux défis, la CSCE a recouru aux nouveaux instruments que sont l'alerte rapide, la prévention des conflits et la gestion des crises. Elle a nommé un Haut Commissaire pour les minorités nationales et créé des structures permanentes ; elle s'est également lancée sur le terrain avec une douzaine de missions de diplomatie préventive. L'établissement d'institutions permanentes, doublé d'un accroissement des opérations, a changé la nature même de la CSCE. Ces transformations ont eu pour retombée logique le changement de dénomination: la Conférence est devenue, en janvier 1995, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Suite à ces changements, l'OSCE présente de nouveaux atouts. Sa composition de 55 états participants - dont les Etats-Unis, le Canada et la Russie - en font l'enceinte paneuropéenne la plus large susceptible de débattre de toutes les questions de sécurité qui concernent l'espace OSCE. Son champ d'action est déterminé par le concept de la sécurité globale. Le principe général du consensus en fait une organisation de la sécurité coopérative dépourvue de moyens coercitifs. Enfin, sa flexibilité institutionnelle et la nature politique des engagements pris par ses membres lui permettent de réagir vite et de manière pragmatique dans les situations de crise.

Une approche multidimensionnelle

De nos jours, l'OSCE remplit quatre fonctions:tout d'abord, elle constitue une communauté de valeurs mettant en avant la démocratie, les droits de l'homme, l'Etat de droit et les libertés fondamentales. Voilà les valeurs auxquelles les 55 états participant à l'OSCE ont souscrit. Les documents de base de l'OSCE contiennent des normes de comportement politiquement contraignantes que les états participants ont élaborées ensemble. La mise en oeuvre de ces normes représente toutefois le défi ultime. L'OSCE n'a pas le pouvoir d'en imposer le respect, mais elle a mis au point un système de contrôle qui, lors de violations, s'applique également dans les affaires intérieures.

En deuxième lieu, l'OSCE constitue un forum de dialogue permanent pour les questions relevant de la sécurité en Europe. Chaque état participant peut à tout moment faire part de ses inquiétudes, de ses soucis et de ses craintes face à des événements dans l'espace OSCE. En posant des questions, en signalant des développements inquiétants, il peut déclencher une discussion, recevoir des clarifications et des assurances d'autres états, stimuler des réponses communes. Ce processus fait progresser la transparence et forme en lui-même une mesure de confiance et de sécurité.

Troisièmement, l'OSCE constitue un forum pour la maîtrise des armements et le désarmement. Les mesures de confiance et de sécurité contenues dans le Document de Vienne 1994 ont en effet été négociées sous l'égide de l'OSCE ; celle-ci surveille également la mise en oeuvre des dispositions de ce document. Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE) entre les pays de l'OTAN, les pays de l'ancien Pacte de Varsovie et les états succédant à l'ex-Union soviétique est également né dans cet esprit. Actuellement, l'OSCE est en train de préparer un nouveau cadre pour la maîtrise des armements s'étendant à tout l'espace OSCE. Parallèlement à ces efforts, des accords sur le contrôle des armements au niveau régional et subrégional peuvent être négociés dans le cadre de l'OSCE, comme le montre le cas de l'ex-Yougoslavie et de la Bosnie-Herzégovine.

En quatrième lieu, l'OSCE est dotée d'instruments pour intervenir dans les régions de conflits. En effet, le nombre croissant de conflits régionaux depuis la fin de la Guerre froide a contraint l'OSCE à étendre son champ d'action sur le terrain. Les activités du Haut Commissaire pour les minorités nationales et les missions de diplomatie préventive de l'OSCE servent à la fois à l'alerte rapide, à la prévention des conflits et à la gestion des crises. Depuis la fin des hostilités en Bosnie-Herzégovine, l'OSCE s'est aussi lancée dans une nouvelle activité qu'est la réhabilitation après-guerre. Bien qu'elle se soit dotée en 1992 de la possibilité de mener ses propres opérations de maintien de la paix, elle n'a jusqu'à maintenant pas eu encore l'occasion de réaliser cette option.

Il y a en particulier deux opérations sur le terrain qui ont permis de consolider la tâche et la vocation de l'OSCE : l'établissement au printemps 1995, du Groupe d'assistance en Tchétchénie et le déploiement de la mission OSCE en Bosnie-Herzégovine à partir de janvier 1996.

Une présence discrète mais efficace: la Tchétchénie

M. Lebed & Yandarbiyev
M. Alexander Lebed (à droite), alors secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération russe, s'adressant aux médias en compagnie de Zelimkhan Yandarbiyev, chef des séparatistes tchétchènes, le 17 septembre, au terme de négociations sur des dispositions d'après-guerre en Tchéchénie.
(EPA/Belga 49Kb)
Dans le cas de la Tchétchénie, l'innovation réside dans le fait que la Russie a accepté la présence de l'OSCE dans un conflit qu'elle considère comme une affaire intérieure, qui doit être résolu dans le respect de son intégrité territoriale. En sollicitant le Groupe d'assistance de l'OSCE, la Russie admettait explicitement que les engagements contractés au sein de l'OSCE, et notamment lors du sommet de Budapest en décembre 1994, au moment même où commençait le conflit tchétchène, étaient un sujet de préoccupation directe et légitime pour tous les états participants. Il a été également établi que la constitution d'un tel groupe est bien dans l'intérêt de la Russie elle-même.

L'engagement en Tchétchénie est encore une preuve des possibilités dont dispose l'OSCE. Celle-ci est peut-être faible sur le plan institutionnel : elle ne dispose d'aucun moyen de coercition et ne prend ses décisions que sur la base du consensus. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ses faiblesses peuvent s'avérer être aussi ses forces. L'OSCE est effectivement la seule organisation internationale qui soit présente en Tchétchénie, s'impliquant donc dans un conflit qui se déroule au sein même d'un de ses plus importants états participants.

Les possibilités d'action du Groupe d'assistance dépendent de nombreux impondérables politiques à Moscou et en Tchétchénie. Son chef, qui s'engage sans relâche pour offrir sa médiation dans les circonstances les plus difficiles, a réussi à faire de l'OSCE un partenaire respecté dans la recherche d'une solution négociée. Sa signature figure sous les accords de Moscou, de Nazran et de Khasavyurt, et chaque fois que les parties ressentent la nécessité de recourir aux services d'un intermédiaire, elles font appel à lui.

En maintenant une présence sur le terrain, y compris dans les situations les plus brûlantes, l'OSCE peut agir pour ainsi dire en tant que «tierce partie» neutre au sein du conflit, ce qui lui permet non seulement d'offrir sa disponibilité, mais aussi de renforcer la confiance, de prendre discrètement de l'influence et d'en appeler au respect des droits de l'homme. En plus, la communauté internationale dispose, par sa présence sur place, d'un témoin privilégié et objectif des développements dans la région du conflit.

Cette méthode de coopération - peu spectaculaire il est vrai, mais s'inspirant d'un renforcement de la confiance à long terme - est également la pierre angulaire des autres missions de longue durée. Ces missions, selon les circonstances et la situation sur place, ont un mandat taillé sur mesure et des tâches différentes. Selon ce principe, il y a ainsi des missions en Géorgie, dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, en Croatie, en Ukraine et en Moldavie. Elle a été couronnée de succès: notamment en Ukraine, où la mission de l'OSCE et le Haut Commissaire pour les minorités nationales ont largement contribué au règlement de la crise constitutionnelle ; citons encore la Moldavie ou la Géorgie, où la progression vers un règlement politique des conflits se dessine.

Troupes de l'IFOR
Soldats de l'IFOR enterrant des munitions bosno-serbes confisquées dans un dépôt clandestin, le 20 août, avant leur destruction.
(EPA/Belga 45Kb)

Une présence de grande envergure : la Bosnie-Herzégovine

En participant au processus de paix en Bosnie-Herzégovine l'OSCE se voit confrontée à un défi sans précédent. Alors que, dès 1991, elle fut tenue à l'écart du dossier yougoslave, l'OSCE est à nouveau étroitement associée aux efforts de la communauté internationale visant à restaurer la paix et la stabilité dans les Balkans, et ce à la suite de la signature de l'Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine en décembre dernier. En effet, elle y joue un rôle central dans la partie civile de l'accord de paix : c'est à la requête des parties à cet accord que l'OSCE a accepté de superviser la préparation et le déroulement d'élections libres et équitables, de suivre la situation des droits de l'homme et de faciliter des négociations visant à accroître la confiance et la sécurité, ainsi que d'établir, à travers des seuils limitatifs, un nouvel équilibre militaire reposant sur un accord pour une réduction des effectifs et de l'armement.

Pour faire face à ces nouvelles tâches - essentielles à une paix durable - elle a mobilisé les fonds nécessaires pour mener à bien une opération d'une telle envergure et déployé une mission de diplomatie préventive en Bosnie d'environ 250 personnes. Cette opération a nettement fait valoir l'importance de l'OSCE.

Dans le domaine du contrôle des armements, les progrès réalisés sont tangibles. Fin janvier, un accord sur des mesures de confiance et de sécurité a été adopté par la Bosnie-Herzégovine et ses deux entités, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska. L'accord a été mis en oeuvre et les parties ont procédé à un échange d'informations militaires dont les données ont été vérifiées par une série d'inspections. Ces mesures ont préparé le terrain pour un accord sur le désarmement subrégional qui a pu être signé le 14 juin 1996. Dans ce document, la République fédérale de Yougoslavie (RFY), la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Fédération et la Republika Srpska fixent - par analogie avec le traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) - des limites pour cinq catégories d'armes (chars de combat, véhicules blindés, artillerie lourde, avions de combat, hélicoptères d'attaque). Ces limitations doivent être terminées à l'aide de réductions fin octobre 1997. Une fois mis en oeuvre, cet accord mènera à une réduction de 25% de l'armement lourd de la RFY et de la Republika Srpska. Il contribuera à stabiliser les forces armées en ex-Yougoslavie à un niveau réduit.

Les élections en Bosnie-Herzégovine: le défi pour l'OSCE

La surveillance des préparatifs et du déroulement des élections était sans aucun doute la tâche la plus ardue que l'Accord de Dayton ait chargé l'OSCE d'accomplir. Ce travail portait d'abord sur l'aspect purement technique et organisationnel des élections. Les défis qui se posaient à l'OSCE étaient énormes, ces élections étaient vraisemblablement les plus difficiles qui aient jamais été organisées. Difficiles surtout parce qu'une bonne moitié des quelques 3 millions d'électeurs avaient été déplacés ou forcés à fuir à l'étranger.

Toutefois, moins que les aspects techniques, c'étaient surtout les conditions politiques qui causaient les plus gros soucis. Dans l'Accord de Dayton, les parties s'étaient engagées à veiller à ce que toutes les conditions soient réunies pour l'organisation d'élections «libres, équitables et démocratiques», notamment un climat politique sans peur et sans intimidation, la liberté de mouvement, la liberté de la presse et la liberté d'expression ainsi que la liberté de rassemblement. Je m'étais vu conférer, en ma qualité de Président en exercice, la tâche de certifier «si des élections sont effectivement possibles dans les conditions sociales prévalant actuellement au sein des deux entités». Lors de ma certification devant le Conseil permanent de l'OSCE à Vienne le 25 juin 1996, j'ai indiqué que les conditions pour des «élections libres, équitables et démocratiques» telles qu'elles sont définies dans l'Accord de Dayton n'étaient pas données. Toutefois, tenant compte d'autres facteurs importants, j'ai néanmoins confirmé que les élections devraient se tenir le 14 septembre. Suite à des graves manipulations dans l'enregistrement des réfugiés, notamment en République fédérale de Yougoslavie et en Croatie, la décision a dû être prise de reporter les élections municipales.

Techniquement, les élections du 14 septembre se sont cependant déroulées correctement et sans incident grave. Leur résultat est porteur d'espoir et semble prometteur. La participation aux élections de plus de trente partis politiques, tout comme les gains enregistrés par les partis d'opposition sont les signes d'un processus naissant de pluralisme politique et d'ouverture démocratique. Comme je l'ai déjà plusieurs fois indiqué, je vois cela comme un premier pas. Suite à ce long conflit, j'espère que ces élections vont être les prémisses d'une évolution menant à la paix et à la stabilité en Bosnie-Herzégovine. Les prochaines élections, prévues dans deux ans, serviront vraiment de test. Pour qu'il soit positif, il est nécessaire que l'engagement continu de la communauté internationale reste assuré.

Un modèle de sécurité pour le XXIe siècle en Europe

Lors du Sommet de Budapest de 1994, les états de l'OSCE ont lancé une discussion sur un modèle de sécurité pour le XXIe siècle. C'est par sa capacité d'offrir une large couverture tant thématique que géographique que l'OSCE s'est avérée être le forum le plus adéquat à ce débat. La discussion se trouve encore à un stade embryonnaire, mais au cours de ces deux dernières années, les états se sont mutuellement familiarisés avec tous les aspects qui ont trait à leur sécurité. Cette phase initiale a créé une image globale des nouveaux risques et des nouveaux défis tels que les perçoivent les états. Au Sommet de l'OSCE en décembre prochain à Lisbonne, il appartiendra au Président en exercice de présenter aux chefs d'Etat et de gouvernement cette évaluation des risques. Ce travail commun est un des fondements des futures structures de sécurité et de coopération en Europe.

Trois thèmes étroitement liés entre eux et sujets à controverses sont au centre de la discussion. Il s'agit en premier lieu de conférer à la Russie la place qui lui revient dans la coopération européenne en matière de sécurité. Je suis parfaitement convaincu qu'un modèle de sécurité futur peut jouer ici un rôle important, tout en me rendant compte qu'il existe d'autres voies permettant d'institutionnaliser la coopération avec la Russie. Il s'agit en deuxième lieu de savoir comment les états et les organisations oeuvrant dans la région de l'OSCE peuvent collaborer et établir un réel partenariat d'une manière constructive en se complétant et en se renforçant mutuellement. Et troisièmement, enfin, le modèle de sécurité peut aussi démontrer le rôle qui doit revenir à l'OSCE en tant qu'institution au sein de la collaboration future en matière de sécurité.

Le modèle de sécurité ne pourra contribuer à la sécurité de l'Europe que lorsqu'il aura permis la mise en oeuvre concrète des expériences faites et que les états seront disposés à en débattre dans une confrontation d'idées novatrices et de grande envergure. Poursuivre ce qui existe et renforcer les principes et les engagements déjà mis en place ne suffit plus. Des mesures concrètes doivent suivre.

Nous ne connaissons que trop bien les limites de l'OSCE, quant aux moyens financiers, ainsi que sur le plan organisationnel et institutionnel. Malgré tous ses efforts l'on ne saurait nier l'existence d'un risque pour l'OSCE de ne pas réussir à atteindre les objectifs qu'elle poursuit en Bosnie-Herzégovine et ailleurs. Et pourtant, nous constatons que, sans présomptions, l'OSCE accomplit des services concrets et que même un petit pays comme la Suisse peut y jouer pleinement son rôle.


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